En 2023, les salaires ont moins progressé que l’inflation

28/10/2024

Aux prochaines négociations annuelles obligatoires, les entreprises devraient jouer la modération salariale en s’appuyant sur le ralentissement de l’inflation. Les représentants du personnel pourront objecter, chiffres de l’Insee à l’appui, que les salaires ont baissé en euros constants en 2023, malgré les hausses de rémunération.

L’inflation ralentit. La Banque de France prévoit une hausse des prix limitée à 2,5 % en 2024 et seulement 1,5 % en 2025, avec une légère reprise (1,7 %) en 2026. Mais cela n’efface pas les hausses de prix des périodes passées, qui ont été élevées, et ce malgré les hausses de rémunération.

L’Insee, dans une note publiée le 23 octobre, nous apprend ainsi que les salaires réels ont baissé en 2023, malgré une augmentation moyenne de 4% l’an dernier : “Du fait d’une inflation encore forte (+ 4,9 % en 2023, après + 5,2 % en 2022), le salaire net moyen a diminué de – 0,8 % en euros constants, après -1 % en 2022. Notamment, les versements de primes de soutien au pouvoir d’achat ont légèrement reculé”.

Moins de salariés ont reçu la PPV, mais avec un montant plus important

Concernant la prime de pouvoir d’achat (Pepa en 2022) et la prime de partage de la valeur (PPV en 2023), l’Insee relève en effet une baisse de la part des salariés concernés (23 % au lieu de 26,5 % en 2022) mais une hausse du montant moyen de ces primes (917€ au lieu de 803€). 

Le pouvoir d’achat des salariés a donc baissé en moyenne l’an dernier, plus fortement chez les cadres que dans les autres catégories, comme on le voit dans le schéma ci-dessous. Pour le salaire net moyen, le pouvoir d’achat revient en 2023 à son niveau de 2019, et il diminue même de 1,1 % si l’on tient compte des apprentis, lesquels occupent désormais pas moins de 4,5 % des postes dans le privé, contre seulement 2 % en 2019.

Ajoutons que ce n’est pas le cas des salariés qui n’ont pas changé d’employeur. Du fait des primes liées à l’ancienneté et aux progressions de carrière, les salariés qui sont restés dans la même entreprise (soit la moitié de l’effectif salarié selon l’Insee) ont bénéficié en 2023 d’une légère progression salariale nette (+ 0,5 %).

À noter que la différence de rémunération entre femmes et hommes s’est réduit légèrement d’un demi-point en un an, soit une réduction de ces inégalités de 7,4 points depuis 2008. Néanmoins, les femmes disposent toujours d’un salaire inférieur de 13,5% à celui des hommes.

C’est l’effet, analyse l’Insee, de la “ségrégation professionnelle”. Autrement dit, les femmes occupent moins de postes bien payés que les hommes, et sont employées dans des secteurs moins rémunérateurs. A poste comparable (même profession au sein d’un même établissement), l’Insee calcule que cet écart de rémunération entre les deux sexes se limite à 3,8 % dans le secteur privé en 2023 (après 4 % en 2022) 

Différences sectorielles

Signalons pour finir que le salaire en équivalent temps plein (EQTP) dans le secteur privé est en moyenne de 3 613 euros bruts par mois, soit 2 735 euros nets de cotisations et contributions sociales, en 2023.

Ce salaire moyen diffère bien sûr selon les secteurs, et il atteint 3 014 euros dans l’industrie, 2 706 euros dans le tertiaire, contre 2 439 euros dans la construction. “Il est plus élevé dans les secteurs où les cadres sont surreprésentés, comme les services financiers (4 173 euros) ou l’information communication (3 900 euros). À l’inverse, il est plus faible dans l’hébergement restauration (1 980 euros), qui concentre une forte proportion d’employés”, constate l’Insee.

 Bernard Domergue

Prévention de l’usure : il est encore temps pour les branches de conclure un accord

29/10/2024

Le ministère du travail vient de mettre à jour sa Foire aux questions (FAQ) relative à la négociation de listes de métiers et d’activités par les branches professionnelles dans le cadre du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle

La loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 a créé un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle (Fipu) qui doit mobiliser les branches professionnelles. Elles peuvent notamment négocier des listes de métiers et activités particulièrement exposés aux facteurs ergonomiques qui permettront à la Commission des accidents du travail/maladies professionnelles (CATMP) de définir une cartographie des métiers et activité particulièrement exposés, et d’établir chaque année avant le 15 septembre et pour l’année à venir, les orientations du fonds pour définir les principes de fonctionnement et de gestion du fonds, et cibler l’affectation des crédits.

Mais les branches professionnelles se montrent frileuses. Si la loi prévoyait qu’elles devaient engager dans les deux mois suivant sa promulgation une négociation en vue d’aboutir à l’établissement des listes de métiers et d’activités particulièrement exposés aux facteurs de risques ergonomiques, cette disposition “reste pleinement d’actualité”, souligne le ministère du travail puisque “les orientations du fonds prévoient une prise en compte régulière des listes élaborées par les branches”.

Rappelons que l’accord négocié doit comporter une liste de métiers et d’activités particulièrement exposés aux facteurs de risques ergonomiques. L’accord peut également inclure des mesures adaptées de prévention des expositions à ces risques afin d’accompagner les entreprises de la branche en la matière. 

Les facteurs de risques concernés sont les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les manutentions manuelles de charges.

Les métiers et activités concernés sont ceux qui exposent particulièrement les salariés à un ou plusieurs des trois facteurs de risques ergonomiques. C’est à la branche, dans le cadre du dialogue social, de déterminer quels sont les métiers et activités à cibler.

► À noter : cette nouvelle thématique de négociation prévue à l’article L.4163-2-1 du code du travail et relative à l’élaboration d’une liste de métiers, peut se concilier avec l’obligation de négocier sur la prise en compte des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels mentionnée à l’article L.2241-1 du code du travail et avec les thèmes prévus à l’article L.4162-1 et L.4162-3 du code du travail, indique le ministère.

Source : actuel CSE

Emploi des seniors : la négociation se durcit autour du CDI seniors et de la retraite progressive

30/10/2024

Mardi 29 octobre s’est tenue au siège de l’Unédic la deuxième séance de négociations sur l’emploi des seniors. Les négociateurs ont pu travailler sur un projet de texte rédigé par les organisations patronales. A l’issue des discussions, il apparaît que les voies de passage vers un accord dépendront des concessions mutuelles sur le CDI seniors et la retraite progressive.

Les “lignes rouges” se sont affermies et chacun peut désormais défendre ses positions sur la base du projet d’accord (en pièce jointe) transmis par les organisations patronales et qui sert de base aux négociations. Si le Medef, la CPME et l’U2P ont accepté d’y intégrer une retraite progressive à partir de 60 ans, le patronat avance par ailleurs ses pions en faveur d’un CDI seniors accompagné d’exonérations de cotisations. Sujet auquel les syndicats sont farouchement opposés.

Le contrat à durée indéterminée spécial seniors prend la relève de ce que représentait le compte épargne temps universel lors des négociations sur le pacte de la vie au travail au printemps 2024 : il devient un point de blocage central, tout en s’articulant aux concessions mutuelles. En clair, les organisations patronales veulent un CDI seniors en bonne et due forme et accompagné d’exonérations de cotisations. Les organisations syndicales s’y opposent mais tiennent à l’instauration d’une retraite progressive à 60 ans opposable à l’employeur. Point auquel le patronat refuse pour l’instant d’accéder.

Les contours du CDI seniors dans le projet d’accord

Le document rédigé par les organisations patronales le qualifie de “contrat de valorisation de l’expérience”, appellation que les organisations syndicales réprouvent. Créé à titre expérimental pour une durée de cinq ans, il serait ouvert aux demandeurs d’emploi de 60 ans et plus inscrits à France Travail. Les branches seraient susceptibles de l’adapter, d’abaisser l’âge requis à 57 ans et d’en préciser les missions.

Le projet d’accord instaure également des garde-fous. Afin d’éviter qu’un employeur ne licencie un senior pour l’employer de nouveau avec un CDI senior, le contrat ne pourrait pas concerner un demandeur d’emploi ayant été employé en CDI dans la même entreprise au cours des six derniers mois.

Le projet d’accord prévoit que lors de la signature du contrat, le demandeur d’emploi ainsi embauché remet à l’employeur un document de l’assurance retraite mentionnant sa date prévisionnelle de départ en retraite.

Le demandeur d’emploi signant un CDI senior bénéficierait de règles aménagées de cumul entre son salaire et l’allocation de retour à l’emploi s’il perçoit une rémunération inférieure à 30% de celle obtenue dans son emploi précédent. De son côté, l’employeur bénéficierait d’une nouvelle exonération progressive de cotisations assurance chômage, à raison d’un point par an à partir des 60 ans du demandeur d’emploi. Il serait également exonéré de la contribution patronale spécifique de 30 % sur le montant de l’indemnité de mise en retraite. Le projet acte également que l’employeur pourrait se séparer du senior et le faire partir en retraite lorsqu’il atteint l’âge légal de départ et remplit les conditions de la retraite à taux plein.

Hubert Mongon considère que le CDI seniors “correspond à une philosophie simple : donner la priorité au travail plutôt qu’à l’inactivité, y compris quand un demandeur d’emploi atteint plus de 60 ans”. Le chef de file du Medef reconnaît cependant qu’un chiffrage des effets de ce nouveau contrat est pour l’instant impossible : “Nous n’avons pas de recul sur ce dispositif en particulier sur des profils de plus de 60 ans, on ne saurait donc pas en préciser le coût réel”.

CDI senior contre retraite progressive

Yvan Ricordeau a indiqué d’emblée “des difficultés sur le CDI seniors” : “Aucune organisation syndicale ne le demande. On voit également d’un très mauvais œil l’arrivée d’une exonération de cotisations patronales dessus. Si la raison l’emporte, on pourra trouver une voie de passage la semaine prochaine mais il faudra être raisonnable sur le CDI seniors comme nous l’avons montré sur la retraite progressive”.

La CFDT a en effet décidé d’abandonner la revendication d’un droit opposable du salarié à la retraite progressive. Un point auquel tiennent les autres organisations syndicales à commencer par la CGT de Sandrine Mourey : “Le patronat est contre le droit opposable mais quand on signe un accord national interprofessionnel, c’est pour acter de nouveaux droits pour l’ensemble des salariés. Il est hors de question de renvoyer à des accords d’entreprise”. La CGT pose également son veto sur l’exonération de cotisations patronales sur le CDI seniors.

À Force Ouvrière, Patricia Drevon juge que le projet d’accord n’est pas équilibré. Sa confédération porte toujours ses réserves sur le CDI seniors, “pas envisageable” tel qu’il est présenté aujourd’hui. Si elle se satisfait de l’inscription dans le texte d’une retraite progressive à 60 ans comme le revendique FO, elle souhaite “un minimum d’opposabilité du droit à la retraite progressive”. Fo se préoccupera de l’équilibre global de l’accord. Selon la négociatrice, “la visite médicale constitue l’une de nos demandes, nous avons pour marqueur la retraite progressive à 60 ans avec 150 trimestres. Si on embarque la fin des trois mandats de CSE et l’opposabilité de la retraite progressive, on pourra soumettre le projet d’accord à nos instances. Mais aujourd’hui, le texte n’est pas équilibré”. FO continue par ailleurs de porter des évolutions de seuil de la Commission santé sécurité et conditions de travail (CSSCT), qui n’est obligatoire aujourd’hui qu’à compter de 300 salariés.

La CFTC de Frédéric Belouze se dit également opposée à de multiples points du projet d’accord : le CDI seniors et son pendant chez les intérimaires, l’abaissement de l’âge à 57 ans au lieu de 60 par les branches, la présentation d’un relevé de carrière à l’employeur, l’allégement de cotisations adossé au CDI seniors. Le projet rencontre également l’opposition de Jean-François Foucard (CFE-CGC) : “Il s’agit de tout changer pour ne rien changer, c’est du marketing, c’est la technique des tous petits pas et cela manque de cohérence”, a-t-il affirmé en fin de séance.

Organisations patronales et syndicales poursuivront leurs discussions lundi 4 novembre.

Assurance chômage et travailleurs frontaliers : vers un coefficient réducteur du SJR ?
Les négociations se sont également poursuivies hier sur l’assurance chômage. Les partenaires sociaux ont travaillé des pistes concrètes pour trouver les économies réclamées par le ministère du travail dès 2025 (400 millions d’euros supplémentaires par an). Le thème des travailleurs frontaliers apparaît comme la piste d’économies privilégiée, notamment les contrôles de l’offre raisonnable d’emploi et de la recherche d’emploi, ainsi que l’application d’un coefficient réducteur dans le calcul du salaire journalier de référence (SJR) selon que le travailleur est frontalier ou non.

Cette dernière possibilité présente cependant le risque d’une rupture d’égalité soulevée par l’Unedic et donc d’ouverture de contentieux. Olivier Guivarch (CFDT) a rappelé que le sujet dépend aussi des accords européens et que “tout ne dépend pas de nous”, soulignant ainsi le rôle de l’Etat, en particulier dans la négociation d’un accord bilatéral avec la Suisse. Denis Gravouil (CGT) juge sévèrement cette mesure : “Les travailleurs frontaliers sont ouvriers et employés dans la restauration, l’hôtellerie ou les soins, c’est une cible un peu trop facile”. Frédéric Belouze (CFTC) évoque quant à lui “des zones d’ombre autour de cette question” : il lui semble périlleux de travailler sur ces sujets qu’il qualifie de “fausses bonnes idées” à cause du cadre juridique européen et du risque de traitement différencié des allocataires.

Le patronat n’exclut pas de trouver d’autres moyens d’économies tous sujets confondus. “Cela signifierait des mauvaises nouvelles pour tout le monde, après, à nous d’arbitrer et de faire des choix”, a indiqué Hubert Mongon pour le Medef, n’excluant pas de revenir sur certaines annexes comme celle qui prévoit le régime des intermittents. La CGT pousse quant à elle un passage de 4 à 8 plafonds de la Sécurité sociale pour le calcul de l’assiette des contributions générales d’assurance chômage.

Marie-Aude Grimont