Cahier de jurisprudence de droit du travail du CSE : vie privée, droit disciplinaire, période d’essai, objectifs commerciaux, sexisme, liberté d’expression

04/09/2024

Un exercice efficace du mandat d’élu du CSE, mais aussi de représentant de proximité (RP), exige de développer de solides connaissances des règles du droit du travail. Pour vous y aider, nous sélectionnerons régulièrement la jurisprudence relative à vos domaines de compétence dans ce cahier de jurisprudence.

► Pourquoi vous proposer ce rendez-vous régulier ? La délégation du personnel au CSE a pour mission de présenter à l’employeur les réclamations individuelles et collectives des salariés relatives aux salaires, à l’application du code du travail et des autres dispositions légales concernant notamment la protection sociale, ainsi que des conventions et accords applicables dans l’entreprise (articles L. 2312-5 et L. 2312-8 du code du travail). On attend donc des membres du CSE, mais aussi des éventuels représentants de proximité (RP), qu’ils soient les porte-paroles des salariés. Leur rôle est d’être à l’écoute des salariés, de les informer sur leurs droits, de les orienter, de les conseiller, de les accompagner, etc. Pour cette mission, les représentants du personnel ont forcément besoin de développer leurs connaissances en droit du travail, et donc de suivre l’actualité juridique : nous vous proposerons donc régulièrement ce cahier de jurisprudence de droit du travail qui évoque des décisions récentes rendues par les juges.

Témoignage devant les prud’hommes
Note de la rédaction. Devant les prud’hommes, on dit que la preuve est libre. Cela signifie qu’elle peut être apportée par tous moyens. Ainsi, même s’il n’est pas toujours évident d’en obtenir un, le témoignage d’un salarié en faveur d’un autre salarié peut servir de preuve.

► L’histoire

Un salarié, occupant le poste de directeur marketing groupe, est licencié pour faute grave. L’employeur lui reproche d’avoir établi un témoignage en faveur d’une autre salariée ayant intenté une action en justice devant les prud’hommes pour contester son licenciement économique. L’employeur estime que ce salarié a, dans le cadre de ce témoignage, “mis en cause les agissements du groupe” et qu’il a ainsi manqué à ses obligations contractuelles.

Sous prétexte que la société ne reprochait pas à son salarié d’avoir témoigné en justice contre elle, mais d’avoir manqué à son obligation contractuelle de confidentialité du fait de son témoignage, la cour d’appel rejette la contestation du salarié.

Pour la Cour de cassation, ce licenciement doit être annulé.

D’après les juges, “en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté fondamentale de témoigner, garantie d’une bonne justice, le licenciement prononcé en raison du contenu d’une attestation délivrée par un salarié dans le cadre d’une instance judiciaire, est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur”. Or, ici, il avait bien été constaté que le salarié avait été licencié pour avoir établi un témoignage en faveur d’une autre salariée dans le cadre d’un litige prud’homal opposant la société à cette dernière. La mauvaise foi du salarié n’ayant pas été établie, son licenciement était donc nul.

► L’arrêt

Cass. soc., 10 juill. 2024, n° 23-17.953

Vie privée/vie professionnelle
Note de la rédaction. Même dans le cadre du travail, les salariés ont heureusement droit au respect de leur vie privée. Voilà pourquoi des faits qui se sont produits dans le cadre de la vie privée du salarié ne peuvent pas être utilisés par l’employeur pour justifier un licenciement. En cas d’atteinte à la vie privée d’un ou plusieurs salariés, un droit d’alerte du CSE pourrait être envisagé en application de l’article L. 2312-59 du code du travail.

► L’histoire

À l’issue d’un événement professionnel d’entreprise, un supérieur hiérarchique remet à une de ses subordonnées le programme politique de son parti. L’employeur considère que ce prosélytisme politique ”dans un cadre non dépourvu de tout lien avec la vie de l’entreprise” est fautif. Il licencie le salarié pour faute grave.

Pour les juges, ce licenciement est abusif car un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail. Or, ici, le programme politique avait été remis à la salariée en dehors du temps et du lieu de travail. Les faits reprochés au salarié relevaient donc de sa vie privée et non de sa vie professionnelle. Le salarié étant libre d’exercer ses convictions religieuses, philosophiques, ou politiques, ces faits tirés de sa vie privée ne pouvaient pas constituer un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail. Le licenciement pour faute grave du salarié est donc jugé sans cause réelle et sérieuse.

► L’arrêt

Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-14.779

Droit disciplinaire
Note de la rédaction. Il revient très souvent aux représentants du personnel ou aux délégués syndicaux d’accompagner et d’assister le salarié qui fait l’objet d’une procédure disciplinaire. D’où l’importance pour eux de connaître les dernières évolutions de la jurisprudence en matière de droit disciplinaire.

► L’histoire

Une salariée, licenciée pour faute, décide de contester son licenciement devant les prud’hommes. Elle fait valoir que les faits qui ont motivé son licenciement ont déjà été sanctionnés par deux lettres de mise en garde. L’employeur ne pouvait donc plus la sanctionner par un licenciement disciplinaire.

La Cour de cassation donne gain cause à la salariée. Les mises en garde adressées à la salariée constituaient bien des sanctions disciplinaires. Dans l’une d’elles, l’employeur listait un certain nombre de manquements et demandait à la salariée de modifier son comportement, ajoutant n’envisager aucune sanction à ce stade. Dans l’autre, il faisait état d’autres griefs ultérieurement invoqués à l’appui du licenciement, et lui demandait de cesser ce comportement.

L’employeur ayant épuisé son pouvoir disciplinaire, les faits reprochés à la salariée qu’il estimait comme fautif ne pouvaient donc plus être sanctionnés par un licenciement disciplinaire.

► L’arrêt

Cass. soc., 29 mai 2024, n° 22-19.313

► L’histoire

Après avoir fait l’objet de deux avertissements les 7 et 15 juillet 2016, un agent de la RATP est révoqué le 27 novembre 2016. L’intéressé saisit les prud’hommes pour contester le bien-fondé de ces avertissements et de la mesure de révocation et obtenir la condamnation de son employeur à lui payer diverses sommes.

Les juges lui donnent gain de cause.

Comme le rappelle la Cour de cassation, “l’irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire, prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur, est assimilée à la violation d’une garantie de fond lorsqu’elle a privé le salarié des droits de sa défense ou lorsqu’elle est susceptible d’avoir exercé en l’espèce une influence sur la décision finale de l’employeur”.

Or, ici, les différentes irrégularités constatées dans le déroulement de la procédure disciplinaire par rapport à ce que prévoit le statut du personnel de la RATP avaient privé le salarié de la possibilité d’assurer utilement sa défense. D’où l’annulation des avertissements.

► L’arrêt

Cass. soc., 26 juin 2024, n° 23-13.352

Faute lourde
Note de la rédaction. La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.

► L’histoire

Un salarié d’une entreprise travaille parallèlement pour une société tierce, pour laquelle il recrute des salariés en utilisant des moyens et informations fournis par son employeur. Cela ne s’arrête pas là : il va jusqu’à débaucher des salariés et détourner des candidatures adressées à son employeur. 

Au vu de ces éléments accablants, le licenciement pour faute lourde de ce salarié est, pour les juges, pleinement justifié.

► L’arrêt

Cass. soc., 26 juin 2024, n° 22-10.709

Période d’essai
Note de la rédaction. Il n’est pas rare que les membres du CSE soient saisis de difficultés liées à l’application du contrat de travail. Il leur revient également de veiller au respect des dispositions conventionnelles issues de la convention collective et des accords d’entreprise.

► L’histoire

Un salarié est engagé le 6 janvier 2015 en qualité de directeur commercial avec une période d’essai de six mois, renouvelable une fois. Le 24 juillet 2015, l’employeur met fin à la période d’essai et se sépare du salarié.

Pour les juges, du seul fait que le contrat de travail a été rompu après l’expiration de la période d’essai, cette rupture s’analysait comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, indépendamment des motifs énoncés par l’employeur dans la lettre de rupture.

► L’arrêt

Cass. soc., 3 juill. 2024, n° 22-17.452

► L’histoire

Une infirmière est recrutée en CDI le 4 septembre 2017, après avoir bénéficié de 3 CDD conclus pour les périodes respectives du 18 au 31 mai 2017, du 1er au 30 juin 2017 et du 1er au 30 août 2017, en remplacement de salariés absents. Le 15 septembre suivant, l’employeur met fin à la période d’essai de 2 mois prévue au contrat de travail.

Pour les juges, lorsque la relation de travail se poursuit par un CDI sur un même emploi à l’issue d’un ou de plusieurs CDD, la durée de ces contrats s’impute sur la période d’essai éventuellement prévue au CDI, peu important que les CDD aient été espacés de courtes périodes.

Dès lors que cette infirmière, diplômée d’Etat, avait exercé tant durant ses CDD que de son CDI dans différents services de soins sans aucune discontinuité fonctionnelle, la même relation de travail s’était poursuivie avec l’employeur depuis le 18 mai 2017. En conséquence, la durée des trois contrats de travail à durée déterminée devait être déduite de la période d’essai.

► L’arrêt

Cass. soc., 19 juin 2024, n° 23-10.783

Objectifs commerciaux et rémunération variable
Note de la rédaction.  Il revient aux élus du CSE de faire remonter auprès de l’employeur les réclamations individuelles et collectives des salariés. Ces réclamations, qu’il ne faut pas confondre avec des revendications, peuvent porter sur des questions de rémunérations, et notamment sur le calcul de la rémunération variable des commerciaux.

► L’histoire

Dans le cadre d’un contentieux prud’homal, une salariée réclame à son employeur le paiement de compléments de primes variables pour les années 2013, 2014 et 2015.

La demande est rejetée en appel.

A tort, décide la Cour de cassation. En effet, d’après les juges, “lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, ceux-ci doivent être réalisables et portés à la connaissance du salarié en début d’exercice. A défaut, le montant maximum prévu pour la part variable doit être payé intégralement comme s’il avait réalisé ses objectifs”.

Or, ici, il avait été constaté, d’une part, que la partie variable de la rémunération contractuelle de la salariée dépendait de la réalisation d’objectifs fixés unilatéralement par l’employeur, d’autre part, que la fixation des objectifs pour les années 2013 et 2014 était intervenue tardivement et que les objectifs individuels assignés à la salariée pour l’année 2015 n’étaient pas atteignables.

Il fallait donc en déduire que la rémunération variable devait être versée intégralement à l’intéressée pour ces trois années, sans distinction entre la part assise sur les performances individuelles et la part assise sur les performances collectives.

► L’arrêt

Cass. soc., 12 juin 2024, n° 22-17.063

Agissements sexistes
Note de la rédaction. Tout comité social et économique doit désigner, parmi ses membres, un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Le CSE peut susciter toute initiative qu’il estime utile et proposer des actions de prévention du harcèlement sexuel et des agissements sexistes.

► L’histoire

Un salarié du Commissariat à l’énergie atomique est licencié pour faute. L’employeur lui reproche d’avoir tenu, auprès de certaines collègues de travail, des propos à connotation sexuelle, insultants, humiliants et dégradants.

Sous prétexte notamment que le salarié avait déjà tenu ce genre de propos par le passé et que l’employeur, pourtant au courant de ces agissements, n’avait prononcé aucune sanction disciplinaire, la cour d’appel décide que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation en décide autrement.

En vertu de l’article L. 1142-2-1 du code du travail, “nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant”. Par ailleurs, “l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et faire cesser notamment les agissements sexistes” (articles L. 4121-1 et L. 4121-2).

En conséquence, qu’elle qu’ait pu être l’attitude de l’employeur, tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, les propos tenus par le salarié étaient de nature à caractériser un comportement fautif constitutif d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.

► L’arrêt

Cass. soc., 12 juin 2024, n° 23-14.292

Liberté d’expression
Note de la rédaction. En tant que liberté fondamentale, la liberté d’expression permet au salarié d’exprimer son opinion et de tenir des propos sur l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise. Tant qu’il ne commet pas d’abus, l’employeur ne peut pas le sanctionner. Une atteinte à la liberté d’expression pourrait, selon les circonstances, justifier le déclenchement d’un droit d’alerte du CSE en application de l’article L. 2312-59 du code du travail.

► L’histoire

Estimant que le salarié, attaché commercial, a tenu des propos qu’il n’aurait pas dû tenir quant à la politique de structuration des équipes, la répartition des portefeuilles et la fixation des objectifs d’une collègue, l’employeur le licencie avec dispense de préavis pour abus de sa liberté d’expression.

Pour la Cour de cassation, la cour d’appel a décidé à tort que ce licenciement reposait bien sur une cause réelle et sérieuse.

Sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression. Il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Or, ici, en l’absence de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, aucun abus de liberté d’expression ni de dénigrement de l’employeur n’était caractérisé.

► L’arrêt

Cass. soc., 7 mai 2024, n° 22-18.699

Frédéric Aouate