Fusion des branches : de nouvelles précisions sur la représentativité syndicale et patronale pendant la période transitoire

01/07/2024

Dans un arrêt du 17 juin 2024, le Conseil d’Etat précise que, pendant la période transitoire, la représentativité syndicale et patronale s’apprécie, dès la nouvelle mesure de représentativité suivant la fusion, à l’échelle de la nouvelle branche, pour la négociation de l’accord de remplacement comme pour la révision des accords provisoirement maintenus.

Cette affaire intervient dans le cadre du regroupement des branches professionnelles des entreprises techniques au service de la création et de l’événement (IDCC n° 2717) et des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de 16 ans employés par les agences de mannequins (IDCC n° 2397), conclu par accord du 8 février 2019 signé par l’ensemble des organisations syndicales représentatives des deux branches, à l’exception de l’UNSA, et étendu par arrêté ministériel du 10 juillet 2020 (*).

À l’issue du cycle électoral, le ministre du Travail fixe, par arrêté du 13 décembre 2021, la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la nouvelle branche issue de ce regroupement. Par courrier daté du 14 juin 2021, l’UNSA “Spectacle et communication” demande au ministre de fixer également la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la CCN des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de 16 ans employés par les agences de mannequins.

Refus implicite du ministre. L’UNSA saisit alors les tribunaux administratifs pour faire annuler cette décision implicite. La cour administrative d’appel fait droit à sa demande et enjoint le ministre d’édicter un tel arrêté. Le ministre du travail se pourvoit en cassation contre cette injonction.

Harmonisation des dispositions conventionnelles : rappel des règles applicables

En cas de fusion des champs d’application de plusieurs conventions collectives par décision du ministre du Travail ou par accord collectif, les stipulations conventionnelles applicables avant la fusion ou le regroupement, lorsqu’elles régissent des situations équivalentes, doivent être remplacées par des dispositions communes, dans un délai de 5 ans à compter de la date d’effet de la fusion ou du regroupement. Pendant ce délai, la branche issue du regroupement ou de la fusion peut maintenir plusieurs conventions collectives et les différences temporaires de traitement entre salariés résultant de la fusion ou du regroupement ne peuvent être utilement invoquées (C. trav., art. L. 2261-33).

Remarque : on parle de fusion des branches en cas de décision ministérielle et de regroupement en présence d’un accord collectif.

Jusqu’à la mesure de la représentativité patronale et syndicale qui suit la fusion de champs conventionnels, les organisations patronales et les organisations syndicales représentatives dans le champ d’au moins une branche préexistant à la fusion ou au regroupement sont admises à négocier (C. trav., art. L. 2261-34). Mais attention ! L’article L. 2261-34 dispose que les taux pour l’appréciation de la condition majoritaire pour la conclusion des accords de branche et pour l’exercice du droit d’opposition à l’entrée en vigueur et à l’extension des accords sont appréciés au niveau de la branche issue de la fusion ou du regroupement.

Les organisations qui perdent leur représentativité à l’échelle de la nouvelle branche à l’issue de la mesure de l’audience suivant la fusion, peuvent continuer de participer aux discussions relatives à l’accord de remplacement, à l’exclusion toutefois de la faculté de signer cet accord, de s’y opposer ou de s’opposer à son éventuelle extension (Cons. const. déc., 29 nov. 2019, n° 2019-816).

Lorsque des conventions collectives sont provisoirement maintenues, faut-il mesurer la représentativité des organisations syndicales et patronales au niveau des anciennes branches ou de la nouvelle branche issue de la fusion ? C’est la question tranchée par le Conseil d’Etat dans cette affaire.

La représentativité syndicale et patronale est mesurée au niveau de la nouvelle branche issue de la fusion…

À l’appui de son pourvoi, le ministre du Travail invoque l’article L. 2261-34 et plus précisément l’appréciation de la condition majoritaire et du droit d’opposition au niveau de la nouvelle branche.

Le Conseil d’Etat suit, peu ou prou, ce raisonnement.

Il énonce qu’en cas de fusion ou de regroupement des champs conventionnels, les organisations syndicales et les organisations patronales représentatives dans le champ d’au moins une des branches faisant l’objet de la fusion ou du regroupement sont admises à négocier l’accord de remplacement, jusqu’à ce que leur représentativité soit, à l’issue d’un nouveau cycle électoral, mesurée sur le périmètre de la nouvelle branche. Toutefois, précise-t-il, leur audience est appréciée au niveau de la nouvelle branche.

Il ajoute ensuite qu’en cas de perte de leur représentativité à l’échelle de la nouvelle branche, les organisations qui ont commencé à négocier l’accord de remplacement peuvent continuer de participer aux négociations relatives à l’accord de remplacement mais avec voix consultative (conformément à la décision du Conseil constitutionnel de 2019). La faculté de signer cet accord, de s’y opposer ou de s’opposer à son extension n’appartient qu’aux seules organisations reconnues représentatives sur le périmètre de la nouvelle branche.

… tant pour la négociation de l’accord de remplacement que pour les dispositions conventionnelles provisoirement maintenues

Pour annuler la décision implicite de rejet du ministre, les juges d’appel estimaient que les dispositions de l’article L. 2261-34 du Code du travail, telles qu’interprétées par le Conseil constitutionnel, ne régissent que les règles de représentativité dans le cadre des négociations relatives à l’accord de remplacement.

À tort.

Le Conseil d’Etat énonce clairement que “durant la période transitoire, à l’issue du cycle électoral dont résulte la nouvelle mesure de la représentativité, la négociation d’accords de révision des stipulations conventionnelles résultant des conventions collectives faisant l’objet de la fusion ou du regroupement n’incombe qu’aux organisations reconnues représentatives dans le champ de la nouvelle branche”.

Ainsi, La juridiction suprême de l’ordre administratif donne les pleins pouvoirs aux seules organisations patronales et syndicales reconnues légitimes dans le périmètre de la nouvelle branche fusionnée.

Si le Conseil d’Etat avait permis aux organisations syndicales et patronales n’étant plus représentatives dans la nouvelle branche de réviser les accords provisoirement maintenus, il aurait implicitement admis la coexistence temporaire des branches préexistantes et de la nouvelle branche. Une coexistence qui aurait très certainement nui au travail d’harmonisation des droits conventionnels dans le périmètre fusionné.

(*) IDCC : identifiant de la convention collective.

Géraldine Anstett