Fin de la condition d’ancienneté sur les ASC : les CSE doivent adapter leur budget

08/04/2024

Le 3 avril dernier, la Cour de cassation a rendu illicite la condition d’ancienneté pour attribuer des activités sociales et culturelles (ASC) aux salariés. Si les élus se montrent perplexes sur les conséquences de cet arrêt, les avocats et experts se veulent rassurants et estiment que le risque de contentieux est faible. Les CSE doivent cependant tenir compte des conséquences de cet arrêt sur leur budget…

Selon la Cour de cassation, les salariés doivent bénéficier de l’accès aux activités sociales et culturelles dès leur embauche. Il est désormais interdit de leur appliquer une condition d’ancienneté, même de quelques mois. Une pratique aujourd’hui très répandue dans les CSE, afin de réserver les loisirs (notamment les plus coûteux) aux salariés bien installés dans l’entreprise. Il suffisait pour cela de ne pas exclure totalement les signataires de contrats à durée déterminée et les stagiaires.

Les juges ont pourtant acté la fin de cette condition, alors qu’elle était jusqu’à présent intégrée par l’Urssaf. Dans son “Guide des CSE / principes applicables en matière de cotisations sur les prestations“, elle mentionne expressément que ” le bénéfice [des ASC] peut être réservé aux salariés ayant une ancienneté, dans la limite de six mois” et permet la modulation des ASC en fonction de l’ancienneté.  Cette documentation va donc sans doute être revue dans les prochaines semaines.

Si certains élus avaient déjà exclu toute condition d’ancienneté, d’autres se rendent compte que cet arrêt va leur imposer d’inclure beaucoup plus de salariés dans leur budget. Avocats et experts se montrent cependant rassurants : le risque de contentieux leur semble faible.

Quid des salariés embauchés quelques jours ?

Apprenant la fin de la condition d’ancienneté pour les ASC, les élus calculent immédiatement le nombre de nouveaux salariés embauchés par an. Chez Michelin, on en compte environ 900 et le critère d’ancienneté est de 3 mois. L’arrêt de la Cour de cassation n’est donc pas anodin. “Les nouvelles recrues doivent présenter trois fiches de paie. La question se pose donc pour ceux qui ont signé des contrats de moins de trois mois, et là je pense qu’il y en a peu. En revanche je m’interroge sur des salariés présents quinze jours et qui bénéficieraient de droits aux ASC pour toute l’année”, réagit Lilian Nobilet, responsable du CSE de Michelin.

Au CSE d’IBM, Michael Hauff ne s’inquiète pas : l’instance n’a pas intégré de critère d’ancienneté pour attribuer des ASC. “Nous avions déjà déduit cette interdiction des textes et anticipé qu’il ne fallait pas de condition d’ancienneté. De plus les nouveaux entrants ne représentent que 5 à 10 % de l’effectif”. En revanche, le CSE a prévu que tout salarié quittant l’entreprise et bénéficiant d’une prestation doit en régler le reste à charge avant de quitter son poste. “C’est notre seule condition sur les ASC, précise Michael Hauff, sinon nous n’aurions plus de moyen de pression pour le recouvrement des montants”.

Secrétaire du CSE central du cabinet de Conseil EY Advisory, Sabrina Lebel gère de nombreux jeunes et un renouvellement du personnel de 25 % par an. Elle juge que l’arrêt de la Cour va avoir des impacts majeurs, d’autant que l’entreprise s’est agrandie à la suite d’un rachat, et que les salariés de l’entreprise rachetée bénéficiaient jusqu’à présent d’avantages plus importants, avec une subvention de 0,75 % de la masse salariale au lieu de 0,50 chez EY. “Je crains que l’harmonisation ne se fasse par le bas”, nous a-t-elle confié.

L’épineuse question des intérimaire

Les conséquences de l’arrêt semblent plus délicates dans le secteur du travail intérimaire. “Chez nous certains salariés vont travailler quelques jours, voire quelques heures pour une mission d’inventaire par exemple, et il faudra leur donner les mêmes ASC que ceux qui font 1 600 heures ?”, se demande Peggy Angard, du CSE de Randstad. L’élue anticipe qu’elle devra diviser son budget par un nombre de salariés beaucoup plus important : “Cela va être compliqué vu que je gère 14 000 ayants-droits. Aujourd’hui nous sommes obligés d’avoir des critères d’ancienneté, sinon on ne pourrait rien faire”. Chez Randstad, le salarié bénéficie d’un accès à une plateforme de réductions au bout de 150 heures travaillées, puis d’une prestation de 120 euros s’il a travaillé au moins 600 heures sur les 12 derniers mois.

Selon Peggy Angard, les salariés qui vont surtout perdre du pouvoir d’achat. ” Je me demande aussi si l’Urssaf contrôlera si un salarié intérimaire qui travaille dans plusieurs entreprises détient plusieurs cartes cadeaux pour Noël. Quoi qu’il en soit, on pourra tenter de renégocier la subvention du budget ASC avec la direction, mais rien de l’obligera à accepter. “, conclut-elle.

Un risque de contentieux plus syndical que salarial

“La solution de la Cour de cassation me semble juste : elle correspond à la conception des ASC, à savoir qu’elles doivent bénéficier à ceux qui ont le moins de moyens, donc ceux qui ont les contrats les plus courts”, analyse Camille Piat, avocate au cabinet JDS. La spécialiste des CSE juge cependant le risque de contentieux provenant de salariés s’estimant lésés assez faible : “Le CSE n’est pas l’employeur, donc le procès se jouerait au Tribunal judiciaire, et non aux prud’hommes. De ce fait, le salarié devrait payer non seulement un avocat mais aussi un huissier pour l’assignation. Cela représente des frais élevés et me semble peu probable”. L’avocate tente de pousser ses clients à sortir d’une logique individualiste des ASC, correspondant au principe que plus un salarié contribue à la masse salariale, plus il bénéficie de prestations : “Il ne faut pas opposer les salariés entre eux mais aider les plus précaires”.

Pour Judith Bouhana, avocate spécialiste du droit du travail, la Cour de cassation se fonde sur une lecture précise des articles d’ordre public et des compétences du CSE. “En considérant que le CSE est légitime à éviter les effets d’aubaine, la cour d’appel a fait une interprétation extensive qui ne fait pas partie des compétences du CSE. En la censurant, la Cour de cassation fait une lecture pointue des textes. Elle n’évoque d’ailleurs pas l’inégalité de traitement, elle dit juste que les textes ne prévoient pas de condition d’ancienneté pour accéder aux ASC, elle rétablit la règle de droit”. L’avocate ne croit pas non plus à un contentieux émanant de salariés mais plutôt à une utilisation de l”arrêt de la Cour par les organisations syndicales, pour attaquer en justice un bureau de CSE qui ne se serait pas conformé à la règle.

Mettre à jour le règlement intérieur et renégocier le budget

Les experts vont dans un premier temps inciter les CSE à mettre à jour rapidement le règlement intérieur et de toute la documentation relative aux ASC, incluant les sites internet, les communications aux salariés etc.). “Cela ne va pas simplifier la vie des CSE, juge Marion Edern, du cabinet Syndex”. L’experte estime également que les CSE vont sans doute devoir raisonner désormais en budgets mensuels et non plus annuels, afin de s’adapter aux nouvelles embauches chaque mois : “En tout cas ce sera très compliqué dans les gros CSE. Les élus ont intérêt à renégocier le budget car les dépenses vont augmenter. Ils vont devoir tenir une réunion et rédiger une délibération, il y a un gros travail à mener, mais je ne pense pas que tous les salariés vont solliciter les ASC suivant cette nouvelle règle”.

Pour Pierre Vignal, du cabinet Komitê, il est également “peu probable que l’Urssaf saute à la gorge des CSE pour leur réclamer des cotisations sociales, d’autant que leur propre documentation permettait la condition d’ancienneté dans la limite de 6 mois, donc ils ne vont pas partir sur des redressements”. Il adresse ce message aux CSE : “pas de panique”.

Une question demeure, sur laquelle les avis des avocats et des experts divergent : l’arrêt de la Cour remet-il en cause la possibilité de moduler les ASC en fonction de l’ancienneté ? Aujourd’hui, un CSE ne peut plus exclure des salariés de toute ASC en appliquant un délai de carence. Peut-il cependant prévoir certaines ASC peu coûteuses pour les nouvelles recrues et réserver les plus onéreuses aux salariés ayant plus d’ancienneté ? Pour l’instant, il nous semble plus prudent de s’en abstenir. Au moins en attendant d’y voir plus clair et d’observer les réactions de l’Urssaf.

Marie-Aude Grimont