Les représentants du personnel critiquent l’évolution de la négociation collective d’entreprise

23/04/2024

Selon l’enquête menée par le Cercle Maurice Cohen auprès de 150 représentants du personnel, le développement de la négociation d’entreprise encouragée par les pouvoirs publics donne des résultats plutôt décevants, tant dans la méthode que sur le fond.

Quel est l’effet produit par la volonté publique, ces dernières années, de renforcer la négociation collective d’entreprise, en donnant parfois à ces accords la possibilité de déroger à des dispositions plus favorables ? Quel est le regard des élus et syndiqués sur les accords signés ces 5 dernières années dans leur entreprise ? Tel est l’objet de l’enquête conduite par le Cercle Maurice Cohen, un groupe de réflexion qui rassemble élus du personnel, syndicalistes, consultants, avocats, chercheurs et inspecteurs du travail, tous attachés à la défense des institutions représentatives du personnel (1).

Les réponses données par 150 représentants du personnel (2) dénotent un nombre d’accords “relativement élevé” au niveau de l’entreprise : ces cinq dernières années, 56% des élus interrogés dénombrent plus de 5 accords négociés. Un constat logique pour le cercle Maurice Cohen qui souligne le nombre important de négociations rendues obligatoires par le législateur. Le même constat vaut pour les accords signés au niveau des groupes d’entreprises, en forte augmentation (ces 5 dernières années, 46% des entreprises faisant partie d’un groupe ont signé au moins un accord collectif de groupe).

Commentaire du cercle de réflexion : “Cette évolution correspond à une stratégie de négociation des directions de groupe qui entendent éloigner les négociateurs syndicaux des salariés. On entend souvent les délégués syndicaux d’entreprise vous dire que tout se passe au niveau du groupe et ils se sentent impuissants et inutiles (..) Cette stratégie d’éloignement correspond à la structuration de la représentation élue du personnel”.

CSE : davantage de textes sur le fonctionnement que sur les établissements distincts

A l’inverse, le Cercle Maurice Cohen défend l’idée de “multiplier les CSE d’établissement pour animer un dialogue social de proximité qui lui-même générera une vie syndicale plus proche des salariés”.

Mais ce n’est pas vraiment la tendance. Car si les répondants font état de nombreux accords relatifs au fonctionnement du CSE, en revanche, les accords sur les établissements distincts et les représentants de proximité sont beaucoup moins présents. Et si les accords portant sur les consultations du CSE sont nombreux dans cette enquête, il ne faut pas oublier, note le Cercle, que ces textes négociés parfois façon “marchand de tapis” encadrent souvent la possibilité de recourir à des expertises “en en limitant le nombre ou en ne les admettant qu’au niveau du groupe”. 

Les thèmes faisant l’objet des accords les plus nombreux concernent l’égalité professionnelle (“mais cette négociation a-t-elle fait reculer les inégalités F/H ?” s’interrogent les auteurs de l’enquête) et l’intéressement-participation, cette thématique étant portée “par l’élargissement des facilités fiscales et sociales (..), ces accords coûtant moins cher aux employeurs qu’une augmentation générale des salaires”. 

Pour les représentants du personnel interrogés, les accords collectifs sont-ils de nature à améliorer les dispositions légales ou conventionnelles ? Comme on le voit ci-dessous, les réponses positives sont moins nombreuses que celles qui indiquent une absence d’effet voire une régression par rapport à la loi ou par rapport à la convention collective. 

Ces réponses, même si elles ne résultent pas d’un sondage organisé de façon représentative, illustrent pour le Cercle Maurice Cohen une évolution “dangereuse” de la négociation sociale : avec la remise en cause du principe de faveur, “la négociation n’est plus synonyme de progrès social, elle peut même être source de danger”. 

Ainsi, comme on le voit ci-dessous, les accords d’entreprise sont qualifiés de “donnant-donnant” par 53% des élus, plus de 35% considérant qu’ils ont supprimé des avantages existants jusqu’alors.

La question d’une déloyauté des négociations

L’enquête met encore en avant le fort taux de réponse indiquant l’insuffisance de l’information donnée par l’employeur lors des négociations, ce qui pose pour l’association la question de la loyauté des négociations, d’autant que 72% des élus estiment “non efficiente” la commission de suivi des accords et qu’une majorité (54%) dit ne pas avoir été accompagnés par un conseil lors de ces négociations.

Commentaire du Cercle Maurice Cohen : “Alors que le principe de faveur ne régit plus la hiérarchie des sources du droit du travail, que ce droit s’est complexifié, la majorité des représentants du personnel ayant répondu à notre enquête ne ressentent pas le besoin de se faire assister ou n’en ont pas les moyens”.  

Pour finir, l’appréciation globale des élus, lorsqu’ils sont interrogés sur la manière dont les négociations collectives sont menées dans l’entreprise, fait apparaître une insatisfaction forte et majoritaire. “Ce qui m’a frappé dans ces résultats, c’est la montée en puissance d’une forme de méfiance de la part des représentants du personnel sur la négociation collective d’entreprise”, conclut Fabrice Signoretto, membre du Cercle Maurice Cohen. 

(1) Nous publions régulièrement les travaux et points de vue de ce Cercle dans nos colonnes, comme par exemple les chroniques portant sur la négociation des accords à l’occasion du renouvellement des CSE. 

(2) L’enquête a pris la forme d’une réponse à un questionnaire, diffusé de juin à novembre 2023. Sur les 150 répondants à cette enquête (il ne s’agit donc pas d’un sondage strictement représentatif), 95% ont un mandat et 94,5% ont participé à des négociations collectives. 67% des répondants ont plus de 50 ans et 48% ont de 36 à 50 ans. Ils ont en moyenne 20 ans d’ancienneté dans leur entreprise.

Bernard Domergue

L’U2P propose un nouveau dispositif de reconversion professionnelle

23/04/2024

L’Union des entreprises de proximité (U2P) discute aujourd’hui avec les organisations syndicales d’une nouvelle version du projet d’accord sur les reconversions professionnelles. Il intègre un mécanisme pour mutualiser le coût des indemnités de licenciement pour inaptitude. Les partenaires sociaux devraient aboutir à un compromis.

Après l’échec des négociations sur le pacte de la vie au travail, l’Union des entreprises de proximité (U2P) a repris la main en proposant aux organisations syndicales un nouveau round de négociations sur le compte épargne-temps universel et les reconversions professionnelles. Si un terrain d’entente a été trouvé, mercredi dernier, sur le Compte épargne-temps universel (le Cetu), les partenaires sociaux doivent discuter, ce 23 avril, des reconversions professionnelles, sur la base d’un nouveau texte transmis vendredi 19 avril. L’objectif de créer un mécanisme “simple” et “efficace”, intitulé “période de reconversion”.

Le projet d’accord prévoit une période de reconversion “permettant à un salarié employé dans une entreprise de suivre une formation qualifiante ou diplômante”. Elle alterne “période de formation en entreprise et période de formation dans un organisme de formation”. Et fait l’objet d’un accord écrit entre le salarié et l’employeur.
Fait important : durant ce laps de temps, 12 mois maximum (24 par accord d’entreprise), le contrat de travail du salarié est maintenu, sans modification, notamment de la rémunération.

A noter également : l’accès à cette période de reconversion est ouvert à “toute personne quelle que soit sa situation professionnelle antérieure, sans limitation d’âge, ni de niveau d’entrée minimal ou maximal”.

Redéploiement des crédits de la formation professionnelle

Coté budget, cette période est financée par les opérateurs de compétences. Pour les certifications inscrites au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP), le niveau de prise en charge est égal à 90 % de celui fixé pour les contrats d’apprentissage, sans jamais pouvoir être supérieur à 9 000 euros.

Sans créer de dépenses supplémentaires “ni pour les entreprises, ni pour les salariés, ni pour l’Etat”, l’U2P prévoit un redéploiement des crédits de la formation professionnelle. D’une part, en supprimant les dispositifs “Transitions collectives” et “Pro-A” pour flécher ces crédits vers la période de reconversion professionnelle. D’autre part, en s’appuyant sur les 300 millions d’euros du Fonds national pour l’emploi (FNE) portés par le budget de l’Etat. Au total, selon les calculs de l’U2P, ce dispositif bénéficierait d’une enveloppe d’environ 350 millions d’euros.

Mutualisation du coût du licenciement pour inaptitude

Par ailleurs, le projet d’accord national interprofessionnel (ANI) de l’U2P comporte deux mesures à destination des seniors.

La première vise à proposer aux salariés travaillant dans des métiers exposés à l’usure professionnelle un entretien avec un conseil en évolution professionnelle, “lors de la visite médicale à mi-carrière (45 ans)”, afin d’examiner les possibilités de reconversions.

La seconde mesure cherche à lever les freins à l’embauche des plus de 55 ans. Comment ? En instaurant un mécanisme de mutualisation de la prise en charge du coût des indemnités de licenciement pour inaptitude. Il serait “financé par la Commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de la Cnam (Caisse nationale de l’assurance maladie).

Les partenaires sociaux devraient aboutir aujourd’hui à un projet d’accord final. Lequel pourrait donner, selon Jean-Christophe Repon (U2P), vice-président de l’U2P, une “trajectoire et une dynamique” au gouvernement.

Anne Bariet

Le baromètre des branches de mars 2024

23/04/2024

Quelles ont été, en mars 2024, les nouvelles dispositions applicables dans les branches professionnelles ? Notre tableau fait le point.

Grâce à la veille de l’équipe du Dictionnaire Permanent Conventions collectives, nous vous proposons chaque mois un rendez-vous thématique consacré aux branches professionnelles. Il n’est pas question pour nous d’être exhaustif sur ce sujet, mais de vous signaler quelques tendances dans l’activité conventionnelle. Nous nous appuyons ainsi sur des accords récents et les arrêtés d’extension parus au Journal officiel qui rendent obligatoires des dispositions pour toutes les entreprises d’une branche.

Ce baromètre nous paraît d’autant plus intéressant que la loi Travail, puis les ordonnances Macron, ont redéfini les possibilités de négociation données aux branches par rapport aux niveaux de la loi et de la négociation d’entreprise. En outre, une vaste opération de fusion des branches existantes est en cours, le gouvernement souhaitant en réduire fortement le nombre. La Conférence sociale d’octobre 2023 a d’ailleurs relancé ce sujet.

► CCN : convention collective nationale

► IDCC : identifiant des conventions collectives (numéro de 1 à 4 chiffres sous lequel une convention collective est enregistrée).

  Baromètre des branches de mars 2024
Volume des textes parus au Journal officiel relatifs aux branches professionnelles68 accords élargis/étendus, dont 57 au moins partiellement relatifs aux salaires, sont parus au Journal officiel du 1er au 31 mars 2024. Une fois étendus ou élargis, les accords et avenants deviennent obligatoires pour tous les employeurs, généralement le lendemain de la date de la publication de l’arrêté au Journal officiel. 

Exemples d’accords ou avenants étendus ou agréés :

Un texte relatif à la mise en place du travail hybride ou télétravail signé dans la branche des bureaux d’études techniques (IDCC 1486, lire l’arrêté).  
ParentalitéBranches des industries alimentaires diverses (5 branches) :

avenant n° 22 du 19 janvier 2024 applicable depuis le 1er janvier 2024. Les partenaires sociaux améliorent le congé exceptionnel en cas de décès d’un enfant.

Branche du courtage d’assurances :

avenant du 31 janvier 2024 applicable à compter de son extension. Les partenaires sociaux prévoient l’indemnisation du congé de paternité et d’accueil de l’enfant ;
accord du 31 janvier 2024 applicable pour 3 ans à compter du lendemain de la publication de son arrêté d’extension au Journal officiel. Les partenaires sociaux aménagent la garantie d’évolution de la rémunération des salariés de retour d’un congé de paternité et d’accueil de l’enfant.

Branche de l’industrie des chaussures et articles chaussants : accord du 30 janvier 2024 applicable depuis cette même date. Les partenaires sociaux prévoient des mesures en faveur de la parentalité (rentrée scolaire, réduction horaire maternité).

Branche de fabrication et commerce de la pharmacie, parapharmacie, produits vétérinaires : accord du 13 décembre 2023 applicable depuis le 10 février 2024 et pour une durée de 4 ans. Les partenaires sociaux créent un congé rémunéré pour enfant malade ou en cas d’interruption de grossesse.  

Branche des vins, cidre et jus de fruits (secteur du champagne) : accord du 30 janvier 2024 applicable depuis le 17 février 2024. Les partenaires sociaux étendent le champ d’application du congé pour rentrée scolaire.  
Durée du travailBranche de la production et transformation des papiers-cartons :

avenant n° 9 du 19 octobre 2023 applicable depuis le 1er mars 2024. Les partenaires sociaux fixent les règles applicables en matière de travail de nuit.

Branche des régies de quartier : avenant n° 1 du 24 octobre 2023. Les partenaires sociaux reconduisent le dispositif du forfait annuel en jours pour 2 ans à compter du 1er janvier 2024.

Branche du sport :

avenant n° 197 du 19 janvier 2024 applicable à compter de cette même date. Les partenaires sociaux pérennisent le dispositif du travail à temps partiel ;

avenant n° 198 du 19 janvier 2024 applicable à compter de cette même date. Les partenaires sociaux prévoient de nouvelles majorations du travail pendant des jours fériés.  
  Période d’essaiBranche de l’assistance :

accord du 12 décembre 2023 applicable à compter du 1er avril 2024. Les partenaires sociaux fixent de nouvelles durées de période d’essai et modifient la durée du délai de prévenance en cas de rupture du contrat de travail en cours d’essai.
  Garantie d’évolution de la rémunérationBranche des salariés de coopératives de consommation :

accord du 1er décembre 2023 applicable depuis le 17 février 2024. Les partenaires sociaux prévoient une garantie d’évolution de la rémunération en cas d’absence de plus de 3 mois.  
  Champ d’application de dispositions conventionnellesBranche des entreprises de service à la personne :

avenant n° 10 du 24 novembre 2023 applicable à compter du 1er jour du mois civil suivant celui de la publication au Journal officiel de son arrêté d’extension. Les partenaires sociaux révisent le champ d’application professionnel de la CCN afin d’y intégrer les entreprises d’accueil de jeunes enfants (crèches et micro-crèches).

Branche des centres sociaux et socioculturels et autres acteurs du lien social (associations) :

avenant n° 02-24 du 7 février 2024 applicable à compter du 1er jour du mois suivant la publication au Journal officiel de son arrêté d’extension. Les partenaires sociaux élargissent le champ d’application professionnel et territorial de la CCN.

Marie-Aude Grimont, avec l’équipe du Dictionnaire permanent Conventions collectives

Compte épargne-temps, reconversions professionnelles : deux projets d’accords sont ouverts à signature jusqu’à la mi-mai

24/04/2024

Les organisations syndicales, invitées par l’U2P, ont finalisé, hier, deux projets d’accords, l’un sur le compte épargne-temps universel (Cetu), l’autre sur les reconversions professionnelles. Le gouvernement pourrait s’en inspirer pour l’écriture de l’acte II de la réforme du travail. Le Medef et la CPME n’ont pas participé aux discussions.

Deux thèmes, deux textes distincts : l’Union des entreprises de proximité (U2P) et les cinq organisations syndicales sont parvenues mardi à un compromis sur le compte épargne-temps universel (Cetu)  et les reconversions professionnelles. Les deux projets d’accords sont soumis à signature jusqu’à la mi-mai. Mais d’ores et déjà, la CFDT et la CFTC ont donné un avis positif sur le Cetu, FO est restée plus dubitative. La CFE-CGC et FO ont indiqué qu’elles ne signeraient pas le texte. Côté reconversions professionnelles, tous les syndicats, à l’exception de la CGT devraient ratifier le projet d’accord.

Le Medef et la CPME étaient absents, farouchement opposés au Cetu. La petite organisation patronale, qui pèse 5,24 % en termes de représentativité patronale (contre 69,21 % du Medef et 25,5 % de la CPME) a donc fait cavalier seul en prenant l’initiative d’engager un nouveau round de discussions plutôt bien réussi, après l’échec de la négociation sur le pacte de la vie au travail du 10 avril.

“Tout était réuni pour réussir”

Pierre Burban, secrétaire général de l’U2P, a aussitôt salué ce compromis en estimant “qu’il était de la responsabilité des partenaires sociaux de proposer [des pistes au gouvernement]” ; ces deux thèmes de négociation figurant dans le document d’orientation du gouvernement de novembre dernier.

Yvan Ricordeau (CFDT) s’est également réjoui de la “capacité du dialogue social à embarquer ces problématiques”. Même écho de la part de Michel Beaugas (FO) qui a souligné que ce compromis était “important pour la paritarisme”. “Tout était réuni pour réussir”, a résumé ainsi Christelle Thieffinne (CFE-CGC).

Certains éléments de ces deux textes pourraient être repris dans un projet de loi travail II envisagé par l’exécutif à l’automne ; le ministère du travail ne prévoyant pas de les retranscrire in extenso.

Reconversions professionnelles : un dispositif sans rupture du contrat de travail

Dans le détail, le projet d’accord sur les reconversions professionnelles pose les bases d’un nouveau dispositif, d’une durée de 12 mois maximum (24 par accord d’entreprise), sans rupture du contrat de travail (comme initialement prévu par le Medef et la CPME) et financé par un redéploiement des crédits de la formation professionnelle.

L’U2P a fait quelques concessions, hier, en ajoutant, à la demande des organisations syndicales, qu’à l’issue de son parcours, le salarié ayant obtenu sa certification “soit positionné sur un nouveau niveau de classification prévue par la branche professionnelle”.

Inaptitude : un mécanisme de mutualisation expérimental

Autre concession : le mécanisme de mutualisation du coût des indemnités de licenciement pour inaptitude, financé par la branche AT/MP, pour les salariés de plus de 55 ans, est désormais expérimental pour une durée de cinq ans et non pérenne comme envisagé initialement.

Le syndicat patronal a, en effet, dû faire une avancée vers les organisations syndicales, tant cette question constituait un point dur. Or, pour l’U2P, il s’agit d’un “sujet majeur pour lever les freins au recrutement des salariés de cette tranche d’âge” ; les petites entreprises n’ayant pas, contrairement aux plus grandes, la possibilité de reclasser le salarié visé par une inaptitude.

Un avis partagé par Eric Courpotin (CFTC) : “Les petites boites préfèrent se rabattre sur d’autres salariés que des seniors de crainte qu’un avis d’inaptitude ne leur parviennent un an après… “.

Pour éviter toute effet d’aubaine, la version finale du projet d’accord précise que cette mutualisation “n’est pas accessible aux entreprises qui ne respectent pas les dispositions relatives au reclassement et à l’adaptation du poste du travail”.

Quelle sera la portée de cette mesure ? Pierre Burban évalue son impact à “quelques dizaines de milliers d’embauches”, en rappelant que 92 % des entreprises françaises ont moins de 12 salariés. La prudence est toutefois de mise. Le texte ne cible pas les entreprises qui pourraient être éligibles à ce dispositif, préférant éviter un “procès de légitimité” ; le syndicat ne s’estimant pas légitime pour parler au nom des grands groupes.

A charge pour le gouvernement de définir la taille des entreprises pouvant avoir accès à ce dispositif, à l’appui de l’étude d’impact du projet de loi, lors de transposition législative de cette disposition.

Christelle Thieffinne (CFE-CGC) reconnaît, toutefois, qu’il s’agit d’une concession à la partie patronale, espérant que ce dispositif “permette aux seniors d’être embauchés”.

Plus tranchée, Sandrine Mourey (CGT) estime, elle, qu’il s’agit d’un “pari”. “On parie sur le fait que les entreprises qui pourront avoir les financements de la branche AT/MP pourront recruter”, soulignant que le rôle de la branche AT/MP est avant tout “la prévention et la réparation”.

Cetu : la gouvernance paritaire reste à trancher

Sur le compte épargne-temps universel (Cetu), l’U2P n’a apporté que très peu de retouches par rapport au texte finalisé le 16 avril. Les partenaires sociaux ont précisé, dans la version finale, qu’un accord de branche d’entreprise peut prévoir d’autres types d’alimentation du compte que ceux précisé dans l’accord, à l’exception des congés annuels légaux.

Par ailleurs, pour éviter toute ambiguïté, ils ont noté qu’à l’issue de la mobilisation du Cetu, le salarié retrouve son emploi dans l’entreprise tel qu’il était occupé précédemment “avec une rémunération équivalente”.

Une question reste, toutefois, à trancher : il s’agit de la gouvernance paritaire créée pour assurer le pilotage du Cetu. Le texte ne dit pas si cette l’instance ne réunira que les instances signataires (ou non) de l’accord. La balle est, là encore, dans le camp de l’exécutif.

Anne Bariet

Pour le Cese, l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle passe par la négociation et la protection du temps libre

26/04/2024

L’avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) sur l’articulation des temps professionnel et personnel a remporté un véritable plébiscite : 118 votes pour et seulement 6 abstentions. Présentées le 23 avril en séance plénière, ses 18 préconisations n’appellent à aucune modification législative majeure mais donnent toute leur place au dialogue social et au management pour mieux équilibrer les temps de vie.

Les Assises du travail avait abouti à un rapport préconisant entre autres d’”évaluer les organisations alternatives des temps de travail, notamment les différents types de semaines de quatre jours, dans le secteur privé et dans le secteur public”. Dans ce cadre, une lettre de saisine du gouvernement avait été adressée au Conseil économique social et environnemental (Cese) en octobre dernier.

Après avoir consulté près de 11 000 citoyens et réalisé auditions et entretiens, c’était hier l’heure pour le Conseil de révéler les conclusions. Cinq grands axes pour “libérer et valoriser le temps libre tout en agissant sur le temps de travail” en sont ressortis :

  • clarifier les zones grises ;
  • négocier sur l’articulation du temps de travail ;
  • engager toute la communauté de travail dans la révolution managériale ;
  • accompagner le temps personnel et encourager la reconnaissance du temps de l’engagement.

Les rapporteuses, Christelle Caillet (groupe CFDT) et Elisabeth Tomé-Gertheinrichs (groupe Entreprises), présenteront leurs recommandations ce vendredi au Premier ministre.

Le constat : “il n’y a pas de plébiscite pour un modèle unique d’organisation du temps de travail”

Parce que le rapport au travail change et que certaines évolutions des conditions de vie compliquent l’articulation travail-vie personnelle (difficultés de logement, monoparentalité, aide d’un proche, etc.), repenser un équilibre s’impose.

En effet, trois salariés sur quatre ont le sentiment de manquer de temps au quotidien et seuls 36 % travaillent sur le rythme standard de 35 heures sur cinq jours avec des horaires fixes, 75 % estimant d’ailleurs qu’il n’est pas le plus adapté à un bon équilibre personnel. Soit, mais “il n’y a pas de dispositif miracle en matière d’articulation des temps” puisque les modes alternatifs d’organisation du travail (forfait jours, horaires individualisés, semaines de ou en quatre jours, annualisation, etc.) ne semblent pas non plus recueillir un enthousiasme unanime des concernés. Pour les rapporteuses de l’avis, il y a donc deux mots centraux sur le sujet : prudence et pragmatisme, car “il faut se méfier des réponses simples et générales”.

“La résolution de l’équation passe par le dialogue social…

Malgré la complexité de la question, l’avis est très clair, le Cese considère que l’articulation des temps de vie “relève du dialogue social” et doit être déclinée aux trois niveaux de négociation :

  • au niveau interprofessionnel : le Conseil recommande l’ouverture d’une négociation sur la prise en compte des besoins des salariés à différentes périodes de la vie et en fonction des différentes situations personnelles, de même que sur des moyens pour garantir l’effectivité du droit à la déconnexion notamment. Un accord national interprofessionnel (Ani) aiderait aussi les branches et entreprises à avoir un référentiel pour s’engager dans des négociations sur ces points ;
  • au niveau des branches : une “conférence du progrès” pourrait permettre d’élaborer des diagnostics et d’organiser des pistes d’actions en faveur de l’articulation des temps. Parallèlement, des expérimentations accompagnées par l’État pourraient faire progresser le sujet ;
  • au niveau de l’entreprise : la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes pourrait être complétée par des sujets tels que l’équité de traitement des travailleurs en matière d’articulation des temps ou les situations qui ouvrent droit à des horaires individualisés.

… et le management”

“Le temps est venu de faire du projet managérial un axe important des orientations stratégiques” des entreprises. 30 % des personnes interrogées estiment en effet que le rôle du manager de proximité dans leur équilibre vie pro/vie perso a été amplifié depuis la crise sanitaire et, en parallèle, 75 % jugent que leurs journées de travail se sont intensifiées. Former les managers, leur donner des outils pour qu’ils évaluent bien la charge de travail et créer les conditions pour qu’un échange à ce sujet soit systématique dans les entretiens professionnels semble donc pertinent.

En somme, il faut “considérer l’intensification du travail et l’urgence de ralentir”.

“La question du temps libre et de ses composantes doit être un sujet à part entière”

Enfin, afin d’avoir un équilibre, il est essentiel de “poser au même niveau juridique le temps de travail et le temps libre, et en finir avec les zones grises”. Le Conseil propose donc que la notion de temps libre soit caractérisée juridiquement au cœur de la Charte européenne des droits sociaux et que le régime des astreintes soit revu pour être réservé à des situations exceptionnelles. L’accompagnement du temps personnel doit aussi être développé, le dialogue social devant conduire à ce que les congés liés à la parentalité soient pris de de manière égale entre les hommes et les femmes. Quant au congé de proche aidant, il devrait être étendu afin de permettre notamment aux aidants de personnes malades d’un cancer ou atteintes d’une maladie chronique d’en bénéficier.

Dernier volet du temps libre, l’engagement bénévole. Le Cese demande que le congé bénévolat ouvre des droits au même titre que les congés de représentation et que le développement du bénévolat soit inclus dans les discussions relatives à la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT).

Elise Drutinus