SANTÉ, SÉCURITÉ, CONDITIONS DE TRAVAIL

L’insoutenabilité du travail conduit à partir plus tôt en retraite

14/03/2023

La dernière étude de la Dares sort à point nommé. En pleine réforme repoussant l’âge légal de départ en retraite, elle retrace le rôle de la soutenabilité du travail dans les capacités des salariés à atteindre le sésame de la retraite. Plus le travail est insoutenable, plus les salariés partent tôt.

Selon la Dares (du service statistique du ministère du travail), 37 % des salariés ne se sentent pas capables de tenir dans leur travail jusqu’à la retraite. Alors que la réforme reportant l’âge légal de départ de 62 à 64 ans a été adoptée la semaine dernière au Sénat, cette dernière mouture de l’enquête Conditions de travail de la Dares dénonce les effets des risques professionnels, aussi bien physiques que psychosociaux, ainsi que les biais de genre et les changements organisationnels comme autant de facteurs dégradant la soutenabilité du travail.

Insoutenabilité et âge légal de départ

“Les salariés considérant leur emploi comme insoutenable avant de partir à la retraite la prennent davantage que les autres sans avoir atteint l’âge légal”, relève la Dares. Ils déclarent aussi trois fois plus souvent (48 %) que leur santé rendait leur travail difficile et que cette situation a compté dans leur départ en retraite. Chez les salariés n’atteignant pas l’âge légal de départ et ayant un travail insoutenable, 62 % citent leur santé comme motif de départ en retraite et 45 % leurs conditions de travail.

L’insoutenabilité du travail vise les métiers les moins qualifiés

Si l’insoutenabilité étudiée par la Dares est plus marquée chez les ouvriers (39 %) que chez les cadres (32 %), elle concerne quand même l’ensemble des catégories socio-professionnelles. Il demeure que certaines professions sont jugées moins soutenables que les autres :

accueil du public : caissiers, guichetiers de banque/assurance, hôtellerie restauration) ;

soin et action sociale : infirmiers, aides-soignants ;

ouvriers non qualifiés.

Ces activités se caractérisent par “des risques physiques plus marqués et des exigences émotionnelles plus fortes” explique la Dares, car ces professions sont au contact du public. Les métiers exercés dans un bureau et plus qualifiés sont au contraire jugés “plus soutenables jusqu’à la retraite”.

Le rôle des risques professionnels

L’exposition aux risques professionnels va d’ailleurs de pair avec un sentiment accru d’insoutenabilité du travail. La Dares fait remonter à ce sujet l’importance des nuisances dans l’environnement de travail (bruit, chaleur, etc.), et des contraintes physiques (charges lourdes par exemple). Les “contraintes psychosociales” jouent également leur rôle : travail intense, insécurité socio-économique, rapports sociaux dégradés. La poly-exposition à tous les risques en même temps produit des effets cumulatifs : 61 % des salariés fortement exposés déclarent ne pas être capables de tenir jusqu’à la retraite. Une santé dégradée pèse encore plus sur l’insoutenabilité du travail. Par ailleurs, les longues interruptions de travail sont plus fréquentes chez les salariés estimant leur travail insoutenable.

L’insoutenabilité est plus fréquente chez les femmes

Ressentir son travail comme insoutenable concerne 41 % des femmes contre 34 % des hommes. L’écart perdure quelque soit la catégorie socio-professionnelle mais varie selon la configuration familiale. En l’absence d’enfants, la part de salariés jugeant leur travail insoutenable est plus faible (36 % des femmes, 31 % des hommes). En revanche, ” 57 % des femmes ayant des enfants en bas âge ne se sentent pas en capacité de tenir dans leur travail, contre 43 % des hommes dans la même situation”, indique la Dares. Une situation d’autant plus inquiétante pour la population salariée que l’insoutenabilité se maintient dans le temps. Les femmes demeurent plus fréquemment que les hommes dans une situation d’insoutenabilité de leur travail.

Les remèdes : autonomie, soutien social

Le sentiment d’insoutenabilité se réduit lorsque le salarié dispose d’autonomie et de soutien social dans son travail. Pouvoir atteindre ses objectifs, pouvoir faire correctement son travail, décider de ses horaires et de son organisation permettent en effet une meilleure maîtrise de son environnement. De même, recevoir de l’aide d’un supérieur, de collègues ou des représentants du personnel limite les conséquences de certains risques et accroît la soutenabilité.

A l’inverse, les changements organisationnels de type restructuration, déménagement, changement de direction ou d’équipe soutiennent l’insoutenabilité. Toutefois, la Dares indique que “la participation des salariés aux modalités des changements intervenus réduit l’impact de l’insoutenabilité”.

Marie-Aude Grimont

Mobilité et QVT : quel est l’impact des PDME, des transports en commun et de la crise sanitaire ?

14/03/2023

Dans leur enquête “Mobilité & Qualité de vie au travail” publiée en juillet 2022, ekodev et l’ekosystème mobilité ont réalisé des focus sur des thématiques précises de la mobilité.

Concernant les Plans de mobilité employeur (PDME), 76 % des répondants n’ont pas la connaissance de la mise en place d’un PDME sur leur site.

Le PDME est un ensemble de mesures qui vise à optimiser et augmenter lefficacité des déplacements liés à lactivité dun établissement, pour diminuer les émissions polluantes et réduire la congestion du trafic routier.

Pour les travailleurs ayant connaissance de l’existence d’un PDME au sein de leur entreprise, seulement 33 % d’entre eux trouvent que le PDME a amélioré les conditions de déplacement.

En matière de transports en commun, 86 % des personnes interrogées bénéficient d’un remboursement de l’abonnement transport par leur employeur. A noter que le principal titre de transport utilisé reste l’abonnement annuel (58 %), suivi de l’abonnement mensuel (29 %), du carnet de tickets (7 %), du ticket-unitaire (2 %), du ticket aller-retour (2 %) et de l’abonnement hebdomadaire (1 %).

L’enquête révèle que les travailleurs qui se déplacent en transports en commun sont plus négatifs en arrivant au travail en Île-de-France qu’hors d’Île-de-France. En effet, 76 % des répondants qui se déplacent en transports en commun en Île-de-France ressentent des sensations négatives à leur arrivée sur leur lieu de travail et 66 % des sensations positives. Hors Île-de-France, seulement 58 % des répondants qui se déplacent en transports en commun ont des sensations négatives et 71 % des sensations positives.

Les personnes qui ont recourt à l’intermodalité sont également davantage négatives en arrivant au travail (68 %) que celles qui utilisent un seul mode de transport (52 %).

Enfin, pour ce qui est de la crise sanitaire, elle a entraîné une modification des habitudes de mobilité pour 38 % des personnes interrogées. Un report modal des usagers des transports en commun et des véhicules motorisés vers les modes actifs est à souligner.

Par exemple, d’après les chiffres de l’enquête, 23 usagers de vélos personnels mécaniques utilisaient avant la crise sanitaire le tramway ou le métro et 14 usagers la voiture personnelle.

Malgré les rumeurs, les déménagements pour une meilleure qualité de vie à la suite de la crise sanitaire ont finalement été assez peu nombreux puisqu’ils concernent seulement 12 % des répondants de l’étude.

Source : actuel CSE

La France va devoir adapter le travail à une population active vieillissante

15/03/2023

Organisées par Prism’emploi à la maison de la Chimie à Paris, les 8e rencontres du travail et de l’emploi ont balayé les problématiques du moment, autour des tensions de recrutement, du rapport au travail et de l’emploi des seniors. Si certains préconisent davantage de flexibilité et des réductions de cotisations pour employer davantage de seniors, d’autres estiment que l’enjeu concerne d’abord l’amélioration des conditions de travail, peu adaptées à des travailleurs vieillissants.

A la veille de la réunion d’une commission mixte paritaire déterminante pour l’avenir de la réforme des retraites (lire notre article dans cette même édition), c’est le ministre du travail qui a ouvert les débats des rencontres travail et emploi, mardi 14 mars à la maison de la Chimie parisienne. La France ne connaît pas “la grande démission” vécue aux Etats Unis, a-t-il observé, mais elle renoue, et c’est heureux, avec une plus grande mobilité de sa population active.

Olivier Dussopt a d’ailleurs indiqué vouloir assouplir le dispositif Transco (Transitions professionnelles) pour favoriser les reconversions. Il a redit aussi son intention d’élargir au numérique les espaces d’expression des syndicats et du CSE dans l’entreprise, à l’occasion de la future loi, cet été, sur le plein emploi. S’il a vanté le futur index seniors du projet de loi retraite, il ne s’est pas prononcé sur le contrat d’emploi seniors voté par le Sénat.

“Les seniors représentent 32% de l’emploi mais seulement 16% dans l’emploi temporaire. La balle est aussi dans votre camp”, a-t-il au passage glissé à Gilles Lafon, le président de l’organisation patronale de l’intérim (Prism’emploi). Une branche qui représente pas moins de 800 000 équivalents temps plein, et aujourd’hui 50 000 salariés en CDI intérimaire, “soit davantage que nos 30 000 salariés permanents”, insiste Isabelle Eynaud-Chevalier. Et la déléguée générale de Prism’emploi de présenter son organisation, qui compte deux fois plus d’agences que Pôle emploi sur le territoire, comme le premier cabinet de recrutement du pays.

30 000 postes vacants dans la métallurgie

“Je vous prédis des débats sur le travail très nourris post-réforme des retraites”, a pour sa part pronostiqué Hubert Mongon, le délégué général de l’UIMM (l’organisation patronale de la métallurgie). En dépit de salaires supérieurs de 13% à 14%, en dépit d’un CDI très fréquent (92% des contrats), en dépit d’une rénovation complète des accords conventionnels de la métallurgie qu’il faut maintenant déployer, l’industrie peine à recruter, a-t-il constaté : “Nous avons 60 000 postes non pourvus dans l’industrie dont 30 000 dans la métallurgie”. Il va falloir accentuer l’effort de changement d’image des métiers industriels, pousser plus encore leur féminisation, “car la France ne pourra pas réaliser sa transition écologique sans industrie”, et sans doute doper l’effort de formation, plusieurs intervenants souhaitant une modernisation des lycées professionnels avec une plu sgrande ouverture de l’éducation nationale sur les entreprises.

La question d’un logement accessible (le coût des actes notariés a été évoqué) a été identifié comme un des freins à la mobilité. Mais d’autres voix ont pointé une forme de retard français dans les conditions de travail. Monika Queisser, la cheffe de la division des politiques sociales de l’OCDE, a ainsi loué l’Allemagne, le pays européen qui a le plus fait progresser le taux d’emploi des seniors ces dernières années. Pourquoi ? “Parce que l’Allemagne est un pays qui vieillit, et qui a compris qu’il fallait emménager les conditions de travail pour maintenir les gens en emploi, grâce à un profond travail dans les entreprises et les branches. La France, qui va également vieillir, devra y venir”. 

Autrement dit, la France, mauvais élève européen en matière d’accidents du travail, a devant elle un énorme chantier de modernisation de ses conditions de travail, un chantier au demeurant plus facile à mener pour les aspects physiques que pour les questions managériales. “Les conditions de travail ne sont pas pensées pour des travailleurs vieillissants. Un énorme chantier est devant nous”, a approuvé Philippe Garabiol,  le secrétaire général du COCT, le comité d’orientation et des conditions de travail.

Autonomie du salarié et intensification du travail

Pour l’économiste Bertrand Martinot, auteur d’une enquête pour l’institut Montaigne (***), on ne comprend pas le rapport au travail des Français si l’on ne met pas en parallèle les 80% de salariés se disant satisfaits du contenu et du sens de leur travail avec la réalité de leur semaine de travail : “Une majorité de Français travaillent régulièrement après 20 heures ainsi que le week-end. L’intensification du travail, ce qu’on appelle la charge mentale ou la charge psychique, et son étalement durant la semaine en soirée et durant le week-end, expliquent sans doute un état d’oppression chez certains travailleurs, une forme de désenchantement ou à tout le moins un rapport compliqué au travail”.

A cet égard, si seulement 25% des salariés télétravaillent deux jours par semaine (mais 40% occasionnellement), il faut voir que les salariés dont le travail ne peut être fait à distance expriment désormais une demande de compensation, comme la semaine de 4 jours, qui serait une forte revendication de la base, selon Jérôme Fourquet, directeur du département opinions et stratégies d’entreprise de l’Ifop.

Le dialogue social, dans l’entreprise et la branche, peut améliorer les conditions de travail

Ces questions d’autonomie du salarié et de l’intensification du travail n’appellent pas des réponses législatives, estime Bertrand Martinot, mais des solutions que le dialogue social peut imaginer, dans l’entreprise ou la branche, sachant que le futur fonds d’un milliard d’euros pour la prévention de l’usure professionnelle pourrait financer ces actions. Cela vaut, aux yeux de l’économiste, pour les problèmes de conditions de travail physiques comme l’ergonomie des postes. “Certaines branches n’ont pas pris le taureau par les cornes, elles vont devoir s’y mettre”, alerte Bertrand Martinot. “Pendant des années on a dit aux salariés mécontents de leurs conditions de travail qu’ils pouvaient aller voir ailleurs. Là, le rapport de forces s’inverse et les branches devront réduire leur sinistralité si elles veulent attirer des jeunes. Certains n’hésitent plus à changer de branche et de métier, on l’a vu pour la restauration et l’hôtellerie”, renchérit Jérôme Fourquet. 

Ce dernier a développé, sans surprise, son discours sur l’accentuation de la crise du travail : “37% des salariés se disent moins motivés qu’avant par leur travail. En 1990, 60% des Français disaient que le travail était très important dans leur vie, on est tombé à 21% aujourd’hui”. De là à dire qu’une vague de flemme menacerait de s’abattre sur le pays ? Le député des Vosges Stéphane Viry (Les Républicains) n’était pas loin d’y succomber  lorsqu’il a entonné une ode à la “France du travail, à la récompense de l’effort, à la prime à la vertu”.

Arrêtons de culpabiliser les Français. Le taux d’activité des jeunes a progressé depuis 2020 

Ces mots ont visiblement irrité Jean-Hervé Lorenzi. L’économiste s’inscrit en faux contre l’antienne déplorant une France ne voulant plus travailler. “Arrêtons de culpabiliser la société française, a-t-il lâché. Je mets en garde les sociologues et les économistes : une crise produit toujours des changements, mais attendons un peu avant de les considérer comme des évolutions définitives”. Et le fondateur du Cercle des économistes d’ajouter : “Dommage que Jérôme Fourquet soit parti ! Le flot flemme me gène. On laisse entendre que la société française serait devenue paresseuse, au motif que les jeunes ne veulent plus travailler dans la restauration et que les gens ne veulent pas aller jusqu’à 64 ans. Mais je ne suis pas d’accord ! Le taux d’activité des jeunes a même augmenté depuis 2020, et le départ réel à la retraite dépasse même déjà les 63 ans”.

L’économiste souhaiterait, une fois refermée l’épisode de la réforme des retraites, qu’on fasse un grand débat autour du travail. Les Assises du travail ont tout de même été lancées, lui fait-on remarquer. “Non, il faut quelque chose de plus ambitieux, qui concerne tout le monde. Il faut écouter ce que dit le monde du travail”, s’enflamme-t-il en proposant de voir comment l’économie française pourrait résorber ses déficits commerciaux avec une stratégie globale sur les compétences, l’emploi, la productivité. 

Bien calibrer les dispositifs 

Gilles Gateau, le directeur général de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), a donné sa vision du problème franco-français du maintien en emploi des seniors : “Certains employeurs relèguent les cadres à partir de 55 ans, alors qu’il leur reste 10 ans de vie professionnelle, qu’ils ont envie de travailler et d’évoluer”. Si le taux de chômage des cadres s’approche en France du plein emploi, avec 4,1%, celui des cadres de plus de 55 ans demeure plus élevé, de l’ordre de 6,8%. Les entreprises doivent changer leurs pratiques, recommande Gilles Gateau. A ses yeux, l’index seniors pourrait y contribuer, surtout si cet indicateur intègre la mobilité professionnelle.

Comment faire en sorte pour que les seniors ne soient pas sortis du marché de l’emploi ? Il faut bien calibrer les dispositifs, a expliqué Monika Queisser, de l’OCDE : “Les Pays-Bas ont inventé un compte pour économiser des crédits temps pour permettre aux salariés de faire une pause quand ils en ont besoin, pour s’occuper de leurs enfants ou de leurs parents âgés. Mais comme ils ont laissé la possibilité d’utiliser ce crédit pour partir plus tôt à la retraite, tout le monde l’a utilisé pour cela”. 

Moduler les taux de cotisations 

D’autres, comme Franck Morel, avocat chez Flichy Grangé et ancien conseiller social d’Edouard Philippe, misent plutôt sur la flexibilité et la réduction de coûts pour relancer l’emploi des seniors. Sur la flexibilité, il suggère d’assouplir le temps partiel familial existant depuis les lois Aubry mais il aimerait aussi “multiplier l’accès à différentes formes de statuts”. Sur les coûts, il soutient une mesure visant à moduler les taux de cotisations sociales selon l’âge, afin de faire peser davantage l’effort sur les âges centraux que sur les seniors. Il juge par ailleurs le projet de CDI seniors du Sénat intéressant. Il faut dire que ce contrat serait exonéré et qu’il permettrait à l’employeur de mettre d’office le salarié à la retraite avant 70 ans. Enfin, l’avocat plaide pour déplafonner le compte personnel de formation (CPF) au-delà de 50 ans afin de favoriser, en cas d’abondement de l’employeur, le financement de reconversions.

(*) Prism’emploi est l’organisation patronale de la branche du travail temporaire

(**) L’OCDE est l’Organisation de coopération et de développement économique. Sa mission est de promouvoir des politiques améliorant le bien-être économique et social partout dans le monde. 

(***) “Les Français au travail, dépasser les idées reçues”, institut Montaigne, février 2023, voir ici.

Bernard Domergue

“La commission santé, sécurité et conditions de travail concentre tous les dysfonctionnements autour du manque de proximité”

16/03/2023

L’association Réalités du dialogue social a interrogé 15 grandes entreprises dans la perspective du renouvellement des instances représentatives du personnel. L’occasion de dresser un bilan des dysfonctionnements, des améliorations indispensable et de repenser l’articulation entre les niveaux.

L’association Réalités du dialogue social a présenté vendredi les résultats d’un benchmark d’expérimentations sur la première mandature post-ordonnances Travail. Pour ce faire, l’association a interrogé 15 entreprises de plus de 10 000 salariés, multisites, à caractère industriel avec des sites de production, ou du tertiaire avec un éclatement des lieux de production. 40 % d’entre elles sont des entreprises à participation publique. Ces entreprises ont dressé un bilan “dans une démarche engagée de façon plus ou moins participative, note Maud Stephan, déléguée générale de l’association. 

Pas de refonte totale de l’architecture des instances de représentation en vue

“Les entreprises ont fait le choix, en majorité, d’aligner le périmètre social sur le management et la business unit. Les instances sont là où les entreprises consultent, là où elles prennent les décisions”, constate Maud Stephan. Dans 8 entreprises sur les 15 interrogées, choix a été fait de prévoir un CSE par site, surtout dans l’industrie. D’autres ont fait le choix de CSE centralisés autour d’un métier ou d’une activité dans 3 des entreprises sur 15 (services aux personnes et aux entreprises, par exemple des mutuelles). Enfin, 4 entreprises sur 15 ont fait le choix d’un mix de CSE par business unit – métier fonctionnel ou géographique. 

L’enquête n’aboutit pas à une orientation des entreprises vers une refonte totale de cette architecture, mais plutôt à des ajustements à apporter. L’essentiel est surtout un enjeu de proximité. “Dans les organisations centralisées, l’enjeu majeur, également vrai pour les décentralisées, est de conserver les capteurs locaux, de garantir le traitement des irritants et d’embarquer les partenaires sociaux locaux dans les décisions stratégiques”, pointe ainsi l’enquête. “La perte de proximité est constatée de part et d’autre (syndicats et directions). Sans compter l’effet Covid”, note la déléguée générale.

Même si on observe une centralisation cela ne veut pas dire que le dialogue social est concentré à un seul niveau. L’enquête rappelle que le dialogue social se structure à plusieurs niveaux :  

l’institutionnel avec le CSE régi par un règlement intérieur, un calendrier de réunions, des ordres du jour et des procès-verbaux (PV) ;

les commissions, dont la CSSCT, dotées d’un rôle préparatoire et d’expertise, dont les réunions peuvent faire l’objet de comptes-rendus mais ne sont pas soumises à PV ;

le lien au quotidien, aux salariés, afin de capter les réalités du terrain et remédier à d’éventuelles difficultés. Ce sont les RP (représentants de proximité), les relais des CSSCT, élus ou pas. C’est là où doit s’exercer localement le dialogue social.

Or, il existe une hétérogénéité de la façon dont on traite les différents sujets. “Comme dans tout édifice, il convient de prévoir et de sécuriser les accès entre étages. Plusieurs chemins de remontées d’information et de traitement de sujets sont observés. Il n’apparaît pas de schéma type mais une multiplicité de passerelles, jugées la plupart du temps perfectibles”, souligne l’étude.

Répondre aux dysfonctionnements des commissions

L’un des dysfonctionnements majeurs se situe dans le lien entre le CSE et ses commissions, tout particulièrement la CSSCT. L’un des enjeux pour la deuxième mandature va être de travailler davantage sur les prérogatives de chaque instance. “La CSST rencontre des difficultés pour aborder correctement les enjeux de santé et de sécurité au travail. Ce constat n’est toutefois par nécessairement partagé par tous”, indique Maud Stephan. Ainsi, 40 % des entreprises déclarent avoir trouvé le rythme et un bon fonctionnement pour la CSST ; 40 % jugent le dispositif perfectible et 20 % relèvent les dysfonctionnements. 

“La CSST concentre tous les dysfonctionnements et aléas existants autour du manque de proximité. Lorsque les sujets sont traités au niveau local, ils n’ont pas besoin de remonter”, fait observer Patrick Pierron, ancien secrétaire général de la fédération chimie-énergie et secrétaire national de la CFDT, qui a porté ce projet de benchmark avec Maud Stephan.

L’enquête permet de lister des facteurs de réussite pour la CSST : la capacité d’arbitrage et le travail préparatoire du CSE, le rattachement de la CSSCT au CSE avec des rapporteurs identifiés, un rythme donné de réunions et de la régularité, un point santé-sécurité dans les ordres du jour des CSE via les rapporteurs CSSCT, l’utilisation des représentants de proximité en tant que vigies mais aussi pour instruire les dossiers locaux avec copie CSE et l’allocation d’un budget propre et significatif à la commission. 

Parmi les points de vigilance : la qualité du binôme président et secrétaire de la CSST, notamment pour le bon aiguillage des dossiers (à instruire en commission ou à faire statuer en CSE), un temps d’appropriation, des phases d’expérimentations et des mesures correctives si nécessaires. 

Autre talon d’Achille des commissions : “une faible appétence pour les commissions en faveur des activités sociales et culturelles en raison d’une méconnaissance des salariés sur les sujets techniques”, analyse la déléguée générale. Des leviers d’amélioration existent pourtant. “Mieux définir leur fonctionnement en leur attribuant un réel et légitime rôle préparatoire, soigner le casting des commissions en faisant appel si besoin, aux représentants de proximité, voire à des salariés non élus et spécialistes des questions travaillées en commissions, adosser les moyens nécessaires aux enjeux des commissions et inscrire les commissions dans un système apprenant avec des points d’étapes réguliers sur leurs finalités et leur fonctionnement”, détaille-t-elle.

Redonner du souffle aux représentants de proximité

Enfin, sans surprise, l’enquête aboutit à un constat partagé d’échec en matière de représentants de proximité. “Globalement, les partenaires sociaux ont saisi cette possibilité prévue dans les ordonnances, pour notamment compenser la disparition des délégués du personnel, en négociant le nombre, les heures de délégations, les modalités de désignation, éventuellement les missions, mais n’ont pas pensé leur rôle dans leur globalité pour en faire un élément clé de l’édifice « dialogue social »”, constate l’étude.

“En effet, la définition des missions ne fait pas tout. Qui anime ? Qui pilote ? A qui rendre compte ?”, interroge Maud Stephan qui fait état de “bonnes pratiques dans certains groupes”. D’une part, une diversification des compétences et des profils en mixant des représentants de proximité élus du CSE et représentants d’organisations syndicales. D’autre part, en mettant en place un mode d’animation défini. “Des groupes ont mis en place des comités de représentants de proximité à l’instar, d’une certaine façon, auparavant des réunions de délégués du personnel”, pointe le rapport. “Cela permet surtout de créer des instances de dialogue social au plus près du terrain – des comités paritaires – regroupant les managers ou responsables RH locaux et les représentants des salariés, élus ou pas…”.

Mais, “la mise en place de ces comités pose la question de leur pilotage. La réponse est loin d’être unanime. Pour beaucoup d’employeurs, du fait de la désignation des représentants de proximité par les organisations syndicales, l’animation relève de ces dernières qui, par ailleurs, ne partagent pas nécessairement cette position, fait observer le rapport. Pour autant, il semble se dégager dans les modèles ayant su faire leurs preuves un pilotage par les managers ou les RH. C’est sans nul doute un élément à négocier en amont du deuxième mandat”. 

Instaurer une véritable conduite du changement  

L’enquête identifie cinq actions pour le second mandat :

  1. passer à une véritable conduite de changement ; 
  2. miser sur les commissions spécialisées ; 
  3. réinterroger la place des managers dans le dialogue social ; 
  4. redéfinir le dispositif de proximité ; 
  5. faire connaître et reconnaître les enjeux de représentation collective

L’attraction de nouveaux talents est aussi une question centrale. “La difficulté ne tient pas tant à la charge de travail qu’à des raisons plus structurelles (image des syndicats, manque de connaissance par les salariés de ce qu’est un élu, du rôle du dialogue social), analyse Maud Stephan. L’enjeu est de les faire connaitre et reconnaitre via la valorisation des compétences liées aux mandats”. Par ailleurs, note-t-elle, “pour les jeunes un mandat de quatre ans est long car ils ne sont pas sûrs de rester quatre ans dans l’entreprise”. 

En somme, il faut que les entreprises entrent dans une phase de conduite du changement en réinvestissant le local et en donnant à ces acteurs des moyens. “Les groupes qui ont placé la focale sur l’animation ont des pratiques jugées fructueuses”, souligne l’enquête. Réunions d’information et de coordination entre secrétaires de CSE, des CSST, comités de représentants de proximité et entretiens bipartites ou tripartites (mandaté, manager et RH) en début de mandat. “L’idée est d’aider à la prise en main des mandats, de sensibiliser le manager et de clarifier la situation pour l’organisation du travail”. 

Florence Mehrez