30 ans de RDS : Climat social ? Climat tout court !
Sur les quais de Seine à Paris, face à Radio France, l’association Réalités du Dialogue Social (RDS), un club de réflexion associant chercheurs et partenaires sociaux, a fêté jeudi 9 décembre ses 30 ans. Pas de flonflon ni de cotillons, protocole oblige, mais des propos feutrés lors d’un colloque sur l’évolution du dialogue social, un colloque où la question climatique a pris le dessus. Florilège.
Comment va le dialogue social en France ? Pas si mal, à en croire les “patrons” de la CFDT et du Medef. Depuis le début de la crise sanitaire, “on a fait marcher la machine collective, tant au niveau interprofessionnel que dans les entreprises. Confronter les propositions a permis de trouver de bonnes solutions”, a estimé Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, avec ce bémol, déjà exprimé par François Cochet de Secafi : “Cela a marché car on a fait preuve d’agilité malgré les ordonnances de 2017, et on a laissé tomber ces histoires de réunions limitées, etc.”. C’est vrai, admet Pierre-André Imbert, le secrétaire général adjoint de l’Elysée : “L’urgence a fait mettre les règles de côté, et ça s’est bien passé. Pourquoi faudrait-il en revenir à la situation précédente très formaliste ?”
Les syndicats ont fait preuve de responsabilité
“Oui, les syndicats de salariés ont fait preuve de beaucoup de responsabilité”, a renchéri Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, qui en voit déjà les conséquences dans l’accord signé sur le télétravail. Pour l’avenir, poursuit Laurent Berger, “il va falloir développer un maximum de débats et de confrontation pour trouver les conditions de la transition écologique”, au plus près des réalités : “Il va falloir traiter l’enjeu écologique, l’enjeu social et l’enjeu de productivité”. La loi climat intégrant cette problématique dans les CSE va dans le bon sens, a-t-il ajouté, “mais il va maintenant falloir l’appliquer”.
Comment ? La CFDT crée un réseau de « sentinelles vertes » chez ses militants et élus, développe des diagnostics et expertises sur certaines filières économiques. “Si on ne veut pas que ces transformations provoquent de graves problèmes sociaux, il faut traiter cela de façon démocratique”, soutient Laurent Berger. Autrement dit : on doit dire la vérité aux travailleurs, mais aussi les prendre en compte pour préparer l’avenir, les reconversions, les changements de modèle économique.
Sauver la planète, ok, mais payer le chauffage plus cher ?
Justement, nous sous-estimons certainement l’ampleur des changements et des coûts que cela va générer, y compris sur les coûts finaux pour les consommateurs, prévient le président du Medef, inquiet de voir le pouvoir politique mettre des pansements de type indemnité inflation face à l’envolée des prix de l’énergie. “Nous devons collectivement appréhender ce défi. Cela réclame beaucoup de pédagogie. Sauver la planète, tout le monde est d’accord, mais payer son chauffage plus cher ?”, interroge Geoffroy Roux de Bézieux. Ce dernier juge également positive la disposition donnant au CSE des prérogatives sur l’environnement, et se réjouit de voir de nombreuses entreprises s’inspirer de l’accord national interprofessionnel sur le télétravail, “qui n’est pas normatif car les situations sont très différentes d’une entreprise à l’autre, mais qui fournit beaucoup d’éléments pour fixer un cadre dont chacun peut se saisir”.
Le président du Medef est en revanche moins d’accord sur le constat et la demande de Laurent Berger : revoir les ordonnances sur le CSE, qui ont provoqué une réduction des moyens et capacités d’action des IRP. “N’oublions pas que le rapport Combrexelle sur le dialogue social traitait aussi du comportement des acteurs sociaux”, lance le secrétaire général de la CFDT. “Qu’il y ait ça et là des endroits où ça ne fonctionne pas, c’est possible. Mais j’ai l’impression de façon générale que ça fonctionne”, soutient Geoffroy Roux de Bézieux.
L’ubérisation du syndicalisme avec des collectifs pilotés par les directions n’est pas une fatalité
Comment va le dialogue social ? Pas si bien, nuance de son côté Sophie Binet, interpellée sur le développement des collectifs d’indépendants ou de salariés. Pour la secrétaire générale de l’UGICT-CGT, “l’ubérisation du syndicalisme”, ou sa dissolution dans des collectifs dont le risque est qu’ils soient instrumentalisés par les directions, “n’est pas une fatalité”. Pour conjurer cette perspective, les organisations syndicales doivent renouveler leurs pratiques, tenter de davantage consulter les salariés pour recréer des positions collectives sur des questions aussi difficiles que le télétravail, qui divise les salariés dont les aspirations individuelles sont parfois opposées.
1 500 ingénieurs de Nokia ont suivi une information syndicale numérique
La syndicaliste prend l’exemple d’un syndicat d’entreprise qui consulte systématiquement un groupe de salariés à chaque étape importante d’une consultation ou d’une négociation, ou encore cette initiative de la CGT de Nokia “qui a obtenu des heures d’information syndicale numérique suivies par 1 500 ingénieurs”. Mais encore faut-il que la loi évolue et donne enfin, insiste Sophie Binet, la possibilité aux syndicats d’adresser des mails aux salariés, qui sinon sont difficilement joignables en télétravail : “Le droit syndical numérique doit changer, c’est un vrai problème démocratique”.
“Mais comment allez-vous attirer les jeunes qui ne se reconnaissent pas dans le syndicalisme ?” lui objecte un participant. “La multiplication des collectifs, comme dans la santé, se base sur la volonté de voir reconnus, contre les pratiques managériales, des savoirs-faire professionnels. Nous ne sommes pas dépassés par la base, à la CGT, nous soutenons ces collectifs, et d’ailleurs nous avions pointé les insuffisances du Ségur de la Santé”, réplique Sophie Binet. Laquelle admet l’existence d’approches générationnelles différentes, avec par exemple l’envie d’être informés tout de suite, de décider rapidement des suites d’une action : “A nous de leur proposer un cadre pour qu’ils se syndiquent. Au bout de quelques mois, ils éprouvent les limites de leur action s’ils ne sont pas protégés et soutenus”.
Les juristes accaparent trop souvent le dialogue social en France
En conclusion, Pierre-André Imbert, secrétaire général adjoint de l’Elysée, a échangé avec Jean-Denis Combrexelle, président du Haut conseil du dialogue social et ancien directeur général du travail (DGT) dont le bureau, a-t-il confié, était orné d’une photo du viaduc de Millau, “car la négociation collective, c’est un pont”. En France, déplore Jean-Denis Combrexelle, juriste mais toujours défenseur d’une autonomie forte des acteurs sociaux, “la négociation collective et le dialogue social sont trop souvent accaparés par les juristes”. Il faut trouver de nouveaux espaces où se confrontent la représentation des salariés, la défense de l’environnement, ajoute le grand manitou de la représentativité en France : “Ce n’est pas simple, cela questionne la légitimité et le rôle des différents acteurs”.
Un peu de stabilité institutionnelle
Pierre-André Imbert a pour sa part évoqué les enjeux de la présidence française de l’Union européenne l’année prochaine : “Il nous faut définir une norme environnementale qui puisse servir à toutes sortes d’acteurs, notamment pour noter l’entreprise, et cela sera saisi par les acteurs du dialogue social dans les entreprises”. Pour le secrétaire général adjoint de l’Elysée, les changements opérés en France depuis 20 ans sur les IRP permettent aux acteurs d’agir, “et il faut sans doute maintenant un peu de stabilité institutionnelle”.
Un souhait partagé par l’ancien DGT : “Il faut laisser le temps aux acteurs de s’approprier le cadre existant, a fortiori dans les PME”. Jean-Denis Combrexelle a associé ce souhait à ce rappel : “Les personnes qui sont élues dans les CSE ou qui militent dans les syndicats doivent avoir des carrières normales”. Il a conclu son propos sur un de ses chevaux de bataille, la nécessité de formations communes entre élus, délégués syndicaux et directions : “Ce n’est pas nier la différence des positions et des intérêts, mais c’est une façon de mieux se connaître, et donc de négocier ensemble”.
Bernard Domergue