Convention collective de branche : l’avis d’une commission d’interprétation ne lie le juge que s’il a valeur d’un avenant
Dans chaque branche professionnelle, une commission paritaire permanente de négociation et d’interprétation doit être mise en place par convention ou accord (article L.2232-9 du code du travail). Cette commission peut rendre, à la demande d’une juridiction, un avis sur l’interprétation d’une convention ou d’un accord collectif.
La portée de son avis est assez limitée, sauf s’il a la valeur d’un avenant à la convention collective. Dans ce cas, cet avis lie le juge (arrêt du 2 mai 2006 ; arrêt du 1er juillet 2009).
En effet, l’avenant interprétatif d’un accord collectif, signé par l’ensemble des parties à l’accord initial, s’impose avec effet rétroactif à la date d’entrée en vigueur de ce dernier accord à l’employeur, aux salariés mais aussi au juge qui ne peut en écarter l’application (arrêt du 1er décembre 1998). Un accord ne peut être considéré comme interprétatif qu’autant qu’il se borne à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse (arrêt du 4 février 2015).
C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans un arrêt publié du 11 mai 2022.
Dans cette affaire, un salarié réclamait en justice un rappel de salaires au titre de la demi-heure quotidienne de pause accordée au salarié en travail posté, dont la rémunération était prévue par l’article 22, 8° de la CCN de l’industrie pharmaceutique du 6 avril 1956.
Selon cet article, qui se rapporte aux majorations de salaire dues à l’organisation et à la durée du temps de travail, on appelle travail par poste l’organisation dans laquelle un salarié effectue son travail journalier d’une seule traite. Lorsque le salarié travaille de façon ininterrompue dans un poste d’une durée supérieure à 6 heures, il lui est attribué une demi-heure de repos rémunérée.
Dans un avis rendu le 23 novembre 2017, la commission permanente de négociation et d’interprétation instituée par la CCN précitée, décide, à l’unanimité des organisations syndicales représentatives, que “cette demi-heure de repos peut être accordée avant que les 6 heures de travail se soient écoulées ou à la suite de ces 6 heures”. Elle accorde à cet avis la même valeur contractuelle que les clauses de la CCN. L’avis est annexé à cette convention et étendu par arrêté ministériel du 27 mars 2019.
Se bornant à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu’une définition imparfaite avait rendu susceptible de controverse, cet avis d’interprétation avait la valeur d’un avenant.
C’est donc à bon droit que la cour d’appel a décidé qu’il était applicable aux demandes du salarié de manière rétroactive : le fait que la pause de 30 minutes, accordée au salarié, n’ait pas été placée à la suite de la période de travail de 6 heures était sans incidence sur son droit à la rémunération de son temps de pause.
actuEL CE
Intéressement : attention à la date limite de dépôt de l’accord !
Un accord d’intéressement doit être déposé auprès de l’administration dans les 15 jours suivant la date limite de conclusion. Tout retard entraîne la perte du droit aux exonérations sociales pour le premier exercice, confirme la Cour de cassation.
Les sommes versées par l’employeur aux salariés en application d’un accord d’intéressement bénéficient d’exonérations fiscales et sociales sous certaines conditions.
Parmi celles-ci figure le respect des dates limites de conclusion et de dépôt de l’accord auprès de l’administration. L’accord doit ainsi être conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d’effet (article L.3314-4 du code du travail). Et il doit être déposé auprès de l’administration du travail dans un délai de 15 jours à compter de cette date limite de conclusion (article D.3313-1 du code du travail).
► Pour une entreprise dont l’exercice correspond à l’année civile, la date limite de conclusion d’un accord prenant effet au 1er janvier d’une année N est le 30 juin de cette année N, et celle de dépôt de l’accord, le 15 juillet de la même année.
L’article L.3315-5 du code du travail prévoit qu’un accord conclu ou déposé hors délai produit ses effets entre les parties mais n’ouvre droit aux exonérations que pour les périodes de calcul ouvertes après le dépôt. Autrement dit, le non-respect des délais entraîne la perte des exonérations pour l’exercice du dépôt (voire pour le ou les exercices antérieurs en cas de dépôt très tardif).
► En matière de preuve du respect du délai de dépôt, la Cour de cassation a jugé qu’il appartient à l’entreprise de produire le récépissé de dépôt des accords (arrêt du 4 avril 2018).
Un redressement de l’Urssaf en raison du dépôt tardif de l’accord
La deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient de faire application de ces dispositions en confirmant sans surprise la perte des exonérations sociales en cas de dépôt tardif de l’accord.
Dans cette affaire, une entreprise avait conclu un accord d’intéressement le 23 septembre 2014 pour une prise d’effet au 1er avril 2014, son exercice comptable courant du 1er avril au 31 mars de l’année suivante. En application du code du travail, la date limite de conclusion de l’accord pour cet exercice était le 30 septembre 2014, tandis que la date limite de dépôt était le 15 octobre 2014. L’entreprise avait donc bien conclu l’accord dans les temps mais l’avait déposé le 12 novembre seulement, hors délai.
Après un contrôle portant sur les années 2014 et 2015, l’Urssaf avait notifié à l’entreprise un redressement en considérant que le dépôt tardif de l’accord entraînait la perte des exonérations sociales au titre du premier exercice d’application de l’accord. La société avait saisi la juridiction de sécurité sociale mais avait été déboutée par la cour d’appel. Elle s’était pourvue en cassation.
Son pourvoi faisait notamment valoir que l’article L 3315-5 du code du travail fixant la sanction du non-respect des délais de conclusion et de dépôt de l’accord d’intéressement prévoit la perte des exonérations fiscales et non sociales. Il est vrai que l’article mentionne la perte des “exonérations” sans plus de précisions et qu’il vient après les articles L.3315-1 à L.3315-4 qui détaillent uniquement les exonérations fiscales applicables à l’intéressement. Mais l’ensemble constitue un chapitre V intitulé “régime social et fiscal de l’intéressement”, de sorte que la perte des exonérations englobe les aspects sociaux et fiscaux.
Une perte du droit aux exonérations sociales pour le premier exercice
C’est ce que retient la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en jugeant que pour ouvrir droit aux exonérations de cotisations sociales sur les sommes versées au titre de l’intéressement, l’accord doit avoir été conclu et déposé dans les délais fixés par le code du travail, et que lorsqu’il est déposé hors délai, il n’ouvre droit aux exonérations que pour les périodes de calcul ouvertes postérieurement à son dépôt.
En l’espèce, l’accord aurait dû être déposé au plus tard le 15 octobre 2014, mais ne l’a été que le 12 novembre 2014 : la cour d’appel en a exactement déduit que le droit à exonération de cotisations sociales n’était ouvert que pour les exercices ouverts à partir du 1er avril 2015, mais pas pour la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2015. Le redressement est validé.
► Cette solution s’applique également aux décisions unilatérales de mise en place d’un régime d’intéressement permises par la loi 2020-734 du 17 juin 2020, qui valent accord d’intéressement (article L.3312-5, II du code du travail), et aux accords d’entreprise ou documents unilatéraux permettant depuis le 1er novembre 2021 d’adhérer à un accord de branche d’intéressement agréé (article L.3312-8 du code du travail). Dans sa version actuelle, l’article D.3313-1 du code du travail relatif au dépôt des accords d’intéressement, plusieurs fois réécrit, mentionne en effet explicitement ces deux catégories d’actes de mise en place de l’intéressement dans l’entreprise.
Fanny Doumayrou