[Le regard sur la rentrée de…] Anne Quintin, Apex-Isast : “Nous sommes davantage sollicités par des CSE pour des expertises sur des projets de réorganisation”

16/09/2024

Nous débutons avec Anne Quintin le début d’une série d’entretiens sur le thème de la rentrée, une rentrée politique, économique et sociale pour le moins inhabituelle. A la tête du cabinet d’expertise Apex-Isast, Anne Quintin observe depuis six mois un “bond” des sollicitations de la part de CSE confrontés à des projets de réorganisation voire de PSE, et c’est parfois le fait de nouvelles équipes n’ayant jamais lancé d’expertise économique auparavant. Interview.

Anne Quintin est depuis mars 2024 la PDG d’Apex-Isast, un cabinet d’expertise auprès des CSE qui emploie 90 salariés et réalise 15 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel. L’entreprise, dont le siège est à Paris, possède des bureaux à Lyon, Lille et Rennes. Nous lui avons demandé, lors d’une interview vendredi 13 septembre, comment elle analysait la rentrée au regard des missions des CSE…

Quel regard portez-vous, en tant qu’expert auprès des CSE, sur cette rentrée un peu inhabituelle en raison des incertitudes politiques, économiques et sociales ?

Depuis le premier trimestre, disons depuis six mois, nous observons une augmentation des sollicitations et du recours à l’expertise sur des projets de réorganisation. De la part de CSE que nous avions déjà l’habitude de suivre, qui étaient déjà nos clients.

De nouvelles équipes lancent des expertises pour la première fois

Mais aussi de la part de CSE que nous n’avions jamais accompagnés et qui n’avaient parfois jamais eu recours à une expertise. Cela traduit un accroissement des transformations et des réorganisations de certaines entreprises, mais aussi l’incertitude économique que nous vivons. C’est aussi un effet du renouvellement des élus dans les CSE. De nouvelles équipes ont envie d’exercer pleinement leur mandat et elles ont bien identifié qu’il leur fallait traiter de multiples sujets en s’en donnant les moyens.

Quels secteurs sont-ils concernés ?

Dans le secteur de l’informatique et de la tech, par exemple, les CSE n’avaient pas souvent recours aux experts. Mais le renchérissement des taux d’intérêts et donc du financement depuis 2022 a mis sous pression certaines entreprises qui ont lancé des recherches d’économies voire des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Des PSE dans l’informatique et la tech

Et cela entraîne en réaction des demandes d’expertise de la part des CSE. J’observe également un discours de plus en plus présent de la part de certaines directions d’entreprises visant à rechercher des gains de productivité, dont certains projets de réorganisation sont l’expression. Dans la grande distribution, l’agroalimentaire, le BTP, nous sommes davantage sollicités par les CSE, y compris sur des PSE.

Cela signifie-t-il que les entreprises avaient fait preuve d’attentisme avant les législatives et qu’elles passent désormais à l’acte pour se réorganiser ?

Je distingue plusieurs phases. Ces projets de réorganisation commençaient à poindre avant la dissolution. Au moment de l’annonce des législatives et des élections, en juin et juillet, nous avons observé des annonces de projets de réorganisation, qu’on peut analyser comme une accélération de ces projets compte-tenu de l’incertitude politique. Ensuite, il y a eu une phase d’attentisme.

Pour cet automne et cet hiver, les CSE doivent-ils donc s’attendre à un retour des réorganisations ?

En effet, des réorganisations et des restructurations vont se produire dans certains secteurs. Cela s’explique aussi par la dégradation des perspectives d’activité et de l’environnement économique. Après une phase dynamique post-Covid, le retour de l’inflation et la hausse des taux d’intérêts ont changé la donne et une certaine inquiétude prévaut aujourd’hui dans plusieurs secteurs, autour du niveau des carnets de commande.

Il y a des situations économiques très différentes selon les entreprises 

Face à cette évolution, une partie des entreprises se met dans une situation d’attentisme, d’autant que certaines, endettées, doivent se refinancer avec un coût important, ce qui explique d’ailleurs la hausse des défaillances d’entreprises observée ces derniers mois. Mais attention, et c’est la différence que je vois par rapport à des périodes précédentes, nous avons des situations très différentes selon les secteurs et les entreprises.

Tout ne va pas si mal, donc ?!

Toutes les entreprises ne sont pas dans cette situation de dégradation. Cela, nous pouvons l’apprécier précisément car nous suivons sur la durée les comptes des entreprises dont nous accompagnons les CSE. Certaines, en bonne santé financière, en profitent pour accélérer leurs investissements et pour prendre des parts de marché. Je pense par exemple à certains secteurs dans l’industrie qui ont une bonne visibilité sur leur avenir ; je pense aussi au secteur de l’énergie, qui a besoin de beaucoup recruter, etc. Ces entreprises se projettent également sur des sujets stratégiques comme l’intelligence artificielle (IA) ou la responsabilité sociale et environnementale (RSE).

Quels sont les points sur lesquels les CSE doivent être vigilants et qui  peuvent justifier une procédure d’alerte économique ?

Les CSE ont droit chaque année à une information consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise. Du point de vue des élus, c’est le bon outil pour comprendre la situation de leur entreprise, en se faisant accompagner par un expert et en posant eux-mêmes de bonnes questions.

 Une question à poser : quel est l’état du carnet de commandes ?

Par exemple,  quelle est l’évolution du carnet de commandes ? Si une baisse sensible est observée, la vigilance s’impose. Quelle est l’évolution de la trésorerie ? C’est un indicateur clé : une difficulté de trésorerie peut entraîner l’impossibilité pour une entreprise de faire face à ses engagements, et donc conduire à une défaillance d’entreprise. Quel est l’état des délais de paiement ? Si l’entreprise met plus de temps à payer ses fournisseurs, cela peut être un premier signal d’alerte.

Côté RH, y-a-t-il des signes annonciateurs d’un problème économique ?

Un changement dans la politique de recrutement, comme un ralentissement des embauches ou des embauches différées dans le temps, peuvent conduire les élus à poser des questions sur la situation économique. Mais sur ce sujet, les entreprises restent prudentes et vigilantes au regard du marché du travail : les difficultés de recrutement ne se sont pas résorbées du jour au lendemain.

Des reports de recrutements, par exemple 

Après la crise sanitaire, certaines entreprises avaient décidé de prendre certains risques, en allant plus loin sur le plan budgétaire que ce qu’elles avaient prévu, afin de pourvoir leurs offres d’emploi et sécuriser leurs compétences. L’incertitude économique et la baisse de certains carnets de commandes va entraîner une réflexion sur cette politique, avec des politiques RH davantage contraintes sur le plan économique, d’où des reports de recrutements qui pourraient s’observer cet automne.

Les salaires d’embauche vont-ils être revus à la baisse ?

Je ne pense pas, les salaires à l’embauche des jeunes restent en progression. Les embauches se font toujours en lien avec des besoins de compétence précis,  et dans un contexte de tensions sur de nombreux profils, que ce soit dans l’industrie ou les services.

Mais cela peut aussi créer des tensions internes dans l’entreprise sur le niveau de rémunération des jeunes embauchés et des salariés ayant de l’ancienneté…

Cela s’est passé ces dernières années, en effet. Comment éviter ces tensions ou les réguler ? Dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO), les représentants du personnel doivent déjà obtenir des informations sur une période longue concernant les salaires et leur évolution, mais aussi sur les intentions de la direction sur la politique de rémunération et ses effets sur le salaire fixe, le salaire variable…des éléments qui peuvent permettre d’attirer de nouveaux salariés, mais aussi de retenir dans l’entreprise les salariés qui ont un peu d’ancienneté. Il y a aujourd’hui une attente très forte des salariés autour des compléments de rémunération : tickets restaurant, aides au transport, etc. Ce sont des éléments qui peuvent constituer du pouvoir d’achat immédiat, et donc des pistes pour les négociateurs syndicaux.

Il y a en effet une forte attente d’amélioration des salaires et du pouvoir d’achat, et l’on a vu récemment une diminution du montant de la prime de partage de la valeur distribuée aux salariés. C’est bien sûr la prérogative des délégués syndicaux que de négocier mais quelle peut être l’action utile d’un CSE à ce sujet ?

Pour bien négocier, les délégués doivent avoir une information de qualité, et c’est le CSE qui peut obtenir cette information, dans le cadre de ses consultations, notamment celle sur la politique sociale. Il faut déjà partir d’une analyse de la politique de rémunération suivie par l’entreprise, à enrichir avec les données sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Même s’il est loin d’être parfait, l’actuel index de l’égalité permet de savoir s’il reste des écarts importants entre femmes et hommes dans les différentes catégories d’emploi.

Le CSE a l’information pour estimer la marge de manœuvre de l’entreprise 

C’est aussi le CSE, nous l’avons vu, qui est le mieux informé sur la situation économique et financière de l’entreprise, et qui va donc permettre aux négociateurs syndicaux de se faire une idée des marges de manœuvre financière de l’entreprise en matière d’augmentation salariale. Certaines entreprises voient leur situation dégradée, mais d’autres vont très bien. Il est probable que les entreprises vont utiliser l’argument d’une moindre inflation pour adapter leurs propositions lors des prochaines négociations annuelles obligatoires, mais certaines ne peuvent pas se permettre de voir partir leurs salariés.

Les nouveaux outils de partage de la valeur créés par la loi de 2023 (nouveaux cas de déblocage, négociation en cas de résultat exceptionnel, etc.) sont-ils utilisés dans les entreprises ?

Cela reste très confidentiel. Des éléments peuvent être utiles pour des TPE ou PME afin de négocier un accord de participation ou d’intéressement. Mais dans les entreprises d’une certaine taille, les nouveautés me paraissent mineures par rapport à ce qui existait précédemment. Par exemple, la disposition visant à permettre une négociation en cas de résultat exceptionnel me paraît très complexe et assez peu opérante.   

La Cour de cassation a mis fin à la possibilité pour les CSE de conditionner l’accès des salariés à des activités sociales et culturelles (ASC) à un critère d’ancienneté, et l’Urssaf donne aux CSE un an pour s’adapter. Êtes-vous interrogée sur le sujet par des CSE ?

Bien sûr, cela commence ! Les comités doivent se mettre en conformité avec la nouvelle règle.

Évaluer l’impact, réfléchir à d’autres critères 

Je leur conseille de commencer par recenser leurs pratiques, en évaluant l’impact financier de l’abandon d’un critère d’ancienneté, de définir d’autres critères d’attribution de l’aide du CSE, comme le niveau de rémunération, et d’adapter leurs pratiques d’attribution au cours de l’année. Cette jurisprudence renforce le besoin de planification budgétaire du CSE. Mais j’ai envie de dire aux CSE : quitte à avoir cette contrainte, autant en faire une opportunité de réflexion.

Une opportunité ?

Comme cet arrêt arrive en même temps que la nouvelle vague de renouvellement des CSE, avec des élus qui entament une mandature avec nouvelle équipe, je crois en effet que cela peut être l’occasion pour les comités de “revisiter” leur politique sociale et culturelle au regard des nouvelles aspirations des salariés, et d’accroître leur communication ensuite auprès des salariés sur les changements intervenus. On voit par exemple des CSE adapter leur politique ASC aux enjeux écologiques et sociaux, avec des voyages moins lointains, des activités plus durables, davantage de présentiel et de collectif dans les activités. Les CSE doivent trouver le bon équilibre entre les aspirations des salariés à un meilleur pouvoir d’achat et des activités qui contribuent à la transition écologique et au collectif.

Les conditions de travail constituent-elles à vos yeux une priorité de rentrée pour les CSE ?

En effet. La question du travail est très importante pour les salariés et donc aussi pour le CSE. Un dialogue social sur l’organisation du travail et la qualité du travail me semble donc nécessaire, d’autant que le changement climatique comme l’intelligence artificielle vont aussi avoir des conséquences sur les conditions de travail.

Oui, et nous avons des demandes de formation sur la CSSCT 

Ces sujets peuvent être abordés par les CSE à plusieurs niveaux, notamment dans le cadre de l’information consultation annuelle sur la politique sociale. Ce qui me frappe d’ailleurs en cette rentrée, c’est le besoin et l’appétence des élus pour être formés, notamment sur la commission  santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT).  Nous avons certes l’habitude d’avoir des demandes de formation après un renouvellement électoral, mais là, j’ai l’impression que la demande se poursuit durablement, et sur des thèmes de plus en plus pointus, comme s’il y avait une appropriation des mandats plus précoce qu’auparavant, avec le souci de se former pour se donner les moyens de bien agir.  

Bernard Domergue

Venez rencontrer la rédaction à Paris et à Lille sur les salons Eluceo

16/09/2024

Nos experts et notre rédaction seront présents aux salons Eluceo organisés pour les élus des CSE à : 

  • Paris, les 9 et 10 octobre au Stade de France, Loge 007.
  • Lille, les 17 et 18 octobre à la Decathlon Arena, stand A54.

► Bénéficiez d’offres spéciales salon (pour toute nouvelle souscription) pour découvrir nos solutions et services dédiés aux CSE, 

► Participez à nos deux conférences :  “Utilisation du budget de fonctionnement : la ligne jaune à ne pas franchir” le 09 octobre à Paris (de 9h30 à 10h30, salle 1) et le 18 octobre à Lille (de 9h30 à 10h30, salle 1)  ainsi que “Droits des salariés et des IRP : quels changements avec le nouveau gouvernement ?” le 10 octobre à Paris (de 10h30 à 11h30, salle 2) et le 17 octobre à Lille (de 14h30 à 15h30, salle 1)

► Echangez avec nos juristes experts en droit social 

► Récupérez votre livret “10 repères pour les CSE sur les conditions de travail, la santé et la sécurité” réalisé par notre rédaction, avec Eluceo.

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Pour s’inscrire gratuitement au salon de Paris : https://lefebvredalloz-paris.eluceo.fr/frontend/login et celui de Lille : https://lefebvredalloz-lille.eluceo.fr/frontend/login

Source : actuel CSE

PSE chez ExxonMobil : trois réunions de CSE cette semaine

16/09/2024

Les organisations syndicales et les élus de CSE se mobilisent depuis le mois de mai contre un projet de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) présenté par la direction d’ExxonMobil. L’administration du travail a demandé à l’employeur de revoir les mesures d’accompagnement trop faibles des 677 salariés menacés de perdre leur emploi et de revoir le calendrier de consultation des CSE, considéré comme trop serré pour que les élus puissent rendre un avis. Dans un premier temps, la direction d’ExxonMobil n’a pas donné suite aux recommandations de la Dreets (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités).

Il semble cependant que de nouvelles annonces pourraient résulter des CSE prévus les 18, 19 et 20 septembre, selon Pierre-Antoine Auger, élu Force Ouvrière (majoritaire) au CSE Chimie du raffineur : “Ils vont revenir sur certaines choses mais on ne sait pas encore quoi, on en saura plus la semaine prochaine”. Pour l’instant, les élus du CSE ne peuvent rendre leur avis tant que les négociations du PSE ne seront pas achevées. Les représentants du personnel se plaignent en tout cas de l’absence presque totale de dialogue social.

A Port-Jérôme (Normandie), 400 salariés en grève se relaient afin de concilier les réquisitions et les relèves de quart de ce site classé Seveso II.

Source : actuel CSE

Face à la hausse des prix de l’énergie, l’industrie adapte sa production et investi sur le long terme

17/09/2024

Entre 2019 et 2022, le prix moyen du gaz naturel payé par les industriels de 20 salariés ou plus a été multiplié par trois entre 2019 et 2022, rend compte l’Insee dans une étude publiée le 4 septembre. Une hausse qui pèse principalement sur les industries dont les processus de production sont intenses en gaz naturel, comme les industries agroalimentaires et la fabrication d’autres produits minéraux non métalliques (verre, ciment, etc.). Le prix de la vapeur s’accroît également fortement (+ 169 %), affectant surtout l’industrie chimique et celle du papier et du carton. Les prix de l’électricité, utilisée par tous les établissements, et de la houille, consommée en grande quantité dans la métallurgie, augmentent aussi (+ 75 %).

Face à cette hausse, si les établissements industriels augmentent d’abord leurs prix de vente (pour 52 % d’entre eux) en 2022, puis compriment leurs marges (45 %), un certain nombre a fait le choix d’investir sur le long terme (29 %) ou de changer de méthode de production (36 %). “Les établissements de la chimie et de l’industrie du papier et du carton déclarent plus souvent investir (35 %), détaille l’Insee. Dans la chimie, des investissements sont surtout engagés par les établissements d’Auvergne-Rhône-Alpes (42 %) et des Hauts-de-France (40 %).”

Le changement de méthode de production est par ailleurs “très fréquent dans les secteurs de la métallurgie, de la fabrication d’autres produits minéraux non métalliques et des industries agroalimentaires (respectivement 49 %, 46 % et 44 % des établissements)”. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans le secteur de la métallurgie, plus des trois quarts des entreprises déclarent changer leur méthode de production.

Source : actuel CSE

L’IGF propose de supprimer ou d’ajuster plusieurs aides aux entreprises

17/09/2024

Un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF), daté d’avril 2024 mais publié en septembre, donne des pistes d’économies concernant plusieurs dispositifs budgétaires et fiscaux dont les aides à la transmission d’entreprise.

L’IGF recommande ainsi d’accorder l’exonération à hauteur de 75 % des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) aux seuls actifs professionnels lors de la signature d’un pacte Dutreil. Ou encore d’aligner le régime fiscal appliqué aux entreprises soumises à l’impôt sur les revenus à celui appliqué aux entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés en cas de transmission après le départ à la retraite du dirigeant de l’entreprise.

Par ailleurs, la mission propose de supprimer les taux réduits de TVA dans la restauration et l’hôtellerie et de remonter le taux réduit de 10 à 12,5%.

Source : actuel CSE

L’emploi intérimaire toujours en berne avec plus de 700 000 temps pleins perdus sur un an

17/09/2024

Le repli de l’emploi intérimaire se poursuit. Selon les résultats publiés par Prism’emploi la semaine dernière, les contrats de travail temporaire et les CDI intérimaires représentaient 783 000 équivalents temps plein (ETP) en juillet 2024. C’est 70 500 de moins qu’en juillet 2023, soit une baisse de 8,4 %. “La tendance observée se situe 1,4 point en dessous de l’évolution moyenne des sept premiers mois de l’année (-7 %). Celle-ci marque une nette dégradation par rapport à la situation de juin 2024 (-4,1 %) qui doit néanmoins être interprétée avec prudence, l’activité des entreprises ayant été perturbée par les incertitudes liées à la situation politique et certaines contraintes consécutives à l’organisation des Jeux Olympiques”, explique le communiqué de presse.

Il n’empêche que sur un an, l’intérim est orienté à la baisse dans tous les secteurs utilisateurs : -2,3 % dans le BTP (qui se démarque toutefois en faisant mieux qu’en juin), -9,4 % dans l’industrie, -8,8 % dans les transports-logistique, qui “enregistrent leur plus mauvaise tendance de l’année”, ou encore -10,8 % dans les services. Il est également à noter que les métiers du tertiaire, c’est-à-dire les cadres et professions intermédiaires d’une part (-9,9 %) et les employés d’autre part (-11,3 %), « sont plus impactés que les cols bleus » puisque pour les ouvriers qualifiés la baisse est de « seulement » 6,8 %, 8,7 % pour les ouvriers non qualifiés. Enfin, toutes les régions subissent des évolutions négatives sur un an comprises entre -0,9 % en Provence-Alpes-Côte d’Azur et -12,5 % dans les Hauts-de-France.

Source : actuel CSE

Élus de CSE face au harcèlement : attention à ne pas se poser en sauveur du salarié

18/09/2024

La fédération des intervenants en risques psychosociaux (FIRPS) publie un nouveau guide relatif aux situations de harcèlement et aux moyens d’y faire face dans l’entreprise, que l’on soit élu de CSE, délégué syndical ou responsable des ressources humaines. Un conseil est particulièrement dédié aux représentants du personnel : si un salarié vient confier une situation difficile de harcèlement potentiel, il faut conserver du recul et travailler à plusieurs, ne pas se poser en sauveur du salarié au risque d’importer sa souffrance.

La Firps regroupe une vingtaine de cabinets de consultants spécialisés en risques psychosociaux. Elle édite chaque année un guide thématique visant les acteurs RH de l’entreprise. Après le télétravail en 2022 et le sens au travail en 2023, place cette année aux risques psychosociaux (document en pièce jointe).  Un premier constat s’impose : selon les consultants, les demandes d’accompagnement sur des cas de harcèlement potentiel augmentent.

Plus de harcèlement ou un effet loupe ?

Pour la première fois depuis sa création fin 2010, les cabinets composant la Firps ont consolidé leurs chiffres. Résultat : ils ont diligenté 247 enquêtes en 2023. Plus de 600 personnes auraient sollicité leur dispositif d’écoute. Selon Isabelle Tarty, vice-présidente de la Firps, “on observe depuis deux ans une hausse des sollicitations des cabinets”. Prudence ce pendant : ce chiffre devra être mis à jour l’année prochaine pour évaluer l’existence ou non d’une hausse des signalements. De plus, tous les faits signalés ne répondent pas nécessairement à la qualification de harcèlement.

François Cochet, président de la Firps avance plusieurs hypothèses expliquant le phénomène. Tout d’abord, la création du barème Macron plafonnant les indemnités de licenciement prononcées par les prud’hommes a entraîné un report du contentieux vers le harcèlement puisque dans cette situation, le barème n’est pas applicable. C’est donc l’un des moyens mobilisés pour échapper à la limitation des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Autre possibilité : la disparition des RH de proximité et des délégués du personnel a réduit à néant leur aptitude à désamorcer les situations de tensions au plus près du terrain. Conséquence : les faits ne sont pas traités. Les conflits s’enveniment et terminent en harcèlement. Dernière hypothèse : l’effet loupe. Les dispositifs d’alerte sont de plus en plus répandus et efficaces. De ce fait, les faits ne sont pas plus nombreux mais leur signalement augmente. Rappelons à ce stade que le harcèlement moral est défini juridiquement à l’article L.1152-1 du code du travail comme “des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte [aux] droits [du salarié] et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel”.

Un guide de repères

L’avenir nous dira donc s’il faut s’inquiéter d’une hausse du harcèlement au travail en France ou pas. En attendant, le guide de la Firps entend mettre à disposition gratuitement le retour d’expérience des consultants. Un recueil de repères destiné à tous les acteurs : représentants du personnel, référent harcèlement, responsables des ressources humaines. Généralement sollicités par les employeurs, les cabinets de consultants peuvent enquêter, mener des entretiens et restituer leurs travaux. Ils recommandent d’associer les élus du personnel dans une démarche paritaire. L’une des questions qu’ils se poseront en début de mission sera donc de vérifier l’exercice ou non du droit d’alerte pour risque grave par les élus. Ils peuvent également conseiller à l’entreprise de recourir à la médiation.

Le guide de la Firps recommande de se tenir à l’écoute des salariés et de mettre en place des mesures conservatoires afin de protéger les travailleurs concernés. François Cochet appelle d’ailleurs de ses vœux un développement du dialogue professionnel : “Cela n’est pas de notre ressort mais il faudrait introduire un 10e principe de prévention dans le code du travail : écouter les salariés sur leur travail et leur organisation. Ce serait LA mesure anti-harcèlement”.

Dès les premiers signes d’alerte, la Firps recommande de procéder à une première évaluation de la situation, car tout ne relève pas du harcèlement. Il faudra également sécuriser les informations sensibles et définir clairement le rôle des acteurs, mettre en place une communication adaptée auprès des salariés et autres parties prenantes. Nous avons également demandé aux consultants leur conseil spécifique pour les élus de CSE ou les délégués syndicaux amenés à recueillir le témoignage de salariés en souffrance.

Élu de CSE : ne pas rester seul

Un élu de CSE ou un responsable syndical peut se trouver démuni face à l’expression de la souffrance d’un salarié. Les consultants membres de la Firps conseillent donc de ne pas rester seul et d’évoquer le témoignage du salarié avec un autre représentant du personnel afin de pouvoir prendre du recul. Les élus eux-mêmes sont parfois victimes de risques psychosociaux en raison de la multiplicité de leurs tâches et de leur confrontation récurrente avec la direction de l’entreprise. Inutile donc de rajouter de la charge émotionnelle et de traiter seul un cas possible de harcèlement.

Selon François Cochet, il est impératif de se former et de travailler en équipe pour une raison simple : “Être deux permet de ne pas se faire manipuler”. Il sera également essentiel selon le président de la Firps de bien demander au salarié s’il veut juste se confier pour se sentir mieux ou s’il souhaite que les faits soient remontés en CSE. Ce sera également l’occasion de poser la question de l’anonymat du témoignage. Camy Puech, consultant au sein du cabinet Qualisocial, souligne que “quand un élu est sollicité, il peut être tenté de se positionner en qualité de sauveur et de répondre au salarié ‘Ne t’inquiète pas, je m’occupe de tout’. C’est une erreur à ne pas commettre. Il faut de l’empathie bien sûr mais aussi savoir garder ses distances et sa neutralité afin de se déconnecter des émotions. Sinon, la santé mentale de l’élu risque d’en pâtir s’il porte seul la souffrance du salarié”.

La nomination du référent harcèlement au sein du CSE, prescrit par l’article L. 2314-1 du code du travail, permettra en partie d’éviter cet écueil. Rappelons qu’un référent harcèlement est également désigné par l’employeur. L’article L.2315-18 exige également que le référent soit formé. Rappelons également que le CSE “peut susciter toute initiative qu’il estime utile et proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes”. Les élus trouveront en tout cas une foultitude d’informations relatives au harcèlement et aux risques psychosociaux sur le site de l‘INRS (Institut national de recherche et de sécurité).

Marie-Aude Grimont

Emploi des cadres : l’Apec constate “un besoin croissant en compétences vertes”

18/09/2024

Pas moins de 24,5 milliards d’euros ont été investis dans le développement durable par les entreprises du secteur privé en 2023, soit plus de sept fois plus qu’en 2019. 17 000 emplois salariés ont été créés à ce titre, dont 12 400 emplois cadres, principalement concentrés dans les secteurs de l’énergie (47 %) et de l’automobile (29 %). Partant de ces chiffres, le dernier baromètre Apec consacré à la transition écologique montre que les offres d’emploi cadre pour les métiers verts ont augmenté de pas moins de 56 % en cinq ans (+4,5 % pour l’ensemble des offres). Plus de 40 % concernent les régions Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes et les micro-entreprises et PME ont une part significativement plus élevée (51 %) dans la création d’emplois que les ETI (23 %) et grandes entreprises (26 %).

Cependant, il est rappelé que ces emplois verts ne représentent pour l’instant “qu’un marché de niche”. En effet, bien que la hausse soit notable, seules 2,2 % des offres d’emploi cadre publiées en 2023 concernaient des métiers verts. Mais parce que 1 800 formations ont été recensées dans l’enseignement supérieur pour accélérer la transition écologique (aménagement du territoire et du cadre de vie, management environnemental, gestion des risques environnementaux, etc.), l’essor des métiers verts devrait “s’accroitre et se confirmer, avec des jeunes cadres aguerris aux problématiques écologiques et prêts à mener les grandes transformations nécessaires” anticipe Gilles Gateau, directeur général de l’Apec.

Source : actuel CSE

CSE : le tribunal judiciaire peut juger une expertise abusive

19/09/2024

L’employeur peut, notamment, contester la nécessité d’une expertise votée par le CSE. C’est alors le tribunal judiciaire saisi qui apprécie. Et il peut juger que l’expertise, la quatorzième en deux ans et demi, a un caractère abusif.

Le comité social et économique (CSE) a droit de désigner un expert dans plusieurs cas limitativement énumérés par le code du travail :

  • expert-comptable pour les consultations récurrentes et en cas de licenciement économique ;
  • droit d’alerte économique ;
  • expert habilité en cas de risque grave ou de projet important modifiant les conditions de travail.

Les membres du CSE ont souvent besoin d’une aide technique pour déchiffrer et analyser les documents remis par l’employeur, ou encore apprécier les enjeux, et formuler des propositions à l’employeur…Un rôle souvent essentiel, voire nécessaire, pour que le CSE puisse exercer efficacement ses attributions. Un droit que l’employeur peut toutefois contester aussi bien au titre de la nécessité du recours à un tel expert, que de son coût, ainsi que de l’étendue et la durée de l’expertise.

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 11 septembre 2024, l’employeur conteste la nécessité du recours à un expert-comptable dans le cadre de l’exercice du droit d’alerte économique. Et il obtient gain de cause, sur un fondement inédit dans ce cadre à notre connaissance : le recours abusif à l’expertise.

L’employeur peut contester la nécessité de l’expertise…

Dans cette affaire, le CSE d’un centre d’appel déclenche un droit d’alerte économique, dans le cadre duquel il décide de recourir à un expert-comptable. L’employeur saisit le tribunal judiciaire aux fins d’annuler la délibération du CSE.

Il obtient gain de cause, le tribunal estimant que la décision de recourir à un expert dans le cadre de la procédure d’alerte économique est abusive “en considération du fait qu’elle avait été précédée, moins de deux mois avant, de la désignation du même cabinet pour effectuer une expertise dans le cadre de l’information-consultation annuelle sur la situation économique et financière de l’entreprise” et “que chaque expertise représentait une dépense de 30 000€ qu’il paraissait nécessaire de rationaliser au vu des difficultés économiques de l’entreprise”.

La Cour de cassation rejette le pourvoi du CSE. Elle commence par rappeler que l’article L. 2315-86 du code du travail autorise l’employeur à saisir le président du tribunal judiciaire selon la procédure accélérée au fond en annulation de la décision du CSE de recourir à un expert-comptable lors de la procédure d’alerte économique prévue à l’article L. 2312-63.

Puis elle précise que si l’employeur “peut contester la nécessité de l’expertise, le choix de l’expert, le coût prévisionnel, l’étendue ou la durée de l’expertise, il ne peut remettre en cause par voie d’exception la régularité de la procédure d’alerte économique déclenchée par le comité social et économique”.

► Remarque : à cet égard, la Cour de cassation reprend sa propre jurisprudence. En effet, dans un arrêt récent, elle a précisé, exactement dans les mêmes termes, que l’employeur pouvait contester l’expertise mais pas le recours au droit d’alerte économique. Dans cette décision toutefois, elle n’a pas validé la demande d’annulation de l’expertise, laquelle était fondée sur l’irrégularité alléguée des conditions de vote de l’exercice du droit d’alerte, et donc relative au recours même au droit d’alerte (Cass. soc., 28 juin 2023, n° 21-15.744).  

…et le juge peut annuler cette désignation en raison de son caractère “abusif”

Puis la Cour de cassation valide le raisonnement du tribunal judiciaire ayant “retenu qu’il n’avait pas à statuer sur le bien-fondé du droit d’alerte économique exercé par le comité mais seulement à apprécier la nécessité de l’expertise”. Et la Cour d’ajouter que c’est “dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que le président du tribunal judiciaire a estimé que l’expertise n’était pas nécessaire, le comité étant déjà suffisamment éclairé par l’expertise comptable ordonnée le 2 juillet 2022 à l’occasion de l’information-consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise, et que, le comité ayant décidé de recourir à quatorze expertises en deux ans et demi, dont trois dans le cadre du droit d’alerte économique, l’expertise litigieuse avait un caractère abusif”.

Cette solution pourrait-elle s’appliquer à d’autres cas ?
Pas moins de 14 expertises en 2 ans et demi :  on comprend bien que c’est beaucoup et très onéreux, surtout pour une entreprise en mauvaise santé financière. On peut toutefois se demander si cette solution pourrait être étendue à d’autres cas.

Il s’agit d’un arrêt diffusé et non publié, on peut donc penser que cette décision a été adoptée dans ce cadre-là et ne saurait être appliquée largement. En effet, le déclenchement du droit d’alerte peut résulter justement de la consultation sur la situation économique et financière, il n’est donc pas question, à notre sens, d’écarter systématiquement l’expertise dans le cadre de l’alerte économique dès lors que la consultation récurrente a eu lieu peu de temps avant.

D’autant que l’expertise dans le cadre du droit d’alerte reste bien spécifique. Son objet est d’aider le CSE qui estime avoir “connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise”. Le CSE interroge d’abord l’employeur, et s’il n’a pu obtenir de réponse suffisante ou si celle-ci confirme le caractère préoccupant de la situation, il établit un rapport. C’est dans ce cadre que le CSE peut nommer un expert. Et d’ailleurs, l’article L. 2312-65 prévoit que l’avis de l’expert est joint aux conclusions du CSE si ce dernier choisit de les transmettre à l’organe de direction de l’entreprise.

À noter que l’assistance de l’expert-comptable dans le cadre du droit d’alerte économique est limitée à une fois par exercice comptable (C. trav., art L. 2312-64). Mais ce n’est pas cet article qui est soulevé dans cette affaire. On peut donc penser que même s’il y a eu 3 alertes économiques en deux ans et demi, c’était bien sur des exercices comptables différents. En conclusion, cette solution est intéressante mais à notre sens devrait rester exceptionnelle en matière de droit d’alerte.

Par ailleurs, l’annulation de la délibération désignant un expert en raison de son caractère abusif pourrait s’appliquer à d’autres cas d’expertise du CSE. En effet, l’article L. 2315-86 relatif aux contestation de l’employeur s’applique à toutes les expertises du CSE (sauf celle relative à une procédure de licenciement économique collectif). 

Séverine Baudouin

Les salariés de Thales Alenia Space mobilisés contre 980 suppressions d’emploi

19/09/2024

À l’appel des CSE et des organisations syndicales, plusieurs centaines de salariés de Thales Alenia Space, qui conçoit et fabrique des satellites, ont manifesté à Toulouse et à Cannes, mardi 17 septembre, contre un projet de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) prévoyant la suppression de 980 emplois en France d’ici 2025, dont 700 sur le site toulousain. “Ce plan est débile et incohérent car notre charge de travail est établie jusqu’à la fin 2025. On réclame son arrêt pur et simple et on ne lâchera rien”, a lancé le secrétaire du CSE Thales Alenia Space de Toulouse, Guilhem Ganivet (FO), cité par Le Monde.

Source : actuel CSE

Tensions autour du budget 2025

19/09/2024

Déjà palpables lors de l’audition de Bruno Le Maire à l’Assemblée, les tensions politiques autour de la préparation et de la discussion parlementaire du projet de loi des finances pour 2025 vont crescendo, alors que le futur gouvernement devra faire face à de multiples arbitrages sur les dossiers sociaux.

Hier, le Premier ministre a jugé auprès de la l’AFP que la situation budgétaire du pays était “très grave”. Il a indiqué “avoir demandé tous les éléments pour en apprécier l’exacte réalité”. S’il se résout à augmenter certains impôts, Michel Barnier, qui n’avait pas exclu “davantage de justice fiscale” lors de sa première interview, pourrait devoir faire face à l’ancienne majorité présidentielle, dont une partie reste attachée à l’engagement de stabilité fiscale renouvelé par Gabriel Attal lors des législatives.

L’opposition, de son côté, dénonce le non-respect prévisible des délais légaux d’examen parlementaire du projet de budget. En effet, le gouvernement ne semble pas prêt à transmettre au Parlement un projet de loi de finances afin qu’il soit débattu à partir du 1er octobre, date de reprise de la session parlementaire. Le président de la commission des finances Eric Coquerel (LFI) et le rapporteur de la loi de finances Charles de Courson (Liot) ont demandé jusqu’à présent en vain au gouvernement la transmission des lettres plafonds envoyées cet été par Matignon aux différents ministères. 

Source : actuel CSE

[Le regard sur la rentrée de…] Françoise Bruna-Rosso et Laëtitia Léon, de Secafi : “Les entreprises cherchent aujourd’hui à faire respecter les règles du télétravail !”

20/09/2024

Dans cette rentrée, comment évolue la politique des entreprises à l’égard du télétravail ? Assiste-t-on à un retour en arrière de la part de certaines entreprises ? Comment le CSE peut-il aborder cet enjeu ? Les réponses de Laëtitia Léon et de Françoise Bruna-Rosso, expertes auprès des CSE et spécialisées dans la prévention des risques professionnels, qui viennent de rédiger pour Secafi un guide “Agir pour un télétravail de qualité” (*).

Où en sont les entreprises françaises en matière de télétravail ?

Après l’engouement très fort qui s’est produit, le télétravail est entré dans les mœurs, du moins bien sûr pour la partie des salariés qui peuvent télétravailler, et il faut rappeler que c’est loin de représenter la majorité des travailleurs.

Certaines entreprises estiment être allées trop loin 

Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est que certaines entreprises estiment être allées trop loin. C’est le cas de sociétés de services intellectuels et d’entreprises de services numériques, mais aussi des sièges sociaux de grandes entreprises. Elles avaient déjà l’habitude du travail à distance, avec des équipes sur différents points du territoire et à l’étranger, et elles ont donc choisi, notamment pour réduire leurs coûts immobiliers, d’accentuer encore le télétravail, qui s’est souvent accompagné d’une organisation en flex office. Mais leurs managers ont aujourd’hui du mal à faire revenir les salariés sur site. Or le télétravail a un impact sur le collectif du travail : pour partager les compétences, intégrer les jeunes, pour innover, il faut aussi travailler ensemble en présentiel. Le présentiel favorise l’efficacité collective et renforce le lien social. Par exemple, répondre à un appel d’offres en réfléchissant tous ensemble dans une pièce s’avère plus créatif et efficace que de tenter de le faire chacun chez soi devant un écran ! Quand on est ensemble dans une salle, on fait des schémas, on dessine, on teste des hypothèses, on réagit de façon spontanée : les interactions et les retours d’expérience sont beaucoup plus riches que lorsque chacun est en visio devant un écran, surtout lorsque les participants coupent leur caméra ! 

Ces entreprises renégocient-elles leurs accords ?

Pour cette recherche de performance collective et de croissance, elles pourraient y venir. En attendant, ce qu’elles font déjà actuellement, c’est rappeler les règles fixées par accord à leurs salariés, comme un nombre donné de jours télétravaillés, par exemple, et à les faire respecter.

Un panneau à l’entrée pour rappeler l’obligation de venir sur le site 

Car ces règles ont fini par ne plus être appliquées, faute de contrôle de la part des entreprises dans le suivi de leur accord de télétravail. Il y a ainsi de fréquents dépassements du nombre de jours télétravaillés prévus par accord. J’ai vu une entreprise afficher sur un écran, à l’entrée des locaux, un rappel des règles de télétravail : 4 jours sur site par mois. Cela semble déjà peu comme temps de présence, mais certains salariés ne venaient plus du tout dans l’entreprise.

Y-a-t-il une tendance au retour du présentiel dans les entreprises ?

Certaines entreprises se posent la question, mais de là à en faire une tendance générale, non. D’ailleurs, une entreprise qui a réduit grâce au télétravail le nombre de ses mètres carrés ne va pas inverser la tendance. Il y a plutôt une réflexion de l’organisation présentielle des locaux. C’est l’occasion pour les entreprises de s’interroger : pourquoi ne pas prévoir des bureaux en position debout pour réduire la sédentarité ? Des salles où l’on peut écrire sur les murs ? Recréer des petites salles de 3 à 5 personnes qui manquent souvent dans les entreprises ?

Le télétravail rime-t-il forcément avec open space (espace de bureaux ouvert) ou flex office (espace de travail sans bureau personnel attitré) ?

Non, pas forcément, mais souvent. L’existence du télétravail est fréquemment présentée comme un argument pour passer en flex office.  D’ailleurs, les discours des entreprises sont contradictoires. Elles peuvent prêcher davantage de présentiel, mais décider pour des raisons de coût de fermer toute une période (canicule, Jeux Olympiques, etc.) ou, par exemple, le vendredi.

Face à ces discours de l’entreprise, que conseillez-vous aux CSE ?

C’est très compliqué pour les CSE, car ils sont eux-mêmes confrontés aux avis différents des salariés sur le sujet. Et ils sont eux-mêmes confrontés à un dilemme : être ou ne pas être, en tant qu’élus, en télétravail ? D’autre part, la question que les CSE doivent se poser, c’est, bien sûr, la finalité d’une mise en place du télétravail, et ses effets sur les salariés. Par exemple, si une majorité ou deux tiers des salariés se satisfont de deux jours de télétravail par semaine, pour d’autres, comme les salariés reconnus comme travailleurs handicapés ou les aidants familiaux, ce ne sera pas adapté. Ces éléments de contexte social doivent être pris en compte et défendus par les représentants du personnel. Mais attention aussi au phénomène “loin des yeux, loin du cœur”…

“Loin des yeux, loin du cœur” : que voulez-vous dire ?

L’homme est un “animal social”. Lorsqu’un salarié est très souvent en télétravail, il est beaucoup moins connu des managers qui, en revanche, voient régulièrement passer devant leur bureau d’autres salariés, avec lesquels ils vont prendre un café et partager davantage de “off”.

En télétravail, le risque est d’être un peu oublié par son manager 

Les personnes en télétravail peuvent se retrouver moins bien évaluées, moins promues, que celles qui sont plus souvent présentes. Les élus doivent être vigilants sur ces questions, ne serait-ce qu’en alertant les salariés. On sait bien, d’autre part, que le télétravail expose aussi les salariés à davantage de fatigue visuelle et mentale, sans parler d’un risque physique lié à la sédentarité.

Voyez-vous un lien entre le diagnostic d’une santé mentale des salariés dégradée et la pratique croissante du télétravail ?

En tant qu’expert, nous vous répondrons que les causes d’une personne en souffrance au travail doivent être d’abord cherchées dans l’organisation du travail. Le télétravail peut engendrer des facteurs de souffrance : productivité accrue, manque de lien social, défaut de régulation écrit ou oral avec son manager ou ses collègues, pas de pause ni de rituels sociaux, perte du sentiment d’appartenance, etc. Il y a aussi quelque chose de plus profond tenant au sens du travail. Rester chez soi pour travailler, cela paraît très bien sur le papier, mais quel sens cela a-t-il si les relations professionnelles diminuent ?

Comment évolue l’indemnité financière liée au télétravail ?

Difficile à dire. Dans les grands groupes, il peut y avoir un accord pour un meilleur forfait, et tenant compte des coûts pour le salarié. Mais même dans certaines grandes entreprises, le télétravail peut être encore présenté par la direction comme un avantage qui n’a pas à être compensé. Pourtant, l’employeur est soumis à l’obligation générale de prendre en charge les frais engagés par le salarié pour un télétravail régulier ou occasionnel, mais cette règle n’est pas absolue. Là encore, il faut négocier (**).

L’action des représentants du personnel est elle-même affectée par le télétravail. Comment le CSE peut-il rester au contact des salariés ?

Les élus n’ont pas souvent le droit, qui peut être prévu par accord, d’utiliser les mails professionnels des salariés, c’est donc compliqué ! L’utilisation du local CSE, avec des permanences, reste pratique pour voir les salariés, leur parler, y compris à l’occasion de la distribution de chocolats ou de bons cadeaux. C’est l’avantage de ne pas tout traiter par le numérique et les mails. Du point de vue d’un maintien de la proximité entre élus et salariés, basculer vers la numérisation totale des activités sociales et culturelles n’est pas souhaitable.

Quels sont les points clés à surveiller, pour les représentants du personnel, dans une négociation télétravail ?

Pour le dire de façon un peu abrupte, le télétravail n’est pas une conquête sociale, c’est une forme différente d’organisation du travail. C’est ainsi qu’il faut l’aborder dans une négociation. Elle peut avoir des tas d’avantages pour la qualité de vie, bien sûr (moins de temps dans les transports, etc.), mais il y a aussi un versant négatif à traiter dans les accords. A nos yeux, le télétravail ne doit pas être l’unique modalité d’organisation du travail. Les temps collectifs doivent exister et être organisés.

La charge de travail du télétravailleur doit être surveillée pour rester acceptable 

Il y a bien sûr la question de l’indemnisation journalière, on l’a vu. Mais un point très important est le contrôle réel de la charge de travail du télétravailleur. Quelqu’un peut recevoir chez lui des demandes de plusieurs managers, surtout dans les organisations matricielles, sans que personne ne soit au courant de ce cumul de travail. Certaines sociétés technologiques utilisent des outils pour suivre les temps de connexion des équipes, et d’utilisation des mails, afin de vérifier que le cadre légal ou celui prévu par accord n’est pas dépassé. Mais il faut dire que les accords prévoient trop peu la vérification de l’application des dispositions négociées et de leurs effets (nombre d’événements collectifs, par exemple). Nous ne pouvons également que conseiller de prévoir dans ces accords une politique de prévention, de la santé physique (attention à la sédentarité) et mentale. Cela peut passer par la formation (apprendre aux cadres à manager le télétravail) et l’inscription de points d’examen du Duerp (document unique d’évaluation des risques professionnels) et du Papripact (programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail). Distribuer des livrets recommandant aux salariés de se lever toutes les demi-heures, ce n’est pas suffisant !

Le télétravail peut être aussi un enjeu très fort pour les RH…

Pour recruter dans certains métiers en pénurie, en effet ! Une entreprise qui a du mal à trouver des profils dans sa zone géographique aura intérêt à intégrer le télétravail dans sa stratégie de recrutement pour élargir sa recherche et ses chances de trouver de bons candidats.

(*) Ce guide a été écrit par Laëtitia Léon avec l’appui de Françoise Bruna-Rosso et d’Estelle Richard, expertes auprès des CSE et spécialisées dans la prévention des risques professionnels. Pour le télécharger, cliquez ici

(**) Le principe d’une prise en charge par l’employeur des frais de télétravail est par exemple rappelé dans l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020, mais la jurisprudence a exclu toute prise en charge pour un salarié ayant pris l’initiative de télétravailler. Le mieux est donc de négocier les modalités de cette prise en charge. Rappelons que l’Urssaf exonère de cotisations sociales un forfait de prise en charge de frais de télétravail de 10€ par mois pour 1 jour par semaine, 20€ par mois pour 2 jours, 30€ par mois pour 3 jours.

CSE et délégués syndicaux : quelle complémentarité sur le télétravail ?
Ce sont les délégués syndicaux qui négocient avec l’employeur le télétravail, le CSE n’est pas compétent pour le faire

En cas d’accord collectif sur le télétravail, le CSE n’est pas consulté sur l’accord

Cependant, le CSE a vocation à être informé et consulté en cas de modification des conditions d’emploi des salariés et il doit être informé et consulté lorsque l’employeur projette d’utiliser des moyens de contrôle à distance du travail des salariés (logiciels de surveillance sur les ordinateurs professionnels, webcams, appels réguliers, etc.)

Autrement dit, l’employeur ne peut pas laisser le CSE en dehors de toute information sur le télétravail, d’autant que le CSE est consulté sur le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) et sur ses mises à jour, qui peuvent résulter de la mise en place ou de la modification du télétravail 

Si le télétravail est mis en place par l’employeur unilatéralement via une charte, alors l’entreprise doit auparavant demander l’avis du CSE (art. L. 1222-9 du code du travail)

Le CSE comme les délégués syndicaux peuvent informer les salariés des modalités de mise en œuvre du télétravail, même si cela incombe d’abord à l’employeur

Le CSE peut veiller au respect des conditions de travail des télétravailleurs, et de leur charge de travail. Il peut faire remonter à l’employeur les réclamations des salariés

Le CSE peut évaluer l’impact du télétravail sur les conditions de travail (pour prévenir notamment les risques psychosociaux), et demander des ajustements si nécessaire, notamment à l’occasion de la consultation annuelle sur la politique sociale (art. L. 2312-26 du code du travail).

Bernard Domergue