La procédure civile est réformée pour favoriser le règlement amiable des litiges
28/07/2025
Un décret du 18 juillet 2025 portant réforme de l’instruction conventionnelle et recodification des modes amiables de résolution des différends a été publié au Journal officiel du 19 juillet 2025.
Il permet une clarification des dispositions relatives aux modes de résolution amiable des différends en réécrivant et regroupant en un seul titre l’ensemble des règles relatives aux modes de résolution amiable des différends, conventionnels et judiciaires.
Ces modes de règlement sont désormais regroupés dans le livre V du code de procédure civile.
Ce texte érige, notamment, en principe la mise en état conventionnelle. L’instruction judiciaire devient l’exception. La mise en état conventionnelle pourra prendre la forme d’une procédure participative ou d’une convention simplifiée. Les affaires instruites conventionnellement doivent faire l’objet d’un audiencement prioritaire et une date de plaidoiries au fond doit être communiquée par le tribunal dès réception d’une convention de procédure participative (article 127 modifié du code de procédure civile).
Il consacre également le rôle actif du juge dans l’incitation à recourir aux modes amiables de règlement des différends (article 21 modifié du code de procédure civile).
Les dispositions du décret sont applicables aux instances en cours à compter du 1er septembre 2025, à l’exception des dispositions relatives aux conventions de mise en état, applicables aux seules instances introduites à compter de cette date.
Source : actuel CSE
Tristan Haute : “Le succès de la pétition intersyndicale pourra légitimer une mobilisation en septembre”
29/07/2025

Tristan Haute est chercheur en sciences politiques, maître de conférences spécialiste des comportements électoraux et des relations professionnelles. Nous lui avons demandé son avis sur la pétition intersyndicale : comment expliquer ses près de 270 000 signatures en une semaine ? Quelles sont ses chances de rebondir à la rentrée ? Comment pourrait-t-elle s’articuler avec la manifestation et la grève ? Interview.
En 2023, la pétition de l’intersyndicale contre la réforme des retraites avait recueilli près de deux millions de signatures. Celle sur le budget de François Bayrou frôle les 270 000. Que pensez-vous de ces chiffres ?
J’en pense qu’une part significative de la population s’empare de ce mode d’action assez ancien. C’est ce que l’on appelle le recours pétitionnaire. Cette pratique demeure moins importante que la participation aux élections, mais arrive devant la grève et la manifestation la plupart du temps. La pétition est donc répandue et utilisée pour une multitude de causes. Elle embarque aussi les jeunes générations, à rebours des pratiques électorales et participe d’un renouvellement de leurs pratiques avec le boycott de produits.
Grâce à ce phénomène, ce mode d’action n’a pas disparu aujourd’hui. On assiste au contraire à un maintien des pétitions car elles permettent la participation d’un large public dans les mouvements sociaux liés au travail : la réforme des retraites en 2010, la loi El Khomri de 2016, les retraites en 2023, le budget Bayrou en 2025. Ces pétitions mobilisent des Français qui d’habitude ne se saisissent ni de la grève ni des manifestations, par exemple parce qu’ils occupent des emplois de cadres, qu’ils ne sont pas incités à la grève sur leur lieu de travail ou éloignés de lieux de manifestations. Il en va de même des caisses de grève : une grande partie de la population peut s’en emparer, les gens qui donnent n’ont pas forcément le même profil que ceux qui participent aux mobilisations.
En revanche il ne faut pas négliger que la participation politique marque une continuité dans les modes d’actions et adopte une logique cumulative : les gens font grève, signent les pétitions, manifestent, boycottent des produits et versent des fonds aux caisses de grève. Il existe donc bien une logique de cumul de chaque mode d’action mais chacun d’entre eux pris isolément peut attirer des publics différents.
D’après vous, qu’est-ce que cela signifie pour un citoyen de signer une pétition ?
Pour la plupart des signataires, il s’agit à la fois de donner son avis, de rendre public son engagement et d’exprimer un ras-le-bol. Et malgré les congés, la pétition intersyndicale sur le projet de budget de François Bayrou circule bien, les médias en parlent, donc les gens signent encore plus. Bien-sûr la pétition sur la loi Duplomb a fait du bruit, mais le mode de connexion sur le site de l’Assemblée nationale est plus compliqué, il faut passer par France Connect ou se créer un compte. Par ailleurs, ce qui rend visible l’engagement des signataires est aussi le partage de sa signature : on voit des messages sur les groupes WhatsApp et les réseaux sociaux du type “j’ai signé, et vous ?”.
Cette pétition devient un support de discussion car le budget Bayrou a créé de l’incrédulité
Cet effet de partage et de circulation est très marquant. C’est une manière de rendre son engagement plus important, plus visible auprès des proches, de la famille, des collègues et des amis. En plus, cela déclenche sans doute des débats ! Cette pétition devient un support de discussion. Ce qui explique pourquoi le nombre de signataires va assez vite malgré la période estivale et le fait que bon nombre de collectifs de travail sont fermés à l’approche du mois d’août, y compris dans les syndicats. C’est lié selon moi au fait que le budget Bayrou a créé de l’incrédulité.
La pétition intersyndicale va être légitimée par le succès des pétitions précédentes sur les retraites ou la loi Duplomb. De ce fait, une fois légitimées, ces pétitions apparaissent comme centrales, ce qui pousse des personnalités publiques à se positionner. En conséquence, les médias en parlent, ce qui à son tour renforce la légitimité de la pétition. Cela entraîne de nouvelles signatures et crée un effet “boule de neige” de légitimité. L’outil pétition en tant que tel en sort aussi renforcé.
Et du côté des syndicats qui ont lancé cette démarche ?
La pétition intersyndicale montre l’espoir des organisations syndicales de faire exister le sujet pendant l’été pour qu’on en reparle à la rentrée.
La pétition comme base pour lancer un mouvement plus ambitieux
L’idée est de se servir de la pétition comme base pour lancer un mouvement plus ambitieux. Cette pétition pourra légitimer une journée de mobilisation en septembre puisqu’elle dépasse déjà 260 000 signataires. C’est un moyen de se compter, de tester les effectifs syndicaux et les citoyens pour voir s’il y a matière à aller plus loin. La pétition intersyndicale n’a pas la même fonction que celle sur la loi Duplomb qui vise plutôt l’utilisation de la voie institutionnelle de contestation.
D’un autre côté, signer une pétition derrière son écran ce n’est pas très engageant en soi, par rapport à d’autres moyens d’exprimer son mécontentement…
Oui et tout le rôle des organisateurs du mouvement social, des syndicats ou des associations écologistes est de convertir ces pétitionnaires en autre chose, ne pas se limiter à de la pure collecte de signatures. Signer n’emporte pas de conséquence financière ni personnelle, à part éventuellement la stigmatisation des proches qui ne seraient pas d’accord. Les coûts d’une signature de pétition sont absents. En revanche, plusieurs exemples comme les retraites en 2023 montrent que cela n’a pas entravé la mobilisation par la grève ou la manifestation.
On avait aussi vu fleurir les caisses de grèves pendant cette période, tout cela peut donc se cumuler ?
En 2020 les caisses de grèves ont relevé d’une autre stratégie : concentrer la grève sur les transports. Cela a pu jouer sur le transfert de ceux qui ont participé aux caisses en grévistes. En revanche, je ne pense pas qu’un mode d’action en remplace un autre dans une logique de substitution, il y a bien un effet cumulatif des modes d’action. Leur diversité ne nuit pas au mode d’action initial. La pétition peut même attirer des nouveaux profils vers les usages traditionnels avec la perspective qu’à terme, de simples signataires se mettent en grève qui reste un travail collectif très difficile à mener.
Que dit le recours aux pétitions de la santé de la démocratie en France ? Avec le suffrage universel, les pétitions n’auraient-elles pas dû disparaître ?
En effet, la pétition montre une forme de faiblesse démocratique. Dans un premier temps, l’effet des pétitions est limité, en revanche elles présentent une force remarquable : celle de mettre un sujet à l’agenda public.
Une déconnexion entre les attentes et le contenu médiatique
Dans une démocratie d’opinion, notamment grâce aux sondages, les représentants sont soumis au contrôle des représentés à qui ils doivent rendre des comptes plus souvent que lors des élections. Or, les vertus des sondages sont aujourd’hui ralenties : ce ne sont pas les citoyens qui les commandent et on peut observer une déconnexion entre les attentes déclarées et ce dont on parle dans les médias. Donc le rôle de la pétition est de participer à des outils jouant sur agenda. Ainsi, la mobilisation citoyenne oblige à se positionner.
Certes, des élections ont lieu presque tous les ans mais pas pour les mêmes mandats, donc finalement les élus peuvent échapper au contrôle citoyen.
Est-ce que les pétitions peuvent amener au vote politique ?
En effet, il est possible que les pétitions jouent sur les profils et amènent des gens qui ne votaient pas à voter. En tant que tel, c’est bon pour la démocratie. On voit que certains Français ne votent que par intermittence, et que d’autres ne votent jamais. C’est surtout ça qui est inquiétant. Donc si des dispositifs peuvent amener vers autres formes de participation politique, c’est plutôt un bon point.
Pensez-vous que les pétitions sont amenées à se développer sur le thème du travail ?
Oui et pour deux raisons. Tout d’abord parce que comme l’écologie, le travail constitue une préoccupation importante des Français peu reprise dans le débat public. Les personnalités politiques mettent à le travail à l’agenda dans une logique de stigmatisation, au travers des thèmes des arrêts maladie, le nombre de chômeurs ou l’absentéisme. La tentative du Nouveau Front Populaire de concevoir les choses différemment a été finalement peu suivie en juin 2024.
La pétition force les acteurs politiques à mettre un sujet à l’agenda
Donc la pétition peut forcer les acteurs politiques à mettre le travail à l’agenda. Une fois cela posé, les suites sont plus complexes que sur l’écologie où les gens demandent soit plus de réglementation, soit moins. Sur le thème du travail, les choses sont plus hétérogènes et il existe plusieurs axes : la protection sociale, les salaires, l’assurance chômage… Ces sujets correspondent à des offres politiques différentes de la gauche au Rassemblement National. Il existe donc une distorsion entre ce que pensent les gens et ce qui existe dans le débat public.
La deuxième raison est la suivante : les pétitions relèvent d’une dynamique nationale. L’outil peut être utilisé dans le monde du travail, mais la capacité de négocier un compromis par les salariés au niveau de leur entreprise est faible à cause de la pauvreté des leviers dont disposent leurs représentants. La possibilité de négocier sans faire intervenir l’État régulateur est faible. Il faut donc une dynamique nationale.
Les syndicats vont-ils conserver le monopole des pétitions relatives au travail ?
Pour l’instant, les organisations syndicales ne sont pas contestées sur ce champ, c’est plutôt bon signe pour elles, cela leur permet de garder un cadrage sur les pétitions. Celle sur la loi Duplomb est venue d’une étudiante puis a été relayée par une ONG. Sur le budget, on peut se demander s’il existe un risque de dépassement par les bases syndicales ou par les partis politiques, si La France Insoumise ou le Parti Socialiste pourraient lancer à leur tour une pétition, mais ce n’est pas le cas pour l’instant.
Le risque n’est-il pas une forme de récupération par l’extrême droite et d’autres groupuscules qui lancent un appel à la mobilisation le 10 septembre ?
En effet, le risque est là mais en même temps, ces groupes ne vont-ils pas développer des discours opposés à ceux des syndicats et des salariés syndiqués ? Il faudra voir leurs contenus car l’extrême droite a peiné à être visible et audible sur les retraites et a hésité sur les salaires. Est-ce que ces groupes ne vont pas regretter la suppression de jours fériés mais aussi l’absence de coupe budgétaire dans l’aide médicale d’État pour les étrangers ? Cela aura un effet repoussoir pour ceux qui ont signé la pétition intersyndicale. Les grosses divergences y compris sur le thème du travail réduisent l’audience de ces groupes. Ils connaissent aussi une limite : leur discours n’est pas relayé par des personnalités politiques, le Rassemblement National ne s’approprie pas leur journée du 10 septembre. Et passer d’un appel de groupuscules à une journée de mobilisation réussie demande des moyens.
Selon vous, pourrai-on assister à la rentrée à un retour des Gilets Jaunes ?
C’est très difficile à dire, ce phénomène de fin 2018 est aujourd’hui clos. Il reste possible que la rentrée soit l’occasion pour eux de revendiquer leur identité mais je crois peu à une renaissance de leur mouvement. En revanche, on en verra sans doute dans les manifestations. Tout dépendra de la persistance de leurs réseaux et de leurs capacités de mobilisation. Mais si l’intersyndicale fixe ses dates, il est peu probable que cela laisse de la place à un autre mouvement qui ne soit pas syndical. Et si elles posent des dates d’appel à la grève, il sera compliqué pour d’autres mouvements de développer une mobilisation parallèle.
La pétition s’enrichit d’une plateforme de décodage |
En plus du texte qui incite à signer la pétition, l’intersyndicale a mis en ligne une plateforme de décodage du projet de budget de François Bayrou. Elle en reprend les principaux points, comme la suppression de deux jours fériés, l’année blanche sur les pensions de retraite, la volonté de réduire les droits au chômage. Chaque thème fait l’objet d’une explication qui présente ses enjeux et ses effets pour les salariés, retraités et citoyens. À la fin du texte, un compteur dénombre les aides publiques versées chaque seconde aux entreprises depuis l’ouverture de la page web, soit “6 690 € par seconde”. Il est enfin possible de télécharger la pétition en pdf. |
Marie-Aude Grimont
Plan Bayrou : l’état du droit sur les congés et le temps de travail
30/07/2025
Le gouvernement souhaite à nouveau modifier le code du travail concernant les congés et le temps de travail, et il demande aux partenaires sociaux de négocier sur ces sujets. Rappel du droit existant en matière de jours fériés, congés, annualisation du temps de travail, forfaits jours, temps partiel, etc.
Nous vous proposons d’examiner l’état du droit sur les thèmes de négociation concernant les congés et le temps de travail que le gouvernement souhaite confier aux partenaires sociaux, sachant que les organisations syndicales ont exprimé de vives critiques, FO annonçant déjà un préavis de grève pour la rentrée.
Un objectif central : faire travailler davantage
Afin “d’inciter à travailler plus”, le gouvernement dit vouloir inviter les partenaires sociaux à discuter des modalités de la suppression de deux jours fériés par an (lundi de Pâques et 8 mai, ou d’autres jours fériés) mais aussi des conditions d’une possible monétisation de la cinquième semaine de congés payés.
Sur le premier point, l’exécutif a évoqué une recette versée par les entreprises correspondant à ces deux jours travaillés supplémentaires, ce qui s’apparente à ce qui avait été fait au moment de l’instauration d’une journée de solidarité pour le lundi de Pentecôte. Le prélèvement avancé par le gouvernement serait de de 0,6 % pour les deux jours fériés, contre 0,3 % précédemment pour la Pentecôte. Il semblerait donc bien que ces deux nouvelles journées de travail aient d’abord pour objectif d’apporter 4,2 milliards de recettes nouvelles au budget de l’Etat. Ces deux jours ne seraient donc pas rémunérés aux salariés, même si les partenaires sociaux sont invités à négocier les modalités de ces changements avant fin septembre, afin que cette disposition soit inscrite dans la future loi de finances 2026..
Les jours fériés : deux en moins ?
► En France, les jours fériés sont fixés dans le code du travail par l’article L. 3133-1. Ils sont au nombre de 11, dont 6 ont des origines républicaines :
- Le 1er janvier (férié depuis 1810) ;
- Le lundi de Pâques (depuis 1886) ;
- Le 1er mai (journée chômée depuis 1919 et fériée depuis 1948) ;
- Le 8 mai (depuis 1953, ce jour férié a été supprimé en 1959 et rétabli en 1981);
- L’Ascension (depuis 1802) ;
- Le lundi de Pentecôte (depuis 1886);
- Le 14 juillet (depuis 1880) ;
- L’Assomption (depuis 1802) ;
- La Toussaint (depuis 1802) ;
- Le 11 novembre (depuis 1922) ;
- Le jour de Noël (depuis 1802).
► A noter que le gouvernement soutient par ailleurs la proposition de loi parlementaire, en cours d’examen au Parlement, visant à étendre les dérogations permettant le travail le 1er mai.
► En 2016, une loi a instauré une journée de solidarité consistant en une journée supplémentaire travaillée (7 heures de travail) et non payée pour les salariés, et un prélèvement sur les entreprises de 0,3 %, ce afin d’assurer “le financement des actions en faveur de l’autonomie des personnes âgées ou handicapées” (art. L. 3133-7). Un accord de branche ou d’entreprise, ou à défaut une décision de l’entreprise précédée d’une consultation du CSE, peut prévoir comment s’accomplit cette nouvelle journée du travail (lundi de Pentecôte ou autre jour férié à l’exception du 1er mai , jour de RTT, ou autre).
La 5e semaine de congés : monétisée demain ?
En France, les employeurs doivent payer aux travailleurs :
- depuis 1936 (Front populaire) : deux semaines de congés ;
- depuis 1956 : une troisième semaine ;
- depuis 1969 (c’est l’un des effets de Mai 68 avec l’augmentation des salaires et la reconnaissance de la section syndicale) : une quatrième semaine de congés ;
- depuis 1982 (dans la foulée du retour de la gauche au pouvoir en 1981) : une 5e semaine de congés.
► Jusqu’à présent, la durée légale des congés payés annuels fixée par le code du travail (2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif, soit 30 jours par an) est une règle d’ordre public. Elle ne peut pas être modifiée dans un sens moins favorable aux salariés, ni par accord de branche, ni par accord d’entreprise. Un accord de branche ou d’entreprise peut en revanche prévoir un nombre de jours de congés supérieur au minimum légal (en fonction de l’ancienneté, du handicap, etc.).
Ce souci de garantir l’effectivité du repos du travailleur explique la règle actuelle, qui peut sembler paradoxale. En effet, le salarié disposant d’un compte épargne temps (CET) peut déjà, actuellement, y stocker sa 5e semaine de congés payés, puisqu’il peut verser dans son CET les jours de congé “au-delà du 24e jour ouvrable” (art. L. 3151-2 du code du travail). Pour autant, il ne peut pas se faire payer cette semaine de congé (art. L 3151-3 du code du travail). Cette capitalisation de la 5e semaine de congés ne peut donc actuellement servir qu’à financer un congé ultérieur, par exemple pour un départ anticipé.
► La proposition du gouvernement aux partenaires sociaux consiste à leur demander de négocier afin de permettre aux entreprises de faire travailler les salariés une semaine de plus par an, l’accord devant fixer les modalités de rémunération de cette période, en débloquant l’impossibilité de monétiser la 5e semaine de congés.
► Pourquoi cette proposition ? Pour augmenter le temps de travail collectif, répond le gouvernement, mais il s’agit aussi d’aller dans le sens du “travailler plus pour gagner plus”. Observons en effet que le gouvernement ne dispose pas de beaucoup de leviers pour des hausses de salaire, à l’exception de la revalorisation du Smic et des baisses de cotisations sociales, qui peuvent stimuler le pouvoir d’achat, sauf si elles sont compensées par des hausses d’impôt (projet de TVA sociale par exemple).
► Autoriser cette possibilité de monétiser une semaine de congés, c’est de facto ne plus considérer comme prioritaire l’effectivité de la prise des congés, alors que le travail – tous les experts le soulignent – ne cesse de s’intensifier. Cela peut donc sembler en contradiction avec la volonté du gouvernement de faire négocier les partenaires sociaux sur une amélioration des conditions de travail, du management et de la prévention des accidents du travail.
L’augmentation du temps de travail : une nouvelle flexibilité ?
► Concernant le temps de travail, le gouvernement demande aux partenaires sociaux des évolutions afin d’inciter à augmenter le temps de travail comme, par exemple, “faciliter l’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine” et “faciliter le recours aux forfaits jours”.
► Sur le temps de travail, la législation a déjà évolué ces dernières années vers davantage de flexibilité pour les entreprises. Il est par exemple possible de :
- déroger par accord à la durée hebdomadaire de 35 heures, à condition de respecter les maximums de 10 heures par jour et 48 heures par semaine ;
- de prévoir par accord d’entreprise (si la branche l’y autorise) une organisation du travail pluriannuelle (jusqu’à 3 ans) ;
- de prévoir par accord d’entreprise une moindre rémunération des heures supplémentaires (à condition qu’elle soit au moins supérieure de 10 % aux autres heures travaillées).
Par ailleurs, un accord de performance collective (APC) peut permettre à l’entreprise de revoir son organisation du travail.
► Actuellement, une entreprise peut déjà prévoir, dans un accord collectif, d’organiser la répartition de la durée du travail sur une période supérieure à la semaine, pouvant aller au maximum jusqu’à un an, et même jusqu’à trois ans si un accord de branche l’autorise (art. L. 3121-44 du code du travail). Il s’agirait donc visiblement de lever le verrou préalable de la branche. A moins qu’il ne s’agisse plus globalement de revoir le régime de déclenchement des heures supplémentaires ? Mais ce serait rouvrir la boite de pandores sur les 35 heures.
► Concernant le forfait jours, rappelons qu’il s’agit d’un contrat, signé par le salarié, prévoyant pour le travailleur une durée du travail différente de la durée légale ou conventionnelle, sur la base d’un forfait établi en nombre de jours sur l’année, le nombre de jours travaillés par an étant au maximum de 218 jours. En principe, seuls peuvent signer ce forfait jours des salariés disposant d’une réelle autonomie dans leur travail et dans l’organisation de leur temps de travail.
Le recours au forfait jours dépend à la fois d’un accord d’entreprise (y compris accord de performance collective) ou de branche et de l’accord des salariés, les juges veillant aussi au respect de la limitation de la charge de travail et à l’autonomie réelle du salarié en forfait jours. S’agirait-il d’alléger ces conditions, d’en supprimer une partie ou de revoir les garanties apportées aux salariés ? A suivre…
Les temps partiels : de nouveaux assouplissements ?
► Sur le temps de travail, le gouvernement demande également aux partenaires sociaux de voir comment réduire les temps partiels subis.
Selon les premiers échanges entre gouvernement et partenaires sociaux, il s’agirait de réduire les coupures horaires et d’éviter une trop grande amplitude du travail tout en cherchant “des assouplissements pour lever d’éventuels freins à l’emploi” comme “les 24 heures hebdomadaires minimales” ou la possibilité “de manière exceptionnelle de dépasser les 35 heures hebdomadaires sans risquer une requalification du contrat”.
Examinons ces différents points dans le droit existant.
► L’amplitude de travail
Dans le passé, le débat parlementaire a déjà porté sur la façon de garantir à certains personnels travaillant en sous-traitance (femmes de ménage, par exemple) moins d’amplitude horaire, mais les propositions sur le sujet n’ont jamais débouché. Le député François Ruffin (LFI) proposait par exemple en 2020 de majorer de 50 % les heures de travail effectuées entre 18h et 9h et de faire bénéficier les salariés des entreprises extérieures qui font le ménage pour des entreprises utilisatrices “des dispositions légales et conventionnelles ainsi que celles résultant des usages qui s’imposent aux entreprises utilisatrices”. À la place de ces changements, la commission des affaires sociales de l’Assemblée avait préféré imposer à chaque branche de négocier dans les 6 mois pour améliorer les conditions de travail des femmes de ménage employées en sous-traitance, notamment sur le temps de travail, la clause de mobilité, un socle de garanties sociales minimales, la lutte contre le travail illégal, la politique de rémunération globale et la politique de formation.
► Les 24 heures d’activité minimales
Depuis la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, une durée minimale de travail hebdomadaire de 24 heures s’applique pour les salariés à temps partiel (art. L. 3123-27 du code de travail). Des dérogations sont toutefois déjà possibles à cette durée minimale, par exemple sur demande individuelle écrite du travailleur (salarié en situation de handicap ou devant faire face à des contraintes personnelles), mais aussi pour les étudiants, pour les salariés en insertion économique, pour les contrats de travail jusqu’à 7 jours, pour les CDD de remplacement, etc. En outre, un accord de branche et même, depuis 2017, un accord d’entreprise peuvent déjà prévoir moins de 24 heures de travail hebdomadaires, à la condition que ce travail soit suffisamment régulier (c’est-à-dire regroupé sur des journées ou des demi-journées) pour permettre au salarié d’occuper un autre emploi lui faisant atteindre cette durée minimale (art. L. 3123-19).
Le gouvernement envisage donc d’assouplir à nouveau cette règle de 24 heures. Reste à savoir comment : lever la contrainte d’accords ? Étendre le régime des dérogations ? À suivre.
► Le dépassement des 35 heures
Le risque de requalification du contrat évoqué par le gouvernement en cas de dépassement de son temps de travail est celui d’un salarié en temps partiel qui viendrait à effectuer 35 heures ou plus au cours de la semaine. C’est une règle d’ordre public énoncée par l’art. L. 3123-9 du code du travail : les heures complémentaires d’un salarié à temps partiel ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail effectuée par ce salarié à niveau égal ou supérieur à la durée légale du travail. Si tel est le cas, dès la première irrégularité, la Cour de cassation considère que le contrat à temps partiel doit être requalifié en contrat de travail à temps complet, ce qui représente donc un “risque” de rappels de salaire pour l’employeur. C’est donc cette règle et cette jurisprudence que le gouvernement voudrait contrecarrer afin de permettre des dépassements ponctuels sans risque de requalification.
► Ajoutons enfin que le gouvernement, tout en se disant attaché au CDI, souhaite voir les partenaires sociaux développer d’autres contrats de travail (CDD, contrat de travail temporaire, contrat de chantier, etc.).
Bernard Domergue
Suppression des allocations chômage en cas de refus de deux CDI : le Conseil d’Etat rejette le recours contre le décret
30/07/2025

Par une décision du 16 juillet 2025, le Conseil d’Etat rejette le recours pour excès de pouvoir formé par des organisations syndicales contre le décret du 28 décembre 2023 relatif aux conséquences de deux refus d’un CDI par un salarié en CDD ou en CTT sur ses droits à l’assurance chômage.
En février 2024, Force ouvrière a intenté un recours pour excès de pouvoir contre le décret du 28 décembre 2023 et l‘arrêté du 3 janvier 2024 pris en application de la loi sur le marché du travail du 21 décembre 2022 ; une seconde requête avait été déposée par la CGT, Solidaires et la FSU.
Cette loi a introduit dans le code du travail la règle selon laquelle le salarié en contrat à durée déterminée (CDD) ou en contrat de travail temporaire (CTT) qui refuse, par deux fois, une proposition d’emploi en CDI perd ses droits à indemnisation chômage dès lors que l’offre d’emploi répond à certaines caractéristiques. Le décret en précisait la procédure et l’arrêté les modalité d’information de France Travail.
Plusieurs arguments étaient invoqués à l’appui des deux recours pour excès de pouvoir contre ces deux textes réglementaires.
1. Un traitement discriminatoire dans l’accès aux droits à l’assurance chômage et la création de situations de travail forcé
Le premier argument invoqué par les requérants visait à dénoncer un traitement discriminatoire dans l’accès aux droits à l’assurance chômage, en méconnaissance de l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales combiné à l’article 1er de son premier protocole additionnel et la création de situations de travail forcé ou obligatoire, en méconnaissance des stipulations de l’article 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la Convention internationale du travail n° 29 sur le travail forcé et de son protocole de 2014, de la Convention internationale du travail n° 105 sur l’abolition du travail forcé ou de la Convention internationale du travail n° 122 sur la politique de l’emploi.
Mais pour le Conseil d’Etat, “les dispositions des articles L.1243-11-1 et L.1251-33-1 du code du travail se bornent à faire obligation, dans certaines conditions, à l’employeur d’un salarié en contrat à durée déterminée ou à l’entreprise utilisatrice d’un salarié en contrat de mission qui propose à ce salarié un contrat à durée indéterminée de notifier à Pôle emploi, devenu l’opérateur France Travail, le refus de cette proposition par le salarié. Bien qu’un tel refus de la part de ce dernier puisse avoir pour conséquence, quand les conditions prévues au dernier alinéa du I de l’article L.5422-1 du même code sont remplies, qu’il ne pourra se voir ouvrir le bénéfice de l’allocation d’assurance, l’obligation de notification qui incombe à l’employeur est, par elle-même, sans effet sur les droits du salarié”.
2. Méconnaissance du droit constitutionnel à l’existence d’un régime d’assurance chômage
Le deuxième argument invoqué est que le décret méconnaîtrait le droit constitutionnel à l’existence d’un régime d’assurance chômage et le principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
D’une part, les juges administratifs rappellent que la remise en cause de la constitutionnalité d’une disposition législative ne peut se faire que dans le cadre de la procédure prévue à l’article 61-1 de la Constitution [la question prioritaire de constitutionnalité]. D’autre part, ils décident qu'”en tout état de cause (…) l’obligation de notification qui incombe à l’employeur, dont le décret attaqué précise les modalités, est, par elle-même, sans effet sur les droits du salarié au bénéfice de l’allocation d’assurance chômage”.
Pour ce même motif, le Conseil d’Etat rejette le moyen soutenant que le décret porterait atteinte au droit à indemnisation du chômage tel qu’il serait protégé par le premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
3. Violation du droit à un recours effectif et de l’égalité des armes
Les requérants soutenaient également que le décret et l’arrêté méconnaîtraient le droit à un recours effectif et “l’égalité des armes” garantis par les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que les articles 8 et 14 de la même convention et l’article 10 de la Convention internationale du travail n° 44 car ils ne prévoient pas de délai minimum ouvert au salarié pour se prononcer sur la proposition de CDI.
Le Conseil d’Etat rappelle toutefois que le décret prévoit que l’employeur ou l’entreprise utilisatrice accorde au salarié un délai raisonnable pour se prononcer sur la proposition de CDI en lui indiquant qu’à l’issue de ce délai de réflexion, une absence de réponse de sa part vaudra rejet de la proposition. Les juges rappellent également que le décret prévoit que “le salarié est informé par France Travail, ce dernier étant seul à même de le faire, à réception des informations complètes transmises par l’employeur ou par l’entreprise utilisatrice, des conséquences de son refus sur l’ouverture de ses droits à l’allocation d’assurance. A ce titre, aucune disposition ne fait obstacle à ce que le salarié communique à l’opérateur France Travail tout autre élément, notamment quant au motif de son refus, de nature à permettre à cet établissement de déterminer si le bénéfice de l’allocation d’assurance peut lui être ouvert au titre du 1° du I de l’article L.5422-1 du code du travail”.
“Le demandeur d’emploi peut, en outre, contester, sous le contrôle du juge, la décision relative au bénéfice de l’allocation d’assurance prise par France Travail en application de l’article L.5422-4 du code du travail”, ajoutent les juges.
4. Imprécision sur l’équivalence de poste pour les contrats de mission
Les requérants mettaient également en cause le fait que, s’agissant des CTT et contrairement aux CDD, il n’est pas prévu que l’employeur justifie du caractère au moins équivalent de la rémunération et de la durée de travail proposées.
Le Conseil d’Etat commence par rappeler que seules les propositions de CDI qui portent sur un emploi identique ou similaire à l’emploi précédemment occupé en CDD ou en CTT peuvent être prises en compte au titre du double refus prévu au dernier alinéa du I de l’article L.5422-1 du code du travail pour faire obstacle à l’ouverture de droit au demandeur d’emploi au titre de l’allocation d’assurance.
Il apporte ensuite une précision intéressante sur le cas du CTT. “Si l’article R.1251-3-1 du code du travail applicables aux salariés en contrat de mission ne détaille pas, à la différence de l’article R.1243-2 applicables aux salariés en contrat à durée déterminée, les éléments à transmettre à France Travail par l’entreprise utilisatrice, devant permettre de justifier dans quelle mesure cette condition est satisfaite et accompagnant le descriptif de l’emploi proposé, cette circonstance n’entache pas d’illégalité le décret attaqué, qui prévoit que l’entreprise utilisatrice doit transmettre à France Travail des éléments permettant de justifier que l’emploi proposé est identique ou similaire à celui de la mission effectuée, ce qui peut se faire, par exemple, en faisant valoir la rémunération et la durée de travail figurant dans le contrat de mise à disposition du salarié en contrat de mission”.
5. Manque d’information de France Travail
Enfin, le Conseil d’Etat rejette le grief selon lequel l’arrêté serait illégal faute de préciser les modalités d’information de l’opérateur France Travail, par l’employeur ou par l’entreprise utilisatrice. Les juges retiennent que les requérants n’indiquent pas quelles seraient les précisions qui seraient manquantes et indique que “cet arrêté se borne à déterminer les modalités de transmission des informations, par l’employeur ou par l’entreprise utilisatrice, à l’opérateur France Travail, les éléments d’information à transmettre figurant dans le décret du 28 décembre 2023”.
Florence Mehrez
Ordre des licenciements économiques : la charge de la preuve pèse sur l’employeur
30/07/2025
Si le salarié conteste l’application des critères d’ordre des licenciements économiques retenus par l’employeur, c’est sur ce dernier que pèse la charge de prouver qu’il s’est appuyé sur des éléments objectifs, précis et vérifiables pour identifier les personnes licenciées. Dans ces deux affaires, la cour d’appel avait rejeté la demande des salariés au motif qu’ils ne fournissaient aucun élément de preuve à l’appui de leur contestation des critères d’ordre retenus par l’employeur : la décision est censurée car les juges ont inversé la charge de la preuve.
► La Cour de cassation confirme ici une jurisprudence classique et ancienne (arrêt du 24 février 1993 ; arrêt du 14 janvier 1997).
Rappelons que l’appréciation de ces éléments de preuve relève du pouvoir souverain du juge du fond (arrêt du 23 mars 2016). Si l’employeur ne parvient pas à apporter les justifications exigées, le licenciement économique n’est pas privé de cause réelle et sérieuse (arrêt du 5 décembre 2006), mais le juge peut accorder au salarié qui prouve avoir subi un préjudice des dommages-intérêts dont il évalue souverainement le montant (arrêt du 26 février 2020).
Source : actuel CSE
La Cour de cassation écarte le lien de subordination liant des chauffeurs VTC à la société Uber
31/07/2025

Dans deux arrêts du 9 juillet 2025, la Cour de cassation apporte des illustrations sur les critères permettant de caractériser ou non l’existence d’un lien de subordination entre des chauffeurs VTC et la plateforme numérique sur laquelle ils proposent leurs services.
Alors que, depuis 2020 la Cour de cassation avait tendance à reconnaître, à certaines conditions, l’existence d’un lien de subordination entre les chauffeurs VTC et l’entreprise gérant la plateforme de mise en relation avec le client, elle écarte cette fois l’existence d’un contrat de travail du fait des nouvelles règles mises en place par la plateforme Uber, dans deux arrêts du 9 juillet 2025 (en pièces jointes).
Par principe, le code du travail prévoit une présomption de non-salariat pour les auto-entrepreneurs (article L.8221-6 du code du travail). Néanmoins, celle-ci peut être renversée lorsqu’est démontrée l’existence d’un lien de subordination juridique permanente entre le travailleur et le donneur d’ordre, selon le même article. La Cour de cassation a reconnu l’existence d’un tel lien à plusieurs reprises à l’égard de travailleurs de plateformes numériques, notamment Take Eat Easy (arrêt du 28 novembre 2018), mais également de chauffeurs présents sur la plateforme Uber (arrêt du 4 mars 2020 ; 1er arrêt du 5 mars 2025 ; 2e arrêt du 5 mars 2025).
Dans les arrêts du 9 juillet 2025, deux chauffeurs ont conclu un contrat de partenariat avec la société Uber. Ils saisissent le conseil de prud’hommes pour voir requalifier ce contrat en contrat de travail. La juridiction prud’homale, estimant qu’il n’existe aucun lien de subordination, se déclare incompétente au profit du tribunal de commerce, solution confirmée par la cour d’appel. Les deux travailleurs saisissent la Cour de cassation afin d’obtenir la reconnaissance de l’existence de ce lien de subordination.
La Cour de cassation rappelle l’acception jurisprudentielle du lien de subordination, tel que défini par l’arrêt du 13 novembre 1996 : un travail exécuté sous l’autorité d’un employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres, des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Elle précise ensuite que peut constituer un indice de cette subordination, le travail au sein d’un service organisé, lorsque l’employeur en détermine unilatéralement les conditions d’exécution. Elle relève qu’au regard de ces critères, la cour d’appel a considéré qu’il n’existait pas en l’espèce de lien de subordination.
Les chauffeurs n’étaient pas tenus à une obligation de non-concurrence et pouvaient développer une clientèle personnelle
En l’espèce, la cour d’appel constate que les chauffeurs sont intégrés dans un service organisé par la plateforme Uber. Cependant, elle relève également que ceux-ci ne sont liés par aucune obligation de non-concurrence ni d’exclusivité, qu’ils ont la liberté de s’inscrire et de travailler par le biais d’autres applications ou bien d’exercer leur activité en dehors de toute application numérique, ont la possibilité de ne pas se connecter ou bien de se déconnecter de l’application afin d’effectuer des courses en dehors de la plateforme au titre de leur clientèle personnelle. L’application a également créé une catégorie “chauffeur favori” , de nature à permettre la création d’un lien privilégié entre les chauffeurs et les passagers, ouvrant ainsi la possibilité de développer une clientèle personnelle.
Dans ces conditions, les chauffeurs ne réalisaient pas leurs prestations dans le cadre d’un lien de subordination à l’égard de la société Uber, affirment les juges du fond.
Ce critère de non-concurrence, qui découle de l’obligation de loyauté du salarié envers l’employeur, est considéré par la Cour de cassation comme un indice de la subordination. Dans deux arrêts récents, la Cour de cassation a ainsi considéré que constituait un tel indice l’interdiction faite au chauffeur par la société Uber d’avoir une clientèle personnelle, en prohibant le recueil des données personnelles qui lui auraient permis de les recontacter (1er arrêt du 5 mars 2025 ; 2e arrêt du 5 mars 2025).
Par les deux arrêts rendus le 9 juillet 2025, la Cour de cassation confirme donc que cette obligation de non-concurrence constitue un indice de la subordination, et en précise les limites : le fait que le chauffeur puisse se constituer librement une clientèle personnelle doit tendre à écarter le lien de subordination. Il ne s’agit cependant pas du seul critère, mais d’un indice pris dans un faisceau plus large.
La société ne donnait pas de directives, n’en contrôlait pas l’exécution, ni n’exerçait de pouvoir de sanction
La Cour de cassation rappelle les constatations effectuées par la cour d’appel dans sa décision :
- le chauffeur dispose de quinze secondes pour accepter ou refuser la course qui lui est proposée par la plateforme, avait la faculté de refuser une course, et que selon le contrat, la société ne contrôle ni ne dirige le chauffeur, lequel est responsable du choix de la manière la plus efficace et la plus sûre pour se rendre à la destination, de sorte qu’il est totalement indépendant dans la réalisation de sa prestation de transport. Elle relève également que le chauffeur ne démontre pas que la société formulait des directives ou des ordres durant l’exécution de celle-ci ;
- la déconnexion peut intervenir après trois refus de course, mais le chauffeur a la possibilité de se reconnecter ultérieurement presque immédiatement, par un simple clic. Cela ne constitue donc pas une sanction à son égard ;
- il n’est pas non plus rapporté de rupture contractuelle en lien avec les refus de propositions de prestations de transport, conformément à l’article L.1326-2 du code des transports qui interdit ce type de pratique ;
- enfin, le relevé d’état des courses établit que les chauffeurs ont alterné des périodes de forte activité, de moindre activité et d’absence d’activité, ce qui est de nature à établir une absence de permanence quant à la connexion.
Dans ces conditions il n’est pas établi que la société Uber donne des directives aux chauffeurs, en contrôle l’exécution ni ne dispose du moindre pouvoir de sanction. Les juges du fond considèrent donc que ceux-ci sont indépendants.
Dans un arrêt précédant, la Cour de cassation avait pourtant considéré que constituait un indice de l’existence d’une subordination, le fait pour la société de déconnecter les travailleurs qui refusaient au moins 80 % des courses ou trois courses d’affilée (1er arrêt du 5 mars 2025 ; 2e arrêt du 5 mars 2025).
En l’espèce, la Cour de cassation relève le fait que si la déconnexion par la plateforme pouvait intervenir après trois refus, le chauffeur avait toutefois la possibilité de se reconnecter presque immédiatement. Le fait de pouvoir se reconnecter dans un délai court après la déconnexion semblerait donc faire pencher la balance du côté de la qualification de travailleur indépendant, solution qui avait également été retenue dans un arrêt du 25 janvier 2023 (arrêt du 25 janvier 2023).
La fixation des prix par la plateforme n’est pas un indice de subordination
La cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, constate dans sa décision que depuis juillet 2020, la plateforme Uber a évolué pour se conformer à la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019. Le chauffeur voit apparaître au moment de la proposition de la course le prix minimal de la course net frais de services Uber, le temps et la distance pour récupérer le passager, le temps et la distance de la course. Elle considère ensuite que la fixation de ce tarif maximum n’est pas susceptible, à elle seule, de démontrer la réalité d’un lien de subordination, car les pièces produites par les intéressés font uniquement apparaître des ajustements à la hausse pour le premier chauffeur, et un seul ajustement à la baisse pour le second chauffeur. Elle estime donc que cette possibilité d’ajustements ne permet pas de caractériser la réalité d’un indice de subordination juridique.
Les chauffeurs soutenaient dans leur pourvoi que le fait que la plateforme se réservait la faculté d’ajuster unilatéralement le tarif de la course en cas de non-respect par le chauffeur de l’itinéraire proposé constituait un indice de leur subordination.
Pour répondre à cet argument, la Cour de cassation rappelle simplement les arguments de la cour d’appel :
- la fixation d’un tarif maximum n’est pas susceptible, à lui seul, de démontrer la réalité d’un lien de subordination ;
- en l’espèce, les pièces produites par les deux chauffeurs ne faisaient apparaître qu’un seul ajustement à la baisse pour un seul d’entre eux, les autres ajustements n’ayant été réalisés qu’à la hausse. La cour d’appel a considéré que la simple possibilité de ces ajustements ne permettait pas en soi de caractériser un indice de subordination juridique.
La Cour de cassation fait ainsi une appréciation stricte du lien de subordination juridique, s’en tenant au traditionnel triptyque directives-contrôle-sanctions, et écarte tout argumentaire tenant à la dépendance économique des chauffeurs vis-à-vis de la plateforme numérique.
Vers une présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes numériques
Dans sa décision, la cour d’appel insiste sur le fait que les deux chauffeurs ne rapportent pas d’éléments de nature à démontrer l’existence d’un lien de subordination.
Rappelons que la directive du 23 octobre 2024 a vocation, lorsqu’elle sera transposée, à créer une présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes numériques.
Cela signifie que la charge de la preuve, qui repose actuellement sur les travailleurs, pèsera désormais sur la plateforme via laquelle ils exercent leur activité : il incombera à cette dernière de prouver que la relation contractuelle en question n’est pas un contrat de travail. Toutefois, l’application de cette directive au cas d’espèce ne devrait pas avoir d’incidence sur la solution, du fait des preuves rapportées par Uber et admises par la Cour de cassation.
Claudiane Jaffre
Saisie sur salaire : mise à jour pour les îles Wallis et Futuna
31/07/2025
Un décret du 29 juillet 2025 modifie le décret n° 55-972 du 16 juillet 1955 relatif aux saisies-arrêts, cessions et retenues sur les traitements ou salaires des travailleurs des îles Wallis et Futuna pour mettre à jour les montants applicables à la part des traitements et salaires susceptibles de faire l’objet de saisies-arrêts, cessions et retenues.
Ces dispositions entrent en vigueur le dixième jour qui suit sa publication au Journal officiel, soit le 9 août 2025. Il est applicable aux procédures en cours.
Source : actuel CSE
Alerte des commissaires de justice sur la nouvelle procédure de saisie des rémunérations
31/07/2025
La Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ) avait déjà fait un point, sur son site internet, sur la nouvelle procédure de saisie des rémunérations en vigueur au 1er juillet 2025, à l’approche de l’entrée en vigueur de celle-ci.
Dans une alerte en date du 25 juillet, la CNCJ indique avoir relevé dans la presse de nombreuses exactitudes sur la présentation de la nouvelle procédure de saisie, et précise à nouveau le bon mode opératoire de celle-ci, en quatre étapes :
- 1re étape : le créancier doit disposer d’un titre exécutoire constatant sa dette (l’intervention d’un juge est donc indispensable à ce stade) ;
- 2e étape : le créancier doit s’adresser à un commissaire de justice pour envoi d’un commandement de payer au débiteur qui dispose alors d’un mois pour rembourser la somme due, trouver un accord ou contester la saisie ;
- 3e étape : le créancier doit confirmer sa volonté de poursuivre la procédure dans les trois mois du commandement, auquel cas le commissaire de justice remet un PV de saisie à l’employeur en main propre ou par voie dématérialisée (le PV est inscrit sur le registre numérique) ;
- 4e étape : la saisie est mise en œuvre par le commissaire de justice répartiteur qui reçoit les fonds de la part de l’employeur et les reverse au créancier.
Source : actuel CSE
“Reconversion : les cadres bifurquent un peu, mais pas trop !”
01/08/2025

La sociologue Ludivine Le Gros
La sociologue Ludivine Le Gros s’est intéressée aux reconversions des diplômés de grandes écoles. Sa conclusion : “Les reconversions professionnelles chez les élites managériales reviennent à bifurquer sans trop changer”. Autrement dit, ces cadres sont bien armés (diplôme, réseaux, compétences) pour répondre à la nouvelle injonction de réussir leur vie professionnelle en changeant régulièrement de métier et d’activité.
Ludivine Le Gros, vous êtes sociologue, post-doctorante au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Quelle population avez-vous étudiée pour votre thèse sur les parcours de reconversion des cadres ?
Mon enquête de thèse, publiée en octobre 2024, porte sur des diplômés de grandes écoles d’ingénieur et de commerce, de tous âges, qui avaient travaillé pendant au moins un an, avant de changer simultanément de métier, de fonction et de secteur d’activité (*). Faute de définition statistique ou universitaire de ce qu’est une reconversion, j’ai pris volontairement une définition assez restrictive. Cela pour tenir compte du fait que dans les grandes écoles, il y a comme une injonction à changer de métier, de secteur et d’entreprise régulièrement. C’est un attendu de carrière dans ces milieux.
Nous sommes en été, période où l’on rêve parfois, sur son lieu de vacances, de changer de vie et de métier. Et la presse abonde de ces témoignages de cadres qui ont refait leur vie du jour au lendemain en adoptant un travail manuel ou très éloigné de leur ancien poste. Est-ce une réalité vérifiée par votre enquête ou un cliché ?
Ces récits médiatiques illustrent d’abord un changement du discours sur les reconversions depuis une vingtaine d’années. Nous sommes passés de l’image d’une évolution subie, imposée à des personnes peu qualifiées lors de plans de licenciement, à l’image d’une reconversion correspondant à ses propres aspirations personnelles, un projet ayant un caractère volontaire et anticipé, non subi (**).
Seulement 2 % d’anciens diplômés de grandes écoles se reconvertissent dans un métier manuel
Il y a en effet dans la presse une valorisation de ces cadres très diplômés s’orientant vers des métiers manuels ou des métiers n’ayant rien à voir avec leur métier précédent. Dans mes recherches quantitatives, conduites grâce à l’administration de questionnaires, j’ai pour ma part constaté un pourcentage très faible, de l’ordre de 2 %, de cadres très diplômés qui sont devenus artisans ou qui sont partis dans l’agriculture. De plus, même ces cadres abordent ces métiers autrement que ne le ferait un artisan.
Que voulez-vous dire ?
Ces personnes sont bien davantage dans la gestion de projet par exemple, cela résulte de leur formation et de leur expérience de manager. Il faut donc largement nuancer l’idée de reconversions radicales. Les femmes cadres reconverties dans l’enseignement en sont un autre exemple. À priori, ça semble un choix radical. Mais vous retrouvez chez elles une manière de penser le travail très marquée par leur expérience de cadre. Je pense à une femme devenue directrice d’école qui m’expliquait que la dimension managériale, de relations avec les autres enseignants et les familles, lui plaisait beaucoup. Autrement dit, on voit bien que les manières de penser et d’exercer un métier que va développer un diplômé de grandes écoles ne sont pas les mêmes que celles d’un autre professionnel.
Toutes les reconversions de cadres ne sont pas radicales, donc ?
Selon mon enquête, plus de la moitié des cadres restent cadres. Je distingue quatre profils. Premier profil (33 % de mon échantillon) : les cadres d’entreprise, il s’agit plutôt d’hommes et d’ingénieurs. Tout en changeant de métier et de secteur, la plus grande partie de ces cadres d’entreprise restent cadres d’entreprise. Deuxième profil (26 %) : les enseignants et cadres de l’économie sociale et solidaire (ESS) et cadres du service public, en majorité des femmes. Après la reconversion, 30 % sont enseignants et formateurs, 25 % cadres de l’ESS et 17 % cadres dans le public. Troisième profil (22 %) : les entrepreneurs, en majorité des hommes. Après reconversion, ces cadres deviennent dirigeants et créateurs d’entreprise (71 %) et une petite proportion artisans. Quatrième profil (19 %) : les professionnels du bien-être et de la santé, à dominante féminine. Après reconversion, ces cadres sont coachs ou thérapeutes (55 %), membres de professions médicales et de médecines alternatives (18 %).
Il y a aussi une différence entre les femmes et les hommes au sujet des reconversions…
Davantage de femmes se reconvertissent. C’est lié à la difficulté de concilier une carrière professionnelle et la vie personnelle, notamment les maternités, et aussi au plafond de verre. Ce point est difficile à démontrer mais il ressort très souvent des entretiens menés avec les femmes cadres. Des carrières bloquées entraînent l’envie de sortir de l’entreprise, de se reconvertir pour évoluer. J’ai aussi observé des différences genrées concernant le choix des reconversions. Ce que nous, sociologues, connaissons bien au niveau de l’orientation scolaire et des choix de carrière (Ndlr : un moindre choix de carrières scientifiques pour les femmes, par exemple), cela se vérifie au moment des reconversions. C’est très visible dans deux groupes, celui des entrepreneurs et celui des professionnels du bien-être.
Les femmes ne créent pas le même type d’entreprise que les hommes
Le groupe des cadres qui ont choisi de créer leur entreprise pour se reconvertir est constitué majoritairement d’hommes. Et quand on regarde les entreprises créées par les hommes et celles par les femmes cadres, on a plus souvent chez les hommes des entreprises plus importantes et technologiques, comme les start-up, et chez les femmes des entreprises plus individuelles, comme dans le conseil. Dans le groupe des cadres ayant choisi de se reconvertir comme professionnels du bien-être et de la santé, il y a une forte majorité de femmes, ce qu’on peut bien sûr associer à des socialisations genrées : les femmes s’orientent vers les métiers du coaching, du care, du paramédical (médecines alternatives, par exemple : kinésiologues, naturopathes, etc.) et du médical (infirmières, médecins, etc.), des métiers pour lesquels elles sont censées s’appuyer sur des compétences essentialisées comme féminines (compétences relationnelles, soin, etc.).
Quelle place tient la rémunération dans ces changements professionnels ?
Au moment des choix et des projets de reconversion, la question de la rémunération est très rarement mentionnée par les cadres que j’ai interrogés. Le choix est très influencé par ce qu’on appelle le développement personnel. Trois quarts des personnes se font accompagner pour leur projet de reconversion.
Cette question est rarement mentionnée, sans doute parce que ces personnes ont négocié leur départ et qu’elles possèdent le capital de leur diplôme et de leurs relations
L’accompagnement vient très rarement par France travail ; ce sont plutôt des coachs individuels qui sont sollicités ou des programmes collectifs de reconversion. L’idée est très présente selon laquelle il faut trouver un métier qui ait du sens, qui réponde à des aspirations personnelles, un métier de passion, un métier avec des valeurs. La question de la rémunération et le souci d’opter pour un métier qui embauche sont très rarement évoqués. Sans doute aussi parce que ces personnes ont des ressources, liées au prestige de leur diplôme. Cela leur fait envisager l’avenir avec confiance. D’autant qu’elles ont aussi des ressources monétaires : de l’épargne et de indemnités de ruptures conventionnelles négociées au moment du départ avec la garantie de percevoir des indemnités d’assurance chômage.
Seuls ceux qui ont une trajectoire d’ascension sociale évoquent le sujet de l’employabilité et de la rémunération
Les seules personnes qui ont évoqué la question de la rémunération et de l’employabilité sont celles qui étaient dans une trajectoire d’ascension sociale dans leur première carrière, des individus qui viennent de milieux sociaux moins bien dotés que d’autres diplômés de grandes écoles et qui ont, eux, le souci de ne pas perdre en rémunération lors d’une reconversion.
Quel est l’élément déclencheur de ces reconversions ?
La question que je me suis posée, c’est : “pourquoi, au sein d’une même équipe, certains individus décident de changer et de se reconvertir, et d’autres pas ?” La réponse n’est pas si simple. Il n’y a pas un seul élément déclencheur, même si j’ai souvent entendu, dans les entretiens que j’ai menés, l’expression d’une difficulté professionnelle, liée aux conditions de travail ou à une carrière bloquée. Dans ce contexte, la reconversion offre une sortie par le haut, sans licenciement, pour l’individu comme pour l’organisation.
Il y a comme une injonction au changement, à être entrepreneur de soi-même
Mais cette difficulté ne suffit pas à expliquer la reconversion. D’autres éléments jouent. Je crois qu’une certaine norme du changement professionnel s’est imposée, une sorte d’injonction au changement mais avec une image très positive et désirable du changement : il faut devenir « entrepreneur de soi-même » Autrement dit, « si j’ai été capable de me reconvertir, c’est que je suis flexible, agile ». Par ailleurs, on trouve dans les parcours individuels des motifs de reconversions liés au sentiment d’occuper un métier en inadéquation par rapport à une origine familiale.
Votre analyse permet aussi de comprendre combien est difficile, pour des salariés n’ayant pas au départ de capital de formation et de relations sociales et qui occupent pendant des années un poste pénible, d’envisager et de réussir une reconversion…
Bien sûr ! La plupart des cadres reconvertis, quand je les ai rencontrés, n’avaient pas eu de grandes difficultés professionnelles ou de période de chômage dans leur parcours professionnel. Un haut niveau de formation assure en effet une confiance en l’avenir, le diplôme d’une grande école servant de filet de sécurité.
Le diplôme d’une grande école assure un haut niveau de confiance en l’avenir
C’est aussi pourquoi ils partent rarement fâchés de leur entreprise, ils s’assurent ainsi une possibilité de retour dans leur milieu professionnel. L’autre élément frappant chez ces diplômés de grande école, c’est qu’ils gèrent leur reconversion comme un projet. Ce n’est pas un hasard, car leur métier, c’est justement la gestion des projets : assurer la planification, maîtriser la gestion d’un réseau relationnel, cela fait partie de leurs compétences. Et ces compétences sont réutilisées au moment de la reconversion.
La richesse relationnelle est un élément très important
Même quand ces personnes se dirigent vers des métiers éloignés de leur poste managérial précédent, elles vont toujours réussir à trouver, via les chaînes relationnelles (telle personne en connaît une autre qui en connaît une autre, etc.), des informations sur leur futur métier, et à faire des stages ou à tester leur nouveau métier, toute une série de choses très utiles pour leur reconversion. Ce qui différencie ces personnes très qualifiées des autres salariés, ce sont les compétences relationnelles acquises (elles savent comment faire du réseau) et l’étendue de ce réseau qui leur permet d’accéder à des personnes d’univers très différents. Un ouvrier qui a travaillé pendant des années sur un poste pénible n’a bien sûr pas pu construire ce type de réseau.
Dans votre recherche, avez-vous entendu des préoccupations éthiques et environnementales justifiant une reconversion ?
La dimension du « sens au travail » est un élément central dans toutes les reconversions qui m’ont été racontées. Mais selon les parcours et les métiers choisis, cette dimension prend une signification très variée : ce peut être pour les uns un métier en accord avec ses valeurs, pour d’autres un métier utile socialement, pour d’autres encore un métier correspondant à une passion, etc. En revanche, hormis le souci d’une écologie des “petits gestes”, j’ai peu souvent entendu parler de préoccupations environnementales, a fortiori comme étant à l’origine d’un projet de reconversion (***). Cela peut paraître surprenant au regard de ce qu’on a pu lire sur le rejet d’un certain modèle de croissance par les élèves d’écoles d’agro, par exemple. Mais cela a pu évoluer ces dernières années…
(*) “Bifurquer sans trop changer. Les reconversions professionnelles volontaires parmi les élites managériales au prisme de la socialisation”, thèse de Ludivine Le Gros, 2024, document consultable ici. Pour son enquête, la sociologue s’est appuyée sur 919 réponses à un questionnaire, sur l’observation pendant plusieurs semaines de 40 personnes, et sur les entretiens menés auprès de 47 de ces anciens diplômés de grandes écoles. Pour une approche plus accessible de ce travail que la sociologue a évoqué lors d’une journée de l’Ugict-CGT sur le management, on peut aussi consulter un “4 pages” du Centre d’études, de l’emploi et du travail (CEET) : “Au-delà des ruptures radicales : la diversité des parcours de reconversion des cadres diplômés de grandes écoles”, voir ici .
(**) Voir par exemple cet article du Figaro du 1er mai 2024, intitulé “« Le bois, ça me parle », ces anciens cadres qui quittent leurs fichiers Excel pour laisser libre cours à leur créativité”, ou cet article des Echos du 28 février 2023 : “Ancien trader, j’ai ouvert deux fromageries et réalisé mon rêve d’enfant”.
(***) Ce constat semble rejoindre l’étude sur les jeunes de l’institut Montaigne. Selon cette enquête, la responsabilité sociale et environnementale n’arrive qu’en avant-dernière position dans la hiérarchie des priorités professionnelles des jeunes
Bernard Domergue
[Veille JO] Les textes parus jusqu’au 31 juillet : épargne salariale, formation, Outre-mer, RGPD/IA, santé sécurité, travailleurs étrangers
01/08/2025
Voici un récapitulatif des textes parus au Journal officiel (JO) du vendredi 25 juillet au jeudi 31 juillet inclus, avec les liens renvoyant aux articles que nous avons pu faire sur ces sujets.
► Nous ne traitons pas ici les textes liés aux conventions collectives, car nous vous proposons tous les mois un baromètre des branches sur ces nouveautés.
Environnement
- Un décret du 24 juillet 2025 porte abrogation du décret n° 2021-759 du 14 juin 2021 instituant un délégué interministériel à l’accompagnement des territoires en transition énergétique
Épargne salariale
- Un arrêté du 23 juillet 2025 fixe les taux d’intérêt des produits d’épargne réglementée
Formation
- Un décret du 29 juillet 2025 précise l’enregistrement des déclarations d’activité des organismes de formation
Nominations
- Un arrêté du 24 juillet 2025 modifie l’arrêté du 30 juin 2025 portant nomination des membres du comité d’histoire des administrations chargées du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle
- Un arrêté du 22 juillet 2025 porte cessation de fonctions et nomination au cabinet de la ministre déléguée auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement
- Un décret du 30 juillet 2025 porte nomination du directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques
Outre-mer
- Un décret du 29 juillet 2025 modifie le décret n° 55-972 du 16 juillet 1955 relatif aux saisies-arrêts, cessions et retenues sur les traitements ou salaires des travailleurs visés par l’article 1er de la loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952
RGPD / IA
- Délibération de la Cnil du 5 juin 2025 portant adoption d’une quatrième recommandation sur l’application du règlement général sur la protection des données au développement des systèmes d’intelligence artificielle
Santé / sécurité
- Un arrêté du 29 juillet 2025 précise les modalités de formation et d’exercice des missions des intervenants en prévention des risques professionnels exerçant en carrières et abrogeant divers arrêtés relatifs à l’organisation de la prévention en matière de sécurité et de santé dans les mines et carrières
- Un décret du 29 juillet 2025 prévoit l’organisation de la prévention des risques professionnels dans les mines et les carrières
Travailleurs étrangers
- Un décret du 28 juillet 2025 modifie les modalités de contentieux en matière de visas court séjour et de naturalisation, et aux litiges liés au paiement de la contribution au service public de l’électricité au titre des années 2009 à 2015
- Un arrêté du 28 juillet 2025 modifie l’arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d’établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
Source : actuel CSE
Vers un meilleur partage du congé parental au sein du couple : la réforme de 2015 a en partie raté sa cible
01/08/2025
Dans une étude publiée le 17 juillet 2025, le Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) revient sur la réforme du congé parental entrée en vigueur en 2015. L’objectif de cette réforme était d’encourager un meilleur partage de ce congé entre les parents et de favoriser le retour en emploi des mères. Pour les familles donnant naissance à un deuxième enfant ou plus, l’indemnisation a été réduite de trois à deux ans en cas de non partage.
L’étude montre que la réforme n’a pas réellement permis un meilleur partage du congé, puisque le recours des pères demeure très marginal. “Les mères ne pouvant plus profiter d’une indemnisation pendant trois ans, la réforme faisait le pari d’une « prise de relais » du congé indemnisé par les pères (au plus tard) aux deux ans de l’enfant, explique le CEET.
Dans les faits, cette prise de relais ne s’est pas produite ou que très marginalement. Le recours au congé indemnisé des pères d’un deuxième enfant ou plus a augmenté de 1,4 point de pourcentage pour le congé à taux partiel et de 0,2 point pour le congé à taux plein”.
“Une première explication peut résider dans la faiblesse de l’indemnisation perçue en cas de congé parental”, indique le CETT. Toutefois, nuance l’étude, “la dimension financière est (…) loin d’être la seule cause de ce partage inégalitaire du congé parental. Il s’explique aussi par l’existence de stéréotypes de genre qui jouent sur le rapport au congé parental des parents”.
En revanche, “la réforme a bien permis un retour en emploi plus précoce de certaines mères, note le CEET. Le taux d’emploi des mères de deux enfants ou plus a augmenté de 5,5 points au cours de la troisième année de leur enfant, passant de 56,9 % à 62,4 %. Si l’on rapporte cette augmentation aux seules mères qui ont dû renoncer à un congé indemnisé de trois ans, cela signifie qu’un peu plus d’un tiers d’entre elles (35,7 %) sont en emploi au cours de cette troisième année, tandis que près des deux tiers n’y sont pas”.
À noter toutefois : “près de deux tiers des mères ayant dû renoncer à une troisième année d’indemnisation ne sont pas retournées en emploi (64,3 % plus précisément). La réforme a ainsi généré des situations où les mères sont restées en congé parental sans indemnisation la troisième année”.
Source : actuel CSE
Nos articles sur le plan Bayrou
01/08/2025
Nous avons déjà consacré de nombreux articles aux mesures “sociales” annoncées le 15 juillet par François Bayrou en vue du budget 2026. Voici un récapitulatif des principaux articles pour vous y retrouver.
Pour nos articles sur les mesures et leur contexte :
- Un article le 16 juillet portant sur l’ensemble des mesures avec les premières réactions syndicales : Suppression de jours fériés, gel des prestations sociales, arrêts maladie, contrats de travail : le plan à 43,8 milliards de François Bayrou ;
- Un focus le 17 juillet sur les nouvelles négociations interprofessionnelles demandées par le gouvernement ;
- Un article du 25 juillet détaillant toutes les mesures que le gouvernement demande aux partenaires sociaux de traiter (jours fériés, congés et temps de travail, formes d’emploi, arrêts maladie, qualité du travail, formation, chômage, rupture conventionnelle, licenciement, etc.) ;
- Un article du 30 juillet : Plan Bayrou : l’état du droit sur les congés et le temps de travail
Pour nos articles critiques sur ces mesures et leurs effets :
- Une analyse critique le 21 juillet, par un expert CSE, des risques de ralentissement de l’activité économique du fait du plan Bayrou ;
- Une analyse critique le 21 juillet sur les chiffres d’économies avancés par le Premier ministre ;
- Un bref article le 22 juillet sur les syndicats refusant les rendez-vous avec la ministre du Travail ;
- Un article du 28 juillet sur l’analyse par l’Unedic d’une possible changement des comportement au sujet des ruptures conventionnelles en cas de règles d’indemnisation chômage moins favorables ;
- Une analyse le 29 juillet de l’initiative intersyndicale de la pétition contre le plan Bayrou.
Source : actuel CSE
Les sujets à suivre…
01/08/2025
Voici quelques sujets qui devraient retenir votre attention à la rentrée :
- la rentrée sociale avec notamment la riposte syndicale au plan Bayrou : une pétition intersyndicale a été lancée et FO a annoncé fin juillet un préavis de grève débutant dès le 1er septembre ;
- les développements du plan Bayrou : initiatives de l’exécutif et réactions des partenaires sociaux à l’invitation de négocier (Ndlr : syndicats et patronat sont censés s’accorder avant la fin septembre sur les modalités de suppression de deux jours fériés, les autres sujets devant être négociés avant la fin de l’année) ;
- la préparation du projet de loi de finances (disposition sur jours fériés) et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PFLSS) qui doit comprendre les nombreuses mesures d’économies du plan Bayrou (gel des prestations sociales, réduction du délai de contestation d’un licenciement, statut de la rupture conventionnelle collective, etc.) ;
- le vote définitif à l’Assemblée nationale du projet de loi transposant l’accord interprofessionnel portant sur les seniors (négociation spécifique, nouveaux entretiens, volet transitions professionnelles, etc.) et le CSE (fin de la limite des 3 mandats successifs). Voir à ce sujet notre quiz dans cette même édition ;
- l’évolution de la conjoncture économique et ses effets sur l’emploi ;
- d’autres sujets à l’agenda social comme la refonte de l’index professionnel entre les hommes et les femmes, etc.
Source : actuel CSE