Retraites : la CFDT pose sa “lettre de cadrage”
29/01/2025
Alors que le temps s’étire depuis la première réunion avec François Bayrou sur les retraites le 17 janvier, Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, a tenu hier à rappeler ses conditions : une méthode séparant retraites du public et du privé, un réel diagnostic social des injustices liées à la réforme de 2023 et l’ouverture de concertations parallèles sur le travail.
Le 17 janvier dernier, le Premier ministre François Bayrou a convié les leaders syndicaux à une première réunion relative à ce qu’il désigne comme un “conclave” dédié aux retraites. Depuis, le gouvernement est suspendu aux débats relatifs aux projets de lois de finances qui ont repris au Parlement et à l’éventualité d’une censure. Difficile dans ces conditions de faire avancer le dossier retraites. La CFDT profite donc de ce faux calme pour rappeler ses conditions et priorités lors d’une déclaration à la presse depuis le siège confédéral, mardi 28 janvier. Elle dessine ainsi les voies de passages possibles avec les autres organisations syndicales et patronales, sans pour autant remiser aux oubliettes son ambition de construire un régime universel par points.
La CFDT contre “la fable des 30 milliards de déficits cachés”
Chacun son tour de poser une lettre de cadrage, tel était le message de Marylise Léon à François Bayrou mardi 28 janvier. Onze jours après la réunion avec le Premier ministre, et alors que ce dernier n’est pas revenu sur sa volonté de mélanger retraites du public et du privé, la secrétaire générale de la CFDT tient à lui rappeler ses conditions.
Premièrement, “notre organisation ne s’engagera dans les discussions que si, et uniquement si, le diagnostic financier n’intègre pas la fable des soi-disant 30 milliards d’euros de déficits cachés”. Hors de question donc pour la CFDT d’aller discuter des retraites des fonctionnaires. C’est également le point de vue de Sophie Binet (CGT), de Frédéric Souillot (FO), de François Hommeril (CFE-CGC), de Cyril Chabanier (CFTC) et même du patronat qui ne se considère pas comme légitime. Marylise Léon concède cependant “qu’une réflexion doit être menée sur le régime de retraites des fonctionnaires (…) dans un cadre de discussion séparé”.
Autre élément de méthode, elle demande que les études confiées à la Cour des comptes s’appuient sur les travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR) “qui fait autorité depuis 20 ans”. À défaut, elle se réservera le droit de “s’interroger sur la fiabilité de leurs conclusions”. La Cour des comptes devra de plus se borner “à des constats et non formuler des préconisations”. Marylise Léon rappelle également “que le cadre doit être défini avec le tiers de confiance choisi”, à savoir Jean-Jacques Marette, ancien directeur des retraites complémentaires de l’Agirc-Arrco de 1997 à 2015.
La CFDT réclame aussi un travail de fond sur le diagnostic social de la réforme de 2023, notamment pour les personnes ni en emploi ni en retraites mais qui se trouvent en invalidité ou à l’assurance chômage.
Enfin, Marylise Léon pose son exigence de concertations relatives au travail en parallèle au “conclave” sur les retraites. Ces discussions devront selon elle porter sur “les déroulements de carrière, les temps de vie, les reconversions, la santé au travail, les rémunérations” mais aussi les “enjeux écologiques ou numériques”.
Les voies de passage : 62 ans, pénibilité, retraites des femmes
Sur le fond, Marylise Léon continue de porter un retour à l’âge légal de 62 ans. Il ne sera en revanche pas question de revenir sur la durée de cotisation : “Aucune piste de cette nature ne sera explorée”, a-t-elle tranché mardi 28 janvier.
Elle réclame également le retour des quatre critères de pénibilité supprimés par Emmanuel Macron en 2017 : le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et l’exposition aux agents chimiques dangereux : “Demandez aux déménageurs, aux aides à domicile, aux ouvriers du bâtiment, des travaux publics ou encore de l’industrie chimique ! On ne peut plus collectivement faire comme si cela n’existait pas”. Rappelons que selon Santé publique France, les troubles musculo squelettiques (TMS) représentent 88 % des maladies professionnelles reconnues par le régime général. Or, les TMS sont issus principalement de trois des quatre critères supprimés par Emmanuel Macron à l’occasion de la réforme du compte pénibilité.
Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la CFDT, note à cet égard que les trois organisations patronales ont mentionné l’usure professionnelle lors des rendez-vous avec François Bayrou à Matignon, ce qu’il prend pour un gage de bonne volonté d’aborder le sujet.
Autre point sur le tapis du conclave : les retraites des femmes, qualifiées par Marylise Léon de “grandes perdantes de la réforme de 2023”. Pour la secrétaire générale de la CFDT, “le décalage de l’âge légal annule purement et simplement l’intérêt des trimestres acquis en cas de maternité, tout comme le bénéfice de la surcote passés 62 ans. C’est tout simplement inacceptable”.
Quelles perspectives après le 19 février ?
Pour l’instant, les contacts se poursuivent entre les leaders syndicaux. Ces derniers attendent le rapport de la Cour des comptes prévu pour le 19 février. Rappelons que dans sa lettre de mission, François Bayrou a bien demandé une étude mélangeant retraites des fonctionnaires, des salariés, des indépendants, régime de base et complémentaires compris. Les numéros un des confédérations vont également devoir fixer leur méthode avec l’animateur du conclave, Jean-Jacques Marette.
Le Premier ministre n’a en revanche pas fait savoir s’il acceptait la demande des syndicats de ne pas aborder les retraites des fonctionnaires. De plus, il lui faudrait convier les syndicats du public ou en tout cas ceux qui sont représentatifs, comme Solidaires dans le secteur du rail. Selon nos informations, aucune invitation n’a encore été envoyée dans ce sens. Il faudra bien pourtant apporter ces réponses. Sans quoi, les syndicats risquent de lancer la fumée noire avant même l’ouverture des discussions.
Marylise Léon n’exclut pas de recourir à des institutions qui exploreront la viabilité les différentes pistes évoquées, comme le fait l’Unédic en matière d’assurance chômage. Elle compte également relier la question du financement à celle de l’emploi des seniors : “10 % des seniors en emploi, c’est résoudre en grande partie les difficultés financières du régime général”.
Elle considère enfin que le “conclave” pourrait n’être qu’un premier temps des discussions comprenant les sujets de court terme répondant aux urgences sociales et aux injustices de 2023. Un second temps permettrait de “se projeter sur le plus long terme avec les enjeux démographiques”. Ainsi, la revendication d’un système universel par points n’est pas abandonnée pour la CFDT. Marylise Léon espère poser des éléments lors du “conclave” qui serviront d’appui dans de futurs projets émergeant, pourquoi pas, après l’élection présidentielle de 2027…
Marie-Aude Grimont