Élections TPE : les syndicats s’inspirent des activités sociales et culturelles des CSE

04/11/2024

Réunis lors de la journée nationale des CPRIA, ces commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat cruciales pour l’information des salariés des petites entreprises, les partenaires sociaux ont évoqué des pistes pour rendre le scrutin TPE plus attractif. L’une d’elles consiste à s’inspirer des apports des CSE pour les salariés, en particulier sur les activités sociales et culturelles.

Comment s’inspirer des élections CSE pour motiver les salariés des TPE à voter ? C’est l’un des sujets abordés mercredi 30 octobre lors de la table ronde de la journée nationale des CPIRA. Essentielles au dialogue social dans les entreprises de l’artisanat, ces commissions ont été créées par un accord interprofessionnel du 12 décembre 2001 (signé par l’UPA, ancêtre de l’U2P côté patronal, et la CFDT, la CGT, FO, la CFE-CGC et la CFTC) puis adaptées aux exigences de la loi Rebsamen du 17 août 2015 (qui a créé les CPRI pour l’ensemble des salariés TPE). Elles rassemblent les représentants élus par les salariés via le scrutin.

Certes, les entreprises visées sont les plus petites, mais les enjeux sont majeurs pour les confédérations réunies à l’Hôtel des Arts et Métiers mercredi 30 octobre, à Paris. Les résultats des élections TPE 2024 qui se dérouleront du 25 novembre au 9 décembre pour cinq millions de salariés participent à l’établissement de la représentativité syndicale au niveau branche, national et interprofessionnel, tout comme les élections CSE. Les syndicats ont donc tout intérêt à attirer l’attention de ces salariés peu syndiqués alors que le scrutin est miné par l’abstention. L’une des pistes consiste à bâtir des plateformes fournissant aux salariés des TPE l’équivalent des activités sociales et culturelles pour les CSE.

Des ASC pour les salariés des très petites entreprises

Au cours de la table ronde des partenaires sociaux, Frédéric Souillot, secrétaire général de Force Ouvrière, a évoqué le sujet le premier : “Les salariés nous disent qu’ils n’ont pas de CSE, pas d’ASC, et que nous représentons davantage les grands groupes que les petites entreprises. Ces salariés, nous les croisons souvent quand ils intentent une action en justice aux Prud’hommes, mais ce n’est pas la solution pour les approcher. Il faut qu’on leur apporte plus de choses en proximité”.

À Force Ouvrière, la FGTA (fédération qui regroupe les secteurs de l’agriculture, l’artisanat alimentaire, la grande distribution, l’hôtellerie restauration, les emplois de la famille, la coiffure et l’esthétique) a en effet lancé une plateforme de services ouverte aux salariés de CSE comme de TPE, du moment qu’il soient adhérents FO. En parallèle, le secteur développement de la confédération ouvrira bientôt “My store FO” donnant accès à des fournisseurs et des produits privilégiés, ainsi qu’un service de billetterie et de voyages. L’intérêt est également de jouer sur les volumes de produits afin d’en réduire le prix unitaire, des économies d’échelle dont profitent in fine les salariés de TPE comme de CSE. Frédéric Souillot conclut : “Sur les ASC on sait qu’il y a de la demande, et si on mutualise avec d’autres confédérations, ce sera peut-être une solution permettant d’envisager l’avenir”.

À la CFTC, la plateforme “HappyPal” propose des prix réduits de places de cinéma, d’entrées aux salons du chocolat ou de grands parcs d’attraction. A ce jour, environ 1 500 salariés utilisent le service. L’accès est 100% gratuit, durant 1 an à partir de la première connexion.

De UpCoop à Proximeo

FO n’est pas la seule à adopter cette stratégie. La CFDT s’y est mise aussi, avec une plateforme développée avec le groupe UpCoop, spécialiste des solutions de paiement pour les salariés, et qui propose une série de chèques déjeuner, cadeaux ou culture. Selon la secrétaire nationale Jocelyne Cabanal, quinze mille adhérents identifiés TPE y sont inscrits. Côté CGT, la confédération de Sophie Binet travaille également avec UpCoop, en particulier au sein de la Commission mixte paritaire interprofessionnelle du Nord. La secrétaire générale ajoute : “Il faudrait un fonds commun avec une mutualisation. La branche des assistantes maternelles prévoit une contribution pour cela et elle va devenir le plus grand CSE de France grâce à la mutualisation, cela va fournir de vrais leviers pour toucher ce public”.

Pour Cyril Chabanier (CFTC), “des avantages de type CSE permettent de leur apporter un plus, si on ajoute aussi un accompagnement à la reconversion, une mutuelle, de l’accès à des formations, alors on leur offre un service dont ils sont encore dépourvus”. Enfin, selon la secrétaire nationale Christine Lê, la CFE-CGC n’a pas développé sa plateforme “maison” mais s’est tournée vers Proximeo, créée par l’accord du 12 décembre 2001 sur le dialogue social dans les petites entreprises Ce “club avantage” réservé aux trois millions de salariés et entreprises de l’artisanat combine 280 000 “offres à petits prix”.

Un scrutin en danger ?

François Hommeril a qualifié le prochain scrutin TPE “d’élections de la dernière chance”. Il craint qu’il ne soit supprimé si le taux de participation ne progresse pas de manière significative. Les syndicats reçoivent pourtant l’appui de l’U2P, organisation patronale de proximité des TPE, qui s’est impliquée dans la campagne et souhaite que le scrutin rencontre davantage de succès. “Il en va de l’attractivité de nos petites entreprises vis-à-vis des salariés, mais aussi du besoin de partenaires crédibles pour le dialogue social”, analyse Michel Picon. Le président de l’U2P s’inquiète lui aussi de l’avenir de l’élection TPE : “Si on ne le fait pas décoller, d’autres que nous se poseront la question de le maintenir”…

Le ministère du travail a cette année développé une campagne avec un site internet (https://election-tpe.travail.gouv.fr/ ) qui, outre les informations de base, permet aussi aux salariés de vérifier leur inscription sur la liste électorale ainsi que leurs informations personnelles. La phase de mise à jour des données s’est terminée le 27 septembre. Le site rappelle l’utilité des élections TPE : désigner des représentants syndicaux qui participent aux négociations des conventions collectives de branche, des conseillers prud’hommes et des membres des CPRI qui informent et conseillent les salariés des TPE sur leurs droits au travail, la santé, l’emploi ou encore l’égalité hommes femmes. En parallèle, un service d’aide téléphonique est accessible de 9 à 18 heures du lundi au vendredi.

Cela sera-t-il suffisant pour mobiliser davantage que lors du dernier scrutin qui n’avait recueilli que 5 % de participation ? Certes, l’époque était encore grevée par les effets du Covid. Cyril Chabanier et Frédéric Souillot ajoutent que “les Français ont déjà pas mal voté en 2024” mais ne croient pas à une “élection de la dernière chance”. Le secrétaire général de FO considère qu'”il faut déjà faire le bilan, s’adresser aux travailleurs de proximité notamment les sous-traitants des grands groupes qui se trouvent dans de petites entreprises”. La CFE-CGC de François Hommeril a joué sur le publipostage pour sensibiliser les salariés ainsi que des actions au plus près des environnements personnels des salariés. Jocelyne Cabanal (CFDT) considère que “les aspects de pouvoir d’achat sont essentiels pour ces salariés, il faut aussi penser aux dispositions spécifiques aux TPE dans les accords de branche afin de démontrer l’utilité du dialogue social et ses effets sur la vie en TPE”. Enfin, la CGT de Sophie Binet souhaiterait la mise en place d’un échelon départemental “avec plus de sens et de proximité”.

Pour l’heure, à moins que la participation aux élections TPE ne continue de s’effondrer, la remise en cause du scrutin TPE semble peu probable pour une raison simple : il faudrait revoir l’ensemble des règles de représentativité syndicale issues de la loi de 2008. Pas sûr qu’un quelconque gouvernement ne souhaite plonger ses mains dans ce sujet sur les mois qui viennent…

UpCoop lance UpOne l’année de ses 60 ans
Née en 1964, UpCoop a fêté en septembre ses 60 ans lors d’un événement organisé au Conseil économique social et environnemental. Fondée sous le statut de coopérative, ses salariés sociétaires élisent leur conseil d’administration et y sont représentés. Le chèque déjeuner ayant été créé avec des organisations syndicales, le conseil d’administration d’UpCoop comprend des représentants CFDT, CGT et FO.

Elle propose aujourd’hui deux plateformes : Kalidea pour les grands comptes et Leeto pour les CSE de moyenne et petite taille. Mais son dernier produit propose de regrouper toutes les dotations du CSE sur une seule carte ou appli de smartphone : voyages, culture, cadeaux, sport, mobilité… Autant de facilité gagnée pour le salarié et le CSE. “Ça marche bien, nous a indiqué Julien Anglade, Directeur général du groupe Up, mais cela va monter encore à l’approche de Noël. En plus, c’est un outil ultra-simple”. Une solution à tester !

Marie-Aude Grimont

La victoire de Donald Trump, un défi pour l’Europe sociale

07/11/2024

L’élection à la présidence des Etats Unis du Républicain Donald Trump marque un tournant dont il faudra mesurer toutes les conséquences au niveau international. Mais il faut déjà s’attendre outre-Atlantique à un changement net de la façon dont la présidence américaine considère les organisations syndicales et les droits des travailleurs à s’organiser et à se défendre collectivement. L’Europe va devoir défendre son modèle social.

Sous la présidence de Joe Biden, et dans un contexte de forte inflation, la Maison Blanche a multiplié les gestes de soutien au monde syndical. Le président sortant américain s’est ainsi rendu en septembre 2023 sur un piquet de grève pour appuyer la demande d’augmentations salariales des employés de General Motors, Ford et Stellantis à Detroit, dans le Michigan.

La politique de Joe Biden

Il a aussi, à plusieurs reprises, soutenu l’action des syndicats en faveur des droits des salariés. C’était assez inhabituel dans un pays où le droit syndical s’avère restrictif. Pour qu’un syndicat s’implante dans une entreprise, il faut en effet que l’organisation syndicale obtienne déjà la signature favorable de 30 % des salariés du site concerné et ensuite que le syndicat gagne le référendum organisé dans l’entreprise sur cette arrivée syndicale en obtenant plus de 50 % des suffrages. Cela peut donner lieu à de multiples entraves et intimidations de la part des employeurs hostiles à toute présence syndicale. S’ajoutent à cela des conditions supplémentaires dans certains États.

Bref, cela relève d’un parcours d’obstacle qu’une organisation ne peut engager sans s’y être soigneusement préparée et non sans risques. On l’a vu chez Amazon, où l’implantation syndicale sur un site new-yorkais a été saluée comme une victoire par Joe Biden mais cette implantation a aussitôt été contestée par l’employeur. On l’a vu aussi avec les tentatives de l’UWA (*) de s’implanter chez les constructeurs automobiles étrangers installés dans le Sud des États-Unis : “Cette offensive s’est jusqu’à présent soldée par une victoire chez Volkswagen suivie par une défaite chez Mercedes-Benz”, souligne dans une de ses chroniques internationales la chercheuse de l’Ires, Catherine Sauviat. 

Une promesse de défiscaliser les heures sup

Il est donc certain que cette orientation de Joe Biden, dont le Monde a souligné qu’elle n’avait pas suffi à relancer la dynamique syndicale aux Etats Unis, ne sera pas celle de Donald Trump, dont l’entrée en fonction aura lieu en janvier 2025 pour les quatre prochaines années.

Bien que ce dernier ait tenté de rallier le soutien d’organisations syndicales comme les routiers (qui ont quitté la confédération de l’AFL-CIO), le nouveau président américain prône un libéralisme sans entraves au nom du pouvoir d’achat, accompagné d’une remise en cause des prérogatives de contrôle des administrations. Pendant la campagne, il a ainsi promis une défiscalisation des heures supplémentaires mais aussi des pourboires.

C’est dans le droit fil de sa précédente présidence (2017-2021) lors de laquelle, souligne le site The Conversation, l’impôt moyen des ménages a baissé de 8 % et l’impôt sur les sociétés abaissé de 35% à 21%. Si ces mesures ont alourdi la dette publique américaine (payée en partie il faut bien le dire par le reste du monde via les obligations), elles ont aussi favorisé une forte croissance économique, dopée par les mesures de dérégulation.

L’influence d’Elon Musk

Ajoutons qu’Elon Musk, le patron de Tesla, de SpaceX mais aussi du réseau social X (ex-twitter), a acquis auprès de Donald Trump une place influente, et que l’on connaît l’hostilité du milliardaire aux organisations syndicales dans ses entreprises.

Chez Tesla, le constructeur de voitures électriques qui comporte des usines à l’étranger, la volonté de l’entrepreneur américain de remettre en cause les négociations collectives a provoqué une grande grève en Suède. Comme un choc des cultures entre les Etats Unis et l’Europe. Commentaire sur le réseau social LinkedIn de ce mouvement par le chercheur Olivier Alexander : “Pour Elon Musk, les syndicats sont un frein à l’initiative individuelle, à la liberté d’entreprendre, à la réussite, à l’enrichissement au sein de l’entreprise. Sa vision s’oppose radicalement à la tradition suédoise et plus généralement scandinave, qui consacre les conventions collectives et la syndicalisation. A travers ce mouvement se pose une question : les entreprises de la Tech sont-elles compatibles avec les modèles mutualistes européens ou au contraire vont-elles remettre en cause durablement leurs fondements ?”

Quelle influence à l’international ?

Il est sûr qu’avec Trump, les Etats Unis ne pousseront guère en faveur d’un renforcement de l’influence de l’Organisation internationale du travail (OIT), et que les entreprises américaines peu soucieuses des libertés individuelles et collectives pourront estimer avoir les coudées franches.

Cela étant, cette nouvelle présidence américaine, qui a repris le contrôle du Sénat (l’une des deux chambres du Congrès, le Parlement américain) et qui dispose d’une majorité de juges acquis à sa cause au sein de la Cour suprême, peut-elle avoir une influence  réelle au-delà des frontières US en matière de droit du travail ? C’est ce que craint Branislav Rugani, secrétaire confédéral FO en charge des questions européennes et internationales : “Les relations commerciales entre les pays et les droits des travailleurs étant toujours intrinsèquement liées, cette élection représente une menace pour la démocratie et pour les droits des travailleurs”.

Et le syndicaliste français de s’expliquer : “On l’a bien vu avec le conflit provoqué dans les pays nordiques par Elon Musk : les multinationales américaines implantées en Europe et en France peuvent être tentées d’exporter leur modèle assez autoritaire, et de ne pas tenir compte des règles sociales ni de nos modes de régulation par la convention collective”. 

Une menace pour l’Europe

Il est à craindre, en tout cas, qu’un renforcement agressif par Donald Trump de l’attractivité de l’économie américaine, avec des mesures type dumping fiscal, plan massif de relance ou restrictions des importations, n’incite des entreprises implantées en Europe à envisager plutôt de développer leurs activités outre-Atlantique, notamment dans la recherche et développement. Certains grands groupes (Airbus, Sanofi, etc.) ont en tout cas déjà cherché à se concilier le camp Trump en finançant certains candidats, comme l’a montré l’Observatoire des multinationales.

Un risque auquel, en revanche, ne croit pas Branislav Rugani : “L’élection américaine met au défi la commission européenne de défendre notre modèle social. Je crois par ailleurs que les entreprises françaises vont rester en France et faire front face aux Etats Unis pour défendre la vision européenne”. Ce dernier observe également avec intérêt la réaction des syndicalistes américains face au choc de l’élection de Trump : “Depuis son élection à la tête de l’AFL-CIO en 2022 (**), Liz Shuler a impulsé une dynamique en menant de nombreux combats pour s’implanter dans les entreprises. La victoire de Trump ne peut que la conforter dans l’idée qu’il faut se battre pour faire respecter les droits des travailleurs”. 

(*) UWA : United Automobile, Aerospace and Agricultural Implement Workers of America. Ce syndicat de l’automobile ne compte plus en 2023 que 370 239 membres actifs, contre près de 672 000 en 2000, un déclin qui explique ses tentatives d’implantation afin de renverser la vapeur. Lire l’analyse de Catherine Sauviat

(**) AFL-CIO : fédération américaine du travail, congrès des organisations industrielles. Principal regroupement des syndicats outre-Atlantique, l’AFL-CIO rassemble 12,5 millions d’adhérents d’une soixantaine de syndicats aux Etats Unis et au Canada. 

 Bernard Domergue