Après avoir acheté des actions, le CSE Sud Est de Randstad interpelle dirigeants et actionnaires en assemblée générale
29/04/2024
Douze élus du CSE Sud-Est de Randstad, qui représentent 12 000 travailleurs, sont allés à Amsterdam pour interpeller les actionnaires du groupe d’intérim Ranstad lors de l’assemblée générale le 26 mars dernier. Les élus cherchent de nouveaux leviers pour faire changer les choses, tant pour améliorer les conditions de travail que pour provoquer un meilleur partage de la valeur ajoutée. Explications.
C’est une action assez inhabituelle pour des élus du personnel : le 26 mars, douze membres (CFDT, CFTC, CGT) du CSE Sud Est de Randstad, un établissement qui représente 12 000 ayants-droits (*), sont allés à Amsterdam, aux Pays-Bas, où se tenait l’assemblée générale des actionnaires de ce groupe d’intérim qui fait travailler en France près de 90 000 personnes dont 4 500 salariés permanents.
Trois actions achetées par le CSE
Le CSE avait acheté, sur le budget de fonctionnement de l’instance, trois actions Randstad.
“Nous avons tout bordé avec notre avocat pour nous assurer que nous étions dans les règles. Une fois sur place, nous ne sommes entrés qu’à quelques-uns, et nous avons été d’ailleurs bien accueillis, même si nous sentions que le CEO (Ndlr : le PDG) n’appréciait pas forcément notre venue. Pour nous, l’idée n’était pas de mettre le bazar, mais de nous faire entendre”, nous précise Peggy Angard, secrétaire du CSE Randstad Sud-Est et déléguée syndicale centrale CFDT.
Par précaution, un membre du CSE intérimaire avait aussi acquis une action à titre personnel. Ce dernier, Fabien Guillot, intérimaire depuis une vingtaine d’années, s’est d’ailleurs exprimé lors de l’assemblée générale.
J’étais au milieu des actionnaires, j’ai pu poser ma question mais aussi échanger avec un investisseur très intéressé par mes propos
“J’en ai profité pour distribuer autour de moi notre tract en anglais, et je suis tombé sur un actionnaire qui l’a lu avec intérêt et qui par la suite m’a interrogé directement en français”, raconte Fabien Guillot.
Tandis que d’autres salariés distribuaient un flyer à l’extérieur, l’intérimaire, qui portait un tee-shirt siglé “CSE Randstad Sud Est”, a pointé, dans son “très bon anglais” comme il l’a dit avec humour, la dégradation des conditions de travail subie selon lui depuis des années par les intérimaires : “Randstad n’est rien sans ses travailleurs (..) L’entreprise va-t-elle continuer à gaver ses actionnaires et à distribuer des miettes à ses employés ? Trop, c’est trop. Trop d’intérimaires français sont victimes d’accidents du travail. Comment Randstad va-t-il répondre à ses obligations concernant la santé de ses travailleurs intérimaires ?”
Nous avions préparé nos questions avec l’expert de Secafi
Jean-Christophe Berthod, expert Secafi mandaté par le comité pour le représenter, a également pris la parole lors de l’assemblée, au nom du CSE actionnaire. “Nous avons travaillé avec l’expert sur nos quatre questions à poser à l’oral et à détailler par écrit”, nous raconte Guy Perrot, le secrétaire de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) du CSE Sud Est, qui travaille depuis 25 ans chez Randstad comme cadre commercial.
Les questions de l’expert ont porté sur la situation du marché français qui représente 15% de l’activité totale de Ranstad (la France étant le second contributeur du groupe en terme de résultats après les Etats-Unis), sur la prévention des risques professionnels, et sur les montants élevés des dividendes et le partage de la valeur.
Pour intervenir dans une telle assemblée générale, il faut s’inscrire auparavant sur un outil dématérialisé, en hollandais
L’expert de Secafi a vécu une expérience inédite pour lui : “Ce type de démarches, nous y avions déjà pensé avec plusieurs CSE pour d’autres entreprises, mais c’est la première fois que nous allons au bout. C’est très enrichissant. Nous avons senti de la surprise et de la méfiance au départ de la part des dirigeants, mais nous avons été plutôt bien accueillis”.
Et Jean-Christophe Berthod de nous expliquer qu’une telle initiative ne s’improvise pas : “Demander à intervenir dans une telle assemblée générale, cela passe par des procédures très techniques, il faut s’inscrire sur un outil dématérialisé en hollandais, avec des délais serrés pour envoyer les questions”.
Les questions posées par les salariés ont été reprises
Les réponses des dirigeants à la tribune ? Ils ont assuré qu’ils veillaient à maîtriser les risques des travailleurs, mais ils ont concédé une petite ouverture : “Nous disposons de tous les processus nécessaires. Notre conformité est excellente, y compris par rapport à nos concurrents (…) La fréquence et la gravité des accidents diminuent, on voit une nette amélioration en France et nous sommes satisfaits de ces progrès (…) Mais nous sommes prêts à travailler avec vous et nos autres collègues français pour encore améliorer les choses”.
Cet actionnaire, on pourrait le prendre avec nous au CSE !
Fait significatif, une société de conseil d’investissement a repris à son compte les propos “des deux Français” pour mettre en question les “belles paroles” des dirigeants. “Franchement, il pourrait faire partie de notre CSE”, plaisante Fabien Guillot. Le consultant a apostrophé l’équipe de direction de Randstad afin de s’assurer que l’entreprise prendrait en compte, dans sa recherche de résultats, les risques financiers et juridiques que pouvaient constituer des accidents du travail et les maladies professionnelles provoqués par une trop forte pression professionnelle.
Il faut dire que si Randstad soigne en France ses relations (**), cela n’a pas empêché l’entreprise d’écoper d’un sérieux rappel à l’ordre sur ce terrain des risques professionnels. Dans un jugement du 14 septembre 2023 (l’entreprise a fait appel et ce sera jugé en décembre), le tribunal judiciaire de Bobigny a condamné l’entreprise de travail temporaire à établir un plan de santé/sécurité des salariés intérimaires (***). Cette demande émanait du CSE Sud Est qui avait constaté une accidentologie importante dans sa région (lire notre article).
Un droit d’alerte économique et une expertise risque grave
Cette situation ne laisse pas de préoccuper les représentants du personnel, dans la mesure où elle découle selon eux d’une recherche de performance déraisonnable. “Il faut toujours faire plus, toujours plus vite”, dénonce Guy Perrot, le secrétaire de la CSSCT du CSE Sud Est.
Arrêtez de dormir, je veux voir des morts de faim !
Non seulement les représentants du personnel dénoncent la recherche accrue de résultats au détriment de la sécurité, mais ils déplorent le mode de communication de la direction, qu’ils jugent infantilisant à l’égard de salariés souvent expérimentés “et qui font tourner l’entreprise depuis des années”.
Pour les représentants du personnel, cette communication s’apparente à une admonestation administrée à des enfants : “L’autre jour, le message de la vidéo de la direction française était en substance : « L’heure est grave, arrêtez de dormir, réveillez-vous ! Je veux voir des morts de faim, des guerriers ». Cela a choqué nos collègues”.
Demander aux permanents de déléguer toujours plus vite des intérimaires, cela peut avoir un effet sur l’accidentologie des travailleurs
En réaction à une vidéo alarmante du directeur général qui évoquait une baisse brutale de l’effectif intérimaire (en 2023, l’entreprise a perdu un point de part de marché et n’a réalisé que 87% de ses prévisions d’activité), les élus du CSE central ont déclenché un droit d’alerte économique. Par ailleurs, suite à ces communications plutôt agressives, le CSE du Sud Est a déclenché une expertise risque grave au sujet des risques psychosociaux.
“Demander au personnel permanent de faire toujours plus de délégation de personnel intérimaire, et toujours plus vite, cela peut avoir un effet sur l’accidentologie des travailleurs intérimaires”, s’alarme Peggy Angard.
Les actionnaires ont reçu 102% du résultat ces cinq dernières années
Le partage inéquitable des richesses produites par l’entreprise a également été pointé par les représentants du CSE. “En moyenne sur 5 ans, les actionnaires ont reçu 102% du résultat net. Et même 128% cette année. La distribution des dividendes se fait au détriment des investissements, et donc du maintien des capacités opérationnelles du réseau, et elle est à l’origine d’une pression accrue pour obtenir toujours plus de résultats”, énonce Peggy Angard (***). Une politique boursière qui s’explique, selon Jean-Christophe Berthod : “En maintenant ce haut niveau de dividendes quitte à puiser dans leurs réserves, ils sécurisent leur cours de bourse”.
L’écart entre les rémunérations des dirigeants et celles des salariés est jugé beaucoup trop fort par les représentants du personnel. Le groupe l’estime de 40 à 1 pour le PDG, et de 31 à 1 pour l’équipe de direction (le “board”). Mais ces échelles sont construites en prenant un salaire moyen estimé à 75 000€, fruit d’un calcul qui inclut les cotisations sociales et qui serait basé sur les rémunérations des dix plus grands marchés mondiaux de Randstad. Un montant moyen qui laisse pour le moins dubitatifs les salariés français.
Dépasser les limites du dialogue social à la française
On le voit : élus et délégués syndicaux ont des revendications précises à faire valoir.
Problème : ils disent se heurter à un mur et peinent à faire évoluer les choses. “Nous sommes confrontés aux limites du dialogue social à la française : nous sommes bien informés et consultés, en central sur les aspects économiques et financiers, et en local sur la politique sociale. Nous avons ainsi rendu 12 avis sur la précédente mandature. Mais les avis négatifs rendus par nos CSE ne changent rien. Pareil pour les négociations annuelles obligatoires : on nous sollicite, mais il n’y a pas réellement de négociations”, déplorent Peggy Angard, la secrétaire du CSE, et Guy Perrot, le secrétaire de la CSSCT.
Echanger avec le Pdg et la DRH monde nous donne un autre écho dans l’entreprise
Pour les élus, tout se passe comme si leurs interlocuteurs français n’avaient pas la main pour leur répondre et vraiment accepter une évolution négociée ou discutée. Comment donc rétablir, dans ces conditions, un peu de contre-pouvoir ? En allant au cœur du pouvoir. Ainsi est née l’idée d’interpeller les actionnaires eux-mêmes lors de l’assemblée générale. Ce levier, qui touche aussi à la question sensible de la réputation de l’entreprise, est un moyen qui complète l’action judiciaire lancée par le CSE, expliquent les élus.
Cela fait reconnaître les représentants du personnel comme des parties prenantes
Qu’a produit cette stratégie de médiatisation ? “Cela change un peu la donne. Nous avons un autre écho dans l’entreprise, du fait d’avoir parlé au PDG et à la DRH monde. Nous leur avons demandé comment les dirigeants français pouvaient concilier ces exigences boursières avec l’excellence opérationnelle dont on n’arrête pas de nous parler”, répond Guy Perrot.
“C’est en discutant directement avec les dirigeants du groupe et en faisant remonter les problèmes posés sur le terrain par cette politique que nous pourrons influencer les choses”, renchérit Fabien Guillot.
Pour sa part, Jean-Christophe Berthod juge l’expérience très positive : “Cela fait reconnaître les représentants du personnel comme des parties prenantes, cela les crédibilise. D’autant que ce type de société va devoir de plus en plus communiquer sur les indicateurs ESG (responsabilité sociale et environnementale) avec la directive CSRD”.
D’autres initiatives
Et ce n’est qu’un début. “Au départ, même si c’est une idée que nous mûrissions depuis longtemps, nous étions un peu réticents à l’idée d’ânonner en anglais dans une assemblée générale, a fortiori moi avec mon accent lyonnais. Mais Fabien a bien osé, lui, et ça s’est bien passé. Donc l’année prochaine, nous irons plus nombreux !” prévient le secrétaire de la CSSCT.
“Notre prochain but, annonce déjà la secrétaire du CSE Sud Est, c’est aussi d’interpeller les pouvoirs publics sur le coût sociétal de cette stratégie”. Autrement dit, alors que l’entreprise, comme ses concurrents, bénéficie d’allègements de cotisations avec de nombreux intérimaires au Smic et qu’elle dégage d’importants résultats, les coûts induits sur la collectivité par les accidents et maladies professionnelles doivent poser question.
L’expert Secafi, de son côté, invite les élus de ces grandes entreprises à investir également dans le dialogue social au niveau des comités d’entreprise européens…
(*) Le CSE Sud Est compte 35 membres, dont 7 représentent les salariés permanents, les autres membres représentant les travailleurs intérimaires.
(**) en organisant par exemple le 4 avril un colloque sur le thème “redonner du sens au travail”, où étaient invités la ministre du travail Catherine Vautrin mais aussi Marylise Léon, la secrétaire générale de la CFDT, Patrick Martin, le président du Medef, etc.
(***) Sur l’exercice 2023, Randstad a vu ses résultats baisser (environ 624 millions d’euros) mais l’entreprise a décidé de redistribuer 632 millions d’euros à ses actionnaires, dont 406 millions au titre du dividende ordinaire et 226 millions au titre d’un dividende exceptionnel.
Bernard Domergue
Prime de partage de la valeur : le Boss apporte des précisions sur son versement et son régime social
03/05/2024
Le Bulletin officiel de la Sécurité sociale (Boss) donne un nouvel éclairage sur la prime de partage de la valeur (PPV). Dans le cas où deux primes sont attribuées au cours de la même année civile, deux versements peuvent avoir lieu au cours d’un même trimestre dès lors qu’ils sont distinctement rattachés aux deux primes attribuées.
Dans une mise à jour opposable à compter du 1er mai 2024, le Bulletin officiel de la Sécurité sociale (Boss) apporte deux précisions relatives à la prime de partage de la valeur (PPV) :
- l’une relative aux modalités de versement de deux PPV dans la même année civile ;
- l’autre relative au régime social d’une PPV affectée à un plan d’épargne salariale ou retraite d’entreprise.
Si deux PPV sont attribuées au cours d’une même année civile, deux versements peuvent avoir lieu au cours d’un même trimestre
Depuis le 1er décembre 2023, la prime peut être octroyée deux fois (au lieu d’une), au titre d’une même année civile, dans la limite globale du plafond d’exonération (3 000 ou 6 000 euros). Le texte de loi précise que “le versement de la prime ou des deux primes peut être réalisé en une ou plusieurs fois, dans la limite d’une fois par trimestre, au cours de l’année civile”, ce qui semble exclure, en cas d’attribution de deux primes, le versement de deux fractions trimestrielles.
Cette rédaction pose question. Car si l’exclusion était avérée, elle pourrait conduire, en pratique, à une impossibilité d’attribuer une seconde PPV dans l’année civile, dans le cas où un versement trimestriel de la première PPV est déjà programmé.
Le doute vient d’être levé. Le Boss précise en effet que, dans le cas où deux primes sont attribuées au cours de la même année civile, deux versements peuvent avoir lieu au cours d’un même trimestre dès lors qu’ils sont distinctement rattachés aux deux primes attribuées (BOSS-Mes. except.-Prime de partage de la valeur, QR 6.2 modifié).
►Attention ! Pour pouvoir verser deux fractions trimestrielles, il est nécessaire que la seconde PPV soit prévue dans un nouvel accord d’entreprise ou dans une nouvelle décision unilatérale.
Régime social de la PPV affectée à un plan d’épargne
La loi du 29 novembre 2023 susmentionnée autorise également l’affectation de tout ou partie d’une PPV à un plan d’épargne salariale (PEE, PEI ou Perco s’il en existe) ou à un plan d’épargne retraite (PERI, Perec, Pero ou Pere regroupé), dans des conditions restant à définir par décret.
La mise à jour du BOSS vient corriger une imprécision de l’instruction à ce sujet.
Initialement, l’instruction indiquait que la prime affectée à un plan d’épargne était assujettie à la CSG (avec application de l’abattement de 1,75 % pour frais professionnels), à la CRDS, à la taxe sur les salaires et, le cas échéant, au forfait social (au taux de 20 % dans les entreprises de 250 salariés).
L’administration précise désormais que ces indications valent sous réserve de l’application des dispositions prévues pour les primes versées à des salariés d’entreprises de moins de 50 salariés percevant une rémunération inférieure à 3 smic (BOSS-Mes. except.-Prime de partage de la valeur, QR 9.2 modifié). En effet, les primes versées à ces salariés sont exonérées de CSG/CRDS, de taxe sur les salaires et de forfait social. En cas d’affectation à un plan d’épargne salariale, ces exonérations s’appliquent.
La Rédaction sociale
Le délai d’adoption des normes européennes sectorielles de durabilité est reporté
03/05/2024
Le Conseil de l’Union européenne accepte de reporter du 30 juin 2024 au 30 juin 2026 le délai pour adopter les normes européennes sectorielles de durabilité qui s’imposeront à certaines entreprises. Il en est de même pour les normes que devront utiliser certaines entreprises de pays tiers exerçant dans l’Union européenne. Demandés par la Commission européenne, ces deux reports avaient été admis récemment par le Parlement européen.
Source : actuel CSE