Scrutin TPE : l’abstention sera-t-elle enrayée ?
25/11/2024
Le scrutin dans les très petites entreprises (TPE), celles qui emploient moins de 11 salariés, se déroule cette semaine. Plus de 5,4 millions de salariés sont invités à voter pour l’une des 25 organisations syndicales candidates. Explications sur cette avant-dernière brique de mesure de l’audience des organisations syndicales.
Le cru 2024 démentira-t-il les précédents ? Le scrutin organisé dans les très petites entreprises (TPE) qui débute ce lundi 25 novembre (*) connaît généralement une très faible participation. En 2021, seuls 266 000 salariés, sur un corps électoral de 5 millions, avaient pris la peine de voter par correspondance ou par mode électronique.
La participation à cette élection particulière affiche une baisse continue depuis sa création :
- 5,4 % en 2021 ;
- 7,3 % en 2017 ;
- 10,3 % en 2012.
Il faut dire que l’enjeu du scrutin peut ne pas sauter aux yeux des salariés concernés.
D’une part, en l’absence d’élections professionnelles et d’instances représentatives dans les TPE, ce scrutin sert à compléter la mesure d’audience globale des organisations syndicales, qui détermine la représentativité des organisations, et donc décide de leur capacité ou non à négocier et à signer des accords au niveau national interprofessionnel et dans les branches.
L’enjeu est donc réel sur le plan du dialogue social national et conventionnel, car ce sont bien les syndicats qui négocient les conventions collectives qui fixent les conditions de travail des salariés des TPE. Mais qui, parmi les salariés de ces petites entreprises, souvent très éloignés de tout contact syndical, est au fait de ce mécanisme et de ses enjeux ?
Des représentants dans des commissions régionales interprofessionnelles
D’autre part, cette élection ne désigne pas, comme c’est le cas pour les entreprises à partir de 11 salariés, et plus encore à partir de 50 salariés, des représentants du personnel amenés à dialoguer directement avec l’employeur et donc à même d’apporter des réponses ou des avancées au personnel.
Le scrutin TPE, organisé sous forme de choix d’une étiquette syndicale (on parle d’une élection de sigles, et non de personnes), permet de désigner des représentants au sein des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI), représentants chargés de porter les intérêts des salariés.
Il s’agit d’instances paritaires (10 représentants d’organisations patronales et 10 d’organisations syndicales) où ont lieu des échanges sur l’emploi, la formation, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), les conditions de travail et la santé au travail, l’égalité F/H, etc. Les conséquences de ces discussions sur les conditions d’emploi des salariés des TPE sont, dirons-nous, très inégales selon les régions.
Certes, les syndicats s’appuient sur l’exemple des commissions de l’artisanat pour expliquer qu’il est possible d’apporter, via ces commissions, des activités sociales et culturelles aux salariés des très petites entreprises. On peut aussi soutenir que le scrutin TPE permettra aux syndicats de mieux représenter les salariés lors des discussions au niveau des conventions collectives, donc dans les branches.
Il y a enfin, on ne saurait l’oublier, un impact sur les prud’hommes de cette élection, et cela peut constituer une motivation de vote. En effet, dès lors que le scrutin TPE concourt à mesure de l’audience syndicale, il participe aussi à la désignation des conseillers prud’hommes par les organisations syndicales (**).
Tout cela est vrai, mais ce n’est guère comparable à l’action et à l’impact des élus CSE et des délégués syndicaux dans une entreprise.
“Il faudra tirer les enseignements du scrutin”
Dès lors, comment inciter les salariés à voter ? Une évolution vers un scrutin direct dans les TPE voire un renforcement des attributions des CPRI est-elle envisageable ? Interrogée lors du point presse sur le scrutin TPE le vendredi 22 novembre, la ministre du travail a répondu très prudemment : “Il faudra tirer les enseignements de cette élection pour voir avec les partenaires sociaux comment avancer”, a dit Astrid Panosyan-Bouvet. De son côté, la DGT semble miser sur la simplicité du vote électronique, l’électeur pouvant s’identifier via France Connect.
Cela étant dit, le ministère du travail et la direction générale du travail (DGT) n’entendent pas laisser dire que rien n’est fait pour assurer la publicité de ce scrutin. L’Etat organise une campagne de communication avec des spots radio, perçu par le ministère comme un média de proximité, et des podcasts, mais aussi des visuels et vidéos partagés sur les réseaux sociaux et un affichage public. Le message consiste à vanter les mérites et les résultats concrets de l’action syndicale auprès des salariés des TPE comme on le voit sur les images ci-dessous.
De quoi assurer un rebond de la participation ? Même la ministre ne s’y risque pas : “Un objectif chiffré ? A minima, il faut déjà enrayer la baisse de participation, et si possible l’augmenter”, nous répond-elle. Cette année, le scrutin compte 500 000 inscrits de plus qu’en 2021, du fait selon la Direction générale du travail de l’effort de communication fait par les partenaires sociaux sur les inscriptions, la ministre remerciant au passage l’U2P, l’organisation patronale des très petites entreprises.
Au total, ce sont 5,4 millions de salariés et apprentis (dès 16 ans révolus, quelle que soit leur nationalité) qui sont invités à choisir l’une des 25 organisations syndicales candidates, parmi lesquelles figurent les Gilets jaunes, une présence contestée par les confédérations syndicales mais finalement admise par les juges.
Sur ce total, 4,6 millions de salariés sont employés dans des TPE et 730 000 sont employés à domicile par des particuliers.
Le calendrier pour les résultats et la mesure de l’audience
Après la clôture du scrutin TPE le 9 décembre à 17h, le dépouillement aura lieu du 13 au 19 décembre, et les résultats seront annoncés le 19 décembre.
Ils seront pris en compte pour la détermination globale de l’audience syndicale dans le secteur privé. “Ce sera l’avant dernière brique de la représentativité syndicale”, comme le dit Pierre Ramain, le DGT. Il reste en effet l’élection aux chambres d’agriculture prévue en janvier 2025. Ensuite, l’administration du travail pourra mouliner tous les résultats (élections CSE, TPE, chambres d’agriculture) pour annoncer enfin la nouvelle mesure de l’audience des organisations syndicales. Ce devrait être fait en avril 2025.
Les arrêtés de représentativité, très nombreux dans les branches, seront publiés entre juin – date prévue pour la nouvelle répartition des sièges dans les conseils de prud’hommes résultant du nouveau rapport de forces syndical – et décembre 2025.
(*) Les salariés pourront voter par mode électronique du lundi 25 novembre 2024 à 15 heures au lundi 9 décembre 2024 à 17 heures et par correspondance du lundi 25 novembre 2024 au lundi 9 décembre 2024 inclus pour l’envoi des bulletins de vote. Sur les modalités de vote, voir le site d’information du gouvernement.
(**) La détermination du nombre de sièges de chaque section de chacun des conseils prud’hommes se fait en fonction de l’audience syndicale pour le collège des salariés et de l’audience patronale pour le collège des salariés. En ce qui concerne le collège des salariés : pour chaque organisation syndicale, sont pris en compte les suffrages retenus pour la mesure de l’audience au niveau national et interprofessionnel, déclinés au niveau des départements et des sections.
Les résultats du scrutin TPE de 2021 |
Il y a trois ans, comme on le voit ci-dessus, la CGT était arrivée en tête (26.3 % des voix), devant la CFDT (16.4 %), l’UNSA (15,9 %) qui avait réalisé une percée, FO (13,8 %), la CFTC (5,9 %), Solidaires (4,2 %), etc… En 2024, on compte 25 organisations candidates, 10 au niveau national, 7 au niveau régional, et 8 au niveau national et professionnel. |
Bernard Domergue
Élections TPE et Gilets jaunes : la Cour de cassation rejette les pourvois des confédérations
28/11/2024
La Cour de cassation a tranché sur les candidatures aux élections TPE : elle rejette les pourvois des confédérations et légitime son statut de syndicat à l’Union Syndicale Gilets Jaunes (USGJ). Se retranchant derrière l’appréciation des juges du fond, elle fait varier ses modalités de contrôle en fonction des sujets.
Il aura fallu deux jugements du Tribunal judiciaire de Paris et deux arrêts de cassation pour venir à bout du dossier. Alors que les élections TPE ont commencé ce lundi 25 novembre, la Haute juridiction a signé la fin des recours confédéraux en rejetant leurs pourvois. En faisant varier son niveau de contrôle en fonction des sujets qui lui étaient soumis par la CFTD, la CGT, FO, la CFE-CGC, la CFTC et l’Unsa, la Cour se retranche plusieurs fois derrière l’appréciation souveraine des juges du fond pour faire droit aux demandes de l’USGJ et rejeter les arguments des syndicats.
Rappelons que la Cour de cassation n’est pas censée se prononcer sur les faits d’un dossier mais uniquement sur les points de droit du litige. Son contrôle normatif peut se décliner sous quatre formes :
- L’absence de contrôle lorsque le juge de première instance dispose d’un pouvoir discrétionnaire ;
- Le contrôle restreint limité à l’existence d’une motivation apportée à son jugement par le juge du fond ;
- Le contrôle léger ou contrôle de légalité sur les conséquences juridiques d’un constat de fait ;
- Le contrôle lourd lorsque la cour d’appel ne pouvait, à partir des faits, qu’aboutir à la solution retenue, sous peine de voir son arrêt cassé pour violation de la loi.
Dans cet arrêt, la Cour exerce un plein contrôle sur la qualification d’union de l’USGJ et un contrôle léger sur sa transparence financière, l’activité syndicale et le respect des valeurs républicaines. Explications de ses positions sur chacun des arguments portés par les confédérations.
Sur l’activité syndicale de l’USGJ
Les confédérations soutenaient que l’USGJ ne pouvait prétendre à candidater aux élections TPE en raison de la nature résiduelle de son activité syndicale. Elles soulignaient que l’USGJ poursuivait des motivations politiques, par exemple en s’opposant publiquement au vaccin contre le Covid. “Sur 480 revendications de l’USGJ, seulement 28 d’entre elles étaient de nature professionnelle, soit moins de 6 %”, indiquent par exemple FO, la CFE-CGC, la CFTC et l’Unsa. Les confédérations pointaient également la faible implantation de l’USGJ en entreprise et la faiblesse de ses activités purement syndicale (une vingtaine de représentants de sections syndicales, des candidatures aux élections professionnelles dans une dizaine d’entreprises).
Malgré ces arguments de poids, la Cour de cassation considère que les moyens ne sont pas fondés. Elle renvoie à l’appréciation souveraine des juges du fond : le Tribunal a constaté, “dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de fait et de preuve produits au débat, sans violer le principe de la contradiction ni inverser la charge de la preuve”.
De ce fait, en s’appuyant sur le principe de liberté syndicale, elle se limite à déduire des constatations du Tribunal judiciaire que “l’expression publique de l’USGJ, bien qu’inspirée par des postures politiques plus larges, n’est pas exclusive de sujets touchant à la sphère professionnelle tels que la situation des travailleurs dont le contrat de travail a été suspendu du fait de leur statut vaccinal, la réforme des retraites, le service public hospitalier ou l’intérim”.
De plus, elle considère qu’en soutenant des salariés contre leur employeur, en désignant des représentants de sections, en participant à des scrutins professionnels, en diffusant une propagande sur les conditions de travail et en négociant certains protocoles d’accords préélectoraux les activités syndicales de l’USGJ sont suffisamment caractérisées malgré leur faible volume.
De ce fait, elle conclut : “Le tribunal a pu retenir que l’USGJ ne poursuivait pas un but essentiellement politique, peu important qu’elle dispose d’une faible implantation au niveau national et que son audience électorale soit limitée”.
► La conseillère référendaire à la Cour de cassation (un poste de Haute magistrature dont le statut participe du dialogue entre la Cour de cassation et les juridictions du fond) apporte un éclairage sur cette position dans son rapport car elle considère que la faible implantation de l’USGJ, sa faible audience électorale et son incapacité à participer à la négociation collective d’entreprise “sont étrangères aux conditions requises par l’article L.2122-10-6 du code du travail pour ouvrir le droit à une organisation syndicale de se déclarer candidate au scrutin”. |
Sur le respect des valeurs républicaines
Les confédérations faisaient valoir le défaut de respect des valeurs républicaines par l’USGJ, un critère essentiel à la reconnaissance de la qualité de syndicat exigé par l’article L.2122-10-6 du code du travail. L’USGJ avait par exemple adressé une lettre ouverte aux députés ayant voté la loi sur la
gestion de la crise sanitaire indiquant “nous n’oublierons pas vos noms”, ce qui pouvait passer pour un passage à des actions violentes à l’égard de personnes physiques. Sa propagande évoquait également des interventions “en mode gilet jaune avec des actions coups de poing”.
Une fois encore, la Cour retient l’appréciation du Tribunal judiciaire. Elle juge que “la critique (…) des votes émis par des membres du Parlement ou de décisions rendues par une juridiction, n’est pas, en soi, contraire aux valeurs républicaines”. Le Tribunal ayant décidé ne pas pouvoir déduire des écrits de l’USGJ qu’elle entendait recourir à la violence, et que “le grief de complotisme était général et diffus”, la Cour juge qu’il a pu en déduire que les organisations syndicales requérantes n’apportaient pas la preuve du non-respect, par l’USGJ, des valeurs républicaines.
► Le critère de respect des valeurs républicaines fait l’objet d’une “interprétation stricte” qui suppose que soit précisément identifiée la valeur républicaine qui est violée. C’est pourquoi la Cour ne retient pas les critiques du pouvoir politique comme violant les valeurs républicaines. En revanche, selon le rapport de l’avocate générale, ” l’appel à des actions violentes pourrait éventuellement caractériser un non-respect des valeurs républicaines”. La Cour n’a cependant pas suivi son avis. |
Sur le caractère fictif des syndicats affiliés à l’USGJ
Autre série d’arguments portés à l’encontre de l’USGJ : le caractère fictif des syndicats qui lui sont affiliés. En effet, il ressortait des statuts et récépissés de dépôt de ces syndicats que leur date de création était postérieure à celle de l’USGJ alors qu’elle aurait dû, au contraire les précéder. Une union syndicale suppose l’affiliation régulière d’au moins deux syndicats dits “primaires” c’est-à-dire préexistants.
Les confédérations relevaient également le caractère fictif de ces syndicats. Sur ce sujet, le tribunal judiciaire leur avait demandé d’en rapporter la preuve, alors que la fictivité semble par définition impossible à prouver. Elles faisaient donc valoir que le tribunal commettait une inversion de la charge de la preuve et que seule l’USGJ devait prouver le caractère réel de ses syndicats affiliés.
Sur ce point, la Cour considère que l’USGJ a rapporté la preuve de l’existence réelle de ses syndicats affiliés. L’USGJ a modifié ses statuts pour changer sa dénomination et entériner l’affiliation du syndicat GJ commerces restauration hôtellerie et services et du syndicat GJ culture et communication. Les statuts de l’USGJ, accompagnés de la liste des noms et adresses des deux syndicats, ont été respectivement déposés en mairie les 19 et 23 octobre 2020.
Pour la Cour, le tribunal “en a exactement déduit”, expression qui signe un plein contrôle de cassation, “que ces formalités ont permis à l’USGJ de disposer des éléments nécessaires à la reconnaissance légale d’une union de syndicats, peu important qu’elles aient été accomplies à l’occasion de la modification de ses statuts”.
► Pour l’avocate générale à la Cour de cassation, seule l’USGJ pouvait présenter sa candidature au scrutin TPE, à l’exclusion de toute candidature des organisations primaires affiliées. De ce fait, “aucune fraude de l’USGJ ne pouvait être reconnue liée à l’affiliation de fait du SCID”. C’est sans doute ce point qui a emporté l’adhésion de la Cour de cassation. |
Sur l’indépendance et la transparence financière
L’article L.2122-10-6 du code du travail requiert également des syndicats représentatifs un critère d’indépendance. Or, l’USGJ entretenait des liens avec le SCID (Syndicat commerce et services indépendants démocratique), séparé de la CFDT en raison de désaccords avec la confédération dirigée à l’époque par Laurent Berger. Le SCID ayant fourni une aide matérielle à l’USGJ, les syndicats considéraient que l’USGJ ne pouvait remplir le critère d’indépendance. Ils portaient également des arguments relatifs à une candidature frauduleuse de l’USGJ aux élections professionnelles, la CFDT soutenant que “commet une fraude au critère d’indépendance l’union syndicale qui présente sa candidature au scrutin [TPE] en même temps qu’un syndicat qui lui est affilié de manière occulte et avec lequel elle entretient des liens d’interdépendance ainsi qu’une communauté d’intérêts et de direction”.
Un principe très ancien du droit veut que “la fraude corrompt tout”. Cela signifie que tout acte entaché de fraude peut faire l’objet d’une action en nullité. Il permet de sanctionner la mauvaise foi et la fraude à la loi. Pourtant, la Cour de cassation juge que “seule la candidature de l’organisation syndicale nationale interprofessionnelle doit être validée, quand bien même elle serait postérieure à la candidature d’une organisation syndicale affiliée dont les statuts ne lui donnent pas vocation à être présente au niveau interprofessionnel, et nonobstant toute stipulation statutaire contraire”.
Pour Isabelle Goulet, avocate des confédérations dans ce dossier, “se placer sur le terrain de la candidature nationale interprofessionnelle est tout à fait logique. Mais à partir du moment où l’USGJ est affiliée avec le SCID, la Cour aurait pu tirer des conséquences mais elle ne le fait pas”. De plus, la Cour de cassation elle-même dans un autre arrêt du même jour (n° 24-20.894) donne raison aux confédérations contre le SCID et reconnaît son défaut d’indépendance par rapport à l’USGJ. Il est donc étonnant qu’elle n’ait pas relevé ce même point dans l’affaire opposant l’USGJ aux confédérations.
Enfin, la Cour retient que l’USGJ respecte le critère de transparence financière, “peu important qu’elle ne justifie pas de l’approbation des comptes pour l’exercice 2023”.
Selon l’avocate Isabelle Goulet, les voies de recours contre l’USJG sont désormais épuisées, hormis devant la Cour européenne des droits de l’Homme mais les arrêts de cassation rendus sur le dossier rendent cette saisine peu probable. Les syndicats historiques devront donc désormais affronter l’USGJ dans l’entreprise et non dans les prétoires. C’est donc sur le terrain et auprès des salariés que la campagne se poursuit.
Marie-Aude Grimont