Rémunération : la frontière s’estompe entre salaire et prime de partage de la valeur
17/03/2025
Une étude menée par France Stratégie révèle comment les dispositifs de partage de la valeur deviennent progressivement des outils de substitution aux augmentations salariales. Une tendance qui s’est particulièrement accentuée depuis 2022, dans un contexte d’inflation et d’incertitude économique.
Pour beaucoup de praticiens des ressources humaines, c’est désormais “une vue de l’esprit”. Le principe selon lequel les mécanismes de partage de la valeur ne doivent jamais se substituer au salaire, élément central de la rémunération du travail, semble de plus en plus malmené dans les entreprises françaises. C’est ce que révèle, le 5 mars, une étude de terrain menée par le cabinet Plein Sens pour le compte de France Stratégie, et réalisée dans le cadre des travaux menés par le comité de suivi et d’évaluation de la loi Pacte de 2019. Soit une évolution silencieuse mais profonde des pratiques salariales.
Des “vases communicants” qui ne disent pas leur nom
L’enquête, qui repose sur les témoignages de vingt et un experts et sur des entretiens réalisés dans une vingtaine d’entreprises, dévoile l’existence d’effets de “vases communicants” entre augmentations de salaire et dispositifs tels que l’intéressement, la participation ou la prime de partage de la valeur (PPV). Cette tendance s’est particulièrement accentuée depuis 2022, dans un contexte d’inflation et d’incertitude économique.
“Les politiques de rémunération apparaissent de plus en plus globales”, souligne l’étude, qui observe que la distinction juridique entre salaire et primes devient de plus en plus poreuse. Cette évolution est d’autant plus marquée que le partage de la valeur s’invite désormais dans la plupart des négociations annuelles obligatoires (NAO).
La PPV, catalyseur d’une transformation profonde
L’introduction de la prime de partage de la valeur, “simple à mettre en œuvre et fiscalement avantageuse”, a amplifié ce phénomène. Contrairement aux dispositifs d’intéressement et de participation, dont les calendriers triennaux tendaient à les décorréler des négociations salariales, la PPV s’inscrit dans un cycle annuel. Son intégration dans les discussions tend désormais à englober également les autres mécanismes de partage de la valeur dans la NAO.
Ce glissement est particulièrement visible lors de la “sortie de la PPV” : plusieurs témoignages recueillis indiquent que c’est en compensant par des augmentations générales de salaire que les directions parviennent à mettre fin à cette prime. Une pratique qui, bien que n’étant pas une obligation légale, illustre la porosité croissante entre ces différentes composantes de la rémunération.
Des logiques différenciées selon la taille des entreprises
L’étude met également en lumière des pratiques distinctes selon la taille des entreprises. Si les petites structures privilégient des formules “clé en main” par souci de simplicité, les grands groupes développent des approches plus sophistiquées, voire d’optimisation fiscale et sociale.
Dans les multinationales, cette logique est amplifiée : la politique de rémunération y est souvent décidée sur la base d’enveloppes globalisées et d’indicateurs qui “n’opèrent pas de distinction entre les composantes de la rémunération”, en tout cas telles que définies par le cadre législatif français.
Pour France Stratégie, “cette tendance à la globalisation des politiques de rémunération et ses implications nécessiteraient toutefois des investigations plus poussées”.
Un dialogue social complexifié
Il n’empêche. Cette évolution ne va pas sans poser question. Au-delà de l’enjeu de la substitution, c’est aussi la qualité du dialogue social qui est en jeu. L’étude souligne la difficulté des représentants du personnel, notamment des PME, à maîtriser les aspects techniques de ces dispositifs et à aller au-delà d’une “simple posture de ratification ou de refus”.
Pour les salariés, l’équation est complexe : si ces mécanismes peuvent sembler avantageux à court terme, notamment dans un contexte inflationniste, leur substitution progressive aux augmentations salariales pourrait avoir des conséquences durables sur l’évolution des rémunérations, les droits à la retraite et la protection sociale.
À l’heure où le gouvernement encourage le développement de ces dispositifs, l’étude invite à repenser la distinction juridique entre salaire et partage de la valeur, devenue de plus en plus théorique face aux réalités du terrain.
En 2023, près de 5,9 millions de salariés du secteur privé ont bénéficié de la PPV pour un montant total de versement de 5,3 millions d’euros.
Anne Bariet