Plan d’investissement dans les compétences : un dispositif difficile à évaluer
Lancé en 2018, le plan d’investissement dans les compétences, censé améliorer le retour à l’emploi des personnes les moins qualifiées, a été fortement perturbé par la crise sanitaire. Au-delà, le dispositif ne semble pas avoir vraiment réduit les inégalités d’accès aux formations des chômeurs les plus vulnérables, selon le comité scientifique d’évaluation ad hoc.
Doté de 15 milliards d’euros sur la durée du quinquennat, le plan d’investissement dans les compétences, programme phare d’Emmanuel Macron pour enrayer la montée du chômage des jeunes éloignés du marché du travail et des demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés, a-t-il tenu ses promesses ? A-t-il permis de former des personnes non qualifiées ? Et surtout ces formations ont-elles débouché sur une insertion professionnelle durable ?
Emmanuel Macron promettait de former un million de jeunes et un million de demandeurs d’emploi sur tout le quinquennat, sur la période 2018-2022, via ce plan.
Un élan “brisé par la crise sanitaire”
Dans un rapport publié le 25 novembre, le comité scientifique indépendant d’évaluation du plan d’investissement dans les compétences (Pic) dresse un bilan plutôt nuancé de ce dispositif. “Il n’est pas encore possible de mesurer l’effet du Pic sur la valeur ajoutée de la formation des demandeurs d’emploi en France à la fois parce que c’est trop tôt et en raison des effets sanitaire qui a percuté sa mise en œuvre”, répond Marc Gurgand, le président du comité scientifique et professeur à l’Ecole d’économie de Paris.
Côté positif, il note que le Pic est monté rapidement en puissance : en 2019, 905 000 personnes ont été formées grâce à ce dispositif, contre 796 000, en 2018. Mais cet élan a été “brisé par la crise sanitaire”, avec une chute de quelque 200 000 inscrits. Le comité scientifique comptabilise ainsi 701 000 inscrits en 2020 ; un chiffre qui inclut toutefois 307 000 CPF autonomes venus compenser la baisse de l’offre proposée par les régions et Pôle emploi. Or, le CPF est distinct des actions du Pic, car le premier “porte massivement sur des formations courtes” quand le second vise des formations longues et qualifiantes.
Surtout la pandémie a pénalisé les moins qualifiés. “Lors des deux premiers confinements, les personnes avec un diplôme inférieur au baccalauréat ont connu plus souvent une interruption de leur formation”, relate le rapport. Au printemps 2020, “39 % des formations suivies par des demandeurs d’emploi avec un niveau inférieur au baccalauréat se sont complètement interrompues, alors que cette proportion est inférieure de 10 points de pourcentage pour ceux ayant un niveau de diplôme au moins équivalent au baccalauréat”.
Les non diplômés n’ont pas bénéficié plus fortement de formation
Mais la crise n’explique pas tout. Et c’est là que le bât blesse. Les non diplômés n’ont pas bénéficié plus que les autres demandeurs d’emploi de formation. A l’exception des jeunes, ils restent sous-représentés parmi les personnes formées. “Alors qu’ils représentent 56 % de l’ensemble des demandeurs d’emploi en 2018 et 2019, les personnes peu diplômées ne constituent que 52 % des entrées en formation, une part qui n’a pratiquement pas évolué sur la période”. Par ailleurs, l’accent mis par le Pic sur les formations qualifiantes ne s’est pas fait en leur faveur. Les peu diplômés ont moins accédé aux formations qualifiantes que les personnes plus qualifiées. En effet, le taux d’accès aux formations certifiantes n’a augmenté que de 0,7 point pour les premiers, contre 1,1 points pour les titulaires d’un niveau au moins égal au bac.
Taux de retour à l’emploi supérieur de sept points
Enfin, le Pic améliore-t-il le retour à l’emploi ? S’il faut attendre 2022 pour avoir des données précises, le comité scientifique observe toutefois une corrélation entre formations suivies et insertion professionnelle : un an après l’entrée en formation, un taux de retour à l’emploi supérieur de sept points pour les personnes formées par rapport à des demandeurs d’emploi de profil comparable. L’écart entre les personnes formées et non formées est de 6,8 points de pourcentage à l’avantage des premières sur les taux de retour à l’emploi à 12 mois, et de 9,4 points avec un horizon temporel de 18 mois.
“L’investissement dans la formation des demandeurs d’emploi est important et utile”, voire “absolument essentiel”, insiste Marcel Gurgand. Reste que “nous manquons encore de recul pour savoir si la mobilisation de cet outil a permis à certaines personnes d’accéder à des formations auxquelles elles n’auraient pas eu accès sinon, ou si ce financement « autonome » est venu se substituer à d’autres sources de financement”, constate le rapport.
Au-delà, “le déploiement du Pic sur les trois premières années ne semble pas avoir vraiment réduit les inégalités d’accès aux formations en défaveur des moins qualifiés et des jeunes en difficulté sur le marché du travail”. Si une partie de ce constat s’explique par la crise sanitaire, “il semble peu probable que l’objectif de fournir deux millions de formations supplémentaires au bénéfice des publics les plus éloignés de l’emploi puisse être tenu sur les cinq années initialement prévues par le plan”. Ce programme d’ampleur ayant également profité, à ce stade, à des demandeurs d’emploi plus qualifiés.
Anne Bariet