Assurance chômage : le projet de décret traduit les annonces gouvernementales

06/06/2024

Sans surprise, le projet de décret de carence sur l’assurance chômage transcrit juridiquement les points annoncés par Gabriel Attal dimanche 26 mai. Ce texte est donc provisoire, alors que la Commission des affaires sociales a adopté hier la proposition de loi Liot soutenue par les syndicats.

Prudence, ce n’est qu’un projet de décret. De nouveaux éléments pourraient figurer dans le texte final qui doit être publié au Journal officiel avant le 30 juin 2024. On retrouve dans ce projet la nouvelle condition d’affiliation, le “bonus emploi seniors” ou encore la contracyclicité, mais aussi deux mesures issues de l’accord négocié par les organisations patronales et syndicales en novembre 2023. La contribution globale versée par l’Unédic à France Travail reste pour l’instant fixée à 11 %, soit 3,9 milliards d’euros, un sujet de conflit entre le gouvernement et les partenaires sociaux depuis 2008 (création de Pôle Emploi), les services de l’Unédic jugeant cette contribution excessive.

Une condition d’affiliation rabotée

Il sera plus difficile de remplir la condition d’affiliation : conformément aux annonces du Premier ministre, il faudra avoir travaillé au moins 176 jours (au lieu de 130), soit 8 mois au lieu de 6 mois, ou 1 232 heures au cours des 20 mois (au lieu de 24 mois) qui précèdent la rupture du contrat de travail. Sont visés les salariés âgés de moins de 57 ans puis que cet âge devient le pivot unique du régime.

Les salariés démissionnaires bénéficieraient d’un assouplissement : ceux poursuivent un projet professionnel “réel et sérieux” verraient leur condition d’affiliation assouplie. Ils devront justifier de 1 300 jours travaillés au cours des 72 derniers mois (au lieu de 60).

Une filière unique pour les seniors

Les salariés de 57 ans et plus à la date de rupture de leur contrat de travail devront remplir une condition d’affiliation de 8 mois sur 30 mois.

Un dispositif de “bonus emploi seniors” complétera l’indemnisation d’un senior au chômage s’il accepte un poste moins bien rémunéré que celui qu’il occupait avant de perdre son emploi, et ce pendant un an. On retrouve également cette annonce dans le projet de décret. Le dispositif est inspiré de l’activité réduite : “Les rémunérations issues de l’activité professionnelle réduite ou occasionnelle reprise sont cumulables, pour un mois civil donné, avec une partie des allocations journalières au cours du même mois, dans la limite du salaire brut antérieurement perçu par l’allocataire”.

Ainsi, pour les salariés âgés de 57 ans et plus, 40% des rémunérations brutes d’activité exercées au cours d’un mois civil seront soustraites du montant total des allocations journalières qui auraient été versées pour le mois considéré. Ce taux s’appliquera dans la limite de 12 mois.

Le nouveau seuil de contracyclicité à 6,5 % de chômage

Le projet formalise le nouveau pallier de contracyclicité, principe selon lequel les conditions d’indemnisation sont durcies en période d’embellie sur l’emploi et assouplies en période morose. Ainsi, si le taux de chômage au sens du Bureau International du Travail baisse en dessous de 6,5 % pendant deux trimestres consécutifs, la durée d’indemnisation sera réduite de 40 %.

Mensualisation des allocations

Le gouvernement a refusé d’agréer l’accord des partenaires sociaux, mais il est prêt à en reprendre à son compte certaines mesures. Le projet d’accord entre organisations syndicales et patronales prévoyait une mensualisation des versements des allocations. En principe, les allocations journalières suivent le rythme calendaire des mois de 31, 30 ou 28 jours. Ainsi, le montant total de l’allocation varie selon les mois. Le projet prévoit le versement sur la base de 30 jours calendaires, quelle que soit la durée du mois. Les allocataires seront donc gagnants en février mais perdants les mois de 31 jours pour lesquels la fin de droits est repoussée d’un jour en fin d’indemnisation. Le gouvernement reprend l’idée dans le projet de décret : “Les allocations sont payées mensuellement à terme échu. Ce paiement correspond à trente allocations journalières, sauf en cas de survenance d’événements venant en déduction du nombre d’allocations journalières payées pour tous les jours calendaires”.

Également dans la musette du décret le régime accordé aux créateurs d’entreprises. Une aide à la reprise ou à la création d’entreprise est attribuée à l’allocataire qui justifie de l’obtention de l’exonération mentionnée à l’article L. 131-6-4 du code de la sécurité sociale. Désormais, le second versement de cette aide sera conditionné à la justification supplémentaire “de ne pas être titulaire d’un contrat de travail à durée interminée à temps plein”. Concrètement, en dehors d’une simple déclaration sur l’honneur, il semble complexe d’apporter la preuve de l’inexistence d’un CDI. Ce point sera donc à suivre dans la version finale du décret.

Entrée en vigueur

Les nouvelles règles entreraient ensuite en vigueur au 1er décembre 2024 comme annoncé par le gouvernement. Les salariés perdant leur emploi avant cette date ne sont donc pas concernés. Seuls les nouveaux entrants dans le régime se verront appliquer la réforme.

La Commission des affaires sociales adopte la proposition de loi Liot
Le groupe parlementaire Liot (Liberté Indépendants Outre-Mer Territoires) a déposé une proposition de loi afin de s’opposer au projet de réforme du gouvernement.

Réunie mercredi 5 juin 2024, la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a examiné et voté ce texte avec très peu de modifications. Les amendements du député Renaissance Marc Ferracci sur le maintien de la lettre de cadrage et de la contracyclicité ont tous été rejetés. Ont en revanche été adoptés les 6 amendements suivants :

AS24 qui impose au gouvernement de remettre au Parlement un rapport réalisé conjointement par le Conseil d’analyse économique, le Conseil d’Orientation pour l’Emploi et le Haut Conseil du financement de la protection sociale dans les six mois à compter de l’entrée en vigueur de la proposition de loi ;

AS14 qui sanctuarise les fonds de l’Unédic sur le financement de l’allocation chômage en abrogeant l’article L.5422‑24 du code du travail (cette disposition permet de faire contribuer l’Unédic au financement de France Travail, et ce au taux de 11 % comme le prévoit le projet de décret) ;

AS21 qui instaure un débat annuel au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’assurance chômage, des politiques publiques de réinsertion professionnelle et de soutien à l’emploi ;

AS5 qui crée un Conseil d’orientation de l’assurance chômage afin de développer les données publiques ;

AS7 qui vise à intégrer dans la négociation sur l’emploi des séniors à réaliser au moins tous les 4 ans la prévention et la réduction de la pénibilité des postes de travail occupés par les séniors ;

AS8 qui prévoit que le plan d’action des entreprises sur les seniors soit validé par l’autorité administrative.

C’est donc une proposition de loi très peu amendée qui arrivera dans l’hémicycle de l’Assemblée le 13 juin prochain pour la discussion en séance publique.

L’initiative du groupe Liot a été soutenue par les cinq syndicats représentatifs.

En résumé, la proposition de loi :

– remplace la lettre de cadrage par un document d’orientation moins contraignant ;
– impose donc “une durée d’indemnisation égale à la durée d’affiliation prise en compte pour l’ouverture des droits”;
– supprime le principe de contracyclicité ; fixe la durée d’affiliation à 6 mois sur les 24 derniers mois ;
– impose au gouvernement d’agréer l’accord des partenaires sociaux et de ne leur suppléer par un décret qu’en cas d’échec des négociations paritaires ;
– instaure une négociation spéciale seniors dans toute entreprise d’au moins 300 salariés et un plan d’action annuel pour favoriser l’emploi des salariés âgés à défaut d’accord.

Marie-Aude Grimont