Le baromètre des branches de mai 2024

20/06/2024

Quelles ont été, en mai 2024, les nouvelles dispositions applicables dans les branches professionnelles ? Notre tableau fait le point.

Grâce à la veille de l’équipe du Dictionnaire Permanent Conventions collectives, nous vous proposons chaque mois un rendez-vous consacré aux branches professionnelles. Pas question pour nous d’être exhaustif sur ce sujet mais de vous signaler quelques tendances dans l’activité conventionnelle. Nous nous appuyons ainsi sur des accords récents et les arrêtés d’extension parus au Journal officiel qui rendent obligatoires des dispositions pour toutes les entreprises d’une branche.

Ce baromètre nous semble d’autant plus intéressant que la loi Travail, puis les ordonnances Macron, ont redéfini les possibilités de négociation données aux branches par rapport aux niveaux de la loi et de la négociation d’entreprise. En outre, une vaste opération de fusion des branches existantes est en cours, le gouvernement souhaitant en réduire fortement le nombre. La Conférence sociale d’octobre 2023 a d’ailleurs relancé ce chantier.

► CCN : convention collective nationale

► IDCC : identifiant des conventions collectives (numéro de 1 à 4 chiffres sous lequel une convention collective est enregistrée).

  Baromètre des branches de mai 2024
Volume des textes parus au Journal officiel relatifs aux branches professionnelles26 accords élargis/étendus, dont 23 au moins partiellement relatifs aux salaires, sont parus au Journal officiel du 1er au 31 mai 2024. Une fois étendus ou élargis, les accords et avenants deviennent obligatoires pour tous les employeurs, généralement le lendemain de la date de la publication de l’arrêté au Journal officiel.   
Durée du travailBranche du sport : avenant n° 199 du 20 mars 2024 applicable depuis cette même date. Les partenaires sociaux pérennisent le dispositif de travail à temps partiel des sportifs professionnels et de leurs entraîneurs.
  Rupture du contrat de travailBranche de l’esthétique-cosmétique et enseignement associé : avenant n° 35 du 14 février 2024 applicable à compter de la publication au Journal officiel de son arrêté d’extension. Les partenaires sociaux modifient le délai de prévenance à respecter en cas de rupture de la période d’essai ainsi que les dispositions conventionnelles relatives au préavis. A noter que la CCN ne prévoit plus de disposition relative à l’indemnité de licenciement.  
  Départ en retraiteBranche de l’automobile : accord du 30 avril 2024. Les partenaires sociaux reconduisent le dispositif de capital de fin de carrière pour les salariés prenant une “retraite anticipée longue carrière”. Sont concernés par ce nouvel accord les salariés qui notifient leur départ volontaire anticipé à la retraite au plus tôt le 1er juillet 2024 et au plus tard le 30 juin 2025.
  Fusion de branchesBranche de la boulangerie-pâtisserie industrielle : accord du 26 mars 2024. Conformément à l’avenant du 15 avril 2019, depuis le 16 avril 2024, les dispositions de la CCN de la boulangerie-pâtisserie industrielle s’appliquent aux entreprises relevant à cette date de la CCN des œufs et industries en produits d’œufs. L’accord du 26 mars 2024 prévoit le maintien à titre provisoire de certaines dispositions de la CCN des œufs. À compter du 1er janvier 2025, les dispositions de la CCN de la boulangerie-pâtisserie industrielle s’appliqueront à l’ensemble des entreprises de la branche des œufs.   Branche des géomètres-experts et topographes : Lettre du 15 janvier 2024. Les trois fédérations patronales dénoncent l’accord de fusion des CCN des géomètres-experts et des métreurs-vérificateurs du 7 mai 2019. Cette dénonciation prend effet le 4 juillet 2024.

Marie-Aude Grimont, avec l’équipe du Dictionnaire permanent Conventions collective

Partage de la valeur en cas d’augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal : les précisions de l’administration

21/06/2024

L’administration du travail vient de publier un “Questions-réponses” sur les conséquences d’une augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal dans une une entreprise soumise à l’obligation de mettre en place un régime de participation et dotée d’au moins un délégué syndical. Décryptage.

Dans les entreprises soumises à l’obligation de mettre en place un régime de participation et dotées d’au moins un délégué syndical au moment de la négociation relative à l’intéressement ou de la participation, la loi du 29 novembre 2023, qui transpose l’accord national interprofessionnel (Ani) relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise, impose de négocier sur les conséquences d’une augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal (BNF) s’agissant du partage de la valeur.

Un “Questions-réponses” diffusé par le ministère du  travail sur son site internet revient sur cette mesure pérenne consacrée dans le code du travail (article L.3346-1 du code du travail) mais dont le non-respect, rappelons-le, n’est pas sanctionné par la loi.

Rappelons également que ce “Questions-réponses” ministériel n’a aucune valeur juridique contraignante.

Entreprises concernées par cette nouvelle obligation de négocier

Pour l’ouverture des négociations sur les conséquences d’une augmentation exceptionnelle du BNF d’une entreprise, deux situations doivent être distinguées :

  • si l’entreprise ne dispose pas d’un dispositif d’intéressement ou de participation, elle doit négocier sur le partage de la valeur au moment de la négociation sur la mise en place de la participation obligatoire (et, éventuellement, d’un dispositif d’intéressement) ;
  • si l’entreprise dispose, au 29 novembre 2023, d’un dispositif d’intéressement ou de participation, elle a jusqu’au 30 juin 2024 pour ouvrir les négociations.

Après avoir rappelé les trois conditions cumulatives à remplir pour être assujetti à cette obligation de négocier (à savoir, être assujetti à la participation en fonction de ses effectifs et disposer d’au moins un délégué syndical lorsque s’ouvre la négociation en matière d’intéressement ou de participation) (QR n° 1), le ministère du travail précise bien qu’une entreprise déjà pourvue d’un accord d’intéressement ou de participation en cours de validité au 29 novembre 2023 doit, sauf exceptions (voir les entreprises exonérées ci-après), engager une négociation spécifique sur la définition d’une augmentation de son bénéfice net fiscal et sur les modalités de partage de la valeur avec les salariés en découlant avant le 30 juin 2024 (QR n° 2).

Il n’est pas possible, indique le ministère, de négocier séparément avant le 30 juin 2024, d’une part un accord sur la participation ou l’intéressement et d’autre part, un accord sur le partage de la valeur en cas d’augmentation exceptionnelle des bénéfices. Il doit s’agir d’une seule et unique négociation. Mais celle-ci peut tout de même aboutir à plusieurs accords (QR n° 5).

Les parties qui négocient sur la définition d’une augmentation exceptionnelle du bénéfice de l’entreprise peuvent également (QR n° 6) : 

  • soit déterminer, dans l’accord, les modalités de partage de la valeur en découlant ;
  • soit renvoyer cette précision à une négociation qui sera ouverte en cas de constatation d’une augmentation exceptionnelle du bénéfice.

Attention ! Une entreprise assujettie à la participation eu égard à son effectif n’est pas exonérée de cette obligation de négocier si elle ne dégage pas un bénéfice net fiscal suffisant pour calculer une réserve spéciale de participation (RSP) (QR n° 3).

Entreprises exonérées

Les entreprises non soumises à l’obligation de négocier sur les conséquences d’une augmentation exceptionnelle de leur bénéfice sont, comme l’indique la loi, les entreprises disposant d’un accord d’intéressement ou de participation comprenant une clause spécifique sur la prise en compte d’une telle augmentation et des modalités de partage de la valeur en découlant. 

L’administration précise qu’en sont également exonérées (QR n° 4) :

  • les entreprises disposant d’un accord de participation reposant sur une formule de calcul dérogatoire plus favorable aux salariés que la formule de calcul légale de la RSP ;
  • les entreprises disposant d’un accord spécifique sur la définition d’une augmentation exceptionnelle de leur bénéfice et sur les modalités de partage de la valeur avec les salariés en découlant dont la négociation a été engagée avant le 30 juin 2024 ;
  • les entreprises bénéficiant, au 1er décembre 2023, du report de trois ans de la mise en place de la participation en cas de couverture par un accord d’intéressement ;
  • les entreprises nouvelles dont la création ne résulte pas d’une fusion, totale ou partielle, d’entreprises existantes qui bénéficient d’un report de 2 exercices.

Niveau de la négociation

La négociation sur les bénéfices exceptionnels peut être mise en œuvre à un autre niveau que l’entreprise, tout comme les dispositifs d’intéressement et de participation. Ainsi, cette négociation peut être faite au niveau de l’entreprise, de l’UES, du groupe ou intragroupe (QR n° 10).

En principe, la négociation sur les bénéfices exceptionnels se fait au même niveau que la négociation du dispositif d’intéressement ou de participation (QR n° 11).

Exemple : si le dispositif est négocié au niveau du groupe, l’augmentation exceptionnelle du BNF sera définie au niveau du groupe. Si le dispositif est négocié au niveau de l’UES, elle sera définie au niveau de l’UES.

En présence d’un accord de participation de groupe et d’accords d’intéressement d’entreprises (ou inversement), le groupe peut faire le choix de renvoyer la négociation de l’augmentation exceptionnelle du BNF au niveau de chaque entreprise (QR n° 11).

De même, une entreprise déjà couverte par un accord de groupe intégrant une clause spécifique relative à l’augmentation exceptionnelle du BNF du groupe peut décider de négocier la même clause relative à ses propres bénéfices dans le cadre d’un dispositif d’intéressement ou de participation qui lui est propre (QR n° 11).

Modalités de négociation

Quelques règles de bon sens

Que faire lorsque l’accord de participation et l’accord d’intéressement ne sont pas négociés dans le même temps ? Dans ce cas, l’entreprise doit inscrire la négociation relative à l’augmentation exceptionnelle de son bénéfice lors de la négociation de son premier accord. Si cette négociation aboutit, l’entreprise n’a pas besoin de la réinscrire lors de la négociation du second accord. En revanche, si elle échoue, cette réinscription sera nécessaire (QR n° 7).

La renégociation sur ce dispositif n’est pas systématique à chaque nouvelle négociation sur l’intéressement ou la participation. Si les partenaires sociaux ont obtenu un accord sur l’augmentation exceptionnelle du bénéfice au moment de la négociation d’un accord d’intéressement ou de participation, l’obligation de négocier est remplie et aucune nouvelle négociation ne devra être ouverte jusqu’à la dénonciation ou l’échéance de l’accord d’intéressement ou de participation, sauf, bien sûr, volonté contraire des partenaires sociaux (QR n° 8).

Un parallélisme des formes contestable

A la lecture de l’article L.3346-1 du code du travail, l’on peut penser que la négociation sur les conséquences d’une augmentation exceptionnelle du BNF de l’entreprise est réservée aux délégués syndicaux, à l’exclusion du CSE qui pourtant peut conclure avec l’employeur des accords d’intéressement et de participation.

En effet, d’une part, disposer d’une délégation syndicale au sein de l’entreprise est l’une des trois conditions exigées pour le déclenchement de l’obligation. D’autre part, les partenaires sociaux de l’ANI ont souhaité privilégier la négociation avec les DS. Enfin et surtout, aucun texte de loi n’autorise, comme c’est le cas pour l’intéressement et la participation, le recours à des modalités de conclusion spécifiques pour ce type de négociation.

Rappelons qu’un accord de participation ou d’intéressement peut être conclu indifféremment avec un délégué syndical, une organisation syndicale représentative au sein de l’entreprise, le CSE ou être ratifié à la majorité des 2/3 des salariés.

Pourtant, l’administration considère que l’entreprise peut remplir son obligation avec le partenaire de son choix (QR n° 9).

La position administrative est compréhensible lorsque la définition de l’augmentation exceptionnelle des bénéfices de l’entreprise (et les modalités de partage en découlant) fait l’objet d’un avenant à l’accord d’intéressement ou de participation. En effet, le parallélisme des formes exigé pour la conclusion de cet avenant impose à l’entreprise de négocier avec les partenaires sociaux signataires de l’accord initial (sauf disparition d’au moins un d’entre eux).

En revanche, elle pose problème lorsqu’elle fait l’objet d’un accord spécifique car aucun texte de loi n’autorise l’entreprise à court-circuiter sa délégation syndicale pour la conclusion d’un tel accord.

Si l’entreprise souhaite négocier un accord spécifique, la négociation avec ses délégués syndicaux nous semble plus opportune car moins sujette à contentieux.

Précisions sur les délais et les modalités de dépôt

Que la définition de l’augmentation exceptionnelle du bénéfice de l’entreprise (et les modalités de partage en découlant) soit insérée dans l’accord de participation ou d’intéressement ou fasse l’objet d’un accord spécifique, le texte doit faire l’objet d’un dépôt sur la plateforme de téléprocédure « Téléaccords.fr »  dans les conditions de droit commun (QR n° 12).

Si la négociation aboutit à la conclusion d’un avenant, l’administration précise fort logiquement que ce dernier peut être conclu au-delà de la première moitié de sa période d’application (exemple : au-delà du 30 juin pour une entreprise dont l’intéressement se calcule par année civile). En revanche, si l’avenant modifie également la formule de calcul, il doit être impérativement conclu et déposé sur la plateforme de téléprocédure dans les délais légaux impartis (QR n° 13).

Définition de l’augmentation exceptionnelle du bénéfice net fiscal

L’administration du travail rappelle que :

  • les partenaires sociaux ne peuvent pas retenir une autre base que celle du bénéfice net fiscal tel que défini au 1° de l’article L. 3324-1 du Code du travail (QR n° 14) : pour rappel, le bénéfice fiscal à retenir ici est le bénéfice réalisé en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer, tel qu’il est retenu pour être imposé à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu. Il constitue la base du calcul de la réserve spéciale de participation en cas d’option pour la formule légale de droit commun. Il est diminué de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu correspondant (bénéfice net) ;Ala liste légale des critères utilisés pour la définition de l’augmentation exceptionnelle du BNF n’est qu’indicative : d’autres critères analogues peuvent être négociés en plus ou à la place (QR n° 15).

Ces critères peuvent être rappelés dans le préambule de l’accord lorsqu’il existe afin de prévenir un contentieux. pour rappel, selon l’article L.3346-1 précité, la définition de l’augmentation exceptionnelle du BNF doit prendre en compte des critères tels que la taille de l’entreprise, le secteur d’activité, les bénéfices réalisés lors des années précédentes ou les événements exceptionnels externes à l’entreprise intervenus avant la réalisation du bénéfice. Elle doit aussi prendre en compte la survenance d’une ou plusieurs opérations de rachat d’actions suivie de leur annulation dès lors que ces opérations n’ont pas été précédées d’attributions gratuites d’actions (AGA) aux salariés.

Nature des engagements en termes de partage de la valeur

Les modalités de partage de la valeur peuvent être mises en œuvre par :

  • l’ouverture d’une nouvelle négociation ayant pour objet la mise en place d’un accord de participation ;
  • l’ouverture d’une nouvelle négociation ayant pour objet le versement d’un supplément de participation ;
  • le versement direct d’un supplément de participation ;
  • l’ouverture d’une nouvelle négociation ayant pour objet la mise en place d’un accord d’intéressement ;
  • l’ouverture d’une nouvelle négociation ayant pour objet le versement d’un supplément d’intéressement s’il existe un accord d’intéressement ;
  • le versement direct d’un supplément d’intéressement ;
  • l’ouverture d’une nouvelle négociation relative à l’octroi d’un abondement patronal à un PEE/PEI, à un Perco/Perco-I, à un PEREC ou un PERE regroupé ;
  • l’ouverture d’une nouvelle négociation sur la distribution d’une prime de partage de la valeur.

Le partage de la valeur peut donc se traduire soit par le versement d’une somme (supplément d’intéressement ou de participation) soit par l’ouverture de négociations. Si la seconde option est préférée, il ne s’agit que d’une obligation de moyen. Les négociations n’ont pas toujours vocation à aboutir à la conclusion d’un accord.
Lorsque les partenaires sociaux ont opté pour l’ouverture de négociations, ils ne sont pas tenus d’identifier le dispositif qui fera l’objet de cette négociation, explicite l’administration. Ils peuvent ne faire leur choix qu’au moment de cette nouvelle négociation à la condition d’avoir indiqué que ce choix se fera parmi les dispositifs mentionnés à l’article L. 3346-1 précité (QR n° 19).

Lorsque le choix se porte sur le versement d’un supplément de participation ou d’intéressement, l’administration rappelle :

  • en premier lieu, il n’est pas possible de verser un supplément si le dispositif d’intéressement ou de participation n’a donné lieu à aucun versement (QR n° 17) ;
  • ensuite, le montant du supplément ne peut être prédéterminé : sa détermination et son versement doivent respecter les modalités définies par le code du travail aux articles L.3314-10 (supplément d’intéressement) et L.3324-9 (supplément de participation) (QR n° 16 et 18).

Pour accorder aux salariés un supplément de participation, il n’est pas nécessaire de faire appel à la négociation. Le conseil d’administration, le directoire ou, quand aucun des deux n’existe, le chef d’entreprise peut décider unilatéralement de verser un supplément de réserve spéciale de participation. Ce supplément est alors versé selon les critères de répartition prévus par l’accord de participation ou d’intéressement initial. Si l’employeur souhaite adopter des critères de répartition différents, il doit nécessairement conclure un accord spécifique selon l’une des modalités de conclusion prévues pour la mise en place de la participation (article L.3322-6 du code du travail), qui doit être déposé sur la plateforme Téléaccords.

Attention ! lorsqu’un accord collectif institue un supplément de participation (ce n’est pas interdit), il doit nécessairement être spécifique au supplément et régulièrement déposé. Peu importe à cet égard qu’il prévoie des modalités de répartition identiques ou non à l’accord de participation (arrêt du 19 octobre 2023). Le “Questions-réponses” ne fait pas mention de cette jurisprudence mais, selon nous, elle reste d’actualité.

Géraldine Anstett