Application de la réforme des retraites : la Cnav a encore “des falaises à gravir”

17/04/2024

Le directeur de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) Renaud Villard affirme que le plus dur est passé sur la mise en œuvre de la réforme des retraites de 2023. Ses services “ont franchi la première ligne droite mais il reste plusieurs falaises à gravir”. La caisse reçoit par ailleurs 4 000 cyberattaques par jour et utilise désormais des techniques innovantes pour lutter contre la fraude.

Reçu par les journalistes de l’Ajis (*) vendredi 12 avril, Renaud Villard se félicite de la mise en œuvre de la réforme des retraites de 2023 par ses équipes : “Je leur tire mon chapeau car c’était compliqué de naviguer à vue”. Tout n’est pas réglé cependant, loin de là. La caisse a mobilisé 200 équivalents temps plein mais peine à fidéliser ses effectifs, alors que les attaques informatiques ont doublé depuis la guerre en Ukraine.

Un million de majorations exceptionnelles à mettre en paiement

Selon les “chiffres-clés 2023” de l’Assurance retraite, la caisse gère 820 000 dossiers de retraites personnelles, dont 145 000 ont été impactés par la réforme. 30 % des dossiers concernent les carrières longues. Pas moins de 13 circulaires détaillant les instructions aux agents chargés de déployer la réforme ont été diffusées en interne depuis le mois de juillet. 17 sont encore à venir, dont 6 en ce mois d’avril 2024. “La première ligne droite est un succès, nous avons mis en œuvre les grands paramètres de la réforme avec beaucoup de nouveaux droits liés à la fin de carrière. Tout a été mis en route de manière fluide mais nous avons passé presque plus de temps à accompagner les citoyens qu’à appliquer la réforme”, affirme-t-il.

A l’été 2023, le match semblait pourtant périlleux, plusieurs organisations syndicales dénonçant la pression dans laquelle travaillaient les agents des Carsat (caisses régionales d’assurance retraite et de santé au travail), avec notamment des craintes de retard de paiement de pensions. Force Ouvrière mettait en avant des logiciels en retard et un déficit d’information, la CFDT se plaignait d’un “surcroît d’activité dans des caisses en sous-effectif”, la CGT soulignait les “carences informatiques”.

Renaud Villard reconnaît qu’il reste “trois falaises à gravir”. Tout d’abord celle des “nouveaux droits monétaires” engendrés par la réforme du cumul emploi-retraite. Si 2 000 demandes ont été reçues, la Cnav en attend 70 000 par an. “Nous sommes désormais en capacité de calculer les cumuls et de les mettre en paiement à compter de juillet, c’est encore un peu artisanal mais nous pourrons passer en mode industriel fin 2024”, précise le directeur de la caisse.

Ensuite, le mur des majorations exceptionnelles, un montant de 100 euros bruts par mois pour les assurés percevant des petites pensions et ayant pris leur retraite avant le 1er septembre 2023. Selon les chiffres de la Cnav, 600 000 majorations ont été mises en paiement pour un montant moyen de 49,76 euros. “Un million doit encore l’être” reconnaît Renaud Villard qui ajoute : “C’est le million le plus difficile. Pour 178 000 personnes, on ne parvient pas à savoir si elles ont cotisé ou pas”. Les agents ont donc recours aux microfiches des employeurs, afin d’éviter de poser la question à un trop grand nombre d’assurés dont certains sont très âgés, un “travail invisible qui reste encore devant nous” selon le directeur de la caisse.

Enfin, la pente ardue des indemnités journalières de maternité pour les enfants nés avant 2012. La difficulté consiste ici à reconstituer les périodes précises de l’arrêt maternité.

Lutte contre la fraude : “On recouvre 90 % des indus détectés”

Une hausse de 25 % des effectifs consacrés à la lutte contre la fraude a bénéficié à deux métiers selon Renaud Villard : d’une part le “thermomètre”, à savoir les agents chargés de mesurer le risque frauduleux, d’autre part, les conseillers-enquêteurs. Sur 5 000 dossiers examinés, 200 ont donné lieu à enquête. Les recherches s’orientent vers la “fraude à l’existence, à savoir des assurés qui résident à l’étranger dans des pays à enjeux, ont plus de 85 ans” et ne confirment pas leur état civil. Selon Renaud Villard, “la polémique des centenaires algériens relève du double fantasme” : sur 2 000 contrôles diligentés, seuls 350 dossiers ont généré une suspension de la pension.

Le directeur annonce également l’utilisation de nouveaux moyens technologiques dès 2024 : la reconnaissance biométrique par smartphone doit permettre une simplification des démarches mais aussi limiter les risques d’usurpation d’identité des 1,4 millions d’assurés résidant à l’étranger. Enfin, les Carsat se voient d’avantage ouvrir l’accès au fichier des comptes bancaires français (Ficoba). Il permet aux agents de contrôler en temps réel les coordonnées bancaires transmises par les retraités. Rappelons que la Convention d’objectifs et de gestion 2023-2027 a fixé à la Cnav l’objectif de 160 millions d’euros “sur le montant total des préjudices frauduleux et/ou fautifs évités ou subis”, et 200 millions en 2027.

Ces techniques amélioreront sans doute encore les très bons scores de la Cnav en recouvrement des montants fraudés. Selon son directeur, grâce aux moyens juridiques de saisies, de retenues sur pensions, de sanctions administratives pouvant atteindre 8 plafonds de la Sécurité sociale (25 000 euros), aux poursuites pénales, à l’appui des banques, et aux règles de prescription, la Cnav récupère 90 % des montants détectés comme frauduleux et donc indument versés. On est donc loin des différentiels constatés entre les redressements (1,17 milliard d’euros de cotisations réclamées aux entreprises en 2023) et les recouvrements effectivement récupérés par l’Urssaf (80 millions).

L’intelligence artificielle “avec passion et flegme”

“L’IA est embarquée à la Cnav depuis 1982, nous avons fabriqué le premier moteur d’IA en France qui permettait la reconnaissance entre le patronyme et le numéro de sécurité sociale. Nous prenons donc le sujet avec passion et flegme”, s’amuse le directeur de la caisse. Aujourd’hui 9 outils sont testés par la Cnav sur 3 types de travaux : le soutien aux agents (rédaction de comptes rendus notamment), le service informatique (révision de code) et sur la relation client dans le cadre d’un partenariat avec la délégation interministérielle du numérique. Pour assurer la sécurité, les données des retraités sont stockées sur des serveurs internes, propriété de la Cnav. Et il vaut mieux si l’on en croit Renaud Villard : “Nous constatons 4 000 tentatives d’intrusion par jour, en nette hausse depuis le début de la guerre en Ukraine. Nous avons donc supprimé les comptes personnels : il faut un compte France Connect pour accéder aux services de la caisse afin de limiter les risques d’usurpation d’identité”. L’Assurance retraite se met également au “BugBounty”, une prime remise à des “hackeurs” professionnels mis en concurrence afin de chasser les bugs informatiques.

La Cnav côté RH : des salariés qui refusent de basculer en CDI
  La caisse emploie 14 199 salariés et a recruté 2 028 contrats à durée déterminée (CDD) et 743 contrats à durée indéterminée (CDI) en 2023. L’organisme fait cependant face à un cruel problème de fidélisation : “Un tiers des personnes ne terminent pas leur formation. Les démissions ont augmenté en 2018-2019 mais recommencent à baisser. Souvent, les salariés en CDD refusent de basculer en CDI. Nous ne pouvons de toute façon pas proposer deux fois un CDI, de même qu’on ne renouvelle pas les CDD qui sont de 5,5 mois non renouvelables”, explique Renaud Villard. Le directeur a quand même acté le projet gouvernemental de priver d’assurance chômage sur signalement de l’employeur les salariés en CDD refusant deux fois un CDI. Il prévoit cependant de s’y résoudre si elle entre en vigueur : “Si l’obligation légale de dénoncer à France Travail ces salariés est mise en place, on l’appliquera”. Cette réforme étant entrée en vigueur, Renaud Villard a sans doute fait allusion aux recours déposés devant le Conseil d’État contre ce dispositif, porté par Force Ouvrière puis la CGT, la FSU et Solidaires, et qui pourraient le remettre en cause. 

(*) Association des journalistes de l’information sociale

Marie-Aude Grimont