Pour la Cour des comptes, le “Pass Culture” n’a pas démocratisé l’accès à la culture

18/12/2024

Dans un rapport publié hier, la Cour des comptes critique le “Pass Culture”, un financement par l’Etat des loisirs culturels des jeunes via une application mobile : “Si 84 % des jeunes de 18-20 ans sont bénéficiaires du Pass Culture, le dispositif touche moins les jeunes les plus éloignés de la culture”, peut-on lire dans le rapport.

S’ils se félicitent de voir les livres représenter entre 42 % et 55 % des montants dépensés (avec des mangas passés de 40 % à 20 % des achats de livres en 3 ans), les magistrats constant que le dispositif sert beaucoup à réserver des places de concert mais que les autres formes de spectacle vivant (théâtre, danse, cirque, etc …) peinent à atteindre de nouveaux publics, seuls 7 % des jeunes ayant réservé en moyenne au moins une fois un spectacle autre que musical via l’application.

“Les grands opérateurs publics du spectacle vivant semblent réticents à s’ouvrir au public détenteur du Pass Culture, tant du côté de l’offre de spectacles susceptibles de les intéresser que des places ouvertes à la réservation. Seuls 55 % des musées sont inscrits dans le Pass Culture”, note la Cour. 

“Sur la durée, l’impact sur les pratiques culturelles des jeunes paraît limitée, ajoutent les magistrats. Le principal impact du Pass Culture observé sur les premières cohortes se traduit plutôt par une intensification des pratiques culturelles déjà bien établies chez les jeunes. Cet effet d’intensification contribue à confirmer le risque d’effet d’aubaine d’utilisation du Pass Culture par des jeunes disposant déjà, notamment par leur environnement familial, d’un capital culturel plus élevé. Contrairement à la part collective, qui repose sur le travail des enseignants, la médiation n’apparaît pas suffisamment développée au sein de la part individuelle pour contrecarrer les inégalités structurelles préexistantes à l’accès à la culture, que le Pass Culture révèle et ne saurait à lui seul résorber”. Le Cour des comptes recommande de mieux piloter le dispositif avec davantage de données, mais aussi de favoriser une médiation culturelle.

Source : actuel CSE

Pourquoi faites-vous encore un Noël du CSE ?

19/12/2024

Avec les bons d’achats transmis par mail et les cartes cadeaux numérisées, la question peut se poser : pourquoi organiser encore des activités CSE ou des remises de cadeaux au moment de Noël ? Les réponses de trois secrétaires de comités sociaux et économiques (Airbus, Caf, Air France) toujours très actifs en fin d’année.

Certains CSE, parce qu’ils estiment manquer de temps pour assurer toutes les prérogatives de leur mandat, ont choisi de limiter les activités sociales et culturelles exigeant une présence directe des élus du personnel auprès des salariés. Il est vrai que des activités type arbre de Noël, spectacles ou distribution de paniers gourmands et chèques-cadeaux peuvent être chronophages. Ces CSE privilégient, pour la gestion de leurs activités sociales et culturelles, le mode numérique afin de délivrer aux salariés des cartes cadeaux, billets de spectacles ou autres, afin de continuer à offrir des avantages aux salariés et un accès aux loisirs tout en y consacrant moins de temps. Mais d’autres continuent de rechercher un lien direct avec les salariés à l’occasion des fêtes de fin d’année. Pourquoi poursuivent-ils dans cette voie ? La réponse de trois secrétaires de CSE. 

CSE Airbus, Montoir : de nombreuses activités “pour garder un lien avec les salariés”

Quand on lui demande pourquoi le CSE d’Airbus à Montoir, près de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), continue d’organiser des activités au moment de Noël, Jean-Claude Iribarren (FO) se montre surpris par la question. “Pourquoi, il y a des CSE qui n’en font plus ?!” nous interroge en retour le secrétaire du comité. Car la réponse semble couler de source à ses yeux : “C’est pour nous un choix politique. Il est important de garder un lien avec les salariés, nous refusons de n’être qu’une banque”. 

Dans cet établissement de 3 300 salariés, le CSE met donc les petits plats dans les grands pour ses ayants-droits.

Grâce à la coopérative de l’entreprise (vêtements locaux de la Base, parfumerie, chocolats, etc.), le CSE propose des commandes groupées aux salariés au moment des fêtes. Par ici huîtres et saumon !

Le comité va remettre également un cadeau au personnel, les 17 et 18 décembre : cette année, ce sera… un chapon et du foie gras. Les enfants jusqu’à 10 ans auront droit, eux, à un cadeau de Noël (2 000 vont être distribués) et les 10-16 ans recevront une carte cadeau.

En novembre, le CSE a fait venir des prestataires dans ses locaux pour laisser aux salariés le soin de choisir comment dépenser un bonus de 250€ en discutant directement avec les professionnels : “Il y avait des restaurants, des passeports gourmands, des bateaux…” 

Enfin, le Zenith de Nantes (5 500 places) a été réservé par le CSE pour le spectacle “l’académie des sorciers”, une trame “magique” autour des personnages à la Harry Potter : “Il est d’abord destiné aux enfants jusqu’à 10 ans et nous l’ouvrons ensuite au fur et à mesure des places”. 

CSE de la CAF du Rhône : “Les producteurs, les artisans et les artistes ont besoin de nous !”

“Je suis intervenue au salon CSE de Marseille pour expliquer pourquoi organiser des activités en présentiel avec les salariés au moment de Noël me paraissait toujours important. C’est une fête qui rassemble”, nous dit Jacqueline Chik (FO).

Cette dernière publie également beaucoup sur le réseau Linkedin pour influencer d’autres représentants du personnel (elle compte 2 000 secrétaires de CSE parmi ses 3 000 abonnés).

Et la secrétaire du CSE de la CAF (caisse d’allocations familiales) du Rhône, qui emploie 1 000 salariés, d’avancer d’abord une raison, pourrait-on dire, sentimentale : “C’est essentiel, ça me tient beaucoup à cœur. J’ai beau avoir 41 ans, je me souviens encore comme si c’était hier des arbres de Noël organisés au travail de ma maman ! La photo avec le père Noël, le petit cadeau que je récupérais avec le comité d’entreprise, ça reste un de mes meilleurs souvenirs d’enfance”.

Viennent ensuite des raisons économiques et sociales : “Les CSE représentent en France 5 à 7 milliards d’euros de dépenses. Autant qu’elles servent à l’économie française, aux entrepreneurs et donc aux emplois de notre pays ! Cela ne serait pas le cas si le CSE faisait appel à un prestataire faisant tout faire faire à l’étranger. Producteurs, traiteurs, artisans, artistes, tous ont besoin de nous. Si tout le monde faisait ça, notre pays se porterait mieux !” 

Quand c’est possible, le CSE de la CAF fait donc appel à des entreprises régionales pour privilégier les circuits courts pour ses paniers gourmands, déclinés également en version végétarienne et sans alcool. Les marrons viennent d’un producteur d’Ardèche, les huîtres d’une société lyonnaise tout comme les bûches confectionnées par des artisans lyonnais, le foie gras du Périgord, etc.

“Neuf cents salariés sont déjà venus récupérer leur colis gourmand au CSE. Nous leur expliquons que nous avons choisi des produits de qualité de notre terroir”, rapporte la secrétaire du comité. Jacqueline Chik a également organisé un arbre de Noël le samedi 14 décembre dans un parc de karting, laser game et bowling, en présence de 550 personnes, venues pour que leurs enfants profitent de séances de maquillage, créations de masques et autres pêches à canard, un traiteur étant également présent.

CSEC Air France : “des jouets pour les enfants”

À Air France, le CSE central (CSEC) couvre 20 000 salariés. Mais le comité central n’a plus le rôle de mutualisation totale qu’il avait auparavant auprès des 7 CSE d’établissements, certains comités, comme le CSE des navigants richement doté, ayant préféré gérer eux-mêmes une grande partie de leurs activités sociales et culturelles.

En dépit de ces divergences syndicales, le CSEC conserve tout de même une agence pour les ASC au siège, à Roissy, où travaillent plus de 3 000 personnes. Car Frédéric Labadie (CFDT), le secrétaire du CSEC, nous explique vouloir toujours résister à une forme de marchandisation des activités sociales et culturelles : “Parfois les gens nous abordent comme si nous étions la Fnac et eux de simples clients !” s’offusque-t-il.

L’élu essaie de faire un compromis entre les attentes des salariés à satisfaire en métropole et dans les Dom Tom (“nous leur envoyons des chèques-cadeaux papier”) et le maintien de services directs, comme les colonies de vacances (“nous venons d’être agréés Pass’colo”), les centres de vacances, les voyages ou encore Noël. “Nous achetons les jouets pour les enfants des salariés de deux CSE”, nous explique Frédéric Labadie. C’est d’ailleurs l’occasion pour l’élu de s’inquiéter pour l’avenir : “À Air France, compte-tenu des trous que nous avons eu certaines années dans le recrutement, la moyenne d’âge s’élève à 45-46 ans. Chaque année nous perdons des enfants…”

Bernard Domergue

[Note de lecture] Syndicalisme, institutions, histoire, romans : 10 livres pour Noël

20/12/2024

Oubliez le gouvernement, l’inflation et le budget : ils reviendront d’eux-mêmes à la rentrée. Le temps d’un Noël, profitez de quelques pistes de lecture avenantes sur différents sujets. Car “il ne faut jamais perdre une occasion de s’instruire”, a écrit Marcel Pagnol.

Nous les avons tous lus, oui tous. De la première à la dernière page. Les coins cornés et autres annotations en attestent. Pour vous en faire profiter, voici 10 notes de lecture autour du syndicalisme, de l’histoire, des institutions. Et deux romans pour les chanceux qui partent en vacances.

Syndicalisme
André Bergeron : Force Ouvrière en toutes lettres

Publié en 1975, cette Lettre ouverte à un syndiqué conserve aujourd’hui toute ses saveurs. André Bergeron y explique les fondamentaux de Force Ouvrière : son indépendance politique, ses perceptions de l’action réformiste, sa pratique contractuelle et conventionnelle, son fonctionnement interne. Le secrétaire général de FO de 1963 à 1989 y tutoie son lecteur, qu’il soit syndiqué ou non, à FO ou non, et l’on se sent accueilli comme auprès d’un bon feu de cheminée.   Il revient également dans des pages passionnantes sur les fondations de l’assurance chômage pour lesquelles il a taillé une pierre déterminante. Pour ces raisons, cette lettre de 158 pages constitue une excellente introduction aux mémoires de celui qui reste un des piliers historiques de FO. L’ouvrage est aussi truffé d’anecdotes pétillantes et de réflexions de bon sens, comme celle-ci, à méditer dans les prochains mois : “Les hommes politiques sont généralement plus attentifs aux revendications syndicales avant le scrutin qu’après”.   André Bergeron, “Lettre ouverte à un syndiqué“, Éditions Albin Michel, 158 p., 8.49 €
Lip : “On fabrique, on vend, on se paie”

Cinq ans après Mai 68 éclate l’un des conflits sociaux majeurs de l’histoire de l’horlogerie française. Au point que le journal du Parti Socialiste Unifié (PSU) titrera sa Une “Mai 68 – Lip 73”, ornée du poing levé sur une cheminée d’usine. La surprise de la percée autogestionnaire a tant frappé les esprits que la lutte “des Lip” reste vivace dans la mémoire collective. La preuve, les éditions Syllepses publient cet ouvrage collectif qui multiplie les points de vue et les angles : comment la recherche d’unité entre les salariés s’est muée en refus de la fatalité ? Quelle articulation avec le Parti socialiste d’alors ? Quelle influence de l’autogestion dans l’émancipation des ouvrières ? Appuyé sur de nombreux documents d’époque et coordonné par des militants de Sud, notamment Christian Mahieu, fondateur de Sud Rail, Théo Roumier et Patrick Silberstein, fondateur des éditions Syllepse, cette somme documentaire revient aussi sur l’implication du syndicaliste CFDT Charles Piaget, décédé en novembre 2023. Christian Mahieu, Théo Roumier, Patrick Silberstein “Lip vivra ! 50 ans après, ce que nous dit la lutte des Lip“, Éditions Syllepse, 232 p., 15 €
Quel avenir pour le syndicalisme de contestation

Prenant pour point de départ la fracture entre les Gilets Jaunes et les organisations syndicales, les sociologues du travail Sophie Béroud et Martin Thibault examinent les contours du syndicalisme en rupture avec les pratiques traditionnelles du dialogue social. Au travers d’une enquête au long cours sur le militantisme au sein de Solidaires, ils mettent en lumière la charge quotidienne des militants, la difficulté de lancer des grèves décisives, d’articuler son travail et son mandat, de développer un syndicat, de redynamiser les luttes sociales et de porter de nouvelles formes d’émancipation dans une contexte où le néolibéralisme semble tout écraser. Enrichi de témoignages de terrain, le livre donne également à voir la démarche de syndicalistes passés du côté des Gilets Jaunes, comme Leïla et Daniel, tous deux issus du secteur du rail (l’un travaille à la RATP, l’autre à la SNCF), et qui ont vu dans ce mouvement social un moyen de transcender les difficultés rencontrées dans leurs syndicats. Sophie Béroud et Martin Thibault, “En luttes ! Les possibles d’un syndicalisme de contestation“, Éditions Raisons d’agir, 224 p., 10 €  
Institutions
Le Conseil constitutionnel en conflit d’intérêt ?  

Âmes sensibles, s’abstenir : voici un livre à charge remettant en cause l’indépendance politique du Conseil constitutionnel. On ne peut accuser Lauréline Fontaine, professeure de droit public à la Sorbonne, de ne pas maîtriser son sujet. Si les lecteurs ont besoin d’être rassurés, l’ouvrage est préfacé par le juriste professeur au Collège de France, Alain Supiot. Car le constat de l’auteure est accablant : défaut de formation juridique et constitutionnelle de ses membres, recrutement parmi la classe politique (souvent d’anciens ministres) sans aucune garantie d’absence de “copinage”, auditions parlementaires bâclés ou vides de sens. Le Conseil constitutionnel, cette espèce de grand Sage de notre vie publique, entre les mains duquel on remet tant de décisions cruciales (songez aux retraites et au référendum d’initiative partagée en 2023) manquerait cruellement d’indépendance. Lauréline Fontaine se montre très convaincante, par exemple lorsqu’elle rapporte qu’en 2016, Michel Pinault, ex-directeur du groupe d’assurances Axa, a refusé de se déporter pour participer à la décision du Conseil relative aux clauses de désignation des complémentaires santé. De quoi fonder pour la professeure des “doutes légitimes” sur son impartialité. Lauréline Fontaine, “La Constitution maltraitée, anatomie du Conseil constitutionnel“, Éditions Amsterdam, 280 p.
Chroniques d’une France à l’abandon  

Suppression de lignes de train et d’autobus, fermetures de bureaux de Poste, désindustrialisation, raréfaction des commerces et des hôpitaux… On connaît déjà par le menu les maux qui peuplent les zones périphériques françaises,  en campagne comme aux abords des villes moyennes. Les panneaux publicitaires et les ronds-points y pullulent, dessinant les contours d’une “France moche” réservée à ceux qui ne méritent pas les beautés parisiennes. Couplés au blocage de l’ascenseur social, au chômage, à la fin des politiques d’aménagement du territoire, ces maladies françaises donnent leur nom à “la diagonale du vide”, qui, des Landes aux Ardennes, fabrique un peuple de mal-aimés prompts au sentiment d’abandon et de déclassement. Historien et professeur à la Sorbonne, Pierre Vermeren remet en lumière ces oubliés du pays, la plupart du temps ouvriers, employés, travailleurs invisibles qui n’ont pu bénéficier de l’héritage des infrastructures gaulliennes dilapidées par trop de politiques inconscientes. S’il manque parfois de sources et se limite trop souvent à des affirmations d’opinions pas assez étayées, l’ouvrage a au moins le mérite de ne pas mettre la poussière sous le tapis. Pierre Vermeren, “La France qui déclasse, de la désindustrialisation à la crise sanitaire“, Éditions Texto, 240 p., 8.50 €
Histoire
C’est l’histoire d’une ouvrière  

Longtemps, j’ai cru par erreur que ce célèbre cliché témoignait des grandes grèves de 1936 liées à l’arrivée au pouvoir du Front Populaire. On y trouve la force photographique d’un Willy Ronis déjà parvenu au sommet de son art. Juchée sur une table, une ouvrière en robe noire harangue ses camarades d’atelier. Les femmes rassemblées semblent boire ses paroles. On devine des conditions de travail à la limite de l’insalubrité. En réalité, on apprend dans cet opuscule très documenté que l’image date du 25 mars 1938. Willy Ronis est alors chargé par le magazine Regards de couvrir la grève des métallurgistes de l’usine Citroën Javel à Paris. Le mouvement porte sur la hausse des salaires, la remise en cause des 40 heures et l’amélioration des conventions collectives. Vingt mille travailleurs abandonnent leur poste dans les cinq sites du constructeur automobile. L’ouvrière en robe, c’est Rose Zehner, déléguée syndicale CGT, “archange en colère dans la nef de l’usine”. Née en 1901, orpheline de mère à 9 ans, militante depuis 1930. Mise à pied quatre fois, elle gifla son contremaître et fut mutée à Levallois avant de revenir en son fief de Javel. Un destin de militante comme tant d’autres qui lui fera déclarer en 1982 à L’Humanité : “Je ne suis ni communiste ni socialiste mais syndicaliste”. Tangui Perron, “Rose Zehner et Willy Ronis, naissance d’une image“, Éditions de l’Atelier, 112 p., 16 €
Blum, l’homme qui défendait déjà les femmes  

Quand il écrit son essai “Du mariage” de 1905 à 1907, Léon Blum n’est pas encore le charismatique leader du Front Populaire. Certes, il a rejoint les Dreyfusards, s’est rapproché de Jaurès et a œuvré comme auditeur au Conseil d’Etat. Son profil politique se dessine peu à peu mais un tout autre sujet l’occupe : le déséquilibre du mariage au détriment des femmes. À l’époque, on laisse à l’homme toute liberté de papillonner à des conquêtes féminines avant de se marier. On confine en revanche les jeunes filles à domicile avant de les propulser vite fait bien fait devant l’autel. Une injustice insupportable à Léon Blum. En affirmant qu’il faut accorder aux femmes la même liberté sexuelle avant le mariage, Blum a plus de cent ans d’avance sur ses concitoyens. Il paiera son audace au prix fort : déferlement de haine antisémite, insultes publiques et menaces de mort. Au fil des pages, ses capacités d’empathie étonnent pour un homme de cette génération, notamment quand il écrit ces mots superbes : “Les souffrances des jeunes filles sont si secrètes ou si mal comprises, elles-mêmes en ont tant de honte, qu’elles devraient inspirer beaucoup de pitié. J’avoue avoir beaucoup songé à elles en écrivant ce livre qu’elles ne liront pas”. Léon Blum, “Du mariage“, Éditions Pocket, 352 p., 10.30 €
Le funeste destin de l’inventeur de la machine à coudre  

Outil féminin par excellence dans tous les clichés sexistes, la machine à coudre a pourtant été inventée par un homme : Barthélémy Thimonnier, né dans une bourgade du Rhône en 1793 et tailleur de son état. Observant son épouse peiner sur son ouvrage, il développe l’idée d’une assistance mécanisée à la couture. Obsédé par son invention, il consacre ses nuits à dessiner des plans, assembler les prototypes, résoudre les erreurs, perfectionner SA machine. Mais ses revenus  ne lui permettant pas le luxe de l’indépendance. De plus, il faut déposer un brevet, et Barthélémy ne s’y entend guère en dossiers administratifs. Il s’associe à des margoulins qui le dépouillent de ses droits pour une roupie de sansonnet. Habité par l’utilité de sa machine, il continue pourtant de l’améliorer mais se heurte à un mouvement des tailleurs et cordonniers l’accusant de concurrence déloyale. Les ouvriers viennent en meute réduire à néant ses efforts et détruire les quelques machines opérationnelles. D’une écriture ronde et sensible, Yamina Benhamed Daho tisse le destin de cet inventeur tombé dans l’oubli tout en rendant hommage à sa mère : son livre raconte aussi l’histoire d’une machine à coudre achetée en Algérie dans les années 60 qui l’accompagnera dans son exil en France. Yamina Benhamed Daho, “A la machine“, Éditions Gallimard, 176 p., 18 €
Romans
Le cadre se rebiffe  

Quand un cadre au chômage âgé de 57 ans se révolte contre un système absurde de recrutement, cela donne un roman noir haletant à la sauce sanglante de Pierre Lemaître. Son héros, Alain Delambre, le dit lui-même : il n’a jamais tué personne. Il n’est pas du genre violent, de ceux qui harcèlent leurs collaborateurs pour mieux les plier à sa volonté. Non, Alain Delambre est un tendre mais quatre années de chômage ont usé jusqu’à la corde ses fondations psychologiques. Humilié par des recruteurs qui le prennent de haut et lui flanquent “Mon client attend de jeunes diplômés”, il finit par péter un plomb. Alors qu’il candidate à un poste chez BLC-Consulting, à La Défense, on lui explique que l’entretien de recrutement consistera dans un jeu de rôle soumettant les candidats à un niveau de stress maximum afin de les départager. Il s’agit ni plus ni moins de simuler une prise d’otages à main armée. Alain bascule et prend lui-même les armes. Voici donc un roman noir sur les pires pratiques de management, à lire avant de postuler à un nouvel emploi… Pierre Lemaître, “Cadres noirs“, Éditions Le Livre de poche, 448 p., 9.40 €
L’amour fantôme des tranchées  

À Paris, en 1920, un ancien Poilu traîne son ennui. Amputé d’une main au combat, il ne parvient pas à tourner la page de la Grande guerre et se spécialise dans des activités de détective pour familles endeuillées. Cela tombe bien : Jeanne Joplain recherche son fils. L’armée l’a déclaré disparu mais elle refuse l’évidence et lance notre Poilu sur ses traces. L’ancien soldat, qui n’est jamais nommé dans le roman mais a le rôle du narrateur, s’embarque dans une quête désespérée. Il découvre que le fils Joplain, de bonne famille, s’était amouraché d’une domestique. L’enquête tourne à l’obsession pour l’ancien combattant qui a lui-même perdu son épouse en rentrant des tranchées. Déstabilisé par les témoignages de Poilus qui ont aperçu “la Fille de la Lune” sur les champs de bataille, une sorte de fantôme qui s’adressait aux soldats agonisant dans le “No man’s land”, il manque de perdre la raison mais n’abandonnera jamais sa quête. Un beau et court roman d’histoire sur la mémoire et l’obstination, écrit d’une plume populaire où l’on peut lire par exemple : “La guerre, quand tu y as goûté, elle est dans ton corps, sous ta peau. Tu peux vomir, tu peux te gratter tout ce que tu veux, jusqu’au sang, elle ne partira jamais”. Gilles Marchand, “Le soldat désaccordé“, Éditions Le Livre de poche, 224 p., 7.90 €

Marie-Aude Grimont