Denis Bréant (CGT) : “Si on ne change rien, l’industrie automobile risque de disparaître en France”

02/10/2024

Membre du bureau fédéral de la CGT de la métallurgie et responsable du secteur automobile, Denis Bréant est aussi élu titulaire au CSE de l’équipementier Valeo. Il alerte sur l’avenir de la filière automobile en France, mise en danger selon lui par la stratégie des principaux constructeurs appliquée au détriment des autres acteurs et malgré le contrat de filière signé en mai 2024 Il revient également sur le rôle des élus de CSE dans l’automobile. Interview.

Vous organisez une manifestation des militants CGT au salon de l’automobile le 17 octobre prochain. Qu’en attendez-vous ?

Ce n’est pas la première fois qu’on appelle à manifester sur le salon de l’automobile. Cela nous permet de nous appuyer sur sa vitrine : il bénéficie d’un fort relais médiatique, on va en parler dans les journaux télévisés, au “13 h”, au “20 h”. Cela nous donne la visibilité pour expliquer à la presse et aux Français que l’industrie automobile n’est pas seulement en difficulté : elle risque de disparaître s’il n’y a pas de prise de conscience du gouvernement et si les donneurs d’ordres ne changent pas leur stratégie. J’invite régulièrement les délégués syndicaux centraux de l’automobile à la Fédération. Nous avons débattu sur notre mobilisation et de la meilleure manière de nous faire entendre. Certains ont alors proposé cette manifestation au salon de l’auto. L’idée a été adoptée par la majorité des présents. Mais nous ne partons pas dans un état d’esprit de “baroud d’honneur”, on va porter les propositions concrètes. Si la mobilisation est satisfaisante, peut-être on en prévoira une autre devant l’Assemblée nationale, nous en avons discuté mais nous n’avons pas encore tranché.

Comment la stratégie des principaux constructeurs automobiles rejaillit-elle sur le reste de la filière, les équipementiers, les sous-traitants et les fonderies ?

Sur la période 2020 à 2022, 5,8 milliards d’euros de fonds publics ont été injectés pour soutenir la filière automobile, sans compter les financements régionaux. Par exemple, quand Stellantis installe une nouvelle usine, elle demande des financements aux régions. Cela représente énormément d’argent sans aucune conditionnalité sur l’emploi des constructeurs automobile et des équipementiers sur le territoire français.

 114 000 emplois perdus de 2006 à 2021

De 2006 à 2021, la filière a subi une perte de 114 000 emplois notamment en raison de délocalisations dans les pays à bas coût de travail, mais aussi dans les pays où il y a moins de normes environnementales. Le solde commercial du secteur automobile français a continué de se dégrader en 2023, atteignant moins 23,9 milliards d’euros. Depuis 2007, nous constatons qu’il ne fait que croître, alors qu’il était excédentaire. Il faut aussi savoir qu’en 2023, parmi les 10 voitures les plus vendues en France, une seule assemblée dans l’Hexagone (la 3008, de mémoire). Cette situation résulte de la stratégie des constructeurs qui mettent les salariés en concurrence d’un pays à l’autre.

Dans quelle mesure cela menace-t-il la production automobile française ?

Les productions qui demeurent sur le territoire français, par exemple à l’usine de Douai, sont des voitures vendues extrêmement chères. Par exemple la Mégane électrique, l’entrée de gamme, elle peut atteindre 41 000 euros. Vu ce prix, elle reste très difficile à vendre. Certes, l’usine Renault de Douai représente une belle vitrine, mais de nombreux salariés y sont en chômage partiel par manque d’activité du fait que les véhicules ne se vendent pas. Renault et Stellantis ne conduisent qu’une politique : accroître leurs marges en vendant des voitures très chères. Pourtant, au Japon par exemple, l’Alliance Renault-Nissan vend un véhicule dans les 17 à 18 000 euros, avec quasiment le même niveau de salaires, le même coût de la vie qu’en France.

Quelles sont les conséquences pour les sous-traitants, les équipementiers et les fonderies ?

C’est tout un mécanisme en effet. Pour augmenter ses marges, Renault va produire en partie des voitures qui se vendent le plus dans les pays à bas cout et impose aux équipementiers de les suivre. Sur les cinq dernières années, de nombreuses fonderies ont fermé en France, pas seulement en raison de l’électrification des véhicules. Les productions de ces fonderies ont été elles aussi délocalisées dans des pays à bas coûts. Et du jour au lendemain, les constructeurs expliquent qu’ils ne vont plus leur confier de volume, à cause des importations auprès de l’étranger. Cela fait crever la voiture française. Le consommateur « lambda » voit Emmanuel Macron expliquer que l’objectif est de produire 2 millions de véhicules en 2035. Sauf que nous ne sommes pas en capacité de les construire, même à hauteur de 1,5 millions, et quel serait l’intérêt si toutes les pièces viennent de l’étranger ?

Un contrat de filière a été signé en mai 2024 et prévoit de consolider la filière en amont et en aval, notamment dans les relations entre donneurs d’ordre et fournisseurs. Est-ce à dire que les constructeurs ne respectent pas cet engagement ?

Comme vous le dites, le contrat de filière prévoit un certain nombre de choses mais en des termes très généraux, sans aucun engagement précis. Certaines organisations syndicales l’ont signé (la CFDTFO, la CFTC et la CFE-CGC, ndlr) mais il reste limité. Quand un équipementier ferme, l’État met en relation les syndicats de salariés avec des donneurs d’ordre mais ce texte n’est pas contraignant, c’est un peu comme une charte. Comme nous l’avions dit cela reste de belles paroles.

Comment les élus de CSE et délégués syndicaux CGT se mobilisent-ils pour la filière au niveau de leur entreprise ?

Aujourd’hui, on a un problème de rapport de force et d’unité syndicale. Je ne dis pas que la CGT est la meilleure pour autant. Chez Valeo, l’employeur a annoncé la vente de trois sites. La CGT a appelé à la mobilisation mais les autres syndicats ont refusé de manifester devant le siège social. Elles ont leurs arguments bien sûr, je le comprends, mais nous avons du mal à travailler ensemble. Du fait de ce manque d’unité syndicale, la direction peut dérouler plus facilement ses plans de casse de l’emploi.

 Les CSE doivent être très vigilants sur les orientations stratégiques

L’automobile est très consommatrice de personnel intérimaire qui sert de variable d’ajustement en cas de baisse d’activité. On ne touche pas aux CDI mais cela fait quand même des postes en moins. Le rôle des CSE sera de rester très vigilant sur les orientations stratégiques présentées par l’employeur. Militer n’est pas un métier, on a tous des niveaux de connaissance différents. Je conseille fortement à tous les élus de CSE de se faire accompagner de cabinets d’expertise. Il faut aussi être formé à l’économie, au bilan social, aux comptes du CSE car comprendre les mécanismes n’est pas inné. Au travers des liasses fiscales et des entretiens avec les directeurs de production, les experts parviennent à décrypter la stratégie d’un groupe.

Quelle est la vision de la CGT sur le développement d’un parc automobile électrique qui articulerait la préservation de l’emploi et le respect de l’environnement ?

Nous pensons d’une part que le gouvernement devrait porter une politique d’investissement massif dans les transports collectifs. En France, il faudrait ouvrir des gares au lieu d’en fermer. Dans certains départements comme la Creuse ou l’Indre, les transports collectifs sont quasi inexistants, et sont parfois saturés en zone urbaine. Du fait de cette politique inaboutie, l’automobile en France reste un besoin important. D’autre part, notre fédération de la métallurgie a organisé un forum avec des ONG (organisations non gouvernementales) comme réseau Action Climat et Greenpeace par exemple car nous sommes convaincus qu’on peut produire en France un petit véhicule électrique qui réponde aux besoins des usagers.

Nous avons l’outil industriel et le savoir-faire 

Nous avons l’outil industriel et le savoir-faire, il faudrait simplement que les groupes comme Renault acceptent de réaliser en France ce qu’ils font au Japon. En l’occurrence, ce n’est pas le cas aujourd’hui : sur la dernière Twingo que Renault va vendre, la recherche et développement (R&D) a été développée en Chine, la voiture sera construite dans un pays de l’Est. Stellantis n’est pas en reste : la R&D de la C3 électrique de proviendra d’Inde et la voiture de Pologne. Maintenant, l’intérêt de l’électrification concerne les petits modèles, pas les Cayenne (un gros véhicule Porsche, ndlr), je ne pense pas que ce soit très écologique ! Plus le véhicule est lourd, plus il faut une batterie importante, plus elle mobilise du lithium et du cobalt. Ce dernier provient souvent du Congo où il est extrait dans des conditions sociales et environnementales désastreuses. On parle de la voiture électrique comme un miracle, mais nous pensons que ce n’est pas l’unique solution. L’arrêt total du thermique nous semble prématuré. Par contre, un mixte entre un véhicule électrique pour 80 % des déplacements et le reste en moteur hybride avec par exemple du carburant de synthèse serait plus vertueux. Il faut aussi mener des recherches pour obtenir des hybridations plus performantes. L’électrification telle que portée par les donneurs d’ordre, c’est-à-dire hors de prix pour la plupart des Français, avec des voitures produites à l’étranger, risque de conduire à laisser le marché aux véhicules asiatiques vendus moins chers.

Le dispositif français actuel de formation et de reconversion du thermique vers l’électrique vous semble-t-il suffisant pour les salariés de l’automobile ?

Sur les technologies hybrides, la France démontre sa performance mais parler de contrat de filière et de formation revient à vendre du rêve. La majeure partie des petits véhicules de “segment B” vont être produits presque tous à l’étranger. Certes la Renault 5 électrique et la 4L seront construites à Douai, mais l’entrée de gamme de la R5 sera sans doute à plus de 30 000 euros. A ce prix, je ne connais pas beaucoup d’ouvriers qui pourront se la

payer. Autre point sensible : la réparation d’un véhicule électrique coûte 30 % plus cher qu’un véhicule thermique. Beaucoup de succursales avec des salariés pourront former leurs mécaniciens aux nouvelles technologies. En revanche, on ignore si les petits garagistes indépendants avec un ou deux salariés disposeront des moyens nécessaires. On craint donc que cela ne génère des pertes d ’emploi conséquentes dans les services de l’automobile.

Les Zones à Faible Emission (ZFE) entreront en vigueur au 1er janvier 2025 et empêcheront les véhicules polluants de circuler. Comment concilier cette réglementation avec le prix des véhicules propres ?

On voit bien que les ZFE viennent des technocrates qui réfléchissent bien mais ont déconnectés de la vie. Le parc automobile en France a en moyenne 11,7 ans, c’est l’un des plus vieillissants d’Europe. On sait que son véhicule pollue mais même avec les aides de l’État, on n’a pas forcément les moyens d’acheter un véhicule électrique. On stigmatise donc les gens alors que beaucoup ne disposent juste pas du pouvoir d’achat suffisant. Les aides publiques sont d’ailleurs fournies sans aucun contrôle. Sur la Dacia Spring par exemple, on a vu Renault augmenter le prix à mesure que l’État augmentait le montant de l’aide à l’achat.

 L’État n’a pas de stratégie claire sur le parc automobile

Donc il y a des incohérences, l’État distribue de l’argent, fait de la communication mais n’a pas de stratégie claire sur le parc automobile en France. Il faudrait par exemple revoir les conditions du prêt à taux zéro. Au lieu de renouveler le parc, on dit que ceux qui n’ont pas les moyens de changer de voiture ne rouleront plus et se débrouilleront. Sans vouloir aller dans l’excès, la voiture ne sera plus qu’à la portée des ménages aisés dans les prochaines années. Je ne parle pas que des grosses périphéries. La voiture est aussi synonyme de liberté en milieu rural, elle permet aux personnes âgées de se déplacer et de conserver du lien social.

Pouvez-vous nous expliquer la démarche ayant conduit au “projet de loi GM&S” ?

Avec les salariés de la fonderie GM&S, menacée par un PSE, on a mené une lutte de plusieurs mois, voire des années. Un film sélectionné au festival de Cannes en a été tiré, ce n’est pas rien ! Donc les copains de GM&S n’ont pas voulu en rester là et ont décidé de s’organiser avec des chercheurs, avocats, syndicalistes, la fédération, de regarder comment changer les choses d’un point de vue législatif. Ils ont donc rédigé un projet de loi en partant des évolutions nécessaires pour sauver l’industrie. Ce projet ne concerne pas seulement GM&S mais vise les principaux donneurs d’ordre. Il contient des mesures pour responsabiliser les constructeurs, notamment sur le devoir de vigilance, sur les aspects sociaux et économiques de toute la filière, y compris les sous-traitants, afin que ces derniers ne soient plus dépendants des donneurs d’ordre. Le projet entend aussi responsabiliser les constructeurs sur l’écologie afin d’éviter de délocaliser des productions dans des pays sans contrôles environnementaux. Certains articles prévoient de renforcer la participation des sous-traitants aux décisions stratégiques en leur garantissant un meilleur accès à la formation, et qu’ils puissent avoir au moins une voix consultative dans les CSE centraux des donneurs d’ordre. Autre mesure, avoir systématiquement l’obligation de réaliser une étude pour tout changement affectant le niveau de production d’un sous-traitant. En gros, pour synthétiser, on considère que si ce projet voyait le jour, il aurait un impact très favorable sur la précarité dans le secteur industriel, y compris dans les territoires. Une entreprise qui ferme dans une localité fait plonger l’activité économique de la ville, les services publics et tout l’écosystème…

Allez-vous porter ce projet devant le nouveau gouvernement ?

Il faut en parler avec les représentants de GM&S mais oui c’est probable !

L’automobile en danger ? Les autres syndicats de la métallurgie s’inquiètent aussi
Bruno Aziere, secrétaire national à l’industrie dans la fédération de la métallurgie CFE-CGC, partage le constat de Denis Bréant sur les tensions et les difficultés de la filière. Il note cependant que “historiquement, les constructeurs automobile ont toujours amené l’innovation par le haut de gamme”. Il reconnaît cependant que les constructeurs “prennent des décisions qui vont peut-être les sauver eux mais créent de telles tensions dans la filière chez les fournisseurs et les équipementiers que cela détruit des capacités de production”. Et effectivement, “la politique menée sur les marges conduit à produire les véhicules les moins chers dans des pays à faibles exigences environnementales et on demande aux équipementiers français de faire de même…”.

Selon Anne-Claude Vitali, secrétaire nationale CFDT en charge de l’automobile, “on risque de perdre jusqu’à 150 000 emplois”. La fédération a travaillé en 2021 avec la fondation pour la Nature et l’Homme et défend que “l’avenir de la filière passe par la fabrication de petits véhicules électriques en France. On voit donc avec effroi la décision de Renault de concéder à un sous-traitant chinois la conception de la Twingo électrique. Et malheureusement, le contrat de filière n’est pas contraignant”. La CFDT de l’automobile a demandé une rencontre avec Marc Ferracci, nouveau ministre délégué à l’industrie, sans réponse à ce jour.

Côté FO, on demande aussi un rendez-vous : le secrétaire général de FO Métaux, Valentin Rodriguez, a diffusé hier une lettre ouverte demandant une rencontre “au plus vite” afin d’évoquer l’urgence de la réindustrialisation, la production automobile “menacée” et le “lourd tribu que paient les salariés des équipementiers”. Tous vont écouter aujourd’hui avec attention le discours de politique générale de Michel Barnier.  

Marie-Aude Grimont

PSE d’ExxonMobil : l’amertume règne chez les élus du personnel

04/10/2024

Après plusieurs mois de grève sur le site de Port-Jérôme (Normandie), la direction d’ExxonMobil a revu à minima son projet de Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Près de 800 postes seront supprimés. Les licenciements atteignent particulièrement la délégation du personnel qui se trouve vidée de ses effectifs. Si la CFE-CGC et la CFDT ont décidé de signer le PSE, la CGT et FO s’y sont refusés.

L’épilogue approche pour les salariés du pétrochimiste ExxonMobil, installés à Port-Jérôme-sur-Seine, en Normandie.

Après plusieurs mois de coordination intersyndicale (FO, CGT, CFE-CGC, CFDT) et de grève de la part de 400 techniciens de production, la direction a revu le PSE présenté initialement le 11 avril 2024. La CFE-CGC et la CFDT ont annoncé cette semaine leur signature du texte. La CGT et FO refusent au contraire de le cautionner. Le PSE s’appliquera pourtant puisque les syndicats signataires recueillent 50,5 % des voix.

Plan sauvegarde signé ou non, les élus des CSE (central, chimie et pétrole) et les délégués syndicaux sortent essorés et amers des procédures de négociation du plan et de consultation des CSE. Ils reprochent à la direction d’ExxonMobil les délocalisations entraînant les licenciements mais aussi un manque de temps accordé à la négociation et un défaut de dialogue social.

“Rendre un avis de CSE en 1h30, c’est impossible ou bâclé”

Après la présentation d’un premier PSE au printemps, l’administration du travail avait demandé à la direction d’ExxonMobil de revoir les mesures d’accompagnement des salariés menacés de perdre leur emploi. Autre critique de la Dreets (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités), et non des moindres, des délais de consultation des CSE jugés trop serrés pour que les élus puissent rendre un avis éclairé.

Sur le PSE aussi, l’employeur a mené les négociations au pas de charge : “On avait organisé une dernière réunion le 25 juillet, et nous avions jusqu’au 7 août pour se positionner sur le PSE avant que la direction ne dépose son document unilatéral”, témoigne Pierre-Antoine Auger, élu au CSE chimie et délégué syndical FO (majoritaire).

Certaines réunions ont été transférées à Rouen ou à Paris, “dans des conditions exécrables”. Selon Gilles Telal, élu CFE-CGC au CSE central, “il n’y a pas eu de négociation à proprement parler, notre rendu d’avis a été décalé d’une semaine car la direction n’avait pas établi conjointement l’ordre du jour. Mais ce n’était pas par volonté de nous donner du temps”.

 Exxon a utilisé les instances comme chambre d’enregistrement

Si le rendu de l’avis du CSE central a finalement été décalé au 20 septembre, Pierre-Antoine Auger (FO) déplore les conditions du CSE chimie du 18 septembre : “On avait entre 12h30 et 14 heures pour prendre la suite des experts. Rendre un avis de CSE en 1h30, ce n’est pas possible ou c’est bâclé”.

Un point que confirme Germinal Lancelin, élu CGT au CSE central et délégué syndical central : “Exxon a utilisé les instances comme chambre d’enregistrement pour répondre à ses obligations légales mais la direction n’a répondu à aucune revendication du CSE. Malheureusement, la loi n’est pas avec nous pour pointer un délit d’entrave : ils ont répondu point par point dans 19 pages de courrier et 600 pages de documentation”. Il raconte également une réunion de CSE central “extrêmement tendue”, lors de laquelle la direction a attaqué à titre personnel le secrétaire de l’instance.

Un PSE lié à des délocalisations selon les élus

La direction d’ExxonMobil invoque un manque de compétitivité du site. Elle a décidé par ailleurs de fermer définitivement celui de Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône. Selon les élus, Exxon veut surtout transférer ses productions : “Le but est de délocaliser dans des pays aux moindres coûts énergétiques, avec de faibles normes environnementales et moins de droits sociaux pour les salariés. On perçoit une volonté politique de se désengager en France et en Europe pour exploiter du gaz de schiste subventionné aux États-Unis, dégager plus de marges et inonder le marché européen”, dénonce Germinal Lancelin, élu CGT au CSE central et délégué syndical central.

La CGT a d’ailleurs proposé un projet alternatif pour éviter les licenciements et maintenir l’activité du site autour de la fabrication de plastique recyclé. La rentabilité du site serait de retour à compter de 2027, au prix d’une modernisation des équipements et de l’électrification des machines vapeur. Un projet alliant le social à l’environnemental pour lequel Germinal Lancelin a calculé 5 % de rentabilité. La direction reconnaît la viabilité et l’intérêt de notre plan mais elle exige 25 % de rentabilité.

50 000 euros de plancher d’indemnisation par salarié

Les élus jugent le PSE sans aucune proportion avec les moyens financiers dont dispose ExxonMobil pour indemniser les licenciements.

Selon Pierre-Antoine Auger (FO), le plancher d’indemnisation de 50 000 euros par salarié inclut les congés de reclassement et les primes conventionnelles, ce que les élus auraient préféré mettre à part. Il regrette également que la CFE-CGC ait décidé, “sans consulter les autres syndicats”, de signer l’accord “alors qu’on aurait pu obtenir un plancher sans les primes et une année supplémentaire en mesures d’âge pour le personnel de jour. On aurait ainsi sauvé 90 postes. Forcément, on est un peu déçus”.

 Signer non par adhésion mais par dépit

De son côté, la CFE-CGC se dit “contrainte” de signer face au chantage à l’emploi, “non par adhésion mais par dépit”, dans l’objectif de limiter les licenciements et obtenir les meilleures conditions possibles pour les salariés”.

Gilles Telal (CFE-CGC) souligne que “la Dreets hésite à s’engager à nos côtés pour défendre les salariés. Elle nous indique que soit on attaque sa décision, soit Exxon attaquera la sienne. Les ministres démissionnaires n’ont pas beaucoup agi en note faveur non plus, mais ExxonMobil est une société américaine, elle fait comme elle l’entend”.

La CFDT a embrayé le pas et décidé de signer l’accord le 30 septembre en ces termes : “Il n’y a aucune gloire ni aucune victoire à signer cet accord honteux obtenu par un chantage froid, mécanique et inhumain”. Une “prise en otage psychologique” à laquelle 80 % des salariés adhérents CFDT ont souhaité mettre fin.

La délégation du personnel vidée de ses représentants

Selon les représentants du personnel, le PSE met à genoux la sécurité du site de Port-Jérôme. Il ne resterait que deux postes de coordinateurs terrain sécurité au lieux de cinq. Germinal Lancelin (CGT) voulait en conserver l’intégralité, rajouter des pompiers professionnels et garder les ingénieurs en prévention des risques. Selon lui, “le PSE met en danger le site et les salariés. Jusqu’ici, Exxon était réputé pour ses procédures de sécurité. Aujourd’hui, c’est remisé au second plan derrière la profitabilité”.

De plus, les licenciements prévus au PSE visent une grande partie des élus de CSE et délégués syndicaux. Germinal Lancelin (CGT) en éprouve “beaucoup de rancœur parce qu’on a fait le boulot mais 90 % des élus vont partir. Chez Exxon, être élu n’a jamais été une sinécure, mais là on s’est heurtés à des robots, des machines sans aucun état d’âme. Ça va être très dur pour ceux qui restent”.

 Je garderai ma carte syndicale

Pierre-Antoine Auger (FO) aussi a fait les comptes : “Au CSE chimie, sur les 21 élus titulaires, 15 sont inclus dans le PSE. Soit il faudra organiser de nouvelles élections, soit proroger les mandats et ainsi retarder les licenciements des élus pour maintenir un CSE qui fonctionne. D’autant qu’une commission de suivi du PSE a été mise en place. Pour l’instant on n’a pas de réponse, la DRH nous dit que c’est trop tôt. Les dossiers des élus devront passer par l’inspection du travail et le ministère, ce qui nous fera gagner quelques mois en emploi”.

Pierre-Antoine Auger continuera cependant son mandat s’il en a la possibilité : “Cela fait dix ans que je suis élu. Si je garde mon poste, je continuerai. Mais si je pars, l’industrie c’est terminé pour moi. Je garderai ma carte syndicale à FO car c’est eux qui m’ont formé, je leur dois tout”.

Pour l’heure, la délégation FO a décidé d’inciter les salariés à attaquer individuellement ExxonMobil pour défaut de justification économique des licenciements.

Marie-Aude Grimont