Radio France souhaite dénoncer sa contribution aux activités sociales mutualisées de l’audiovisuel public

23/06/2025

Le siège de Radio France, dans le XVIe arrondissement à Paris

Dans l’audiovisuel public, une structure commune à plusieurs CSE d’entreprises, le “CASCIE” (ex-“CI ORTF”), propose des activités sociales et culturelles au personnel (vacances, colonies, etc.), grâce notamment à huit centres de vacances en France. La direction de Radio France entend ne plus financer cette structure. Les CSE de la Maison de la radio, qui représentent plus de 4 000 salariés, envisagent d’agir en justice.

Le paradoxe serait drôle, si les enjeux sociaux n’étaient pas si importants : au moment où débute le débat parlementaire sur le projet de création d’une holding coiffant l’ensemble de l’audiovisuel public (*), la direction de Radio France (France Inter, France Info, France culture, etc.) projette de dénoncer le financement qu’elle accorde au “CASCIE ORTF”, un comité inter-entreprises qui propose des activités sociales et culturelles pour le personnel de plusieurs entreprises publiques (Radio France, France Télévisions, INA). “Pour l’instant, notre comité interentreprises, qui existe depuis 50 ans, est le seul lieu qui rassemble les salariés des différentes entreprises de l’audiovisuel”, souligne d’ailleurs la secrétaire du comité, Claudine Gilbert (SNJ-CGT), issue de France Télévisions.

Géré par des représentants des CSE des différentes sociétés, ce comité des activités sociales et culturelles interentreprises de l’ORTF (CASCIE-ORTF, la nouvelle “marque” du CIE ORTF depuis 2017 et le passage des CE en CSE) bénéficie d’un patrimoine important accumulé au fil des années avec plusieurs centres de vacances dans plusieurs régions (campagne, mer, montagne), le CASCIE organisant des séjours pour le personnel et leurs enfants en France comme à l’étranger. 

À Radio France, la dotation versée par l’employeur pour le CASCIE transite par les deux CSE d’établissements, le CSE de Paris (qui couvre environ 2 500 salariés) et le CSE d’Ici (environ 1 500 personnes), “Ici” étant le nouveau nom du réseau d’antennes locales “France Bleu”. Les deux établissements reversent cette dotation au comité inter-entreprises.

Un gros enjeu financier et social

Ces deux CSE d’établissements ont été informés la semaine dernière par la direction de la radio publique de son intention de mettre fin à ce financement. 

Dans un contexte de tensions tant sociales que budgétaires et politiques (l’audiovisuel public dépend de l’Etat et donc du vote du Parlement pour l’essentiel de son budget), l’enjeu est très important sur le plan financier et social, pour la direction comme pour les personnels.

Le versement de la “Maison ronde” (voir notre photo ci-dessus) représente en effet 1,4 % de la masse salariale brute, soit un budget de 3,9 M€ sur une dotation globale de 5,28M€ pour les activités sociales et culturelles des deux CSE de Radio France. Par exemple, pour le CSE de Paris, la subvention pour le CASCIE a représenté 2,6 M€ en 2024, sur 8,2M€ de produits d’exploitation (**).

La direction soutient, contrairement aux syndicats, que cette somme destinée aux ASC mutualisées ne résulte que d’un usage, fruit d’un engagement unilatéral. Un usage qui pourrait donc être dénoncé rapidement : “Aucun texte ne contraint Radio France à verser la subvention versée aux CSE d’établissements au bénéfice présumé du CASCIE ORT”, a affirmé la direction aux élus du CSE de Paris le jeudi 19 juin (***).

Le calendrier de Radio France

Lors de cette réunion du CSE de l’établissement de Paris, la direction de Radio France a également communiqué son calendrier : 

  • fin août : fin de la consultation des deux comités sociaux et économiques d’établissement ;
  • début septembre : consultation du CSE central ;
  • dès le 12 septembre : information préalable donnée aux salariés bénéficiaires des ASC ;
  • début septembre à fin décembre 2025 : délai de prévenance de dénonciation de l’usage.

Autrement dit, la dénonciation de l’usage de ce financement prendrait effet dès fin 2025.

Radio France serait donc déliée dès le début 2026 de son engagement à financer le comité interentreprises, alors que son apport représenterait un tiers du financement de la structure. “Sans la contribution de Radio France, comment pourrions-nous continuer notre activité ? s’interroge Claudine Gilbert. Nous avons 8 villages vacances dont un en location. Nous employons 50 salariés dont 35 à Paris, et nous faisons appel à plusieurs centaines de saisonniers par an. Et les employeurs bénéficient aussi de notre activité : les salariés qui travaillent peuvent envoyer leurs enfants en colo”.

Avant de cesser son financement, la direction de Radio France souhaite cependant engager des négociations avec les organisations syndicales représentatives dès septembre 2025 pour “redéfinir et pérenniser tout ou ou partie du montant à destination plus directe des salariés”.

La négociation envisagée

Parce que “le contexte budgétaire nous impose de réinterroger nos dépenses”, Radio France envisagerait donc de consacrer une partie de l’argent économisé sur les ASC mutualisées en le redéployant directement auprès des deux CSE de Radio France pour leur budget ASC, mais aussi d’en affecter une partie aux commissions de suivi de carrière, autrement dit à des augmentations salariales.

Au passage, dans sa communication aux CSE, la direction de Radio France critique “l’efficacité du CASCIE par rapport à son objectif social”.

L’employeur affirme que le financement du CASCIE représente 74 % du budget d’activités sociales et culturelles affectés aux CSE, alors qu’une “minorité de salariés” (Radio France évoque “12 % d’ouvrants droits”) bénéficieraient de l’offre mutualisée. Radio France avance également que le nombre d’enfants et jeunes bénéficiaires de séjour a baissé depuis plusieurs années alors que le nombre de jours de vacances des retraités a augmenté. Une analyse rejetée par la secrétaire du comité interentreprises, qui rappelle avoir signé un contrat d’objectifs avec les employeurs : “Il faut prendre les chiffres sur plusieurs années, car nous faisons tourner afin de ne pas avoir toujours les mêmes bénéficiaires. La qualité de nos colonies de vacances est reconnue. D’autre part, faire venir des retraités hors saison participe aussi de l’équilibre financier de notre structure”, dit Claudine Gilbert (SNJ-CGT).

Ces perspectives et ces données, vivement contestées par les représentants du personnel, font bondir le secrétaire du CSE Paris de Radio France : “Déjà, pour nous, ce financement n’est pas un usage mais résulte d’un accord, lance Bertrand Durand (élu CGT). Ensuite, une éventuelle sortie du CASCIE ne peut pas se faire sans un préavis de 6 mois. Et il signifierait, outre la fin de l’accès à ces activités pour le personnel de Radio France, que nous perdrions le patrimoine commun que nous avons progressivement financé. Enfin, l’employeur n’a pas à s’immiscer dans l’utilisation des crédits que peut faire un CSE pour ses activités sociales et culturelles, et encore moins les utiliser pour financer des hausses de salaires !”

Claudine Gilbert, la secrétaire du comité interentreprises, abonde dans le même sens : “Je ne vois pas comment Radio France pourrait unilatéralement cesser sa contribution au CIE. L’employeur verse une contribution au CSE qui choisit ensuite librement son affectation”. 

Lors de la réunion des CSE de Paris et d’Ici (ex-France Bleu), cette question faisant l’unanimité des syndicats, les élus ont voté une délibération  autorisant leur secrétaire à agir en justice (lire ci-dessous). A suivre donc. 

Le précédent de TDF

Pour l’instant, France Télévisions n’a pas engagé la même démarche que Radio France, mais certains redoutent de la voir prendre le même chemin. Il faut dire qu’une autre entreprise de l’audiovisuel, TDF (environ 1 300 salariés), est déjà sortie du comité interentreprises de l’audiovisuel public.

Sa situation était, il est vrai, un peu particulière. D’une part, la base légale rattachant TDF (devenue une entreprise privée) au CIE était fragile, d’autre part les syndicats étaient divisés sur l’intérêt du CIE lui-même pour une société moins importante que Radio France et France Télévisions. Et enfin l’entreprise possédait directement trois centres de vacances mis à disposition du CI-ORTF mais dont TDF assurait l’entretien, une gestion coûteuse aux yeux de l’employeur.

L’entreprise a donc choisi de les vendre, en acceptant de le faire à un tarif permettant au comité de les racheter. “Nous avons obtenu en tout et pour tout une dotation exceptionnelle de 800 000€ pour le CSE de TDF”, nous confie Gilles Blanchard, élu CGT, en ajoutant : “Mais nous avons perdu l’accès aux colonies de vacances et aux séjours de qualité que proposait le CIE”. 

Une situation vue différemment par Grégory Delaunay, le secrétaire (CFDT) du CSE de TDF : “Le départ du CIE s’est fait au moment du passage au CSE (..) Au moment de la vente des centres, nous aurions pu tenter de revendiquer qu’il s’agissait d’une ASC à gérer, mais il nous a semblé plus prudent de négocier une dotation supplémentaire, que nous avons choisi d’utiliser sous forme de billetterie distribuée aux salariés”. Et le secrétaire d’ajouter : “Nous avions déjà une offre alternative d’ASC, et nous l’avons développée depuis avec nos partenaires”. Et l’élu de nous confier que cette histoire a laissé quand même un héritage : “Nous avons toujours deux restaurants, à Toulouse et Nancy, que nous gérons en commun avec France 3”.

(*) A l’occasion du débat parlementaire, les syndicats de Radio France (CFDT, CGT, FO, SNJ, Sud, UNSA) ont lancé un “préavis de grève illimitée”, à partir du jeudi 26 juin, contre le projet de loi fusionnant radio et télévision dans une holding commune. Les organisations syndicales craignent que “ce montage bureaucratique et politique” ne menace l’indépendance de Radio France. Les syndicats de France Télévision (voir le communiqué de la CFDT, CGT, SNJ, FO, SUD) appellent eux-aussi à une grève illimitée, mais à partir du 30 juin, contre un projet “dont l’unique but est de réaliser des économies”. 

(**) Parallèlement aux ASC du CASCIE, le CSE de Paris, qui emploie 41 salariés dont 38 pour le restaurant d’entreprise, gère donc lui-même d’autres activités : la restauration, la billetterie (60 % de l’enveloppe consommée en 2024), des chèques-culture, le Noël des enfants, des événements, des voyages, etc. 

(***) Rappel : si un accord existe qui traite de la contribution aux activités sociales et culturelles, sa dénonciation entraîne néanmoins pour l’employeur l’obligation de respecter un montant minimal de financement des ASC. Une fois l’accord dénoncé, le rapport de la contribution pour le budget ASC à la masse salariale brute ne pourra pas être inférieur au même rapport existant pour l’année précédente. En l’absence d’accord, dans le cas d’un usage, sa dénonciation ne peut pas conduire l’employeur à abaisser sa contribution en dessous des minima légaux ou conventionnels applicables (voir par exemple cet arrêt de 2007 de la Cour de cassation).

Dans leur délibération, les deux CSE évoquent une violation des accords passés et un risque de cessation de paiements dès janvier 2026
Dans ce texte adopté le 19 juin à l’unanimité (20 voix pour), le CSE Paris de Radio France soutient que le financement mutualisé des activités sociales et culturelles (ASC) auquel participe Radio France découle d’un accord collectif non remis en question, un accord du 30 mai 1984 entre les employeurs du secteur public de l’audiovisuel et les organisations syndicales (repris par un accord du 22 septembre 2022), texte dans lequel les entreprises s’engagent à verser 1,4 % de la masse salariale de chaque comité d’entreprise, charge à ceux-ci de le reverser au comité interentreprises de l’ORTF (devenu le CASCIE) créé en 1976.

La délibération dénonce la volonté de la direction de “s’immiscer dans la gestion des ASC dévolues aux seuls représentants du personnel” : “Le projet (..) de se soustraire à son obligation de verser la subvention au CASCIE est expressément motivé par son appréciation négative de l’action du CASCIE et sa volonté « d’optimiser » les dépenses d’activé sociale pour favoriser le «pouvoir d’achat  », une volonté qualifiée “d’immixtion parfaitement illicite”. 

La délibération dénonce également la brutalité des modalités de cessation du versement de la contribution qui aura pour effet “de déstabiliser la représentation du personnel” : “Sans le versement de la subvention pas des fonds lui permettant de remplir ses engagements vis-à-vis du CASCIE, les CSE de Radio France n’auront d’autre choix que de quitter le CASCIE. Or (..) le retrait ne peut intervenir qu’après la délibération du CSE, et moyennant un préavis de 6 mois”. Le risque, poursuit le texte, est que le CSE se retrouve “en cessation de paiements dès janvier 2026”.

Également adoptée à l’unanimité des élus présents, la délibération du CSE d’Ici (ex-France Bleu) va dans le même sens en autorisant son secrétaire, Rodolphe Faure, à saisir la justice : “Après analyse approfondie des textes applicables, les élus du CSE France Bleu rappellent solennellement que ce versement résulte d’engagements conventionnels clairs, formalisés dans l’accord collectif interentreprises du 10 février 2022 et la convention de transfert du 16 mai 2022, signés par Radio France et les autres entreprises concernées. Ces accords, conclus pour une durée indéterminée, prévoient explicitement l’obligation pour chaque CSE d’établissement de reverser annuellement au CASCIE une somme équivalente à 1,4 % de la masse salariale brute de l’entité. La dénonciation de cette obligation ne saurait donc être assimilée à la dénonciation d’un usage, mais relève exclusivement de la procédure de dénonciation d’accord collectif prévue par l’article L.2261-9 du Code du travail. Les élus du CSE France Bleu soulignent que l’absence de versement des 1,4 % empêcherait l’application de l’article 6 de l’accord collectif et remettrait en cause la structure, la pérennité et le fonctionnement même du CASCIE, au détriment des activités sociales et culturelles offertes aux salariés et retraités du secteur”.

Bernard Domergue

APLD Rebond : un kit est diffusé par l’administration

23/06/2025

L’administration met des ressources à disposition des entreprises souhaitant recourir au dispositif d’APLD rebond, dont un modèle d’accord type.
L’activité partielle de longue durée rebond (APLD-R) est un dispositif temporaire visant à assurer le maintien dans l’emploi des salariés dans les entreprises confrontées à une réduction d’activité durable qui n’est pas de nature à compromettre leur pérennité.

Il est mis en œuvre :

  • soit par la voie d’un accord d’établissement, d’entreprise ou de groupe validé par l’administration ;
  • soit par le biais d’un document unilatéral élaboré par l’employeur (DUE) en application d’un accord de branche étendu puis homologué par l’administration.

La décision de validation ou d’homologation vaut autorisation de recourir à l’APLD-R pour une période de six mois, cette autorisation pouvant être renouvelée, sur demande, par période de six mois (dans la limite de 18 mois consécutifs ou non, sur une période de 24 mois consécutifs). À la fin de chaque période de six mois l’employeur adresse à l’administration un bilan du respect de la réduction de l’horaire de travail et des engagements pris en matière de maintien dans l’emploi et de formation professionnelle.
L’administration met un kit à disposition des entreprises comprenant :

  • Un accord type ;
  • Une trame de bilan ;
  • Un tableau type de bilan du taux d’inactivité des salarié

Source : actuel CSE

Le “permadiologue”, avenir du dialogue social environnemental ?

25/06/2025

Les artisans du Permadialogue parmi lesquels au centre Sylvain Breuzard (Norsys) avec à sa gauche Michaël Pinault et Jérôme Morin (F3C-CFDT), et, tout à droite, Christophe Porchet (DS Norsys) et Aurore Duffau (Syndex)

Un groupe paritaire associant dirigeants et syndicalistes CFDT a conçu une nouvelle forme de dialogue social environnemental, avec des objectifs et des indicateurs originaux. Explications sur ce modèle de “permadiologue” dont la fédération F3C de la CFDT entend faire la promotion auprès de ses équipes et qui trouve une première application chez Norsys, l’accord prévoyant des représentants de la Nature y compris au sein du CSE

En France comme en Europe, au nom d’une compétitivité économique ravivée par les tensions internationales, l’heure semble plus au détricotage des nouvelles normes sociales et environnementales qu’au renforcement du dialogue social environnemental. C’est pourtant le moment choisi par la F3C, la fédération CFDT qui a lancé le réseau “Sentinelles vertes” (*), pour présenter une initiative appelée – du moins l’espère-t-elle – à faire école. 

Pas le moment ? “Il y a urgence, tant sur le plan écologique que social, notre planète est limitée”, alerte Michaël Pinault, de la F3C. Et Christophe Porchet, DS CFDT de Norsys, qui fait partie du réseau Sentinelles vertes, de renchérir : “La dégradation du vivant aura des impacts sociaux et économiques certains, donc c’est plus que jamais le moment d’anticiper”. Sylvain Breuzard, PDG de Norsys (**), ajoute : “Le monde de l’entreprise a tendance à se refermer quand le contexte économique se tend, c’est vrai. Mais peut-on continuer à râler et à faire du lobbying contre de nouvelles normes ou ne vaut-il pas mieux anticiper tout cela pour mieux les intégrer ?”

De quoi s’agit-il ? Rien moins que de présenter un modèle pour “renouveler voire réenchanter le dialogue social environnemental” en entreprise, selon le mot de Michaël Pinault, initiateur des Sentinelles vertes. 

Un modèle expérimenté et testé dans une société informatique

Ce modèle a été mis au point par un groupe paritaire associant quatre dirigeants (Sygmatel, Serda, Socomore et Norsys), des représentants de la CFDT (des syndicalistes issus du réseau Sentinelles vertes de la F3C) et l’appui de l’expert Syndex, avec la consultante Aurore Duffau. Il a été appliqué, via un accord d’entreprise négocié par Christophe Porchet (DS CFDT), au sein de la société de services informatiques Norsys (750 salariés, 57 M€) dont le créateur, Sylvain Breuzard, ancien responsable du Centre des jeunes dirigeants de 2002 à 2004, a inventé la notion de “permaentreprise”, autrement dit d’un développement intégrant les défis environnementaux et sociaux.

À l’origine de cette histoire, il y a une forme de lassitude éprouvée par Sylvain Breuzard : “J’ai passé beaucoup de temps à promouvoir la RSE (responsabilité sociale et environnementale) auprès des dirigeants sans beaucoup de succès, alors même que nous voyons la planète se dégrader et les inégalités augmenter. J’ai donc cherché un autre moyen pour ouvrir l’oreille du monde patronal”. 

Cet autre moyen, ce sera donc un travail collectif mené depuis 2024 pour définir un mode de développement “très exigeant, plus exigeant sur les référentiels RSE”, mais élaboré par les partenaires sociaux eux-mêmes. Pour sortir “des jeux de rôle et de postures traditionnels” du dialogue social, le groupe paritaire a chercher à formaliser, sous la forme d’un accord, des objectifs et leur déclinaison, accord dont d’autres entreprises et équipes syndicales pourraient s’inspirer. 

Trois principes et une vingtaine d’objectifs

Ce modèle d’accord (voir le dossier en pièce jointe) définit trois principes éthiques fondamentaux :

  1. prendre soin des humains (conditions de travail, épanouissement professionnel, gouvernance partagée, etc.) ;
  2. préserver la planète (décarbonation, biodiversité, sobriété, représentation et place de la nature, etc.) ;
  3. créer de la richesse en se fixant des limites et en la partageant équitablement (redistribution, finance responsable, etc.).

Inspirés de la permaculture, ces objectifs sont déclinés dans une vingtaine “d’objectifs d’impact” (compétences pour tous, prévenir l’usure et les risques, représenter les intérêts de la natire, soutenir la biodiversité, réduire les déchets, redistribuer équitablement la richesse créée, etc. ), chacun étant doté d’indicateurs de mesure.

Par exemple, dans l’accord Norsys (lire le document en pièce jointe), un des indicateurs de l’objectif “Prendre soin des humains” consiste à s’assurer que 80 % des salariés estiment avoir vu leur employabilité progresser ces deux dernières années. Autre exemple : pour l’item “Préserver la planète”, l’accord de Norsys se fixe pour objectif de passer “sous les 20 tonnes de carbone par million d’euros de chiffre d’affaires”, mais aussi de “faire un bilan carbone” et de rester “sous les 1,7 tonne par salarié au niveau du groupe” ou encore de “recycler 100 % du matériel inutilisable”. 

Les objectifs et les indicateurs sont définis par le dialogue social

“Ce que nous trouvons intéressant dans cette démarche, salue Aurore Duffau de Syndex, c’est qu’habituellement nous accompagnons des élus pour qu’ils s’imprègnent des nouvelles prérogatives environnementales du CSE alors qu’ici, il s’agit de décliner des objectifs environnementaux en s’appuyant sur un travail préalable pour définir les infos dont le CSE et les délégués syndicaux ont besoin, c’est une approche ambitieuse et innovante”. Et la consultante de Syndex de citer par exemple l’information donnée au CSE dans la consultation économique et financière : “Ici, nous allons plus loin avec des infos sur les cycles de vie, le bilan carbone, etc”. 

Le délégué syndical CFDT Christophe Porchet partage cette analyse : “Là où les éléments de la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE) du CSE sont parfois très difficiles à utiliser par des élus, avec cette démarche nous fixons nous-mêmes les éléments qui nous semblent importants”. Et le DS CFDT d’observer que cette ambition a conduit le CSE à s’aligner en faisant un bilan carbone de ses activités sociales et culturelles et en s’interdisant de proposer aux salariés des voyages en avion. 

Maintenant, l’enjeu pour la F3C et les promoteurs de cette approche est de faciliter son appropriation, notamment dans le tissu des PME : “Beaucoup de dirigeants veulent faire des choses mais sans trop savoir comment”, constate Sylvain Breuzard tandis que Jérôme Morin, le secrétaire général de la F3C-CFDT estime que cet outil peut donner l’occasion à son syndicat de s’implanter dans des PME. 

(*) La F3C regroupe 50 000 adhérents dans des secteurs et métiers très variés : culture, sport, ingénierie, médias, animation, etc. Le réseau Sentinelles vertes, créé en 2020 à l’initiative de Michaël Pinault, compte un millier d’élus du personnel et de délégués syndicaux “mobilisés pour mettre en œuvre dans leur entreprise une transition écologique juste”.

(**) Sylvain Breuzard, dont la fondation finance la biodiversité au Maroc, a écrit “La permaentreprise, un modèle viable pour un futur vivable, inspiré de la permaculture” (Editions Eyrolles, 2024). Un ouvrage qui a donné l’idée à Michaël Pinault de tenter une nouvelle approche pour renouveler le dialogue social. 

“Un représentant de la Nature au sein du CSE”
Dans le modèle expérimenté chez Norsys, le dialogue social environnemental inaugure plusieurs représentants de… la Nature ! Ainsi, un représentant de la Nature est-il présent au sein du conseil d’administration, un autre au sein du comité d’éthique, un autre dans le comité de suivi de la raison d’être (Norsys est une entreprise à mission), et il y a aussi un représentant de la Nature qui siège au CSE : c’est le DS Christophe Porchet qui joue ce rôle. D’ailleurs, le CSE de Norsys est rebaptisé CSEN, comme “Comité Social et Economique Nature”. Tous ces représentants se réunissent au sein d’un “conseil de la Nature” interne à l’entreprise. 

Du côté de la F3C-CFDT, on défend l’idée de représentants de salariés au sein des conseils d’administrations des entreprises privées et de commissions environnement des CSE qui s’ouvrent à des membres extérieurs comme par exemple des associations environnementales locales, nous précise Michaël Pinault. 

Bernard Domergue

“Attention aux accords qui permettent à l’entreprise de s’affranchir des règles d’égalité et de reclassement du PSE”

26/06/2025

C. Pellet et R. Koskas, le 24 juin à Paris

Les entreprises disposent d’outils désormais nombreux pour gérer leurs restructurations. Dans une conférence commune à Paris le 24 juin, Christian Pellet, président du cabinet Sextant expertise, et Roger Koskas, avocat associé de Brihi Koskas, ont livré une lecture critique de ces outils et donné quelques conseils aux représentants du personnel.

Quand on est élu CSE ou délégué syndical, comment saisir dans son ensemble, et de façon critique, la panoplie des outils (PSE, PDV, RCC, GEPP, voir le schéma ci-dessous) désormais nombreux dont disposent les dirigeants d’entreprise pour restructurer leur organisation ? Peut-être en prêtant attention à cette analyse de l’avocat Roger Koskas qui est parti du PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) pour élargir ensuite son propos. 

Les contraintes du licenciement collectif

Dans le licenciement collectif, a-t-il expliqué, il y a la vieille règle du droit au reclassement (plus l’entreprise est grande, plus le droit au reclassement est fort) et la règle de l’égalité, avec les critères sociaux qui s’ajoutent aux compétences pour décider qui sera finalement licencié avec les critères d’ordre (*).

“Comme l’entreprise, quoi qu’elle en dise, a bien sûr déjà en tête ceux qu’elle veut garder et ceux qu’elle veut voir partir, la définition des catégories professionnelles en vue du licenciement est cruciale. Pour tenter d’échapper à la question de l’égalité de traitement et cibler les licenciements, j’ai vu une entreprise qui avait découpé jusqu’à 280 catégories professionnelles, ce que le juge a bien sûr refusé”, rapporte l’avocat de Brihi Koskas.

L’arbitraire a peur de la lumière  

Mais il est désormais un autre moyen, parfaitement légal celui-là, pour les entreprises de tenter de s’affranchir de ces règles contraignantes de reclassement et d’égalité de traitement : “C’est le volontariat”, souligne l’avocat. “Quand on vous fait discuter en vue d’un accord de ruptures conventionnelles collectives (RCC), d’un plan de départs volontaires autonome (PDV) ou d’un accord de gestion prévisionnelle de l’emploi et des parcours professionnels (GEPP) qui peut intégrer un APC ou prévoir le cadre d’une future RCC, ayez bien à l’esprit que l’on vous fait discuter en fait de l’abandon des règles d’égalité de traitement et du reclassement !” avertit Roger Koskas. Et ce dernier d’ajouter : “Votre rôle comme représentant du personnel est toujours de mettre en lumière ce qui est caché, un peu comme une caméra dans un commissariat. L’arbitraire a peur de la lumière !”

Votre signature a un prix 

Autrement dit : soyez vigilants, votre signature a un prix ! D’autant que si l’administration a remplacé le juge pour assurer un contrôle de la conformité des PSE (les mesures doivent être proportionnées aux moyens du groupe, l’information donnée au CSE doit être complète, les critères d’ordre ne doivent pas être faussés par un découpage trop fin des catégories professionnelles, etc.), il n’en va pas de même pour les accords collectifs permettant des départs volontaires des salariés.

Le cadre est moins contraignant, beaucoup de choses se négocient. Par exemple, souligne Christian Pellet, le président de Sextant expertise, “aucun droit à l’expertise n’est prévu en cas de ruptures conventionnelles collectives, mais rien ne vous empêche de chercher à obtenir le droit à une telle expertise dans un accord de méthode précédent la négociation”.

Autant dire qu’il vaut mieux connaître les caractéristiques et le cadre d’application de chaque type d’accords susceptible d’être avancé par la direction, des éléments résumés par Sextant dans le schéma ci-dessous.

La question de l’accord de méthode

Dans le cas d’un PSE, l’accord de méthode peut permettre d’articuler le séquencement de l’expertise avec le déroulement de la négociation car, résume Christian Pellet, “à quoi sert un rapport d’expertise remis à quelques jours du rendu de l’avis ? Il vaut mieux que l’expert alimente régulièrement, par des notes et analyses, la représentation du personnel et les négociateurs”.

Cet accord de méthode, commente Roger Koskas, a ses partisans et ses détracteurs dans les organisations syndicales, car s’il permet parfois d’obtenir des délais et des moyens, il peut aussi signifier, ne serait-ce que symboliquement, l’accord des signataires sur la restructuration elle-même.

“Pour l’employeur, signer un accord de méthode, c’est aussi une façon de rassurer le corps social de l’entreprise en disant : voyez, on a prévu des changements, mais nous sommes avec des syndicats responsables, nous allons discuter de tout ça”, interprète l’avocat.

Prévoyez une clause de retour à meilleure fortune 

Attention également, ont dit l’avocat et l’expert, au cadre de l’accord de performance collective (APC), un dispositif qui peut imposer au salarié, qui sera licencié s’il refuse de se voir appliquer l’accord, une mobilité géographique, un changement de la durée du travail ou de son salaire. “Lorsque l’entreprise vous invite à négocier, elle ne précise pas toujours qu’elle a l’intention de s’inscrire dans le cadre de l’APC”, prévient Christian Pellet qui avance, comme contreparties à la signature d’un APC, l’obtention de garanties : plan d’investissement, plan de formation, recrutements ultérieurs, etc. “Si des sacrifices sont demandés aux salariés, exigez aussi des sacrifices du côté des organes dirigeants. Posez la question d’une clause de retour à meilleure fortune”, suggère Roger Koskas.

L’expert de Sextant recommande aussi une grande attention lors de la négociation de la GEPP : “C’est devenu une négociation de plus en plus accueillante pour organiser des départs volontaires. Quand vous négociez un accord GEPP, c’est généralement à froid. Et c’est à l’occasion d’une consultation récurrente que vous apprendrez ensuite que les personnes listées dans les emplois sensibles sont être visées pour une rupture conventionnelle collective ou autre”.

Les tensions avec les salariés

L’autre conseil qui vaut pour tous les dispositifs supposant un accord collectif (voir le schéma ci-dessous), c’est de bien soigner la communication auprès des salariés, dès le début des échanges avec la direction, en s’attendant à subir de leur part une forme de pression, d’ailleurs parfois encouragée par la direction : “La pression des salariés qui veulent partir peut être très forte : mais pourquoi vous ne signez pas, je veux en profiter moi. Il vous faudra donc faire comprendre que vous avez besoin de temps pour négocier de meilleurs dispositions”, conseiller Christian Pellet.

 Qui peut candidater et dans quelles conditions : tout est fixé dans l’accord

Un plan de départs volontaires, d’ailleurs, permet d’échapper aux critères d’ordre d’un PSE : “Même si l’État est attentif pour éviter le départ des salariés âgés, c’est tout de même cela que l’entreprise va souvent chercher. Il n’y a pas de cadre légal, vous négociez qui peut candidater à un départ et dans quelles conditions”, précisent l’expert et l’avocat, ce dernier ajoutant cependant : “Il n’y a pas un droit au départ, un droit à la rupture de son contrat de travail. L’employeur peut donc refuser un départ”. 

Assurez-vous tout de même qu’il s’agit bien de volontariat : “L’employeur présentant une réorganisation sur la base du volontariat vous consulte sur cette réorganisation. Cela signifie qu’il table déjà sur certaines suppressions de postes. A vous de vous assurer que le volontariat est réel, car le schéma de la future organisation ne doit pas faire qu’un salarié n’envisageant pas de partir se retrouve demain sans poste !” met en garde Roger Koskas.

Attention au suivi !

En outre, il vous appartient aussi de veiller à ce que les conditions de travail des salariés qui travailleront après les départs ne soient pas dégradées. “Par exemple, vous pouvez chercher à obtenir un délai supplémentaire pour certains départs, le temps que soient formés les salariés qui les remplaceront”, poursuit Christian Pellet.

Dernier conseil utile dispensé par Roger Koskas lors de cette conférence, également diffusée en ligne (voir ici le replay) : “Pour avoir vécu et accompagné de nombreuses restructurations, j’ai souvent observé comme un relâchement après la dernière consultation sur un PSE par exemple. Il y a un traumatisme, les gens ont envie de passer à autre chose. C’est humain, cela se comprend. Mais ça explique aussi que les plans ne soient pas ensuite aussi bien suivis qu’il le faudrait”. 

(*) L’employeur ne peut pas décider librement qui sera licencié, à moins de ne pas avoir le moindre choix (fermeture totale de l’entreprise, par exemple). Pour opérer une sélection, il doit mettre en place des catégories professionnelles dans lesquelles vont s’appliquer des “critères d’ordre” devant obligatoirement prendre en compte les charges de famille du salarié, l’ancienneté du salarié, les éléments rendant la réinsertion d’un salarié difficile (notamment son âge ou son handicap), les qualités professionnelles. 

Le PSE, un moment très difficile mais aussi formateur 
Être confronté comme salarié et représentant du personnel à un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), c’est bien sûr affronter un moment très intense et très éprouvant : il faut faire face à la pression de la direction, aux angoisses des salariés, et à un travail énorme pour tenter de faire bouger les lignes.

Mais cela peut s’avérer aussi, a souligné l’expert Christian Pellet, une expérience formatrice : “Lors d’un PSE, vous allez apprendre énormément de choses et vous avez là une véritable possibilité pour influencer les choses, bien plus que dans d’autres domaines ouverts à la consultation. Vous pouvez donc sortir d’un PSE avec un sentiment de fierté”.

Bernard Domergue

Action en justice : le comité social et économique ne peut agir que pour défendre ses intérêts propres

27/06/2025

Le comité social et économique (CSE) ne peut pas s’opposer à l’application d’un accord de groupe supprimant les titres-restaurants au profit des salariés en télétravail.

En tant que personne morale, le CSE a le droit d’agir en justice. Par exemple, contre un prestataire qui n’a pas respecté ses engagements contractuels, contre l’employeur qui a manqué à l’une de ses obligations légales vis-à-vis du CSE… Ainsi, il pourrait intenter une action pour faire respecter ses droits en matière d’information/consultation, de budgets, de réunions, d’expertises, etc. Il le fait en son nom et pour son propre compte.

En revanche, comme le rappelle une jurisprudence du 4 juin 2025, “le comité social et économique ne tient d’aucune disposition légale le pouvoir d’exercer une action en justice au nom des salariés ou de se joindre à l’action de ces derniers, lorsque ses intérêts propres ne sont pas en cause”.

Il n’a donc pas qualité à agir pour s’opposer à l’application d’un nouvel accord de groupe excluant expressément toute prise en charge des frais de restauration au titre du télétravail et remettant en cause un usage en vertu duquel les salariés en télétravail bénéficiaient de titres-restaurant.

Qualité pour agir, intérêt à agir

L’action en justice du comité social et économique n’est recevable que s’il a qualité pour agir et justifie d’un intérêt à agir.

La qualité pour agir s’apprécie par rapport aux missions du CSE, à savoir assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, etc. (article L. 2312-8 du code du travail).

Contrairement aux syndicats, le comité social et économique n’a pas pour mission de représenter les intérêts collectifs d’une profession.

Le comité social et économique doit par ailleurs justifier d’un intérêt à agir en raison du préjudice qu’il subit.

Les titres-restaurant

Dans cette affaire, le CSE avait par ailleurs fait valoir que la suppression des titres restaurant au profit des télétravailleurs “sans que soit augmenté le taux de financement des activités sociales et culturelles” portait atteinte à ses prérogatives en matière d’activités sociales et culturelles.

Pour les élus du personnel, bien que fixé par un accord collectif négocié avec les organisations syndicales représentatives, le taux de financement des ASC devait être réajusté.

La demande est rejetée.

Comme le rappelle l’arrêt du 4 juin 2025, “le comité social et économique n’a pas qualité pour intenter une action visant à obtenir l’exécution des engagements résultant d’un accord collectif, cette action étant réservée aux organisations ou groupements définis à l’article L. 2231-1 du code du travail qui ont le pouvoir de conclure une convention ou un accord collectif de travail”.

En conséquence, dès lors que la dotation destinée au financement des ASC avait été négociée avec les organisations syndicales représentatives au sein de la société, il appartenait à celles-ci de demander la révision des termes de l’accord sur les dotations du CSE.

► Remarquons pour finir que le rejet de la demande de réajustement de la dotation ASC après la suppression des titres-restaurant tient exclusivement au fait que cette dotation était fixée par accord d’entreprise. En effet, dès lors qu’ils ne sont pas obligatoires pour l’employeur, les titres-restaurant rentrent bien dans la catégorie des activités sociales et culturelles. Le CSE a donc normalement le droit de récupérer les économies réalisées par l’employeur après la dénonciation de l’usage qui permettait aux salariés de bénéficier de titres-restaurant (CA Versailles, 27 févr. 2025, n° RG 23/00807).

Frédéric Aouate