La soi-disant complexité de la CSRD est-elle l’arbre qui cache la forêt ?
24/03/2025
Les critiques adressées au cadre européen sur le reporting de durabilité se focalisent sur la complexité que subiraient les entreprises. Et si, pour les grandes entités, le sujet de fond portait plutôt sur l’intelligence économique ? C’est la musique désormais jouée par le Medef et l’Afep.
“La Commission [européenne] continue à contraindre les entreprises de plus de 1 000 salariés à divulguer leurs stratégies et secrets d’affaires à leurs concurrents internationaux. Elle ne répond pas ainsi aux impératifs de compétitivité”. Ainsi s’exprimaient l’Afep, le Medef et France industrie dans un communiqué de presse commun diffusé le 27 février dernier, c’est-à-dire le lendemain du projet omnibus dévoilé par l’exécutif européen. Rappelons qu’omnibus vise notamment à réviser la directive CSRD (corporate sustainability reporting directive) dans l’objectif de simplifier la charge de reporting des entreprises concernées.
Travail d’équilibriste
Dans le détail, ces trois organisations patronales demandent notamment de “concentrer les standards de reporting de durabilité sur des indicateurs efficaces, partagés et hautement stratégiques, au service des impératifs de transition dans la double matérialité, qui n’imposent pas aux entreprises de dévoiler leurs secrets d’affaires ni l’ensemble de leur stratégie”. Une formule qui résume d’ailleurs la problématique : comment publier des indicateurs hautement stratégiques sans dévoiler ni les secrets d’affaires ni l’ensemble de la stratégie ! Autrement dit, jusqu’à quel point être transparent alors que les obligations de reporting de durabilité ne sont pas les mêmes sur Terre… quand elles existent ? Le sujet est d’autant plus sensible que le projet omnibus prévoit de restreindre le caractère extra-territorial de la CSRD. Moins d’entités de pays tiers seraient assujetties à la directive.
Langue de bois
“Certains utiliseront une belle langue de bois pour publier leur modèle d’affaires”, nous livrait Maud Bodin-Veraldi, présidente de la CCEF (compagnie des conseils et experts financiers), peu avant l’annonce d’omnibus . “Où est la frontière entre l’information confidentielle qui pourrait aider les concurrents et l’information obligatoire ?”, se demandait-elle alors même qu’elle se déclare favorable à la CSRD. “Même sur les DPEF [déclarations de performance extra-financières], il y en avait qui étaient jugées, notamment par l’AMF [autorité des marchés financiers], un peu légères parce qu’elles ne dévoilaient pas assez”, argumentait cette spécialiste de l’évaluation d’entreprise.
Quelles informations sont obligatoires ?
Précisément, quelles sont ces informations stratégiques que la CSRD exige de publier ? Il faut, on le sait, distinguer celles obligatoires dans tous les cas de celles qui ne le sont que si elles sont jugées matérielles (via l’analyse de la double matérialité). Pour les grandes entreprises assujetties à la CSRD, elles doivent au moins publier deux “catégories” d’information, celles requises par la norme européenne ESRS 2 et celles requises par les normes thématiques concernant l’exigence de publication IRO-1 (description des processus d’identification et d’évaluation des impacts, risques et opportunités matériels).
Modèle d’affaires
Concrètement, cela couvre notamment la description des activités (produits et services, marchés et types de clients visés, employés par grande zone géographique, CA par secteur d’activité), le modèle d’affaires (principales ressources utilisées, proposition de valeur des produits et services pour les différentes parties prenantes, position dans la chaîne de valeur, principaux fournisseurs, canaux de distribution, clients finaux) ou encore la description synthétique de la compréhension que l’entreprise a des intérêts et des points de vue de ses parties prenantes par rapport à la stratégie et au modèle d’affaires de l’entreprise en lien avec les enjeux de durabilité.
La Commission européenne veut diminuer le nombre d’indicateurs obligatoires
Les informations des normes européennes thématiques ne sont quant à elles à divulguer que si elles sont matérielles. Une question se pose : le périmètre des informations sensibles attendues va-t-il diminuer sachant que le projet omnibus prévoit de réduire le nombre d’indicateurs (points de données) obligatoires ?
L’intelligence économique, un sujet également comptable
Coïncidence de l’actualité, la chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France veut étendre le périmètre des options de confidentialité comptable à davantage d’entreprises. “Il serait nécessaire d’aligner les PME sur les TPE en leur permettant de pouvoir bénéficier de la confidentialité de l’ensemble de leurs comptes”, demande-t-elle.
Rappelons que les micro-sociétés peuvent en principe rendre confidentiels leurs comptes annuels (sauf à l’égard de certaines parties prenantes) — les micro-entreprises sont définies comme des entreprises qui ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : 450 000 euros de total bilan ; 900 000 euros de chiffre d’affaires ; 10 salariés). Mais cette demande est impossible à réaliser dans le cadre européen actuel. Exemple : les petites sociétés commerciales peuvent, si l’Etat membre le souhaite, ne pas rendre public leur compte de résultat mais doivent publier leur bilan. Et s’agissant des moyennes entreprises, elles doivent divulguer l’intégralité de leurs comptes annuels. La comptabilité, on le sait, c’est aussi un sujet d’intelligence économique.
Ludovic Arbelet
“La négociation d’un PSE permet rarement de diminuer le nombre d’emplois supprimés”
25/03/2025

Paul Motte et Pierre Picard, experts à Syndex
Experts chez Syndex et animateurs du groupe d’appui interne sur les licenciements et les restructurations, Pierre Picard, basé à Lyon, et Paul Motte, basé à Rennes, observent que c’est l’analyse et la démonstration des effets du PSE sur la capacité de travail du collectif qui peut conduire les employeurs à supprimer moins d’emplois que prévu. La négociation du PSE, présentée lors de la loi de sécurisation de l’emploi de 2013 comme étant de nature à favoriser le maintien des emplois, aboutit en revanche rarement à ce résultat. Interview.
L’Insee prévoit 50 000 emplois en moins au 1er semestre 2025. C’est aussi votre pronostic ?
Pierre Ricard et Paul Motte (*) : Après 2024 où nous avons enregistré une très forte augmentation du nombre de plans de sauvegarde de l’emploi (PSE), nous avons depuis le début 2025 un niveau d’activité toujours soutenu sur des dossiers liés à des restructurations, avec un nombre important de PSE. Les voyants sont au rouge pour certains secteurs comme l’automobile : nous anticipons des restructurations importantes dans les prochains mois dans toute cette filière, y compris les sous-traitants. C’est aussi le cas dans d’autres secteurs industriels mais aussi dans le commerce, la grande distribution et la distribution spécialisée. Mais déduire de nos missions des chiffres globaux sur les suppressions d’emplois à venir nous paraît très hasardeux.
Pour quelles raisons refusez-vous toute projection ?
D’une part, parce que les PSE ne constituent que la partie émergée des suppressions d’effectifs qui peuvent s’opérer autrement. D’autre part, parce que nous ne sommes en contact qu’avec une petite partie des PSE et des entreprises concernées, celles qui ont des CSE assez solides pour lancer des expertises. Il faut bien voir aussi qu’il y a deux grands cas de figure dans ces restructurations. Le premier concerne des entreprises qui ont les moyens d’anticiper la prochaine dégradation de la conjoncture et de leur situation économique, avec des signaux ressentis dès le début 2024, et donc ces entreprises prennent des décisions préventives pour maintenir leur rentabilité – c’est quasiment un PSE “préventif” (**). Le second cas, c’est des PSE engagés parce que l’entreprise vit déjà une situation dégradée, avec une mauvaise santé financière et un sentiment d’urgence élevé : c’est par exemple le cas dans le commerce.
Par rapport aux précédentes crises économiques, les entreprises conduisent-elles ces restructurations différemment ?
On aurait pu penser que les procédures alternatives que sont les ruptures conventionnelles collectives (RCC) et les accords de performance collective (APC) allaient cannibaliser les PSE (Ndlr : lire notre encadré). Mais dans la conjoncture actuelle, le PSE revient en force comme modalité de gestion d’une restructuration.
Le PSE revient en force car il sécurise l’employeur
Les employeurs ne veulent pas prendre le risque d’une négociation d’une RCC ou d’un APC qui pourrait ne pas aboutir, ou aboutir dans un délai qu’elles jugent trop long, sans parler de la question compliquée du volontariat pour la RCC. Ces deux dispositifs paraissent plus adaptés à des situations de mutation douce ou à froid qu’à des restructurations à chaud. A l’inverse, le PSE est une procédure éprouvée depuis 2013, donc bien connue des acteurs, et c’est une procédure qui sécurise l’employeur. L’entreprise bénéficie de délais préfix qui limitent la durée de consultation du CSE (Ndlr : lire notre encadré). Et l’intervention de la Drieets (la direction régionale du travail) permet de minimiser le risque de contentieux, d’autant que la jurisprudence est maintenant bien établie.
Dans les faits, comment s’articulent la consultation du CSE sur la restructuration et la négociation du PSE ?
Le plus souvent, les deux processus se font en parallèle. Le nombre de réunions de consultation du CSE prévu par le code du travail est très limité (Ndlr : il peut n’y en avoir que deux même si un accord peut en prévoir davantage). Alors que le nombre de réunions de négociations est plus important. Autrement dit, ce sont les réunions entre les organisations syndicales (OS) et l’employeur qui deviennent le lieu de discussion autour du projet de l’entreprise, et nous sommes alors mandatés pour accompagner les OS.
Dans 80 % des PSE sur lesquels nous sommes intervenus en 2024, il y a eu un accord
Précisons que dans la plupart des cas, il y a négociation, et que dans la majorité des cas, cela débouche sur un accord. En 2024, chez Syndex, nous sommes intervenus dans 83 PSE, et dans 80 % il y a eu un accord. Pour revenir à l’articulation entre négociation et consultation du CSE, c’est vrai que le code du travail n’est pas très clair. Mais il est sûr que la négociation doit s’arrêter avant le rendu de l’avis du CSE. Il y a quelques années, certains employeurs soutenaient que la logique était d’abord de négocier avec les organisations syndicales et une fois l’accord négocié, de lancer la consultation du CSE. Mais cela ajoutait un délai et engendrait un rapport de forces plus favorable aux représentants du personnel, donc la pratique a changé et on ne voit plus du tout cette pratique.
Mais le CSE n’est pas censé être consulté sur l’accord…
Même s’ils n’y sont pas contraints par le code du travail, certains employeurs préfèrent consulter le CSE sur les mesures d’accompagnement négociées avec les syndicats, sans doute par sécurité juridique ou par souci de maintenir un bon dialogue social. Il faut bien voir que l’accord, dans la très grande majorité des cas, ne porte que sur les mesures d’accompagnement des salariés licenciés. Rappelons qu’il y a une double consultation du CSE, sur le projet de licenciement économique (“livre 1”) et sur le projet de réorganisation (“livre 2”). Et le CSE est de toute façon informé et consulté sur la partie unilatérale du projet de licenciement pour motif économique avec les catégories professionnelles et la répartition des postes supprimés par catégorie.
La négociation ne porte-t-elle pas sur le maintien d’un plus grand nombre d’emplois ?
Il est très rare que la négociation d’un PSE aboutisse à la diminution du nombre de suppressions d’emploi envisagée au départ.
Les employeurs préfèrent cibler la négociation sur les mesures d’accompagnement
Les employeurs préfèrent en effet cibler la négociation sur les mesures d’accompagnement, et renvoyer la question de l’emploi à l’information-consultation du CSE, car le comité rend un avis mais l’employeur peut ne pas en tenir compte. Sur les missions que nous avons réalisées en 2024, nous avons constaté une réduction du nombre de postes supprimés, entre le début et la fin de la procédure, dans seulement 38 % des PSE. Et cette proportion est la même qu’il y ait un accord ou qu’il n’y en ait pas.
C’était pourtant l’objectif de la loi que de favoriser par la négociation le maintien d’un plus grand nombre d’emplois…
Les gouvernements successifs se gargarisent du fait que les restructurations sont désormais un processus négocié mais ce dispositif paraît presque plus défavorable à l’emploi que ce qui existait avant. En effet, ce qui est négocié, c’est surtout les mesures d’accompagnement, pas de moindres suppressions d’emplois. Il est vrai que l’intervention de l’administration dans ce processus contribue à améliorer les choses, mais il s’agit surtout, là aussi, d’améliorer les mesures d’accompagnement des salariés licenciés.
Quel doit être le premier réflexion d’un représentant du personnel confronté à sa première restructuration ?
Ce n’est pas évident ! Lorsque les élus et les délégués sont informés du projet de restructuration, le compte à rebours est enclenché alors qu’ils sont pris de court. Ils doivent faire un apprentissage accéléré de la procédure tout en définissant des objectifs et une stratégie, alors que la direction travaille de son côté depuis plusieurs mois sur son projet.
Première question à se poser : l’accord de méthode
Par quoi commencer ? Lorsque nous sommes contactés avant la première réunion d’information du CSE, il faut déjà examiner la question tactique de l’accord de méthode proposé par certaines directions, qui poussent à une signature rapide. Les représentants du personnel doivent s’interroger sur l’utilité d’un tel accord et sur les clauses à éviter et à prévoir. Ce type d’accord va structurer le dialogue social pendant le PSE, c’est donc très important de temporiser et de ne pas faire d’erreur. Ensuite, nous cherchons à clarifier ce qu’attendent les représentants du personnel de notre intervention au regard de leurs objectifs et d’une stratégie possible.
Comment y voir clair ?
En se posant des questions, comme par exemple : “Privilégions-nous de meilleures mesures de sortie pour les salariés compte-tenu de l’impossibilité de sauver l’emploi vu la situation de l’entreprise ?” “Voulons-nous chercher d’abord à éviter des emplois ?” “Notre priorité est-elle dans les futures conditions de travail des salariés qui vont rester dans l’entreprise ?” Ces deux dernières questions sont d’ailleurs liées et peuvent s’articuler pour constituer une stratégie.
En se demandant quelle charge de travail et quelle organisation va résulter de la réorganisation
Pour obtenir moins de suppressions d’emploi, il peut être efficace de travailler sur la charge de travail et les conditions de travail futures qui résulteront de la restructuration. La question de la faisabilité du travail demain dans l’entreprise est un levier majeur dans la négociation sur l’emploi. Dans les échanges avec l’employeur, pour la négociation et dans le cadre de la consultation du CSE, il faut mettre en avant la question de la qualité du travail dans la balance en disant : “Si vous supprimez les postes comme vous l’envisagez, le travail ne sera plus réalisable demain, tout le monde sera perdant, y compris vous employeur”.
Qu’observez-vous concernant les mesures d’accompagnement des salariés licenciés ?
Il faut déjà savoir que les moyens mis dans les dispositions d’accompagnement d’un PSE doivent correspondre aux moyens dont dispose l’entreprise voire le groupe, et ces mesures doivent aussi prendre en compte la difficulté de retrouver un emploi compte-tenu de la conjoncture et des caractéristiques de l’effectif concerné. En s’appuyant sur ce principe de proportionnalité, les représentants du personnel peuvent obtenir des améliorations essentielles sur le congé de reclassement (allongement de la durée, prise en charge de l’indemnité) et sur les indemnités supra-légales.
Des études ont montré que les indemnités supra-légales étaient plus élevées dans des plans sociaux conflictuels. Serait-ce toujours le cas ?
Sur les indemnités supra-légales, nous observons de réelles améliorations entre le point de départ et l’accord final. Les obtenir peut se faire en actionnant deux gros leviers. Le premier, c’est la mobilisation et la communication.
Si les représentants du personnel ont le soutien des salariés, ils sont plus forts
S’ils mobilisent les salariés à l’occasion des négociations, les représentants du personnel seront plus forts s’ils bénéficient de ce soutien. Ils ont intérêt à avoir une stratégie de communication autour du PSE, pour parler du contenu du plan et des objectifs poursuivis dans la négociation, car cette communication peut faire bouger les choses. Mais c’est un sujet délicat pour les élus CSE et les délégués syndicaux. Les employeurs cherchent parfois à les dissuader de parler aux salariés en arguant que tout est confidentiel et qu’ils vont se mettre hors la loi s’ils communiquent quoi que ce soit. C’est faux, mais cela fragilise des représentants du personnel qui affrontent une situation nouvelle et inconnue. Le deuxième gros levier, et c’est à mettre à l’actif de la loi de sécurisation de l’emploi de 2013, tient à l’intervention de l’administration en cas d’accord.
Qu’apporte l’intervention de l’administration ?
Lorsqu’un document unilatéral de PSE est présenté, le taux d’homologation par l’administration peut être moindre dans un premier temps (***). Donc, cela signifie que l’employeur va chercher absolument à avoir un accord pour espérer un moindre contrôle des dispositions du PSE, et que les représentants du personnel doivent en tirer parti pour obtenir des avancées supplémentaires, afin de “monnayer” leur signature.
Le contrôle plus étroit de l’administration en l’absence d’accord est un levier pour les élus du personnel
Le travail des représentants du personnel consiste donc à identifier dans le projet des points problématiques qui pourraient entraîner une non homologation en l’absence d’accord. Et donc de faire comprendre à l’employeur que l’accord est important car faute d’améliorations, le document unilatéral risque d’être refusé par l’administration. Parmi ces points on peut citer la définition des catégories socio-professionnelles. C’est compliqué de les établir car elles doivent se conformer à une jurisprudence importante et il peut y avoir aussi de la part de l’employeur l’intention de flécher certains salariés dans ces catégories, ce qui constitue une irrégularité qui fragilise le dossier présenté à la fin de la procédure à l’administration. On peut citer aussi tout ce qui concerne l’évaluation des risques professionnels, qui connaît ue jurisprudence importante. Depuis deux ans, nous sentons les autorités administratives extrêmement vigilantes sur le sujet, elles adressent très souvent aux employeurs des observations sur la prévention des risques.
Puisque nous parlons des risques professionnels liés à une restructuration, quel rôle a la CSSCT lors d’un PSE ?
La commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) n’a pas de prérogative consultative, donc elle intervient très peu, c’est vraiment le CSE qui est à la manœuvre. Dans un PSE, il y a déjà beaucoup de réunions, pour la négociation et pour la consultation du CSE. Donc, si l’on rajoute des réunions de la CSSCT, les élus risquent de passer leur temps en réunion et cela peut d’ailleurs être une stratégie de la part de l’employeur. En positionnant de très nombreuses réunions, l’entreprise sature l’emploi du temps des représentants du personnel qui n’ont plus le temps d’être au contact des salariés. Alors qu’on sait que ce qui fonctionne dans la construction d’un rapport de forces, c’est pour les élus et les délégués d’être au contact des salariés.
Mais lorsque votre mission touche aux sujets SSCT ?
Lorsqu’une mission comporte un volet santé, sécurité et conditions de travail (SSCT), et c’est le cas dans la moitié des expertises que nous avons menées en 2024, il arrive que les membres de la CSSCT soient nos interlocuteurs, bien sûr, mais cela se fait de façon informelle, sans réunions de l’instance. Dans ce type de mission, l’expert analyse les conséquences du projet sur les conditions de travail et la santé au travail, notamment au travers d’entretiens confidentiels avec des salariés, des questionnaires, de l’observation d’activité, etc. Quand ce volet SSCT existe, on observe dans 50% des cas une réduction du nombre de suppressions de postes (même s’il ne peut ne s’agir que de quelques postes), et ce pourcentage tombe à 25% sans le volet SSCT dans l’expertise.
Ceux qui conçoivent le PSE sont très loin du travail réel. C’est en fait l’expert qui effectue l’évaluation des conséquences de la réorganisation sur le travail
Cela rejoint ce que nous vous disions tout à l’heure : l’analyse des conditions de travail, c’est bien sûr important pour la santé des salariés qui vont rester dans l’entreprise, mais c’est aussi un levier pour réduire le nombre de postes supprimés. Ceux qui conçoivent le PSE se situent à des niveaux élevés de la hiérarchie de l’entreprise, ils ne connaissent donc pas le travail réel, donc leur approche consiste à faire des économies de masse salariale, sans chercher à comprendre comment se déroule le travail. Revenir sur le travail réel permet de démontrer que ce qui a été construit pour réaliser des économies n’est pas compatible avec le travail réel. L’évaluation que l’employeur n’a pas faite en préparant son PSE, et qui aurait consisté à se demander quelles seront les conséquences de mon projet sur le travail dans l’entreprise demain, c’est l’expert qui va la faire. Quand on a des éléments très concrets montrant que telle tâche ne pourra pas être redistribuée et donc ne pourra pas être faite, avec des conséquences en chaîne, l’employeur peut se retrouver à court d’argument face à des élus qui eux connaissent bien le travail.
(*) Pierre Ricard pilote le groupe licenciements et restructurations de Syndex, dont fait partie Pierre Motte, ce dernier suivant aussi les questions de conditions de travail et de santé au travail. Ce groupe interne est à la fois un réseau d’expertise et un appui pour les équipes, afin d’échanger les savoir-faire et les expériences.
(**) Trendeo dénombre 50 sites industriels ayant annoncé plus de 100 suppressions d’emplois en 2024, année qui a vu le nombre de fermetures d’usines l’emporter sur le nombre d’ouvertures, un basculement opéré au second semestre, les grands groupes commençant alors à cesser de recruter. Pour ce cabinet d’analyse, ces suppressions ne représentent encore “que” le tiers du niveau de celles enregistrées lors de la crise de 2009. Autre élément intéressant : les entreprises françaises ont investi 20 milliards d’euros l’an dernier en France, mais 46 Mds à l’étranger.
(***) Selon le ministère du travail, sur 565 PSE l’an dernier, 48,5 % étaient présentés sous forme de décisions unilatérales, 50 % sous la forme d’un accord, et 1,5 % de façon mixte. Au final, seuls 2 PSE ont été refusés par l’administration, qui en a accepté 5 après un premier refus suivi de modifications. Selon le ministère, ces chiffres illustrent le grand nombre d’allers retours entre les directions régionales du travail (Drieets), les entreprises et les représentants du personnel pour améliorer les plans initiaux. Par rapport à la période de 2024, les premiers mois de 2025 enregistrent une progression de 10 % du nombre de PSE, mais ces plans comprennent en moyenne moins de suppressions de poste que l’an dernier. Autre évolution : si l’an dernier c’étaient surtout des grandes entreprises (+ 5 000 salariés) qui avaient conduit des PSE, le phénomène touche aujourd’hui des entreprises de 100 à 1 000 personnes, et ce sur toute la France.
Restructurations et emploi : le rôle du CSE |
► Pour le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) Dès lors qu’il envisage un licenciement économique collectif d’au moins 10 salariés sur 30 jours, l’employeur d’une entreprise d’au moins 50 salariés doit consulter le CSE (art. L. 1233-30 du code du travail) pour son PSE qui doit comporter un plan de reclassement. Voici quelques-unes des modalités à connaître : – Avant la première réunion du CSE, l’employeur doit communiquer au CSE de nombreuses informations : les raisons économiques, le nombre de licenciements envisagé, les catégories concernées et les critères d’ordre envisagés, les conséquences en matière de conditions de travail, etc. (art. L. 1233-31) – Cette consultation doit comprendre au moins deux réunions espacées d’au moins 15 jours – Lors de la première réunion, le CSE peut décider de recourir à une expertise pour analyser le projet (art. L. 1233-34) et assister les syndicats dans la négociation d’un accord sur le CSE. L’expert doit rendre son rapport 15 jours avant l’expiration du délai du CSE – Lors de la dernière réunion, le CSE rend deux avis, un sur le projet de restructuration, l’autre sur le projet de licenciement collectif et le PSE – Le CSE dispose d’un temps limité pour rendre son avis : 2 mois jusqu’à 99 licenciements, 3 mois entre 100 et 249 licenciements, 4 mois à partir de 250 licenciements. Faute d’avis rendu dans ce délai, le CSE est réputé avoir donné un avis négatif – Le secrétaire, sauf accord plus favorable, n’a que 3 jours pour réaliser son procès-verbal de réunion (art. D. 2315-26). – Attention : un accord, signé par des syndicats représentant la majorité des suffrages dans l’entreprise, peut prévoir non seulement le contenu et les mesures du PSE (voir l’article L. 1233-62) mais aussi d’autres modalités de consultation du CSE (art. L. 1233-24-2). Les éléments ayant fait l’objet d’une négociation d’un accord majoritaire (mesures sociales d’accompagnement, nombre de suppressions d’emplois, etc.) ne sont pas soumis à consultation du CSE. D’où l’intérêt d’une bonne entente avec les syndicats, l’expert du CSE pouvant aussi apporter un appui aux négociateurs syndicaux. – Rôle de l’administration : la direction régionale du travail contrôle le projet de PSE, qu’il s’agisse d’un projet unilatéral de l’employeur (on dit alors que l’administration l’homologue ou refuse de l’homologuer) ou d’un accord majoritaire (l’administration le valide ou non). Le CSE, comme les syndicats et les salariés, peut contester cette décision devant le tribunal administratif. ► Pour les ruptures conventionnelles collectives (RCC) Depuis 2017, l’employeur peut, sans PSE ni motif économique, négocier des ruptures de contrat de travail d’une partie des salariés via un accord de ruptures conventionnelles collectives (RCC) qui doit être validé par l’administration (art. L. 1237-19-1). Il s’agit d’éviter les licenciements tout en ouvrant droit au chômage pour les salariés concernés. – Le CSE est informé des modalités et du contenu de l’accord de RCC avant sa mise en œuvre, mais il n’est pas consulté sur l’accord à proprement parler. Mais comme le CSE doit être consulté en cas de compression d’effectif, l’employeur a sans doute intérêt à le faire. – Le CSE est en revanche consulté de manière régulière et détaillée sur la mise en œuvre de l’accord, et ses avis sont transmis à la direction régionale du travail. ► Pour l’accord de performance collective (APC) Depuis 2017, l’employeur peut modifier des éléments importants du contrat du travail des salariés (durée du travail, rémunération, mobilité, etc) via un accord de performance collective (art. L.2254-2). C’est un dispositif favorisant la flexibilité afin d’accroître la compétitivité et donc de maintenir des emplois. – Le CSE peut désigner un expert afin d’accompagner les organisations syndicales qui négocient l’APC (art. L.2315-92) Le CSE n’est pas consulté sur le projet d’accord. Toutefois, certaines situations découlant de l’impact de l’APC peuvent nécessiter une consultation du CSE, notamment si l’accord implique une réorganisation importante de l’entreprise avec des conséquences significatives sur les conditions de travail ou d’emploi des salariés. |
Bernard Domergue
L’avant-projet de loi qui reprend les accords sur le CSE et les seniors
26/03/2025

Le gouvernement a transmis au Conseil d’Etat l’avant-projet de loi qui transpose les accords conclus en novembre dernier par les partenaires sociaux sur l’emploi des seniors et la non-limitation à trois mandats successifs au CSE.
Le 14 novembre dernier, les organisations syndicales et patronales ont conclu trois accords nationaux interprofessionnels, dont une nouvelle convention d’assurance chômage déjà agréée par le gouvernement (*). Les deux autres accords concernent le CSE et les seniors. Pour le CSE, le texte met fin à la limitation à trois du nombre mandats successifs au comité social et économique, un texte qui a rallié toutes les organisations sauf la CPME, opposée à toute remise en cause des ordonnances de 2017. L’autre concerne l’emploi des seniors, avec des dispositions, notamment, sur la retraite progressive, la négociation dans l’entreprise et un nouveau CDI pour les seniors d’au moins 60 ans, un accord signé par toutes les organisations sauf la CGT.
Mais certaines des dispositions de ces accords, pour s’appliquer, supposent qu’elles soient transposées dans la loi. C’est l’objet de l’avant-projet de loi préparé par le gouvernement, en concertation avec les partenaires sociaux. Le texte, actuellement soumis au Conseil d’Etat, pourrait être examiné par le Parlement à partir d’avril pour une adoption en juin.
Limitation du nombre de mandats successifs au CSE : la disposition du code sera supprimée
L’actuelle règle limitant à trois le nombre de mandats successifs a été introduite à l’occasion de la création du comité social et économique, en 2017. Les organisations syndicales ont de longue date réclamé son abolition car cette mesure fragilise à leurs yeux la transmission des compétences entre élus et donc les collectifs des IRP. Ajoutons que l’accord évoque la négociation en 2025 de nouvelles dispositions pour valoriser les parcours syndicaux, mais ces discussions n’ont pas commencé.
Dans son article 8, l’avant-projet de loi du gouvernement reprend l’accord en supprimant du code du travail la limitation à trois mandats. L’article L. 2314-33 du code du travail serait réécrit ainsi : “Les membres de la délégation du personnel du comité social et économique sont élus pour quatre ans. Les fonctions de ces membres prennent fin par le décès, la démission, la rupture du contrat de travail, la perte des conditions requises pour être éligible. Ils conservent leur mandat en cas de changement de catégorie professionnelle”.
Rappelons que cette règle limitant les mandats ne s’applique déjà pas aux entreprises de moins de 50 salariés, et qu’elle peut aussi être écartée expressément dans le protocole électoral des entreprises de moins de 300 salariés.
Seniors : les dispositions des partenaires sociaux sont reprises
L’accord sur les seniors comportait des dispositions sur la négociation collective et les droits des salariés.
Le texte du gouvernement reprend ses dispositions en créant :
- une nouvelle négociation spécifique sur l’emploi des seniors dans la branche et l’entreprise, donc distincte de la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) ;
- de nouveaux rendez-vous de mi-carrière et de fin de carrière pour les salariés ;
- un nouveau CDI pour les demandeurs d’emploi d’au moins 60 ans ;
- un financement du temps partiel de fin de carrière via l’indemnité de départ à la retraite ;
- un accès à 60 ans de la retraite progressive et une précision des motifs de refus par l’employeur.
La nouvelle négociation seniors
► Dans les branches. Tous les 3 ans, les branches sont invitées à négocier, après “établissement d’un diagnostic”, sur “l’emploi et le travail des salariés expérimentés”. La négociation porte obligatoirement sur :
- le recrutement des salariés expérimentés ;
- leur maintien dans l’emploi et l’aménagement des fins de carrière, et notamment les modalités de la retraite progressive et du temps partiel ;
- la transmission des savoirs et compétences des seniors (missions de mentora, tutorat et mécénat de compétences).
Un décret précisera “les informations nécessaires à la négociation”.
Cette négociation peut aussi aborder, de façon facultative :
- le développement des compétences et l’accès à la formation ;
- les impacts des transformations technologiques et environnementales sur les métiers ;
- les pratiques managériales mobilisables ;
- les modalités d’écoute des salariés concernant l’exercice de leurs missions ;
- la santé au travail et la prévention des risques professionnels (via la mobilisation du Fonds national de prévention des accidents, le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, etc.) ;
- l’organisation et les conditions de travail ;
- les relations sociales.
L’accord de branche pourra comporter un “plan d’action type pour les entreprises de moins de 300 salariés”. Ce plan d’action pourra être mis en œuvre, après information et consultation du CSE, par ces entreprises.
► Dans les entreprises d’au moins 300 salariés. Tous les 3 ans au moins, l’employeur devra engager une négociation sur “l’emploi, le travail et l’amélioration des conditions de travail des salariés expérimentés”. Précédée d’un diagnostic, cette négociation portera sur les mêmes thèmes que la négociation de branche. Les informations à donner lors de cette négociation seront aussi précisées par décret.
Cette nouvelle obligation a une conséquence : la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) prévue à l’art. L. 2242-20 pour les entreprises d’au moins 300 salariés ne traitera plus de cette question de l’emploi des salariés âgés et de la transmission des savoirs.
Un rendez-vous de mi-carrière et de fin de carrière
► L’avant-projet de loi prévoit une visite de mi-carrière pour le salarié durant l’année de son 45e anniversaire. Cette visite médicale vise à vérifier l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du travailleur, évaluer les risques de désinsertion professionnelle, sensibiliser le travailleur aux enjeux du vieillissement.
Cette visite a lieu 2 mois avant l’entretien professionnel. Ce dernier devra donc évoquer les préconisations éventuelles du médecin du travail. “Cet entretien permet, le cas échéant, l’adaptation ou l’aménagement des missions et du poste du travail, la prévention de situations d’usure professionnelle, les besoins en formation et les éventuels souhaits de mobilités ou de reconversion professionnelle”, énonce le texte. Le salarié sortira de cet entretien avec un bilan de sa santé, de ses compétences, de ses qualifications, de sa formation et de ses souhaits de mobilité, avec copie au service de santé au travail.
► Un entretien professionnel est organisé dans les 2 ans précédant le 60e anniversaire du salarié. Cet entretien doit aborder les conditions de maintien dans l’emploi et les possibilités d’aménagement de fin de carrière, comme la retraite progressive.
Un nouveau CDI à partir de 60 ans
► Ce nouveau contrat expérimental, lancé pour 5 ans, est destiné aux demandeurs d’emploi d’au moins 60 ans. Par rapport à l’impossibilité de mise à la retraite d’office d’un salarié avant 70 ans, ce contrat dit “de valorisation de l’expérience” présente pour l’employeur un avantage : il pourra mettre fin à ce CDI lorsque le salarié atteint l’âge de départ pour une retraite à taux plein tout en étant exonéré de la contribution patronale spécifique de 30% sur le montant de l’indemnité.
Pour cela, le salarié devra remettre à l’employeur un document mentionnant la date prévisionnelle d’obtention des droits à liquidation de retraite à taux plein.
► Une branche pourra décider d’adapter ce CDI seniors pour qu’il s’applique dès 57 ans.
Financement du temps partiel de fin de carrière
► Lorsqu’un salarié en fin de carrière passe à temps partiel temps réduit, un accord d’entreprise ou de branche pourra prévoir d’affecter l’indemnité de départ à la retraite qu’aurait dû percevoir le salarié à son départ au financement du maintien total ou partiel de son salaire pendant son temps partiel.
► L’accord devra préciser les modalités de versement au salarié du reliquat éventuel de l’indemnité au moment de son départ à la retraite.
Accès à la retraite progressive
► La retraite progressive permet à un salarié de travailler à temps partiel donc de continuer à cotiser pour sa retraite, tout en percevant une partie de sa pension de retraite. Les nouveautés apportées par le texte (art. L. 161-22-1-5 du code de la sécurité sociale) sont les suivantes :
- accès à partir de 60 ans avec au moins 150 trimestres (l’avant-projet de loi renvoie ces modalités à un décret, mais ce sont celles qui figurent dans l’accord des partenaires sociaux) ;
- précision sur la motivation du refus de l’employeur d’accepter une retraite progressive : “Cette justification tient compte de l’impact de cette durée de travail sur la continuité d’activité de l’entreprise ou du service dans lequel exerce le salarié ayant fait la demande et des tensions de recrutement objectives sur le poste concerné”.
- Le texte ne précise pas, comme le faisait l’Ani, que le salarié peut saisir le CSE en cas de refus.
(*) Certaines des dispositions de cette convention ne s’appliquent qu’à partir du 1er avril 2025.
Bernard Domergue
Insertion des travailleurs handicapés : l’engagement des élus d’Amipi
27/03/2025

Les élus d’Amipi
Dernier volet de notre série consacrée au handicap dans la représentation du personnel : nous avons visité deux usines de la fondation Amipi. Ce dispositif unique en France permet à des salariés en situation de handicap de se réinsérer grâce à leur travail. De l’avis des élus de CSE des usines de Nantes, de Cholet et d’Angers, le dialogue social s’y passe également très bien. Au point de se dire “heureux comme un élu de CSE chez Amipi” ?
Pas un gramme de poussière par terre. Un bruit ambiant très raisonnable. Beaucoup de lumière naturelle. Aucune odeur désagréable. Les établissements échappent aux idées préconçues sur les usines. Derrière les machines à coudre et postes de câblage, des opérateurs calmes et souriants. Nous sommes à Cholet, dans une usine Amipi. “Amipi” pour “Association d’aide matérielle et intellectuelle aux personnes inadaptées” (par référence au statut d’entreprise adaptée).
Depuis 2005, la fondation reconnue d’utilité publique Amipi-Bernard Vendre met un point d’honneur à recruter des opérateurs en situation de handicap en vue de les insérer dans des entreprises classiques. Appuyé sur de solides études neurologiques, ce système permet à la fois de développer le cerveau de ces travailleurs en difficulté et de produire des câbles de haute technologie pour l’industrie automobile. Les activités se diversifient également sur le textile, l’électronique et l’électroménager.
Le travail qui guérit
Dans le train de 6h30 qui nous mène de Paris à Cholet, Jean-Marc Richard se montre intarissable. Le président de la fondation nous accompagne vers la région nantaise. Pas de doute, ces usines sont ses bébés. Il faut dire que son engagement tient de la performance. Animé par la bonne cause, il nous raconte l’histoire d’Amipi depuis le menu tandis que les gobelets de café tremblent sous les cahots du rail.
Il était une fois Maurice Vendre et son épouse Maryse. Dans les années cinquante, leur fils, Bernard, est atteint de trisomie 21 et se fait rejeter des établissements scolaires. Blessés mais pas découragés, les parents décident de ne pas baisser les bras. Ils sollicitent leurs relations, à commencer par le patron du Crédit Lyonnais et le Professeur Robert Debré dont les études sur la plasticité du cerveau montrent le chemin.

Car cet organe central change au cours de la vie et surtout, il réagit aux sollicitations. “En se développant par l’extérieur, notez-le, c’est très important”, nous explique Jean-Marc Richard. Nous nous exécutons en nous souvenant du livre du neuropsychiatre Jean-Michel Oughourlian, lu il y a quelques semaines. L’ouvrage intitulé “Le travail qui guérit” démontre lui aussi, après les travaux de Robert Debré, que le travail des opérateurs, grâce aux besoins de mémorisation, de construction de gestes fins et précis, de repérage visuel, permet aux neurones de s’intensifier et aux gens de se développer.
“On est les derniers des Mohicans”
Les personnes en handicap cognitif, qu’il s’agisse d’autisme, de dispraxie, de schizophrénie ou autre, deviennent alors actifs et autonomes. Elles progressent, sortent de leur isolement et peuvent, enfin, “travailler comme les autres et gagner leur vie”. Les usines Amipi les forment tout en répondant au même cahier des charges que n’importe quel autre fournisseur. Leurs clients : Peugeot, Renault, Mulliez-Flory, Manitou. Excusez du peu…
La fondation contribue ainsi à l’insertion en entreprises traditionnelles de quinze à vingt salariés par an. Éric Ferré et Doriane Pastor, directeur de l’usine de Cholet et directrice de l’usine de Nantes, connaissent par cœur les nom et prénom de chaque opérateurs, et les saluent systématiquement tandis que nous les suivons entre les machines. Ils nous disent bonjour avec un sourire et retournent à l’ouvrage, entourés d’écheveaux de câbles de toutes les couleurs.

Jean-Marc Richard a fait ses calculs : les six usines apprenantes et inclusives (toutes installées en Pays-de-Loire et Centre-Val-de-Loire) réalisent 30 millions de chiffre d’affaires annuel, emploient 880 salariés, et ont inséré 216 salariés depuis 2009. “Cela représente 20 millions de non-dépense publique annuelle. Sans compter que l’on maintient une activité manufacturière en France dans la métallurgie. Quand je pense à la vague de mondialisation des années 2000, il a fallu résister. Je me suis battu pour ça, je me bats encore. Parfois, je me dis qu’on est les derniers des Mohicans”, raconte le Président de la fondation.
Certes, elle perçoit des aides, notamment de l’Agefiph (Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées), mais pendant encore combien de temps ? Les crédits de l’Agefiph ont par exemple échappé à une coupe budgétaire cet hiver. Lucide sur la fragilité de l’emploi des personnes handicapées, Jean-Marc Richard ne compte pas lâcher l’affaire. Diplômé d’une grande école de commerce (Essec), passé chez l’entreprise informatique IBM et la banque HSBC notamment, c’est son père qui lui présente Maurice Vendre, créateur de tout le système. A 25 ans, il devient administrateur de l’Amipi qu’il préside désormais depuis vingt ans sans se verser de salaire. Autre particularité : ce patron invite ses salariés à se syndiquer…
82 % de participation aux élections professionnelles
De prime abord, on apprécie que le dialogue social soit constructif chez Amipi. Bien sûr, salariés et direction sont parfois en désaccord, comme dans toute entreprise. Outre que 70 % des salariés sont syndiqués, Jean-Marc Richard considère également le mandat de représentant du personnel comme facteur de développement : “Comprendre les enjeux de la société, réfléchir aux négociations annuelles obligatoires, décrypter le bilan comptable, voilà qui développe d’immenses capacités chez les salariés, c’est un atout considérable”.
Guy Burgevin est élu du CSE depuis 1985, délégué syndical FO et en situation de handicap cognitif qui gêne sa lecture et son écriture. Rattaché à l’usine d’Angers, nous avons pu le joindre par téléphone. Il souligne que “c’est le directeur qui m’a demandé de me présenter aux élections car j’étais proche des opérateurs. Jean-Marc Richard me prend comme je suis. On peut avoir des désaccords mais maintenant j’ai du recul !”.
Dans les usines on a connu, comme partout, le passage des anciennes instances (CE, CHSCT et délégués du personnel) au seul CSE. La présidence en est déléguée à la DRH, Sophie Labatut, qui se dénomme elle-même “directrice des richesses humaines”. Selon cette ancienne consultante en droit social, “la forte syndicalisation des salariés donne à leurs représentants du poids dans les discussions, non seulement pour défendre l’entreprise, mais aussi pour en répartir les fruits”.

Quant au CSE, les ordonnances Macron ont réduit les réunions à une tous les deux mois, mais les usines Amipi ont gardé le rythme de la réunion mensuelle de l’instance. De l’avis de Sophie Labatut, “cela permet de conserver un dialogue de proximité”. Un point relatif aux questions de santé, d’hygiène et de conditions de travail est systématiquement abordé en réunion.
La direction a également créé des tutoriels “pour aider les élus dans les deux mandats qui peuvent les inquiéter le plus : secrétaire et trésorier du CSE”. Sophie Labatut les a invités à utiliser les services d’un prestataire pour rédiger les procès-verbaux de réunion : “C’est leur bête noire”.
“On voudrait plus d’heures de délégation”
Dans les usines Amipi, la CFDT est majoritaire à 51 %, suivie de Force ouvrière (30 %). Sont également présents la CFE-CGC et la CFTC. Selon Vahé Barseghyan (CFDT), “la direction transmet le maximum d’informations avec la convocation quinze jours avant les réunions de CSE et suffisamment en avance pour que les élus aient le temps de les lire”. La loi ne prévoit en théorie que trois jours. Le représentant du personnel indique également que sur l’usine de Cholet, les heures de délégation ne sont pas toutes utilisées.
On n’est cependant pas de cet avis sur l’usine de Nantes. Pour Manuella Laigle (CFDT), c’est ce qui pèche : “On a ce que prévoit la loi bien-sûr, mais moi il me faudrait bien sept heures en plus”. Un avis partagé par Catherine Duval (CFDT) qui chiffre cependant son besoin à cinq heures par mois. La trésorière du CSE reconnaît cependant les effets positifs de son mandat. Certes, il n’a pas réduit son handicap auditif, mais “il m’a permis d’être moins timide, depuis que je suis élue les gens viennent plus me voir, ça m’aide”. Enrique Dubois (CFDT) aimerait quant à lui davantage de formations. Ce référent harcèlement regrette qu”‘en une journée, on ne peut pas tout apprendre”.
Convention collective de la métallurgie : des ateliers de cotation
À l’usine de Cholet, Mégane Marchand (CFE-CGC) se souvient du passage douloureux à la nouvelle convention collective de la métallurgie, signée en 2022 par les partenaires sociaux et entrée en vigueur en 2024. Elle s’est empressée de demander une formation à son organisation syndicale, tandis que la direction créait des ateliers de cotation des emplois. Comme son homologue Joaquim Fernandes, l’élue a entamé son premier mandat en 2023, à la suite d’une vague de départ en retraites des anciens représentants du personnel. Joaquim s’en rappelle comme si c’était hier : “Il fallait renouveler les membres et créer de la diversité au CSE. La difficulté c’était de découvrir le mandat, on avait tout à apprendre”. Tous deux regrettent une chose : ne pas être plus nombreux faute de candidats.
Côté négociation, un accord Qualité de Vie au Travail a récemment vu le jour. Sur les salaires, direction et représentants du personnel se sont entendus sur 2,5 % d’augmentation, même si Vahé Barseghyan nous a confié qu’il aurait préféré 3 %. La DRH, Sophie Labatut a réfléchi à de nouveaux dispositifs sur les accidents de trajets qu’elle trouvait trop nombreux, au contraire des accidents du travail qui se font rares, à peine deux par an, principalement des coupures aux doigts à cause du gainage des câbles.
De l’avis de l’ensemble des élus, le dialogue social dans les usines Amipi se passe plutôt bien. Guy Burgevin (FO) dit avec philosophie que “c’est comme dans toute entreprise, par moments ça bloque puis ça se débloque ! Mais on est tous dans le même bateau, voilà ma devise, si on va dans le mur, on y va tous ensemble”. La cohésion serait-elle “le p’tit truc en plus” de l’Amipi qui rend plus heureux qu’ailleurs ?
Marie-Aude Grimont
Le taux d’emploi au plus haut depuis 1975
28/03/2025
Le taux d’emploi des 15‑64 ans a augmenté de 0,5 point en 2024, après déjà trois années de hausses consécutives (+0,3 point en 2023). Avec 68,8 % des personnes en emploi, cet indicateur atteint ainsi un nouveau plus haut niveau depuis que l’Insee le mesure, c’est-à-dire depuis 1975, observe l’Institut national de la statistique dans une note publiée hier.
Si le taux d’emploi des 15-24 ans a reculé de 0,6 point l’an dernier (34,4 %), en revanche, celui des 50-64 ans progresse de 1,5 point, à 68,4 %. Cette hausse s’explique par la réforme des retraites, le taux d’emploi des 60-64 ans progressant l’an dernier de + 3,4 points (après + 2,8 points en 2023)
Autre enseignement de cette étude, les emplois occupés sont de plus en plus qualifiés. La part des cadres progresse à nouveau (23 % des personnes en emploi) et 47,2 % des personnes en emploi ont obtenu un diplôme du supérieur (bac +2 ou davantage), soit 4,4 points de plus qu’en 2019.
Source : actuel CSE
Omnibus : le Conseil de l’UE approuve la simplification des règles de reporting social et environnemental
28/03/2025
Le 26 mars, les représentants des Etats membres (Coreper) ont approuvé la position du Conseil de l’Union européenne sur l’une des propositions de la Commission visant à simplifier les règles de l’Union européenne et à renforcer sa compétitivité (proposition dite “Omnibus I”).
Ils ont ainsi soutenu la proposition visant à reporter :
- de 2 ans l’entrée en application des obligations de la directive CSRD pour les grandes entreprises qui n’ont pas encore commencé à les mettre en œuvre ainsi que pour les PME cotées et;
- d’un an le délai de transposition et la première phase d’application (couvrant les plus grandes entreprises) de la directive CS3D.
“L’approbation, ce jour, du mandat de négociation du Conseil par le Coreper permet à la présidence d’entamer des négociations interinstitutionnelles en vue de parvenir à un accord provisoire avec le Parlement européen sur cette proposition”, précise le communiqué.
Le vote du Parlement sur la directive Omnibus aura lieu le 1er avril.
Source : actuel CSE