Reconversions professionnelles : l’exécutif définit le cadre des négociations

14/04/2025

Les ministres Catherine Vautrin et Astrid Panosyan-Bouvet ont transmis, le 10 avril, une lettre d’orientation aux partenaires sociaux visant à simplifier et rendre plus cohérents les dispositifs existants. L’issue de ces discussions pourrait être intégrée au projet de loi sur l’emploi des seniors, dont l’examen est prévu au Parlement début juin.

Après les retraites, une nouvelle négociation interprofessionnelle s’ouvre sur un sujet d’importance : les transitions et reconversions professionnelles. Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, et Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi, ont adressé le 10 avril une lettre de cadrage aux partenaires sociaux afin de “simplifier”, “assurer la cohérence” et améliorer la “lisibilité” des dispositifs existants.

Le constat d’échec des mécanismes actuels est clairement posé par le gouvernement. “Les dispositifs ne marchent pas aujourd’hui ; ils sont complexes, coûteux et peu orientés vers les personnes et les métiers qui en ont le plus besoin dans un double contexte de restructurations économiques de filières et de l’importance du sujet pénibilité pour des métiers qui ne seront pas tenables toute une vie”, avait déclaré Astrid Panosyan-Bouvet le 3 avril, lors d’une rencontre avec l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis).

L’ambition ministérielle est d’intégrer le résultat de ces discussions, par voie d’amendements, au projet de loi portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social, dont l’examen est prévu au Parlement début juin.

Des bases déjà existantes

Si le calendrier est serré, les partenaires sociaux ne partent pas d’une page blanche. Après l’échec des négociations sur le Pacte de la vie au travail, l’U2P, la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et FO avaient réussi à trouver un terrain d’entente sur ce sujet. Mais le texte, sans la signature du Medef et de la CPME, absents des pourparlers, était resté lettre morte. C’est pourquoi les deux ministres invitent l’ensemble des acteurs à “reprendre les discussions”.

Sur le fond, le document d’orientation prévoit trois axes principaux.

Tout d’abord, les ministres demandent une révision du projet de transition professionnelle (PTP), un outil “à la main du salarié”. L’objectif est d’en revoir les “conditions d’éligibilité” et de mieux le cibler, d’une part sur les “publics qui en ont le plus besoin, notamment ceux en deuxième partie de carrière”, et d’autre part sur des projets en adéquation avec les besoins économiques, les métiers en tension et l’acquisition de compétences “nécessaires aux transitions démographiques, écologiques et numériques”.

Pour mémoire, 17 762 dossiers ont été pris en charge par les Associations Transitions Pro en 2023 pour financer un projet de transition professionnelle, selon le rapport sur l’usage des fonds de la formation professionnelle de France Compétences. Le coût unitaire s’élève à 29 220 euros pour une durée moyenne de 943 heures. La prise en charge de la rémunération du salarié pendant la formation constitue 65 % de ce coût, tandis que les coûts pédagogiques représentent 25 % et les aides relatives au transport, à l’hébergement et à la restauration, 1 %.

Vers une unification des dispositifs

Le deuxième axe porte sur l’amélioration de la gouvernance et du fonctionnement des réseaux nationaux et territoriaux qui prennent en charge les transitions professionnelles. Le troisième vise à unifier les dispositifs à disposition de l’entreprise, qu’il s’agisse “d’un accompagnement à la transition/reconversion ou pour une reconversion externe”. Cette orientation laisse présager une refonte des dispositifs existants comme TransCo et Pro-A (*) en un seul outil, avec “une attention particulière à l’accompagnement des secondes parties de carrière et au besoin de qualification vers des métiers techniques”.

En outre, ce nouveau cadre devra s’appuyer sur “l’alternance”. À ce titre, Astrid Panosyan-Bouvet avait déjà indiqué que le contrat de professionnalisation pourrait constituer une “porte d’entrée efficace” – une revendication également portée par l’Association nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH), qui milite pour la création de ce type de contrat sans limite d’âge afin de répondre aux enjeux de reconversion.

Des contraintes budgétaires affirmées

Sans surprise, les deux ministres fixent une contrainte supplémentaire : “au regard des contraintes budgétaires, la réflexion devra permettre d’aboutir à un schéma soutenable dans le temps (c’est-à-dire dans la limite des enveloppes existantes)”.

Pour augmenter les ressources disponibles, elles proposent d’étudier des pistes de co-investissement. Il semble donc inévitable que salariés et entreprises soient également mis à contribution pour financer ces parcours de reconversion.

(*) Transco comme transitions professionnelles : ce dispositif, créé en janvier 2021,permet aux employeurs d’anticiper les mutations économiques de leur secteur et d’accompagner leurs salariés dans une reconversion “vers un métier porteur dans leur bassin de vie”. Pro-A : reconversion ou promotion par alternance pour un salarié du secteur privé. 

Anne Bariet

Le droit d’expression bute sur la fin des collectifs de travail homogènes et sur l’omniprésence des managers

17/04/2025

On sait que peu d’entreprises ont mis en œuvre le droit d’expression directe et collective prévu dès 1982 par les lois Auroux. C’est tout l’intérêt d’une enquête du Centre d’études de l’emploi et du travail qui s’est penché sur la mise en œuvre de plusieurs accords. Dans les faits, l’expression des salariés paraît limitée et contrainte du fait notamment de l’omniprésence des managers.

Entre 2013 et 2024 en France, 997 accords ont traité du droit d’expression directive et collective des salariés dans l’entreprise, une création des lois Auroux de 1982 prévue au départ pour les entreprises de plus de 200 salariés et qui a été généralisé à toutes les entreprises de plus de 50 salariés en 1986 (voir l’art. L. 2281-1 et suivants du code du travail). Que prévoient ces accords, qui portent souvent sur le thème plus large de la qualité de vie au travail, et comment sont-ils mis en pratique ? C’est pour répondre à cette question que trois chercheurs (Camille Dupuy, Alexis Louvion, Jules Simha) ont conduit une enquête sociologique que le Centre d’études de l’emploi et du travail (*) résume dans une note d’avril 2025. 

Cette enquête se base certes sur l’analyse de l’ensemble des textes signés, jugés trop “standardisés”. Mais son intérêt est de se focaliser sur trois accords, “particulièrement élaborés et précis, reflétant a priori un véritable effort de négociation”. Pour en savoir plus sur la mise en oeuvre de ces accords signés dans une entreprise industrielle, une structure associative et une fédération d’associations, les chercheurs ont réalisé 23 entretiens avec des managers, des salariés et des représentants syndicaux. 

Premier constat : le droit d’expression directe et collective est bien souvent laissé à la main des managers, ce qui semble “déconnecté” voire contradictoire avec les dispositions théoriques des accords. Si les groupes d’expressions peinent à se réunir, c’est aussi faute de moyens, d’organisation logistique ou d’espace identifié. “On était livrés à nous-mêmes et il fallait se démerder  pour tout, quoi, de A à Z”, témoigne ainsi une salarié d’une fédération d’associations.

Un écueil au droit d’expression : la fin de collectifs de travail homogènes

Deuxième constat : si ces groupes ne sont pas réunis, c’est d’abord parce que dès le départ il paraît difficile d’organiser l’expression à partir “d’unités homogènes du travail”. Ce terme a tout d’une “fiction” pour les chercheurs qui constatent que les collectifs du travail fluctuent très souvent au gré des projets, comme le dit sans détours cette salariée d’une entreprise industrielle : “Cette idée qu’on a, un manager avec son équipe autour de lui, c’est terminé (..) Nous, on va avoir un manager à Nantes, une partie de son équipe à Toulouse, et encore deux personnes à Lyon et une autre à Brest (..) Et là, comment tu définis ton collectif homogène ? Je n’en sais rien”.

Ce constat vaut pour l’industrie comme pour le monde associatif, qui a dû s’adapter au financement par projet. En outre, lorsque l’activité doit se faire en un temps contraint, ce qui est fréquent avec l’intensification du travail, le manager mais aussi les salariés privilégient l’activité aux discussions, alors que celles-ci pourraient pourtant aborder la question de l’organisation du travail pour prévenir les conséquences négatives. 

L’omniprésence du manager change la nature de la réunion

Lorsque les réunions sont néanmoins organisées, que donnent-elles ? Ici, les chercheurs constatent que “l’omniprésence du manager” change de facto l’objet de ces réunions. Comme c’est lui qui, très souvent, réserve la salle, fixe la date et l’ordre du jour, les salariés ont l’impression d’être dans une réunion descendante où une stratégie va leur être présentée.

Cette impression peut être surmontée lorsque les salariés prennent activement la parole. Mais souvent, les managers tiennent dans ces réunions un rôle d’animateur qui fausse le jeu : les salariés s’autocensurent, n’osant pas exprimer leurs difficultés ni d’éventuels reproche devant leur hiérarchie. “C’est surtout moi qui ai parlé, parce que j’étais le plus ancien, celui qui en avait le plus marre, et qui osait le plus ouvrir sa gueule. Mais même moi, «En fait ton style de management est en train de tous nous couler», je le dis pas”, témoigne un salarié. 

On retrouve ici les techniques d’animation de réunion (type “nuages de mots”) qui contribuent à vider toute idée subversive, notent les chercheurs.

Quelles suites aux réunions d’expression ?

L’étude questionne aussi les suites données aux remontées formulées dans les réunions de droit d’expression. C’est pour le moins un point sensible. Dès le départ, les comptes-rendus de ces réunions paraissent atténuer les critiques de l’organisation du travail, ceux qui rédigent ces résumés ne voulant pas s’exposer. Ensuite, il peut tout simplement n’y avoir aucune suite. Tout se passe, dans les entreprises ciblées par les chercheurs, comme si les directions estimaient qu’il s’agissait surtout d’écouter les salariés, et pas forcément d’apporter une réponse aux griefs ou demandes formulées. Si bien que ce sont parfois les élus du CSE qui interpellent les directions sur cette absence de réponse concernant l’organisation du travail. Autrement dit, c’est le dialogue social “institutionnel” qui fait le job d’un dialogue professionnel défaillant. En conclusion, les chercheurs parlent logiquement d’un “échec” du dispositif du droit d’expression directe et collective et se demandent s’il ne faudrait pas, pour libérer la parole, donner une sorte de protection aux salariés qui osent utiliser pleinement leur droit d’expression. 

(*) Le CEET (Centre d’études de l’emploi et du travail) est un programme transversal du Cnam (Conservatoire national des arts et métiers) visant à développer la recherche pluridisciplinaire sur le travail et l’emploi, “dans une perspective académique et de réponse à la demande sociale”. Cette publication du CEET est un condensé de l’étude réalisée pour l’Ires en 2024. 

Au départ, l’idée de faire entrer la démocratie dans l’entreprise…
Expérimenté par les lois Auroux dès 1982 puis généralisé en 1986, le droit d’expression directe et collective des salariés visait à permettre aux salariés d’avoir voix au chapitre sur l’organisation de leur travail grâce à une forme de dialogue professionnel, un dialogue également prôné et expérimenté, avec une méthodologie rigoureuse, dans certaines entreprises par des psychologues et ergonomes comme Yves Clos ou Antoine Bonnemain.

Le ministre du travail de l’époque, Jean Auroux, a souvent répété que l’entreprise ne pouvait pas être un lieu où la démocratie serait absente. Mais ce droit a finalement été peu mis en œuvre.

Rappelons trois des articles du code du travail qui traitent de ce droit d’expression :

« Art. L. 2281-1 : “Les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail. L’accès de chacun au droit d’expression collective peut être assuré par le recours aux outils numériques sans que l’exercice de ce droit ne puisse méconnaître les droits et obligations des salariés dans l’entreprise.

Art. L. 2281-2 : L’expression directe et collective des salariés a pour objet de définir les actions à mettre en œuvre pour améliorer leurs conditions de travail, l’organisation de l’activité et la qualité de la production dans l’unité de travail à laquelle ils appartiennent et dans l’entreprise.

Art. L. 2281-3 : Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l’exercice du droit d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement».

Bernard Domergue