Exonérations de cotisations patronales autour du Smic : les pistes du rapport Bozio Wasmer
07/10/2024
Trouver le moyen de “désmicardiser” les salariés tout en préservant les effets des exonérations employeur sur l’emploi, tel était l’objectif confié il y a un an par Elisabeth Borne, à l’issue de la conférence sociale, aux deux économistes Etienne Wasmer et Antoine Bozio. Leur rapport rendu jeudi 3 octobre présente plusieurs pistes de réflexion, à commencer par un lissage de la courbe des exonérations.
Les exonérations de cotisations patronales autour du Smic ont une longue histoire. Leur première vague date exactement de 1993. À l’époque, le gouvernement d’Edouard Balladur veut réduire le chômage des Français peu qualifiés en réduisant le coût du travail au voisinage du Smic. Cette politique s’est développée pendant les décennies suivantes qui ont vu fleurir des vagues successives de nouveaux dispositifs.
Cette politique “a eu un impact significatif sur l’emploi lors de sa mise en place dans les années 90. Elle était particulièrement efficace quand le chômage de masse touchait en priorité la population la moins qualifiée” reconnaissent Antoine Bozio et Etienne Wasmer. Problème : la forte dégressivité du barème écrase la distribution des salaires, un effet délétère sur lequel le gouvernement ne peut pas passer outre alors que l’inflation persiste et rogne le pouvoir d’achat des salariés.
Aujourd’hui, le système a atteint une ampleur inédite : il a coûté 75 milliards d’euros à l’État en 2023. Le chiffre fait frémir dans le contexte d’austérité budgétaire annoncé par Michel Barnier, alors que de leur côté, les organisations syndicales pointent un effet de trappes à bas salaires et réclament la mise en place d’une conditionnalité.
Le fait est que les employeurs n’ont pas intérêt à augmenter les salaires au-dessus du montant du Smic sous peine de perdre leurs exonérations. A l’heure où le Premier ministre réclame des efforts partagés pour réduire la dette française, le rapport tombe à pic et ne manquera pas de nourrir le gouvernement dans la préparation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2025. Intitulé “Les politiques d’exonération de cotisations sociales : une inflexion nécessaire”, le document de 304 pages présente un scénario central de révision des exonérations autour d’une “réduction de la pente des allégements”.
4,05 points d’exonérations patronales en moins au niveau du Smic
Selon Antoine Bozio et Etienne Wasmer, “le scénario central du rapport propose de réduire les exonérations de cotisations de 4,05 points au niveau du Smic et de supprimer les « bandeaux » maladie et famille (les réductions de taux de cotisation de 6 points et 1,8 points applicables actuellement jusqu’à un salaire équivalent à 2,5 et 3,5 Smic) au-delà de 1,6 fois le Smic”.
Le système d’allégements est en effet construit de la façon suivante : une réduction générale et dégressive des cotisations et contributions patronales bénéficie aux employeurs soumis à l’obligation d’assurer les salariés contre le chômage pour ceux dont la rémunération est inférieure à 1,6 Smic. Pour mémoire, le Smic brut s’élève aujourd’hui à 17 66,92 euros mensuels, soit 11,65 euros de l’heure, pour 35 heures hebdomadaires.
À la réduction générale s’ajoutent deux autres réductions :
- Une réduction du taux de cotisation familiale de 1,8 point (de 5,25 % à 3,45 %) pour tout salarié dont la rémunération annuelle est inférieure ou égale à 3,5 Smic (le “bandeau famille”) ;
- Une réduction du taux de cotisation d’assurance maladie de 6 points (de 13 % à 7 %) pour tout salarié dont la rémunération annuelle est inférieure ou égale à 2,5 Smic.
Dans le rapport, le scénario central consistant à supprimer les bandeaux famille et maladie et à réduire l’exonération de cotisation au-delà de 1,6 Smic de 4,05 points “permet d’abaisser fortement la pente des allègements pour un point de sortie à budget constant autour de 2,5 Smic”. Dans ce scénario, par rapport au régime actuel, les cotisations employeur sont donc plus élevées entre 1 et 1,2 Smic, plus faibles de 1,2 à 1,9 Smic, et redeviennent plus élevées de 1,9 Smic à 3,5 Smic.
Le graphique suivant illustre le passage d’un système par paliers à celui d’une courbe lissée entre les exonérations :
Le rapport ajoute que “la moindre dégressivité du barème des exonérations permet, en-dessous d’une rémunération équivalente à 1,6 Smic, de réduire le coût pour les employeurs à faire progresser les salaires nets de 100 € de 242 € à 215 €”.
Une variation des cotisations patronales aux effets “légèrement positifs” sur l’emploi
La proposition d’Antoine Bozio et Etienne Wasmer conduit à des cotisations patronales plus élevées entre 1 et 1,2 Smic, plus faibles de 1,2 à 1,9 Smic et de nouveau plus élevées entre 1,9 et 3,5 Smic. Antoine Bozio a précisé vendredi 4 octobre devant l’Institut des politiques publiques de Paris que “l’idée est de repenser la formule du barème des allègements. Il nous fallait une modélisation des effets potentiels du nouveau barème. Il est apparu très vite qu’avec les outils existants, un seul effet d’élasticité de l’emploi au niveau individuel se produisait mécaniquement par une concentration des allégements au niveau du Smic. A budget constant, on observe un effet légèrement positif sur l’emploi : il est négatif sur l’emploi au Smic, positif sur l’emploi au-delà de 1,2 Smic. L’effet global décale la distribution de l’emploi vers des salaires légèrement plus élevés”.
Le rapport conclut aussi à des effets hétérogènes sur l’emploi : ils seront plus forts pour les salariés peu qualifiés dans les métiers où les tâches routinières sont les plus importantes. Concrètement, cela pourrait concerner 10 000 à 20 000 équivalents temps plein avec à la fois moins d’emplois au Smic et une augmentation des emplois rémunérés au-delà de 1,2 Smic. Deux secteurs se verraient pénalisés par cette réforme : la propreté et le gardiennage qui présentent de nombreux salariés concentrés au Smic. Le rapport précise que “le secteur du nettoyage, dont la part de la main-d’œuvre rémunérée autour du Smic est importante56, pourrait, en réaction à la réforme, réduire son volume d’ETP (équivalents temps plein) de 0,6 %. L’emploi intérimaire serait, lui, plutôt favorablement exposé au nouveau barème (+0,2 %)”.
Qu’en pensent les syndicats ?
Pour la CGT, le rapport reste insuffisant : “S’il permet de faire la transparence à la fois sur les enjeux pour les finances publiques et l’autonomie financière de la Sécurité sociale, il évoque aussi l’effet de trappe à bas salaire du fait de la concentration des exonérations sur les plus bas salaires : plus les salaires sont bas, plus les exonérations de cotisations aux entreprises sont hautes. Pourtant, il n’apporte pas de réponses crédibles à cette problématique et n’aura pas été le grand rendez-vous du débat public que la CGT a demandé tout au long de la mission”.
La confédération reconnaît cependant un mérite au document : reconnaître que “les politiques d’allègements de cotisation peuvent avoir conduit à une sur-spécialisation dans certains types d’emplois ou de secteurs à bas salaires” et “appuyer les propositions CGT pour sortir les entreprises de leur addiction aux exonérations de cotisations, de la sous-traitance en cascade et des bas salaires”.
L’Unsa a montré aussi son insatisfaction : “Même si certaines pistes du rapport sont intéressantes, il faudra aller beaucoup plus loin pour améliorer le niveau de vie des travailleurs. Si la recommandation centrale est pertinente – l’UNSA appuie en effet la fin de ces exonérations au-delà de 2,5 SMIC – elle raisonne à budget constant. De ce fait, elle ne réduit pas le coût considérable et sans cesse croissant de ce dispositif d’aide aux entreprises. Au-delà des exonérations de cotisations sociales, l’UNSA regrette que le rapport propose peu de suggestions pour améliorer le revenu disponible et le reste à vivre des travailleurs pauvres et modestes. Rien par exemple sur l’amélioration du dispositif de la prime d’activité”.
Enfin, si les deux économistes auteurs du rapport savent bien que les syndicats revendiquent une mise sous conditions écologiques et sociales de ces exonérations, ils n’ont formulé aucune proposition dans ce sens. Pour l’heure, la balle est dans le camp du gouvernement. La nouvelle ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet a indiqué la semaine dernière sur France info qu’elle tiendrait compte des préconisations du rapport. Il semble que le projet de PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) pourrait retenir un dispositif unique de réduction générale dégressive des cotisations patronales jusqu’à 3 fois le SMIC (lire notre brève dans cette édition). Reste à voir quels arbitrages seront retenus entre exonérations patronales, améliorations salariales et baisse du chômage.
Marie-Aude Grimont