La dissolution suspend aussi la gestion de certains dossiers industriels

18/06/2024

Si la dissolution de l’Assemblée Nationale créé une sorte de “no man’s land” législatif en suspendant la session parlementaire, l’activité est également perturbée dans les ministères, Bercy en particulier. Quelles conséquences sur les dossiers industriels en cours ? Atos, Casino, Chapelle Darblay et sans doute bien d’autres entreprises attendent pourtant des réponses de l’Etat. Leurs élus de CSE et délégués syndicaux n’ont aujourd’hui plus d’interlocuteurs.

Que deviennent les projets industriels d’ici les élections législatives ? Pas grand-chose apparemment si l’on en croit les représentants du personnel de diverses entreprises qui entretenaient jusqu’à présent des relations avec le ministère de l’Économie. Vue l’urgence de certains dossiers, on aurait pu croire que les équipes ministérielles redoubleraient d’effort pour mener à bien l’intervention de l’État dans des domaines aussi stratégiques que l’informatique des centrales nucléaires et des jeux Olympiques (Atos). Il semblerait qu’il n’en soit rien, même sur des dossiers plus commerciaux comme la reprise des supermarchés Casino ou sur les dossiers plus écologiques comme la papèterie Chapelle Darblay. Allô, le ministère ne répond plus…

“Tout est à l’arrêt”

En Normandie, près de Rouen, la papèterie Chapelle Darblay est toujours à l’arrêt. Le dossier a pourtant bien avancé ces derniers mois avec le lancement de l’enquête publique et l’autorisation d’exploiter le futur site rendue par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). Les représentants du personnel ont poursuivi leurs démarches de sauvetage de l’usine et de médiatisation du dossier. Bientôt quatre ans qu’ils s’échinent auprès des ministères, de la région, de la métropole. En janvier, ils ont même participé au tournage d’un documentaire relatant leur lutte.

Arnaud Dauxerre, élu au CSE sans étiquette, se dit “dans l’expectative” : “On n’a plus aucun contact, c’est le mur à Bercy avec l’éternel blocage sur les apports de garantie de l’État. Tout est à l’arrêt alors que la gestion du dossier est déterminante en ce moment”. Certes, le calendrier de redémarrage de l’activité est maintenu pour fin 2025 / début 2026. “Mais on aurait pu avoir des réponses si Bruno Le maire avait validé avant de partir”, poursuit-il. De plus, il plane au-dessus des élus l’incertitude de l’issue des prochaines élections législatives. Le prochain gouvernement reprendra-t-il les dossiers dans le même sens que le précédent ? Bien malin qui pourrait le dire aujourd’hui.

“Dans les ministères, notre dossier ne fait pas partie des affaires courantes”

Pascal Besson est délégué syndical central (CGT) et représentant syndical au CSE chez Atos, dernier constructeur européen de supercalculateurs informatiques. Après un lourd endettement et des rachats de sociétés parfois hasardeux, l’ex-fleuron français de l’informatique dirigé de 2008 à 2019 par Thierry Breton s’est finalement trouvé en difficulté. Selon Pascal Besson, l’Etat a commencé par faire la sourde oreille, prétextant qu’il s’agit d’une entreprise privée dans laquelle il n’a pas à intervenir. Problème : Atos se trouve sur des activités stratégiques comme le nucléaire civil et militaire, les sites internet des administrations, les données publiques. L’entreprise gère par exemple une partie de l’informatique des Jeux Olympiques. Selon Angels Martin, directrice générale pour les Jeux Olympiques au sein de la division “grands événements” d’Atos, l’entreprise contrôlera “toutes les technologies de l’information dans les différents sites”. Elle devra également gérer “tout incident susceptible de se produire sur les 63 sites où se dérouleront les compétitions”. 

Après la publication d’une lettre ouverte par la CGT fin 2023, le ministère de l’économie reçoit à Bercy une délégation mais décide de ne pas s’occuper de l’affaire. Il se dira favorable quelques mois plus tard à la reprise par EDF de la filiale d’Atos qui fournit un logiciel de gestion des centrales nucléaires, avant que la société Alten soit finalement choisie. Le 14 juin, soit cinq jours après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, l’Etat met sur la table 700 millions d’euros pour l’acquisition potentielle de certaines activités.

Pascal Besson craint surtout l’issue des élections des 30 juin et 7 juillet : “L’impact probable, c’est qu’on soit encore moins entendus, qu’on ait encore moins de répondant en face. L’incertitude sur le futur gouvernement ne facilite pas notre dossier. Nous voulons que l’État garantisse un minimum les prêts afin que l’on sorte de l’ornière financière. Dans les ministères, on gère les affaires courantes d’ici là et notre dossier n’en fait pas partie. Et si l’extrême droite arrive au pouvoir, je ne sui pas sûr qu’elle va s’occuper d’une boîte comme la nôtre qui se pète la figure. Les sujets nationaux risquent d’occulter l’économique et l’industriel et avec un autre gouvernement, on n’aura peut-être plus de levier”. Au ministère du Travail, les équipes nous ont confirmé mercredi 12 juin ne plus gérer en effet que les affaires courantes.

Les risques sont pourtant élevés : Atos emploie 10 000 personnes en France.

“Roland Lescure sera absent de notre réunion”

Philippe Verbecke est coordinateur de la CGT pour la sidérurgie. Il suit notamment les problèmes industriels du bassin d’activités de Dunkerque. “J’ai tenté d’avoir une nouvelle réunion sur Ascometal avec le ministre délégué chargé de l’industrie Roland Lescure, mais ses équipes m’ont prévenu qu’il sera absent de notre réunion car au vu du contexte politique, il ne serait pas disponible”. Et pour cause, le ministre serait candidat aux élections législatives et brigue un mandat de député.

Une conférence sociale prévue dans les prochaines sur la transformation industrielle du bassin dunkerquois a par ailleurs été repoussée en septembre. Philippe Verbecke s’apprête également à relancer Bercy sur la reprise d’activités de Valdunes, dernier fabricant français d’essieux pour les trains. “Roland Lescure nous avait promis un comité de suivi des parties prenantes mais je n’ai pas de nouvelles”…

“On n’a plus du tout de contact”

“De notre côté, on n’a plus du tout de contact alors qu’on en avait encore avant la dissolution avec le CIRI, le centre interministériel de restructuration industrielle“, affirme Didier Marion, délégué syndical central CFE-CGC chez Casino qui ajoute que Bruno Le Maire devait recevoir les élus mais qu’il ne s’est pas manifesté. Le groupe de supermarchés se trouve sous le coup d’une procédure de sauvegarde accélérée que les élus du CSE ont contestée en justice.

Casino emploie 18 000 salariés en France, mais les représentants du personnel craignent des effets encore supérieurs sur l’emploi. Pour l’heure, Didier Marion ne se dit “pas spécialement inquiet mais plutôt dans l’attente du changement. De toute façon, nous ne pensons pas avoir de contacts d’ici le premier tour des élections législatives, on essayera de tout relancer après”.

Nous avons contacté par mail et téléphone le CIRI afin de leur donner la parole et de tenter d’obtenir de plus amples informations sur leur activité. Nous n’avons reçu à ce jour aucune réponse.

Marie-Aude Grimont