L’INRS se penche sur les malaises mortels au travail

04/02/2025

Près de 20 % des cas de malaises mortels au travail concerneraient les conducteurs de camions et de poids-lourds.

L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) a étudié les malaises mortels au travail (période 2021 et 2022) pour mieux les comprendre, analyser leurs causes et identifier des pistes de prévention. Premiers éléments de réponse.

Plus de la moitié des accidents mortels au travail sont des malaises sans cause externe identifiée. C’est le cas de 361 accidents sur 645 en 2021 (soit 56 %). La proportion était similaire en 2022. C’est pourquoi il est apparu essentiel à l’INRS d’essayer de “mieux les qualifier, les comprendre et identifier leurs causes afin de les prévenir” dans une analyse publiée le 3 décembre. 

Cette dernière a été réalisée sous un angle qualitatif en se basant sur les récits d’accidents et recommandations de prévention associées disponibles dans la base de données EPICEA (étude de prévention par l’informatisation des comptes rendus d’accidents). Cette base existe depuis 1988 et rassemble plus de 26 000 cas d’accidents du travail. L’INRS précise que “tous les accidents mortels n’y sont pas systématiquement enregistrés ce qui rend difficile une exploitation quantitative, mais le grand nombre de cas répertoriés confère à cette base une représentativité certaine”.

Depuis le décret n° 2023-452 du 8 juin 2023 qui rend obligatoire la déclaration de tout accident mortel dans les 12 heures à l’inspection du travail, l’enregistrement de ce type d’accident du travail motel est devenu systématique dans la base EPICEA.

Plus de 90 % des victimes travaillent dans des PME

De 2012 à 2022, 143 malaises mortels sont recensés dans la base EPICEA sur 1 403 accidents mortels et 2 847 accidents au total. Les auteurs ont analysé ces malaises selon différents critères relatifs à l’entreprise (activité, taille, etc.), à la victime (emploi, âge, nature du poste, etc.) et à l’accident en lui-même (facteurs d’accident, activité de la victime, etc.). Les 150 nouveaux cas reçus en 2023 montrent que l’âge et la profession sont similaires aux résultats sur 2012-2022 et il en est de même pour les préconisations de mesures de prévention.

Même si les auteurs notent qu’il n’est pas possible d’identifier une profession car plusieurs dizaines de métiers sont représentés, il apparaît que les conducteurs de camions et de poids-lourds représentent près de 20 % des cas. Vient ensuite le secteur du bâtiment (environ 6 % des cas). Alors que le tissu économique français est majoritairement composé de TPE et de PME, les auteurs constatent que plus de 90 % des victimes travaillent dans des entreprises de moins de 250 salariés. Les victimes sont des hommes dans plus de 90 % des cas et l’âge moyen de survenue du décès est de 51 ans.

Sur les circonstances des accidents, la victime est seule au moment du malaise dans plus de 3 cas que 4. Le malaise survient subitement et le travailleur décède sur son lieu de travail dans plus de 80 % des cas.

Morts subites

Les auteurs précisent que la prévention des malaises mortels survenant au travail nécessite de tenir compte de facteurs individuels mais aussi collectifs pour prévenir les “risques professionnels pouvant favoriser les morts subites”. En effet, des expositions à certains risques professionnels sont associées à la survenue de maladies coronariennes :

  • des études (listées dans la bibliographie de l’article, en pièce jointe de cette actualité) montrent un lien entre l’exposition aux facteurs de risques psychosociaux et la survenue d’une pathologie coronarienne ;
  • sur les postures sédentaires au travail, les études actuelles ne permettent pas de conclure à un impact du comportement sédentaire au travail sur la survenue de pathologies cardiovasculaires. Mais “les travailleurs ayant une position assise prolongée durant leur travail, et présentant une faible activité physique sur leur temps de loisirs pourraient être à haut risque sur le plan cardiovasculaire. Selon l’Anses, la diminution des temps totaux de sédentarité, a fortiori s’ils sont remplacés par des périodes d’activité physique, présente un intérêt majeur en matière de prévention primaire des risques professionnels” ;
  • l’effet du travail de nuit sur les maladies coronariennes est considéré comme probable (avis Anses de 2016 notamment) et certaines études tendent à montrer que le risque serait plus important lorsque le travail de nuit est effectué depuis plus de 10 ans (le travail posté, sur plusieurs années, augmenterait aussi le risque de survenue d’une pathologie cardiovasculaire) ;
  • les ambiances thermiques ont un effet, avec le cas du coup de chaleur par exemple, mais aussi le froid qui peut favoriser les pathologies cardiovasculaires, en particulier les maladies coronariennes et les AVC.

Mesures de prévention préconisées

Lors de chaque enregistrement d’accident du travail dans la base EPICEA, le contrôleur de sécurité fait une analyse et il peut préconiser des mesures de prévention collectives et/ou individuelles à l’entreprise. Sur la période analysée (2021-2022), il l’a fait dans la moitié des cas.

Les axes d’amélioration des mesures de prévention portent sur :

  • l’évaluation des risques professionnels car parfois, “certains risques n’ont pas été évalués ou n’ont pas bénéficié de mesures de prévention suffisantes, par exemple le travail isolé, les contraintes physiques intenses, la chaleur ou les horaires atypiques”. Les auteurs précisent que le contrôleur de sécurité n’a pas systématiquement établi un lien de cause à effet entre ces risques mal évalués et la survenue du malaise mortel mais mieux évaluer les risques permettrait “de s’intéresser à l’adéquation entre conditions et charge de travail d’une part, et santé et sécurité des travailleurs d’autre part” ;
  • le suivi individuel de l’état de santé des travailleurs (le suivi médical n’étant pas toujours à jour). L’âge moyen des victimes étant de 51 ans, les auteurs insistent sur “l’intérêt de la visite de mi-carrière qui, entre autres, vise à établir un état des lieux entre l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du travailleur, à date, en tenant compte de l’exposition aux risques professionnels” ;
  • l’organisation des secours car, dans plusieurs cas les collègues des victimes n’ont pas su reconnaître la gravité du malaise (la victime est considérée comme étant en train de dormir alors qu’elle ne respire plus) ou n’ont pas su réagir lorsqu’elle était inanimée (courir vers une entreprise voisine pour chercher de l’aide au lieu d’appeler les secours par téléphone). Parfois, le contrôleur de sécurité a estimé qu’un sauveteur secouriste du travail aurait dû être présent.

Clémence Andrieu

Quels sont les enjeux SST de la gestion des travailleurs par l’intelligence artificielle ?

05/02/2025

Bien qu’elle dispose d’avantages en matière de productivité, la gestion des travailleurs par l’intelligence artificielle peut aussi être à l’origine de risques psychosociaux. Pour son déploiement, l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA) préconise notamment une approche axée sur l’humain, sur la participation des travailleurs et sur un système robuste de prévention pour allier technologies et les services de santé au travail (SST=.

Dans un contexte de révolution numérique et de développement fulgurant de l’intelligence artificielle (IA), l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA) publie un rapport sur la “Participation et représentation des travailleurs : l’incidence des systèmes de gestion des travailleurs fondés sur l’IA sur la prévention des risques”.

Grandes entreprises, emplois manuels et tâches répétitives

La gestion des travailleurs par l’IA (GTIA), ou en anglais “artificial intelligence based worker management” (AIWM), consiste en un recueil des données, souvent en temps réel, sur l’espace de travail, les travailleurs, les tâches qu’ils réalisent et les outils numériques qu’ils utilisent dans leur travail. Ces données sont ensuite insérées dans un modèle basé sur l’IA qui va prendre des décisions automatisées ou semi-automatisées et qui communique des informations aux décideurs sur des sujets liés à la gestion des travailleurs.

Selon l’enquête de l’EU-OSHA menée au printemps 2022 sur le pouls de la SST dans l’Union européenne des 27, les travailleurs pensent que les technologies digitales sont utilisées par leurs organisations pour déterminer la vitesse de travail (52 %), augmenter la surveillance (37 %), attribuer des tâches, des temps de travail ou des équipes (30 %), faire évaluer la performance par des tiers (27 %), superviser le travail et le comportement (25 %) et surveiller les signes vitaux (7 %).

La GTIA est aujourd’hui surtout présente dans les grandes entreprises ou les grands groupes et s’applique majoritairement à des emplois manuels ou nécessitant des tâches répétitives, d’après l’EU-OSHA.

Stress et pression

Le recours à la GTIA reste relativement faible mais est en croissance dans l’UE des 27 ces dernières années souligne le rapport. Le nombre de logiciels de surveillance des travailleurs a bondi avec l’épidémie de Covid-19, tout comme le nombre de brevets attribués à des technologies de GTIA. Cela pose des questions sur les impacts de la GTIA sur la santé sécurité au travail (SST). A travers son étude, l’EU-OSHA identifie plusieurs facteurs de risques psychosociaux (RPS) liés à la GTIA, notamment :

  • une surveillance accrue des travailleurs et de leurs performances ;
  • une diminution du contrôle du travail par les travailleurs ;
  • une réduction de l’autonomie des travailleurs ;
  • des schémas et des horaires de travail imprévisibles ;
  • une augmentation de l’intensité et de la rapidité du travail ;
  • une injustice et un manque d’équité perçus par les travailleurs.

L’ensemble peut conduire à des niveaux de stress élevés, un isolement social et des frontières mal définies entre vie professionnelles et vie privée. Et la GTIA qui sert à contrôler et à évaluer les performances est souvent à l’origine d’une certaine pression.

En outre, la GTIA peut entraîner des problématiques en matière de respect du règlement général sur la protection des données (RGPD). Il est important pour les employeurs de tenir compte de ce point et de minimiser les données collectées sur les travailleurs.

Implications psychosociales positives

L’EU-OSHA note cependant des effets positifs possibles de la GTIA comme l’amélioration de la conception des emplois ou l’optimisation de la répartition des tâches. Elle peut être utile pour la prévention de l’épuisement professionnel (burn out) en programmant des pauses ou en ajustant les charges de travail selon des indicateurs propres aux travailleurs.

Selon l’Agence, lorsque la GTIA est correctement utilisée, elle peut atténuer certains risques et aider les managers et préventeurs dans la détection et la gestion des RPS.

Variation selon l’entreprise et le secteur

D’après l’EU-OSHA, les RPS liés à la GTIA sont variables selon le type d’entreprise, le secteur d’activité et le contexte institutionnel et organisationnel dans lequel la GTIA s’applique.

Des études ont déjà été menées pour les travailleurs des plateformes numériques mais d’autres seront à réaliser prochainement pour mieux identifier les risques sectoriels associés à la GTIA.

► Le rapport de l’EU-OSHA propose des cas d’étude de la gouvernance des RPS dans un contexte de management algorithmique au sein d’une entreprise minière en Suède, d’une entreprise manufacturière au Danemark et d’un fournisseur de services de livraison de repas à domicile en Espagne.

Participation des travailleurs

La “démocratie industrielle” et les syndicats et représentants du personnel font souvent face à des difficultés dans le dialogue social en matière de GTAI : opacité de la technologie, déséquilibre entre les pouvoirs des employeurs et des travailleurs en fonction des secteurs, etc.

Pour atténuer les RPS qui découlent de la GTIA, l’EU-OSHA suggère de mettre en place des structures de participation des travailleurs afin d’identifier, d’évaluer et de prévenir ces risques. Cela passe par des structures de représentation des travailleurs sur le lieu de travail, du dialogue social et de la négociation collective. L’objectif est de trouver des solutions communes et de réglementer l’utilisation des technologies de GTIA en toute transparence.

Une sensibilisation accrue des travailleurs aux effets de la GTIA sur la santé mentale fait aussi partie des solutions qui peuvent être retenues par les représentants du personnel associés à la direction. Ils sont également garants de l’égalité d’accès à l’information et de la préservation du contrôle du travail et de l’autonomie des travailleurs.

Enfin, les représentants des travailleurs doivent s’assurer que le cadre règlementaire de l’UE applicable à la GTIA est bien respecté par l’entreprise : directive cadre de l’UE sur la SST, directives “filles” spécifiques, AI Act, RGPD, directive sur les plateformes numériques de travail, etc. Sur ce sujet, l’analyse de l’EU-OSHA détaille deux études de cas réglementaires : l’adaptation des structures de participation des travailleurs en Allemagne et un guide pratique sur la gestion algorithmique en Espagne.

Laura Guegan

Le ministère du travail renforce la lutte contre les accidents du travail graves et mortels

05/02/2025

La ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a présidé hier une réunion du Conseil national d’orientation des conditions de travail (Cnoct), consacrée à la prévention des accidents du travail graves et mortels au cours de laquelle elle a annoncé l’installation d’un “groupe de contact” parrainé par les coprésidents de la Charte sociale des JO 2024 et adossé au comité national de prévention et de santé au travail. Celui-ci aura pour mission de mobiliser le dialogue social des branches à fort enjeu de sinistralité en faveur de l’amélioration de la prévention des accidents du travail graves et mortels. En outre, la ministre a fait part de la création et de la mise en route immédiate d’un volet “mobilisation”, complémentaire au Plan ATGM [accidents du travail graves et mortels], via plusieurs mesures :

  • élaboration d’une instruction ministérielle à destination des donneurs d’ordre public pour les responsabiliser davantage dans leur politique d’achat ;
  • élaboration d’une instruction ministérielle pour renforcer la coopération entre les services judiciaires et l’inspection du travail en matière de sanctions à la suite d’accidents du travail graves et mortels ;
  • création d’une “équipe analyse accidents du travail”, composée de préventeurs et d’agents de contrôle et placée auprès de la Direction générale du travail ;
  • amélioration de l’accompagnement des employeurs par les services de prévention et de santé au travail dans l’établissement du document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), sans que cet accompagnement ne se traduise par une tarification complémentaire ;
  • mobilisation accrue du le levier de la formation pour renforcer la culture de prévention en entreprise par l’obligation pour tout projet de certification professionnelle déposé au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) de prendre désormais en compte les compétences en matière de santé et de sécurité au travail et la précision accrue du cadre de la formation et des missions du salarié désigné compétent qui accompagne l’employeur dans sa démarche de prévention des risques professionnels. 

Enfin, à cette occasion, la ministre du travail a précisé que la première conférence à venir sur « Les rendez-vous du travail », à laquelle a fait référence François Bayrou lors de son discours de politique générale, sera dédiée au “Bien-vivre au travail”, avec des temps d’échange consacrés, notamment, à la santé et sécurité au travail, à la prévention des risques professionnels, et au lien entre politique de prévention et performance économique de l’entreprise. 

Source : actuel CSE

Cancers de l’amiante : la CES demande à l’UE de “mettre fin au retard” sur la directive

06/02/2025

Maçons, pompiers, employés de bureau… “Des millions de personnes sont encore exposées inutilement et sans le savoir à des fibres d’amiante potentiellement mortelles sur leur lieu de travail chaque jour en Europe”, déplore Giulio Romani, secrétaire confédéral de la CES (Confédération européenne des syndicats) le 4 février 2025, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le cancer.  

“Cette Commission européenne a déjà rendu les limites d’exposition plus sûres, reconnaît-il, mais elle sait qu’elle peut faire davantage pour empêcher les travailleurs de contracter un cancer lié à l’amiante. C’est pour cela qu’elle a promis une directive sur la détection, l’enregistrement et la surveillance de l’amiante dans les bâtiments.”  

La CES demande donc à Ursula von der Leyen de “mettre fin au retard” pris sur cette proposition de directive, qui a été validée par la Commission et aurait dû voir le jour au deuxième trimestre 2023.  

En septembre dernier, les chiffres d’Eurostat ont montré que le mésothéliome – qui est le cancer indiscutable de l’amiante – est toujours une maladie professionnelle qui fait chaque année des centaines de nouvelles victimes. En 2021, 1 409 personnes ont été diagnostiquées, un chiffre qui ne varie que peu sur les huit années précédentes.  

Selon les chiffres de la Commission européenne, entre 4 et 7 millions de travailleurs européens sont exposés à l’amiante, et le mésothéliome représente encore en Europe 40 % des cancers liés au travail. 

Source : actuel CSE

Harcèlement moral : l’employeur doit prendre en compte toute alerte, au risque de manquer à son obligation de prévention

06/02/2025

La chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que toute alerte d’un salarié sur une situation susceptible de caractériser un harcèlement moral – y compris si le salarié ne qualifie pas les faits – doit être prise en compte et traitée par l’employeur. À défaut, l’employeur manque à son obligation de prévention des risques professionnels.

Un salarié licencié pour faute grave saisit la juridiction prud’homale, reprochant notamment à son employeur un harcèlement moral et un manquement à son obligation de sécurité. En appel, les juges rejettent sa demande d’indemnisation. Ils retiennent que le salarié n’avait jamais qualifié les faits dénoncés de harcèlement moral de sorte que l’employeur n’avait nullement l’obligation de le prévenir.

La chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule cet arrêt en ce qu’il déboute le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité. Elle rappelle que l’obligation de prévention des risques professionnels et du harcèlement moral est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L. 1152-1 du code du travail et ne se confond pas avec elle. Elle considère qu’il importe peu que le salarié n’ait pas qualifié de harcèlement moral les faits sur lesquels il alertait son employeur, confirmant sa jurisprudence antérieure (Cass. soc. 19 avril 2023, n° 21-21.053).

Il était en effet établi que le salarié, pour expliquer ses difficultés à travailler avec son supérieur direct, avait provoqué un entretien avec son supérieur en second. Il l’avait aussi alerté par mail en faisant d’abord état de son sentiment de rejet, de découragement et d’anxiété induisant un mal-être dans son travail en raison du comportement de son supérieur direct, puis, dans un second mail, d’un acharnement se poursuivant à son égard.

L’employeur qui, pour toute réaction, a convoqué le salarié à un entretien préalable en vue d’un licenciement pour faute, a manqué à son obligation de prévention des risques professionnels.

Source : actuel CSE