Sur quoi achoppe la délégation des visites de pré-reprise aux infirmières en santé au travail ?
10/09/2024
Plannings surchargés, visites précoces, réticences aux changements… La médecin du travail de l’association pour la santé au travail en Essonne (ASTE), Régine Denoncin, a partagé les freins rencontrés par son équipe médicale pour déléguer les visites de pré-reprise aux infirmières du service, lors du congrès national de médecine et santé au travail 2024 à Montpellier. Comme ailleurs, la greffe ne prend pas.
“Le nombre de visites de pré-reprise déléguées dans notre service est franchement négligeable”. Faisant écho au taux de délégation “inférieur à 1 %” des visites de reprise et pré-reprise rapporté par la direction générale du travail (DGT) dans son enquête sur l’activité des services de prévention et de santé au travail (SPST) en 2022 publiée en février 2024, la médecin du travail de l’association pour la santé au travail en Essonne (ASTE), Régine Denoncin, a témoigné le 6 juin lors du dernier congrès national de médecine et santé au travail (CNMST) à Montpellier, avoir “constaté malheureusement que très peu de médecins [de son service] ont décidé de déléguer les visites de pré-reprise à leurs collègues infirmières*”.
Souhaitant évaluer la faisabilité des nouvelles délégations offertes par le décret du 27 avril 2022 pris en application de la loi Santé au travail du 2 août 2021, l’ASTE a créé un groupe de travail qui a analysé “sur une période d’environ un an” les taux de délégation aux infirmières des “visites de pré-reprise, visites de reprise après un arrêt de travail, visites à la demande et visites suite à un congé maternité” (voir encadré). Et a interrogé les secrétaires et l’équipe médicale pour tenter de les comprendre.
À l’ASTE, les médecins du travail et les infirmières travaillent en binôme – “une infirmière pour un médecin“ – et “n’exercent pas forcément en même temps”. L’infirmière, si elle en ressent la nécessité, peut orienter durant son entretien vers la personne compétente. Des “staffs” (réunions médicales destinées à l’étude des dossiers de patients en cours de prise en charge) sur les “dossiers qui peuvent être un peu plus compliqués” sont régulièrement mis en place.
“Les plannings sont complets”
Au départ, Régine Denoncin était optimiste. “En toute logique, les visites de pré-reprise nous semblaient être les plus faciles à déléguer, ayant lieu pendant l’arrêt de travail et ne faisant pas l’objet d’une conclusion”. Avantages que n’ont pas les visites de reprise après un arrêt de travail dont “60 % font l’objet d’une préconisation médicale (restriction, aménagement, demande de temps partiel thérapeutique) uniquement de la prérogative du médecin du travail” et qui comportent “un trop grand risque de réorientation vers le médecin du travail à l’issue d’un entretien affilié” et donc “une mise en difficulté de l’équipe pour réorganiser une deuxième visite”.
C’était sans compter sur d’autres freins pratiques révélés par l’ensemble de l’équipe.
D’abord, la disponibilité des infirmières. “Au niveau des convocations, à l’heure actuelle, les plannings infirmiers sont aussi complets que les plannings médecins, explique Régine Denoncin. Et initialement, il y a moins de créneaux dédiés aux visites urgentes sur le planning des infirmières que sur ceux des médecins”.
Résultat : “Il n’y a pas beaucoup de place à dégager”. L’ASTE compte ainsi revoir le mode opératoire des convocations pour faciliter la libération de créneaux adaptés.
Les secrétaires n’ont pas pris l’habitude de penser aux infirmières pour ce type de visite
Mais même si des créneaux sont bloqués par le secrétariat pour pouvoir placer ces visites qui “s’imposent à [eux]”, ce dernier préfère se tourner vers le calendrier des médecins. “Le secrétariat juge ces dossiers complexes, relate la médecin du travail. Souvent, les visites de pré-reprise sont demandées de façon tardive avec une échéance de date de visite de reprise très proche. Dans ce cas-là, les secrétaires vont préférer adresser ces visites aux médecins”. Derrière cette inclinaison se révèle aussi un besoin de “changement d’habitude et de réflexes à acquérir”, comme le concède Régine Denoncin qui rapporte que les secrétaires “n’ont pas pris l’habitude de penser aux infirmières pour ce type de visite”.
De même, les salariés auraient “un peu de réticence à avoir cette visite avec une infirmière”, selon le secrétariat.
“Des réticences qui devraient être facilement levées, estime toutefois la médecin du travail. On sait que nos collègues infirmières effectuent un travail de qualité et même des entretiens de qualité. On a rencontré la même réticence lorsqu’elles sont arrivées dans les services de santé au travail. C’est quelque chose que l’on peut certainement gommer”.
“On ne l’a jamais fait, on ne sait pas faire, on ne peut pas faire”
Encore faut-il convaincre les infirmières, elles-mêmes. Leur première réflexion a été de dire : “On ne l’a jamais fait, on ne sait pas faire, on ne peut pas faire”, relate Régine Denoncin.
L’ASTE a ainsi organisé des “doublons” pour que les infirmières assistent à des visites de pré-reprise avec le médecin, a mis en place une formation externe, une sensibilisation en interne “pour les informer sur les différentes visites existantes de maintien dans l’emploi” et a réalisé des “trames de recueil validées en commission médico-technique (CMT)” pour connaître les informations à collecter auprès du salarié.
Du côté des médecins du travail, ces visites de pré-reprise sont aussi “jugées complexes parce qu’elles nécessitent parfois un examen clinique de la part du médecin que ne peuvent pas faire nos collègues infirmières”, poursuit la médecin du travail. “Et il y a toujours cette pression, cette nécessité de gérer les visites réglementaires en retard, que l’on retrouve chez tout le monde (médecins, infirmiers, secrétariat)”, souffle-t-elle.
Il y a quelques années, on se battait pour avoir des visites de pré-reprise. Maintenant, on réfléchit seulement à les avoir plus tôt
Ainsi, Régine Denoncin ne perçoit pas encore de “gain de temps médical” grâce à la délégation des visites de pré-reprise aux infirmières. Même en mettant de l’huile dans les rouages : “[Ces visites] vont de toute façon nécessiter un échange avec le médecin, ou une supervision de dossier, pour décider des actions qui vont être mises en place”. Elle appelle toutefois de ses vœux “un travail sur la visite de pré-reprise pour qu’elle puisse avoir lieu de façon plus précoce et être menées plus sereinement par les collègues infirmières“. Car aujourd’hui, la médecin “n’a pas de solution sur la précocité de la visite de pré-reprise”. Ce qui n’éteint pas son optimisme. “Mais je suis confiante, conclut-elle. Il y a quelques années, on se battait pour avoir des visites de pré-reprise. Maintenant, on réfléchit seulement à les avoir plus tôt”.
“Les délégations de la visite maternité sont réussies” |
Si les délégations des visites de reprise et de pré-reprise s’avèrent difficiles, pas de souci majeur pour celle des visites après un congé maternité. “C’est une délégation assez facilement acceptée par nos collègues médecins et infirmières, relate Régine Denoncin. À l’heure actuelle, 60 % de ces visites de reprise maternité ont été effectuées par nos collègues infirmières avec un faible taux de réorientation vers le médecin du travail. C’est une visite pour laquelle nos infirmières se sont rapidement senties à l’aise dans la prise en charge”. Pour autant, même si “ces délégations sont réussies”, pas de “gain de temps médical” là encore, puisque le service ne compte ” environ que 30 à 40 visites de reprise maternité par médecin par an”. Par ailleurs, la médecin du travail explore la faisabilité des délégations des visites à la demande des salariés, notamment celles confidentielles (lorsque le salarié ne souhaite pas faire part de sa démarche à son employeur). Ces dernières “ne font pas automatiquement l’objet d’une conclusion, d’une remise d’attestation ou d’une fiche d’aptitude”. “Ces visites sont souvent le cas d’une personne qui a un problème au travail, de souffrance au travail ou un problème de conflit”, témoigne la médecin. C’est pourquoi, l’ASTE réfléchit à “la formation de [ses] collègues infirmières sur la prise en charge du mal-être au travail” et compte réaliser “une trame d’entretien en cas de mal-être au travail pour cadrer et rassurer”. Une piste prometteuse pour apporter un service supplémentaire au salarié. “L’approche de nos collègues infirmières est complètement différente de la nôtre, se réjouit la médecin du travail. Elles ont une façon différente d’écouter le salarié qui pourrait être tout à fait complémentaire pour lui”. D’ailleurs, les nouvelles délégations aux infirmières apportent “une optimisation de la prise en charge par le contrôle de la validité de la fiche d’entreprise, la mise en place des études de poste, par l’orientation éventuelle vers l’assistante sociale, la cellule PDP, etc.”, égrène la médecin. “Tout ça, ce sont des choses que l’infirmière peut facilement mettre en place et qui nous soulage”. Autre avantage soulevé par Régine Denoncin : sortir du tunnel. “Étudier un dossier à tête reposée en discutant avec notre collègue, ou, être en face à face direct avec le salarié et devoir donner une conclusion à notre entretien, c’est une charge mentale complètement différente”, témoigne-t-elle, devant le parterre d’infirmiers et infirmières. |
* Dans son propos liminaire, Régine Denoncin a précisé que son service comptait “uniquement des infirmières”. Elle a demandé dans un sourire aux “messieurs les infirmiers” de l’assistance de ne pas “se formaliser si [elle] les évoque uniquement au féminin”. Nous reprenons à notre compte cette mise en garde pour le lecteur.
Matthieu Barry
Le directeur de l’assurance maladie suggère des changements sur les arrêts de travail
10/09/2024
Alors que l’exécutif et le parlement se préparent à construire les budgets de l’Etat et de la sécurité sociale dans un contexte politique inhabituel, également marqué par la dégradation des recettes fiscales, Thomas Fatôme, le directeur général de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam), s’inquiète, dans un entretien au journal Les Echos, de l’augmentation du nombre d’arrêts maladie : “En 2023, nous avons lancé un plan pour maîtriser ces coûts et nous avons eu de bons résultats. Malheureusement, au premier semestre, le coût d’indemnisation des arrêts de travail est de nouveau en hausse de 8 % sur un an, ce qui est très important. La dynamique est un peu plus forte sur les arrêts longs, mais on a aussi un volume d’arrêts de travail de courte durée qui reste à un niveau très élevé, comparable à ce qu’on a connu pendant le Covid, alors que cela aurait dû se calmer avec la fin de la pandémie”. Et le directeur d’ajouter : “En 2024, la dépense liée aux arrêts de travail augmente de plus d’1 milliard et est aujourd’hui de l’ordre de 16 milliards d’euros, ce qui est considérable. Les facteurs démographiques et économiques n’expliquent pas tout”.
Dans l’immédiat, Thomas Fâtome annonce que les médecins conseils de la caisse vont contacter 7 000 médecins généralistes “qui prescrivent des arrêts de façon importante pour échanger sur leur pratique”, et que la Caisse va également, d’ici décembre, “contacter tous les assurés qui ont un arrêt de plus de 18 mois pour faire le point sur leur situation, voir si leur arrêt est justifié, voir s’il y a une reprise d’activité enclenchée et discuter éventuellement de la mise en place d’un mi-temps thérapeutique quand la situation le permet”.
Pour l’avenir, dans la perspective du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, Thomas Fatôme plaide pour des changements : “Le système manque de garde-fous et il serait nécessaire que l’Etat, les partenaires sociaux se remettent autour de la table à ce sujet en impliquant les médecins, et l’Assurance Maladie prendra sa part également. Il faut réfléchir à un nouveau système d’indemnisation des arrêts de travail plus soutenable financièrement mais aussi plus juste. Est-il normal qu’aujourd’hui un salarié soit moins bien couvert parce qu’il n’a pas six mois d’ancienneté ? Est-il normal que les jours de carence soient la plupart du temps couverts pour les salariés dans les grandes entreprises mais pas dans les petites ?”
Source : actuel CSE
Le compte pénibilité, encore trop peu rempli et utilisé
11/09/2024
L’écart entre le nombre estimé de travailleurs répondant aux critères de pénibilité du C2P (compte professionnel de prévention) et le nombre de travailleurs effectivement déclarés comme tels par leurs employeurs est abyssal. La déclaration est pourtant obligatoire.
“Le fonctionnement du C2P n’est pas satisfaisant et présente d’importants points de faiblesse”, tacle l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) dans un rapport sur l’évaluation de la COG (convention d’objectifs et de gestion) 2018-2022 de la branche AT-MP publié le 21 juin dernier. On découvre dans ce document que l’écart entre le nombre de travailleurs exposés qui avait été estimé en 2014 et le nombre de travailleurs effectivement déclarés comme tels est énorme (indépendamment de la suppression des critères ergonomiques due aux ordonnances dites Macron de 2017).
Seuls les effectifs de salariés déclarés au titre du travail de nuit s’approchent de la projection de 2014 (voir tableau). La Dares (service statistiques du ministère du travail) avait précédemment publié un comparatif semblable, mais à partir des chiffres de 2017.
Pas de sanction
Les projections sont délicates à réaliser et il faut donc les lire avec précaution. Cela dit, les écarts sont tels qu’un phénomène de sous-déclaration est plus que probable. Or, “la méconnaissance par les employeurs de leur obligation de déclaration est faiblement contrôlée et non sanctionnée”, rappelle l’Igas.
Le montant de la pénalité encourue par un employeur en cas d’absence de déclaration ou de déclaration inexacte s’élève à 0,33 % du plafond mensuel de la sécurité sociale par salarié, soit environ 11,4 euros par salarié non déclaré. Et à la date de la rédaction du rapport (septembre 2022), cette pénalité n’avait encore jamais été appliquée. “À ce jour, aucune pénalité n’a été appliquée”, nous a indiqué la branche.
La Sécurité sociale répond à l’Inspection qu’il a été décidé de ne pas mettre en place immédiatement des contrôles pour laisser le temps aux employeurs de “s’approprier le dispositif “. Elle indique qu’un plan de sensibilisation à destination des entreprises a été défini et mis en œuvre en septembre 2022 et évoque la mise en place “d’un éventuel plan de contrôle” dans un second temps. Interrogée sur les suites qui auraient été potentiellement données depuis la rédaction du rapport de l’Igas (septembre 2022), la branche nous confirme qu’il n’y a pas eu de plan de contrôle. Elle précise que “la COG AT/MP 2023-2028 prévoit le déploiement de contrôles à l’initiative des organismes”, sans pouvoir préciser “les orientations à venir”. Le salarié peut lui-même demander une enquête mais il y a eu assez peu de saisines jusqu’à présent. Au 18 janvier 2022, 5 074 réclamations avaient été reçues depuis le début du dispositif, dont 2 131 jugées recevables.
Non-recours
Même quand leur compte est ouvert, peu de salariés utilisent leurs points. Au 25 janvier 2022, 1 513 586 salariés disposaient de points mobilisables pour l’une des utilisations du C2P. À la même date, seuls 11 672 ont consommé des points. Dans le détail, 82 % des utilisateurs ont converti des points à des fins de majoration de la durée d’assurance, 1 667 salariés ont demandé une réduction du temps de travail et 389 salariés ont converti leurs points pour réaliser une formation.
La faible utilisation des points s’explique probablement par le fait qu’une partie des utilisateurs souhaitent les conserver dans l’attente de leur départ en retraite, imagine, entre autres, l’Igas.
La COG 2018-2022 prévoyait bien que la branche favorise le recours aux dispositifs de reconversion professionnelle ouverts aux personnes exposées, en informant les assurés et en sensibilisant les entreprises. Mais “cet engagement n’a pas été tenu”, pointe l’Igas. Le tout sous fond de problèmes informatiques et manque de ressources humaines pour gérer le dispositif. De manière plus générale, l’inspection constate qu’”après la réforme de 2017, le compte professionnel de prévention a fait l’objet d’un faible investissement, tant de la gouvernance de la branche que des tutelles”.
Logiquement, les auteurs du rapport recommandent donc, si le C2P est conservé dans sa forme actuelle, de renforcer l’accès aux droits de ses bénéficiaires, en contrôlant l’obligation de déclaration, en instruisant la question du non-recours et en développant la communication auprès des assurés et des entreprises.
Pauline Chambost
Enquête RPS : la Carsat Normandie et le réseau Souffrance et Travail publient une série de vidéos
11/09/2024
La Carsat Normandie (caisse d’assurance retraite et de santé au travail) et le réseau Souffrance et Travail ont mis en ligne cet été une série de “capsules” vidéo à destination des élus du personnel et des employeurs pour “construire et diligenter une démarche d’enquête lorsque des RPS [risques psychosociaux] sont identifiés dans l’entreprise”. Huit épisodes de 2 à 7 minutes sont aujourd’hui disponibles sur la chaine Youtube de la Carsat Normandie.
Dans ces vidéos, Michaël Prieux, inspecteur du travail et membre du réseau Souffrance et Travail, explique les raisons pour lesquelles une enquête en matière de RPS doit être menée, expose la position des juges sur le sujet et revient sur le rapport « Gollac-Bodier » permettant de “mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser”. À ses côtés, Carole Ackermann, ergonome, contrôleur de sécurité de la Carsat Normandie, apporte des éléments de déontologie et de méthodologie et s’attarde sur les entretiens lors des enquêtes.
La Carsat Normandie propose également plusieurs brochures et guides à destination du CSE, des salariés et représentants du personnel et des employeurs. Souffrance et Travail propose des outils de formation et des outils de prévention individuels et collectifs des RPS.
Source : actuel CSE