CONSEILLER PRUD’HOMMES

Patricia Devron (FO) : “Le rapport de la Cour des comptes sur les prud’hommes va moins loin que les propositions paritaires des partenaires sociaux”

26/06/2023

Nous avons demandé à Patricia Devron, qui est la responsable du secteur juridique de FO et qui représente Force Ouvrière au Conseil supérieur de la prud’homie (CSP), ce qu’elle pensait des dernières observations de la Cour des comptes sur les prud’hommes. La syndicaliste regrette la non prise en compte des propositions des partenaires sociaux, propositions paritaires rappelées mardi dernier dans une motion unanimement votée au CSP.

Interview.

Patricia Devron, vous représentez FO au Conseil supérieur de la prud’homie. Que pensez-vous des préconisations de la Cour des comptes sur les prud’hommes ?

Je regrette que les organisations syndicales n’aient pas été entendues par la Cour des comptes. Le rapport ne reprend d’ailleurs pas la position paritaire des partenaires sociaux sur les prud’hommes que nous avions rendu publique en 2021 et qui reste d’actualité. Lors du dernier Conseil supérieur de la prud’homie, mardi dernier, les organisations syndicales et patronales ont d’ailleurs voté à l’unanimité une motion qui demande au ministère de la justice et au législateur de tenir compte de ces propositions qui n’ont toujours pas été considérées (lire notre encadré, Ndlr).

Nous tenons à notre indépendance ! 

Sur le fond, beaucoup d’observations du rapport renvoient à la responsabilité de l’Etat, je pense notamment au constat sur le manque de formations des conseillers et sur le fait que l’envoi en formation prenne trop de temps -nous l’avions déjà dénoncé ! Nous ne sommes en revanche pas du tout d’accord sur la proposition qui donnerait à l’Etat, via l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), la mainmise sur les formations des conseillers (via l’idée d’un schéma directeur des formation, Ndlr). Nous tenons à notre indépendance, et les organisations syndicales forment très bien les conseillers depuis des années ! Depuis que l’ENM est chargée de la formation initiale des conseillers, cela prend 18 mois pour former un conseiller à son entrée en mandat ! Il serait plus simple que l’Etat donne plus de moyens et plus de journées de formation, nous saurons les utiliser ! Est-il normal que les conseillers prud’hommes n’aient droit qu’à 5 jours de formation ?

Vous rejoignez quand même le constat de la Cour sur le manque des moyens des greffes, non ?

Oui, bien sûr, mais cela fait des années pour que dénonçons ce manque de moyens. Même chose pour l’indemnisation des conseillers, que le rapport juge insuffisante mais en conditionnant une éventuelle valorisation de l’indemnisation à la refonte de la carte judiciaire ! Je ne vois pas bien le rapport. La question de la carte judiciaire touche aussi à la proximité des conseils avec les salariés, on ne doit pas l’oublier !

Sur l’indemnisation, rien n’est prévu pour les conseillers qui siègent après avoir travaillé la nuit, cela arrive dans l’industrie

Et on ne peut pas proposer aussi facilement que cela des fusions de sections : si elles ont été créées, c’est pour que des gens au fait de ces métiers et de ces secteurs puissent juger les affaires en toute connaissance de cause. Ne cassons pas ça ! Sur l’indemnisation, rien n’est prévu pour les conseillers qui travaillent la nuit et qui doivent prendre une affaire prud’homale dans la matinée ou l’après-midi alors qu’ils étaient au travail de nuit juste avant. C’est un vrai problème, notamment dans l’industrie, mais le rapport ne s’en saisit pas. La durée des procédures tient au manque de moyens. En départage, les juges n’ont parfois qu’une demi-heure pour étudier un dossier, c’est ridicule (*).

Que pensez-vous d’un mandat plus long pour le président et le vice-président d’un conseil et de l’idée de protocoles entre les conseils et la cour d’appel ?

Je trouve qu’un équilibre est déjà trouvé entre les organisations syndicales et patronales pour l’alternance entre le président et le vice-président. Pourquoi bousculerait-on cet équilibre ? Sur les rapports entre une cour d’appel et les prud’hommes, nous sommes d’accord pour trouver une meilleure complémentarité et avoir davantage d’échanges, mais il ne faudrait pas que les conseils prud’hommes se retrouvent sous la tutelle de la cour d’appel ! 

Sur le CSP, le Conseil supérieur de la prud’homie (**), que pensez-vous des changements demandés, comme par exemple d’aborder des sujets davantage variés ?

Nous sommes favorables au renforcement du rôle du CSP, notamment pour faire remonter les problématiques de terrain. J’observe que l’ordre du jour du CSP est quand même élaboré par le ministère ! Mais le CSP, s’il doit pouvoir “inviter” d’autres intervenants à ses réunions, doit pour nous rester paritaire.

Rien ne trouve grâce à vos yeux : échanger des bonnes pratiques, comme le suggère la Cour, c’est une une mauvaise idée ?

Nous sommes pour développer les échanges entre les conseils prud’hommes, les tribunaux judiciaires et les cours d’appel, et ce serait bien aussi de mettre en place Portalis (un portail numérique du ministère de la justice, nldr) dans les conseils.

Nous y sommes favorables ! Mais donnons déjà des moyens aux prud’hommes ! 

Mais donnons déjà des moyens aux prud’hommes, certains conseils ont à peine deux ordinateurs et deux imprimantes qui fonctionnent ! J’ai lu également dans le rapport de la Cour qu’il faudrait que les conseillers portent la robe. Franchement, est-ce la priorité ? Ils ont déjà la médaille comme signe distinctif…Pour résumer, je trouve que le rapport enfonce pas mal de portes ouvertes et qu’il ne va pas très loin, notre travail paritaire de 2021 allait au-delà avec des propositions intéressantes (***). Encore une fois, il faut revoir les moyens des conseils, l’indemnisation des conseillers, renforcer leurs formations. Qu’il y ait plus de contrôle sur les formations que nous dispensons, pas de souci, nous y sommes prêts car nous rendons déjà des comptes au ministère ! 

Que dites-vous des modifications envisagées dans la loi de programmation de la justice ? 

Il n’y a vraiment pas grand chose sur les prud’hommes dans ce projet de loi. Sur la parité, nous sommes favorables à la souplesse en cas de liste incomplète, lorsqu’on ne trouve pas une candidate ou un candidat. Mais nous ne voyons pas l’utilité de l’amendement sénatorial limitant à cinq le nombre de mandats successifs d’un conseil prud’hommes, le Conseil supérieur de la prud’homie a d’ailleurs voté une motion contre cette limitation.

(*) Départage : lorsque les conseillers prud’hommaux (employés et employeurs) n’ont pas été capable de se départager pour trouver une solution à un contentieux, une audience de départage, présidée par un juge professionnel, va alors trancher le litige.

(**) Un magistrat de cour d’appel, un magistrat de tribunal judiciaire et un greffier pourraient faire leur entrée au CSP, suggère la Cour des comptes. 

(***) Ces propositions abordent la question des moyens et de l’indemnisation des conseillers mais aussi contiennent des propositions de simplification de la procédure.

Le contenu des deux motions adoptées par le Conseil supérieur de la prud’homie 
Le CSP, le conseil supérieur de la prud’homie, est une instance de concertation permanente entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics sur l’ensemble des questions touchant aux conseils de prud’hommes. Lors de la réunion du mardi 20 juin, le CSP a adopté les deux motions suivantes :  “1/ Motion sur le projet de loi « orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 » Les membres du CSP demandent au Président de bien vouloir se faire le relais auprès du législateur et du ministère de la justice de leur opposition à l’unanimité concernant la limitation du nombre de mandat de conseillers prud’hommes. La majorité des membres du CSP se prononce également contre la limite d’âge pour exercer le mandat de conseiller prud’hommes. Les membres du CSP demandent à être entendus par Monsieur le rapporteur de la commission des lois. 2/ Motion sur « les propositions paritaires pour une justice prud’homale renforcée » Toutes les organisations syndicales de salariés présentes au CSP ce jour (CGT, FO, CFDT et CGC) ainsi que les organisations patronales signataires des « propositions paritaires pour une justice prud’homale renforcée » ont adopté en séance la motion suivante : « Nous nous sommes mobilisés en 2021 en signant des propositions paritaires « pour une justice prud’homale renforcée ». Cet accord n’a pas trouvé un écho, à date, auprès du législateur. Or, on constate qu’il est plus que jamais d’actualité eu égard au manque criant de moyens alloués à la justice prud’homale. Les membres du CSP demandent au Président du CSP de bien vouloir se faire le relais auprès du législateur pour permettre à cet accord de s’appliquer et ainsi permettre à notre justice prud’homale de fonctionner de manière plus optimale pour les salariés et employeurs que nous représentons ».

Bernard Domergue