L’employeur ne peut contester l’usage des heures de délégation qu’après les avoir payées

08/07/2024

Le défaut de paiement des heures de délégation à l’échéance normale constitue un manquement de l’employeur à ses obligations contractuelles qui justifie une prise d’acte de rupture du contrat de travail.

Presque 3 ans après son élection en tant que délégué du personnel, un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail. Il reproche à l’employeur de ne pas lui avoir payé ses 320 heures de délégation, soit la somme de 3081,60 euros, correspondant à la totalité de son crédit d’heures de 10 heures par mois au titre de la période allant de mai 2013 à décembre 2015.

En conséquence, il demande aux prud’hommes de juger que cette prise d’acte de la rupture de son contrat équivaut à un licenciement nul et réclame le paiement d’un rappel de salaire et de dommages et intérêts.

Une arme à double tranchant

Rappelons que lorsqu’un salarié estime que son employeur ne respecte pas ses obligations contractuelles, il peut immédiatement mettre fin à la relation de travail et quitter l’entreprise en prenant acte de la rupture de son contrat de travail. Il revient ensuite aux prud’hommes de décider :

  • si le juge estime que l’employeur a effectivement manqué à ses obligations contractuelles, il donnera gain de cause au salarié. La prise d’acte de rupture du contrat produira alors les effets d’un licenciement abusif ;
  • si le juge estime que l’employeur n’a pas manqué à ses obligations contractuelles, il donnera tort au salarié. Dans ce cas, la prise d’acte de rupture du contrat de travail sera assimilée à une démission pure et simple.

Lorsqu’il s’agit d’un salarié protégé, comme par exemple un élu du CSE ou un délégué syndical, si le juge décide qu’elle était justifiée, la prise d’acte de rupture du contrat travail sera assimilée à une violation du statut protecteur et produira les effets d’un licenciement nul.

Les demandes sont rejetées

D’après la cour d’appel, comme le salarié n’avait ni indiqué le nombre d’heures de délégation consacrées à son mandat, ni précisé ses jours et ses heures d’intervention, l’employeur n’avait pas pu régler les heures de délégation, ne sachant pas si elles avaient été accomplies pendant le temps de travail ou hors temps de travail.

La Cour de cassation ne partage pas le point de vue de la cour d’appel. L’arrêt de la cour d’appel est donc cassé.

Comme le rappellent à juste titre les juges, “les heures de délégation considérées de plein droit comme du temps de travail, qu’elles soient prises pendant ou hors les heures habituelles de travail, doivent être payées à l’échéance normale”. En conséquence, “l’employeur ne peut saisir la juridiction prud’homale pour contester l’usage fait du temps alloué aux représentants du personnel pour l’exercice de leur mandat qu’après les avoir payées”.

C’est donc à tort que l’employeur, qui contestait bien l’usage des heures de délégation prises par le délégué du personnel dans la limite de son crédit légal, n’a pas payé les heures en question à l’échéance normale.

Frédéric Aouate

Avis d’inaptitude et consultation des salariés sur les accords d’entreprise : la Cour de cassation suggère de modifier les textes

08/07/2024

Dans son rapport annuel 2023, la Cour de cassation, qui suggère deux modifications touchant à la contestation des expertises CSE et à la désignation des représentants de proximité, préconise également deux autres changements. 

Le premier concerne la réécriture d’un article du code de la procédure civile, concernant la contestation relative à la consultation des salariés sur les accords d’entreprise.

Il s’agit de l’article 761, 2°, qui prévoit les matières dans lesquelles les parties sont dispensées de constituer un avocat. La chambre sociale de la Cour conseille d’y ajouter la mention expresse de l’article R. 211-3-17 du code de l’organisation judiciaire. Les ministères de la justice et du travail y semblent favorables, “afin de prévoir que la contestation relative à la consultation des salariés sur les accords d’entreprise soit ajoutée à l’article 761, 2°, du code de procédure civile comme cause de dispense au ministère d’avocat obligatoire”. Il paraît également nécessaire à la Cour de cassation de modifier l’article R. 2232-5 du code du travail “qui fait référence à un article abrogé, l’art. R. 2324-24”.  

La seconde autre modification préconisée par la Cour de cassation traite des prud’hommes et de la désignation du médecin inspecteur du travail à l’occasion des avis d’inaptitude émis par le médecin du travail. Actuellement, l’article R. 4624-45-2 du code du travail prévoit que le conseil des prud’hommes “statuant selon la procédure accélérée au fond”, peut désigner, en cas d’indisponibilité d’un médecin inspecteur du travail ou lorsque celui-ci reste récusé, “un autre médecin inspecteur du travail que celui qui est territorialement compétent”. Problème : les prud’hommes font face à l’indisponibilité des médecins inspecteurs, “ce qui entraîne une insécurité juridique (..) ainsi qu’un surcoût pour l’employeur tenu (..) de reprendre le paiement du salaire dans le délai d’un mois suivant la visite de reprise si le salarié n’est ni reclassé ni licencié”. 

Or, si le ministère indique, face à cette situation, que le juge prud’homal peut désigner un expert sur la liste des experts de la cour d’appel, cette possibilité n’est prévue ni par la loi ni par les textes réglementaires. Le gouvernement doit donc s’emparer de cette question, estime la chambre sociale, ce dont la direction générale du travail “prend bonne note”. 

Source : actuel CSE

L’allocation de proche aidant pourra être renouvelée pour aider une autre personne

08/07/2024

À compter du 1er janvier 2025, prévoit un décret paru ce week-end au Journal officiel, l’allocation journalière versée à un proche aidant pourra être renouvelée “si le proche aidant apporte son aide à une personne différente de celle au titre de laquelle il a précédemment bénéficié de cette allocation”. La durée de l’allocation, de 66 jours, pourra être portée au maximum à 264 jours.

Source : actuel CSE

Après les élections législatives, quel avenir pour les réformes sociales ?

09/07/2024

Le second tour des élections législatives a placé en tête le Nouveau Front populaire et relégué le Rassemblement national en troisième place derrière le camp présidentiel. Aucune majorité absolue ne se dégageant de ces trois blocs, que peuvent devenir les projets d’abroger les dernières réformes de l’assurance chômage ou des retraites ?

Les mesures figurent en bonne place du programme du Nouveau Front Populaire : dans les 15 premiers jours, les partis de gauche proposent “une rupture” commençant par le blocage des prix, l’abrogation des décrets d’application de la réforme des retraites et de l’assurance chômage, l’augmentation des salaires à commencer par un Smic net à 1 600 euros. Les intentions sont là, mais comment appliquer ce programme en l’absence de majorité absolue ? Lundi 8 juillet au matin, les résultats propulsent le Nouveau Front populaire en tête du nombre de sièges obtenus à l’Assemblée nationale, suivi de près par Ensemble, le Rassemblement National fermant la marche. Pas de marée brune, pas de marée rouge non plus : trois blocs sans aucune majorité absolue fixée à 289 sièges sur 577.

Emmanuel Macron désignera-t-il un(e) Premier(e) ministre en accord avec ces résultats ? Une chose est certaine : la Constitution ne fournit pas de réponses sur le fonctionnement d’une coalition. Les réponses à ces questions dépendront davantage du rapport de force politique que du droit constitutionnel. La coalition peut aussi s’avérer impossible si les partis ne parviennent à aucun accord…

Assurance chômage : vers une nouvelle convention ?

Entre les deux tours, Gabriel Attal avait suspendu la publication du décret portant réforme de l’assurance chômage puis évoqué dans les médias “de nouvelles concertations avec les partenaires sociaux et les forces politiques présentes au Parlement”. Le décret de jointure maintient le régime actuel jusqu’au 31 juillet. Il faudra donc d’ici là soit prendre en main le sujet si un nouveau gouvernement est nommé, soit agréer l’accord des partenaires sociaux de novembre 2023, soit lancer la négociation d’une nouvelle convention d’assurance chômage, ce qui semble peu probable en plein mois d’août. Le futur gouvernement pourrait également reconduire le régime via un nouveau décret de jointure en attendant la rentrée. Rappelons que ces dernières semaines, Force Ouvrière a appelé à l’agrément de l’accord du mois de novembre. Hier soir, sur France5, Catherine Vautrin a indiqué que “si au 31 juillet il n’y a pas eu d’évolution peut-être faudra-t-il prolonger” le régime.

Abroger les 64 ans nécessitera l’intervention du Conseil constitutionnel

Les décisions relatives à l’assurance chômage dépendront également de ce qui sera décidé sur la réforme des retraites puisqu’une partie dépend de l’allongement de deux ans de l’âge légal de départ, notamment les bornes d’âge de la filière seniors que le projet de décret avait également reportées de deux ans. FO attend par ailleurs prochainement le verdict du Conseil constitutionnel sur la question prioritaire de constitutionnalité que la confédération a déposée sur le financement des retraites. Sur ce plan, les représentants de La France Insoumise avancent que de simples décrets ministériels seront suffisants.

Il reste à voir si le Président de la République ne mobilisera pas d’arguments techniques pour défendre la mesure phare de son second quinquennat, en premier lieu la nécessité de sa signature pour inscrire un décret à l’ordre du jour du Conseil des ministres (que le Président de la République préside, conformément à l‘article 13 de la Constitution), signé du Président de la République et contresigné par le Premier ministre. Selon Émilien Quinart, maître de conférences en droit public à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, “le Président a le pouvoir d’inscrire n’importe quel décret au Conseil des ministres. Dans cette hypothèse, il peut accaparer une compétence qui relève du Premier ministre.

Par ailleurs, il ne sera pas possible d’abroger la réforme des retraites par décret sans passer par le Conseil constitutionnel : “Depuis 2010 et la réforme constitutionnelle d’Éric Woerth, l’âge de départ est fixé dans la loi pour des raisons politiques et médiatiques, il ne relève plus du pouvoir réglementaire. De ce fait, il est impossible de l’abroger par un simple décret car le décret est inférieur à la loi dans la hiérarchie des normes. Le prochain gouvernement, s’il souhaite poursuivre dans cette voie, devra donc demander au Conseil constitutionnel de ‘délégaliser’ la disposition contenant l’âge légal de départ”. Pour l’instant, la jurisprudence du Conseil en la matière depuis les années soixante accorde la ‘délégalisation’. Selon Émilien Quinart, il est donc probable que le Conseil accède à cette demande. Mais restons prudents : en ce moment, les surprises sont légion.

Nomination du Premier ministre : ce que dit la Constitution (pas grand-chose)

L’article 8 de la Constitution prévoit que “le Président de la République nomme le Premier ministre”, sans aucune référence aux partis victorieux lors des élections législatives. La tradition veut cependant que le locataire de Matignon soit choisi parmi la force dominante en termes de sièges. Or, le Nouveau Front populaire est lui-même issu d’une coalition de plusieurs partis de gauche qui devront donc choisir en leur sein celui ou celle qui leur semble le mieux placé pour remplir la mission. Pour l’heure, l’Élysée a indiqué dimanche soir que le Président de la République attend “la structuration définitive de l’Assemblée” avant de prendre la parole. Gabriel Attal a quant à lui remis sa démission lundi à 11h30. Emmanuel Macron l’a refusée et a reconduit son Premier ministre à son poste dans le but de gérer les affaires courantes, le temps de désigner son remplaçant.

L’article 8 ne mentionne pas non plus de délai de nomination du Premier ministre. Dans le jeu classique qui installait depuis le quinquennat les élections législatives peu de temps après les présidentielles, la nomination avait lieu dans un délai très court grâce à un alignement des forces politiques entre Élysée et Parlement. La coalition va nécessiter plus de temps, bien qu’Olivier Faure (Parti socialiste) ait annoncé dès lundi son souhait que le Nouveau Front populaire propose un ministre dans la semaine.

À défaut de coalition…

Si aucun accord n’était trouvé dans les jours et semaines à venir, l’exécutif pourrait tenter un gouvernement minoritaire, comme l’ont été ceux d’Élisabeth Borne et de Gabriel Attal, mais à condition qu’aucune motion de censure décidée à l’Assemblée ne vienne gripper les rouages. Enfin, il restera l’hypothèse du gouvernement d’experts, à savoir la nomination de ministres sans attache au sein des partis afin de gouverner les affaires courantes.

Cette situation risque cependant de ne pas tenir bien longtemps, d’autant que ce gouvernement ne disposerait d’aucune légitimité issue des élections. Il faudrait également définir ces fameuses “affaires courantes” parmi lesquelles on imagine le budget, la continuité des services publics, tout en constatant que la notion reste floue et non définie juridiquement. Des affaires qui peuvent également être confiées au gouvernement démissionnaire comme sous la IVe République. Mais alors, s’agit-il également des affaires urgentes ou seulement des affaires annexes, subalternes ? Comment éditer la date des textes publiés au Journal Officiel si le gouvernement ne dispose pas de la légitimité des urnes ? Faut-il par exemple les antidater afin de les faire remonter à une date préalable au second tour ? Bref, les questions sont nombreuses et ardues. Elles ont par exemple donné lieu en 1952 à l’annulation d’un décret par le Conseil d’État pour avoir excédé l’expédition des affaires courantes…(il s’agissait d’un décret du 17 juin 1946 étendant en Algérie la loi sur la dévolution des entreprises de presse ayant collaboré avec l’occupant).

Rappelons par ailleurs que l’article 12 de la Constitution, aucune nouvelle dissolution ne peut intervenir avant l’écoulement d’un an.

Nouvelle Assemblée : les prochaines étapes

La nouvelle Assemblée élue se réunit de plein droit le deuxième jeudi après l’élection, soit le 18 juillet. Cette session ordinaire durera quinze jours, soit jusqu’au 1er août. Elle pourra se réunir même en l’absence de la désignation du Premier ministre par le Président de la République puisque cette session est “de droit”, indique l’article 12 de la Constitution. Selon Aurélie Dort, maître de conférences en droit public à l’Université de Lorraine, “l’Assemblée n’aura même pas besoin d’être convoquée, car seules les sessions extraordinaires nécessitent une convocation”. Emmanuel Macron pourrait également convoquer par décret des sessions extraordinaires en août et en septembre. Selon Aurélie Dort, “ces sessions sont théoriquement convoquées par le Premier ministre ou la majorité des députés. La pratique de la Ve République en a fait un pouvoir discrétionnaire du Président mais dans l’hypothèse inédite d’une coalition, il faut voir quelle lecture sera faite des textes. Je pense que le Conseil constitutionnel aura sans doute un rôle à jouer prochainement”.

À défaut de convocation d’une session extraordinaire, la nouvelle session ordinaire s’ouvrira le 1er octobre comme le veut l’article 28 de la Constitution. La composition des groupes parlementaires devrait être connue le 19 juillet. Les présidents des commissions seront élus le lendemain.

Les syndicats rappellent aux politiques les bienfaits de la négociation collective
La première réaction est venue de Force Ouvrière, Frédéric Souillot intervenant en direct sur la chaîne FranceInfo tard dans la soirée. S’il avait le sourire, il a rappelé son indépendance de tout parti politique et l’absence de toute consigne de vote aux militants FO. Le secrétaire général a ensuite souhaité envoyer le message suivant au futur gouvernement : “Redonnez la place qui est la sienne à la négociation collective, arrêtez de dire que les corps intermédiaires, les syndicats d’employeurs ou de salariés et le paritarisme ne servent à rien. Ce ne sont pas des empêcheurs de tourner en rond”.

Pour la CFE-CGC, François Hommeril s’est exprimé sur BFM Business et a tracé un parallèle entre recherche d’un accord de gouvernement et dialogue social interprofessionnel : “C’est quelque chose que l’on sait assez bien faire. Le dialogue social est un espace dans lequel chacun est porteur de sa vérité. La négociation est un moment pendant lequel chacun accepte la vérité de l’autre”.

Des communiqués de presse sont ensuite tombés dans la journée de lundi. La CGT appelle Emmanuel Macron à “respecter le choix des urnes et d’appeler à la formation d’un nouveau gouvernement autour du programme du Nouveau Front Populaire qui est arrivé en tête”. La CFDT indique “attendre avec attention l’installation de l’Assemblée nationale et la désignation du futur Premier ministre”, avant d’ajouter : “Le futur gouvernement devra faire avec la CFDT”. 

Chez Solidaires, on se dit conscient qu”‘il faudra arracher toutes les revendications, à commencer par l’abrogation de la réforme des retraites et l’augmentation des salaires”. L’Unsa se console d’un “soulagement au goût amer” et que ” la bataille pour le social, l’écologie et la justice sociale est une urgence absolue”. Côté patronal, le Medef se positionne à l’encontre du programme du Nouveau Front populaire, agitant les menaces des finances publiques, des hausses d’impôts ou encore de l’indexation des salaires. Il appelle “le Président de la République à faire le choix du pays plutôt que celui des intérêts partisans”.
Une intersyndicale doit se tenir aujourd’hui en fin de journée en visioconférence.

Marie-Aude Grimont

Partage de la valeur : de nouveaux cas de déblocage

09/07/2024

Finalisant la transposition de l’accord national interprofessionnel (Ani) relatif au partage de la valeur en entreprise conclu entre le partenaires sociaux le 10 février 2023, un second décret d’application vient d’être publié au Journal officiel du 6 juillet. Il crée notamment trois nouveaux cas de déblocage anticipé de l’épargne salariale et précise les seuils d’effectif pour certaines dispositions de partage de la valeur.

Neuf cas de déblocage anticipé de la participation et des sommes investies dans un PEE (plan d’épargne entreprise) sont déjà prévus par le code du travail (articles L. 3324-10L.3 332-25 et R. 3334-22 modifiés du code du travail). Cette liste est complétée par trois nouveaux cas de déblocage :

  • l’affectation à des travaux de rénovation énergétique de la résidence principale : les travaux visés sont les travaux de rénovation énergétique éligibles à l’éco-PTZ listés aux articles D.319-16 et D.319-17 du code de la construction et de l’habitation (exemples : travaux d’installation d’équipements de chauffage utilisant une source d’énergie renouvelable, travaux d’isolation thermique des parois vitrées et portes donnant sur l’extérieur ou des toitures) ;
  • l’achat d’un véhicule utilisant l’électricité, l’hydrogène ou une combinaison des deux comme source exclusive d’énergie (camionnette, voiture, deux ou trois roues, quadricycles à moteur), ou d’un cycle à pédalage assisté neuf (article R.311-1 du code de la route) ;
  • l’activité de proche aidant exercée par l’intéressé, son conjoint ou son partenaire de Pacs auprès d’un proche tel que défini aux articles L.3142-16 et L.3142-17 du code du travail relatifs au congé de proche aidant.

Le renvoi aux dispositions relatives au congé de proche aidant implique-t-il que le salarié, son conjoint ou son partenaire pacsé soit effectivement en congé de proche aidant pour bénéficier du déblocage anticipé des avoirs ? Nous ne le pensons pas. Le renvoi à ses articles n’est limité qu’à la définition des proches pouvant être aidé dans le cadre d’un tel congé. Cette interprétation est corroborée par le fait que la demande de déblocage anticipée à ce titre peut être faite à tout moment et pas seulement au moment du congé (voir développements ci-après). Une confirmation administrative serait toutefois bienvenue.

La demande des deux premiers cas de déblocage anticipé (rénovation énergétique et véhicule propre) doit être présentée dans un délai de six mois à compter de la survenance du fait générateur.

Quel est le fait générateur pris en compte pour ces deux cas ? Pour les travaux de rénovation énergétique, le fait générateur pourrait être, à l’instar du cas de déblocage relatif à la construction ou l’agrandissement de la résidence principale, la date du devis ou la date de facture d’achat des matériaux si le salarié réalise ces travaux lui-même. Pour le véhicule propre, il pourrait s’agir de la date d’achat ou de signature du bon de commande. Il serait souhaitable que l’administration précise les pièces justificatives à fournir pour ces deux cas de déblocage.

La demande du cas de déblocage anticipé pour l’activité de proche aidant peut intervenir à tout moment (article R.3324-23 modifié du code du travail).

Ces dispositions s’appliquent :

  • pour les déblocages liés à la rénovation énergétique et à l’achat d’un “véhicule propre”, aux faits générateurs postérieurs à l’entrée en vigueur du décret, c’est-à-dire à ceux survenus après le 7 juillet 2024 ;
  • pour les déblocages liés à l’activité de proche aidant, aux demandes présentées après le 7 juillet 2024.

Partage de la valeur dans les petites entreprises et PPV : quels seuils d’effectif ?

La loi de transposition du 29 novembre 2023 a mis en place deux dispositifs expérimentaux de partage de la valeur, l’un dans les entreprises d’au moins 11 salariés non tenues de mettre en place la participation, l’autre dans certaines entités d’au moins 11 salariés du secteur de l’économie sociale et solidaire. Dans les deux cas, l’effectif pour apprécier le seuil de 11 salariés doit être déterminé selon les modalités prévues à l’article L.130-1, I du code de la sécurité sociale.

Ces modalités doivent également être utilisées pour apprécier le seuil de 50 salariés applicable pour l’exonération d’impôt sur le revenu et de CSG/CRDS des primes de partage de la valeur versées entre le 1er janvier 2024 et le 31 décembre 2026 à des salariés percevant une rémunération inférieure à trois fois le Smic annuel.

Pour apprécier ces seuils, il faut donc retenir l’effectif “Sécurité sociale” , à savoir la moyenne du nombre de personnes employées au cours de chacun des mois de l’année civile précédente. 

Attention ! L’article 1er du décret précité ne visant que le I de l’article L.130-1, le gel du franchissement de seuil pendant cinq ans (visé, lui, au II de l’article L. 130-1) n’est pas applicable pour ces dispositifs.

Avances sur intéressement et sur participation : de nouvelles indications à intégrer dans l’accord

L’accord d’intéressement ou de participation doit indiquer, en cas de versement d’avances, les modalités de recueil de l’accord du salarié et “l’impossibilité de débloquer le trop-perçu s’il a été affecté à un plan d’épargne salariale ou son reversement intégral sous la forme d’une retenue sur salaire, en l’absence d’une telle affectation” (articles R.3313-2 et R. 3324-21-1 modifiés du code du travail).

La rédaction adoptée par le décret nous semble maladroite car elle laisse supposer que la restitution des sommes en cas d’affectation des sommes sur un plan est impossible. A notre avis, si l’avance a été placée sur un plan d’épargne salariale (donc bloquée), l’employeur peut pratiquer une retenue sur salaire, la somme placée étant considérée comme un versement volontaire n’ouvrant pas droit aux exonérations liées au dispositif.

Si l’accord d’intéressement ou de participation prévoit le versement d’avances, l’employeur informe chaque salarié de cette possibilité et du délai dont il dispose pour donner son accord. En l’absence de stipulation dans l’accord, ce délai est de 15 jours à compter de la réception de la lettre recommandée avec avis de réception ou de la remise contre récépissé l’informant de cette possibilité.

A défaut d’accord exprès du salarié sur le principe du versement d’une avance au titre de la participation ou de l’intéressement, aucune avance ne lui est versée (article D. 348-1 nouveau du code du travail).

PEE : relèvement des plafonds applicables à l’abondement patronal unilatéral destiné à favoriser l’actionnariat salarié

Le décret n° 2024-690 du 5 juillet 2024 complète les dispositions du décret n° 2024-644 du 29 juin 2024.

Pour rappel, le plafond annuel des versements de l’employeur complétant la contribution du salarié à un PEE est fixé à 8 % du PASS (plafond annuel de la sécurité sociale).

Il prend en compte, le cas échéant, le montant du versement unilatéral de l’employeur destiné à l’acquisition d’actions ou de certificats d’investissement émis par l’entreprise ou une entreprise du groupe, lui-même plafonné à 2 % du PASS par an.

Le décret n° 2024-644 a modifié le plafond  annuel de ce versement unilatéral et l’a aligné sur le plafond d’exonération de la prime de partage de la valeur (PPV).

Depuis le 1er juillet 2024, il est donc à 3 000 euros par bénéficiaire et par année civile et peut être porté à 6 000 euros par bénéficiaire et par an pour :

  • les employeurs mettant en œuvre, à la date du versement unilatéral, ou ayant conclu, au titre du même exercice que celui du versement, un dispositif d’intéressement lorsqu’ils sont soumis à l’obligation de mettre en place la participation, ou un dispositif d’intéressement ou de participation, lorsqu’ils ne sont pas soumis à cette obligation ;
  • les associations et les fondations d’utilité publique ou d’intérêt général et les ESAT bénéficiant du relèvement du plafond de la PPV.

Le décret n° 2024-690 du 5 juillet 2024 modifie, lui, l’article R.3332-8 du code du travail pour ajouter que, dans le cas où l’employeur procède à un tel versement unilatéral, le plafond total annuel d’abondement au PEE est relevé à 16 % du PASS. En l’absence de versement unilatéral, le plafond global reste fixé à 8 % du PASS.

Le décret n° 2024-690 procède également au toilettage de certaines dispositions relatives à l’épargne salariale, sans changement sur le fond.

La rédaction sociale

De nouveaux territoires pour l’expérimentation “territoires zéro chômeur de longue durée”

09/07/2024

Un décret du 5 juillet 2024 ajoute de nouveaux territoires pour mener l’expérimentation “territoires zéro chômeur de longue durée”. La liste de ces nouvelles communes, quartiers ou îlots, est publiée en annexe du texte. On peut retenir, par exemple, la ville d’Antony (Hauts de Seine), l’Arc Nord-Ouest Roubaix, Concarneau (Finistère), Costa Verde (Corse) et Montpellier-Grabels (Hérault). 

Source : actuel CSE

Le partage des coûts entre entreprises de travail temporaires et entreprises utilisatrices est modifié

10/07/2024

Un décret du 5 juillet 2024 porte à 50/50 le partage des coûts des AT/MP des intérimaires entre les entreprises de travail temporaire et les entreprises utilisatrices, que l’incapacité permanente soit d’au moins 10 % ou non.

Ainsi, pour l’entreprise utilisatrice soumise à la tarification individuelle ou mixte, le coût de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle mis à sa charge est égal à la moitié du coût moyen arrêté pour cette catégorie de sinistre pour le comité technique national dont l’entreprise dépend.

Pour l’entreprise utilisatrice, soumise à la tarification collective, le coût de l’AT/MP mis à sa charge est égal à la moitié des prestations et indemnités autres que les rentes versées, et à la moitié du capital représentatif de la rente ou du capital correspondant à l’accident mortel.

Jusqu’à présent, les coûts des AT/MP des salariés intérimaires étaient répartis entre l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice, à hauteur d’1/3 pour l’entreprise utilisatrice et 2/3 pour l’ETT. Les sommes mises à la charge de l’entreprise utilisatrice comprenaient les capitaux représentatifs de rentes servis à la victime dont le taux d’incapacité permanente partielle est supérieur ou égal à 10 % et les capitaux correspondant aux accidents mortels.

Le décret prévoit une entrée en vigueur progressive de cette nouvelle répartition à compter de l’année 2026, en cohérence avec la période triennale de tarification des accidents du travail et maladies professionnelles. 

Ainsi, demeurent effectués selon les anciennes modalités :

  • le calcul du coût des AT/MP classés en 2022 ou en 2023 pour déterminer les cotisations de l’année 2026 ;
  • et le calcul du coût des AT/MP classés en 2023 pour déterminer les cotisations de l’année 2027.

Source : actuel CSE

Nouveau montant de la dotation pour le financement de l’alternance versée par France compétences aux Opco

10/07/2024

Un décret du 8 juillet 2024 modifie la part maximale de la dotation pour le financement de l’alternance versée par France compétences aux opérateurs de compétences (Opco) qui peut être affectée aux autres dépenses que la prise en charge des contrats en alternance et de leurs frais annexes.

Ce pourcentage passe de 10 % à 8 %.

Source : actuel CSE

Bruno Palier : “Les partis de gauche peinent à s’emparer des enjeux du travail”

11/07/2024

Chercheur en sciences politiques, Bruno Palier travaille aux articulations entre politique et monde du travail. Il cherche a faire émerger les sujets liés au travail dans le débat public et a coordonné en 2023 un ouvrage de près de 600 pages sur l’organisation du travail et les réalités des salariés. Il porte aujourd’hui un regard critique sur l’appréhension du travail par la classe politique et les partis de gauche, y compris le Nouveau Front Populaire.

Le Nouveau Front populaire a créé la surprise au second tour des élections législatives, qu’en avez-vous pensé ?

J’y vois deux choses. D’une part, le Nouveau Front populaire (NFP) fait partie du front républicain. D’autre part, deux tiers des Français ont signifié clairement qu’ils s’opposent à l’arrivée du Rassemblement National (RN) au pouvoir. Cela a bénéficié au NFP mais aussi au camp présidentiel. Les élus NFP ont été beaucoup plus cohérents dans leur appréciation du front républicain que les Renaissance et surtout que Les Républicains (LR) qui n’ont pas participé aux désistements mais en ont bénéficié.

D’autre part, la dynamique d’unité demandée depuis longtemps par les électeurs de gauche a très bien fonctionné. Après, toute la dynamique sociale que l’on pouvait imaginer ne s’est pas exprimée, en tout cas dans les premiers jours. On a vu ensuite comme un ralentissement des perspectives de conquêtes sociales et de transformation des politiques publiques sous l’effet des divisions, des désaccords et des sorties intempestives des uns et des autres.

Le gouvernement n’est pas encore constitué mais a priori, pensez-vous que les besoins du monde du travail seront davantage pris en compte ?

Je ne peux que l’espérer ! Je travaille à faire émerger dans le débat les questions de travail car il s’agit d’un enjeu majeur : 40 % de la population travaille. Et les deux tiers rencontrent des difficultés au travail. On ne peut donc pas en réduire la portée. Ces sujets concernent aussi les jeunes qui forment les futurs travailleurs et les retraités. L’enjeu me semble donc central et en parallèle, les partis de gauche peinent à s’en saisir. François Ruffin le dit lui-même : sur les sujets du travail, il se trouve isolé, essentiellement pour des raisons de stratégie (1).

Que pensez-vous de la petite musique en train de monter selon laquelle le chef de l’Etat ne tient pas compte du résultat de l’élection en maintenant Gabriel Attal au poste de Premier ministre ?

Cette situation apparaîtrait normale dans presque tous les autres pays européens continentaux sauf en Grande Bretagne. Elle semble anormale en France en raison de notre culture majoritaire d’un pouvoir exécutif fort et d’une attente passive vis-à-vis d’un chef suprême. On a quand même vanté pendant des années une Constitution qui met en place cet exécutif dominé par un Président monarque. Il sera difficile d’acquérir rapidement une autre culture. En Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Autriche ou dans les pays nordiques, il serait temps de passer à la composition d’une coalition avec des accords de gouvernement.

On risque de voir un gouvernement qui ne correspond pas aux résultats électoraux 

Dans cette perspective, chaque parti expose ses priorités et fait des concessions. C’est tout l’intérêt d’une élection au scrutin proportionnel : on connaît les positions des partis et si elles ne sont pas respectées, il tombe. Nous avons plutôt l’habitude en France qu’un parti une fois au pouvoir ne gouverne pas sur la base de son programme électoral. On risque de rencontrer le même problème avec un gouvernement ne correspondant pas aux résultats électoraux.

Après le second tour, plusieurs syndicats (FO, CFE-CGC, CFTC notamment) ont exhorté les partis à mettre en œuvre entre eux le dialogue social et le compromis. Est-ce un bon conseil selon vous ?

En effet, c’est la pratique normale de la démocratie sociale : accepter des parties prenantes ne pouvant œuvrer l’une sans l’autre, avec des intérêts divergents mais qui construisent un compromis à force de négociation. Sur la protection sociale, les syndicats parviennent à construire des institutions représentant des intérêts communs, notamment leur fonctionnement optimal et leur perpétuation dans le temps. Je pense aux institutions issues du paritarisme comme les retraites complémentaires ou l’assurance chômage.

On a pourtant reproché aux syndicats, malgré une mobilisation historique, de ne pas avoir “gagné” sur les retraites. Cette amertume à leur égard persiste-t-elle selon vous ?

Au contraire, ils ont été irréprochables et j’avais annoncé l’issue de ce mouvement : la réforme a alimenté le vote pour le RN. Emmanuel Macron s’est trouvé seul dans sa volonté de persister malgré la mobilisation. Les syndicats en sont sortis renforcés, cela ressort des sondages du Cevipof (2). La confiance envers les syndicats a augmenté de 20 points car ils ont été capables de représenter l’ensemble de la population active dans le refus de la réforme au travers des sujets qu’ils ont portés dans l’unité : le durcissement des conditions de travail, l’absence d’écoute et de reconnaissance des travailleurs. Ils ont impulsé cette dynamique aux débuts du NFP, on les a moins entendus après en raison de la logique partisane de la campagne électorale. Mais il faut rappeler que l’imagerie historique du Front Populaire évoque la pression syndicale avec les grandes grèves de 1936 pour obtenir des conquêtes sociales.

Dans le quotidien LibérationSophie Binet de la CGT évoque une mobilisation sociale à la rentrée. Pensez-vous que la période post Jeux Olympiques sera agitée ?

Je l’ignore mais je suis certains que nous avons un problème de représentation. Il devient impératif de formuler les réalités du travail dans le débat public afin d’obtenir des évolutions de la part du patronat et des employeurs. J’ai été marqué pendant cette période électorale par le refus du Medef d’aborder les questions d’organisation du travail et de management.

Mon ouvrage a trouvé portes closes au Medef

Je peux en témoigner personnellement : lorsque j’ai publié mon ouvrage “Que sait-on du travail” (3), il a trouvé portes closes au siège du Medef. En revanche, les DRH s’y sont montrés sensibles car ils sont également devenus des recruteurs et pas seulement des licencieurs, même s’ils ne décident de ce qui se passe dans l’entreprise.

Dans une tribune publiée la semaine dernière, vous établissez un lien entre la réforme des retraites et le vote RN, quelles sont ses mécaniques ?

Le lien, c’est le ras-le-bol des élites couplé au mal-être au travail, plus élevé en France que dans les autres pays. Nous connaissons plus d’accidents du travail, plus de burn-out, plus de risques psychosociaux. De plus, le “lean management” domine dans une pratique verticale d’un encadrement par les chiffres. De ce fait, de nombreux salariés et faux indépendants comme les chauffeurs VTC ne se sentent ni entendus ni reconnus et victimes d’un déni, en particulier quand ils regardent leur bulletin de paie. Ils vivent donc un sentiment d’exclusion de la vie de l’entreprise comme de la vie démocratique. On rejoint ici les difficultés des partis de gauche à parler du travail et cela renvoie à la parole de François Ruffin qui évoque les activités du “care”. A la fin, cette population en vient à se dire que “les seuls qui parlent de nous, c’est le RN”. Il faut donc mener un travail de construction de ce sentiment partagé de situations, voire d’un sentiment de classes pour s’opposer au mépris des élites qui sont allées jusqu’à mentir sur la réforme des retraites.

Pourtant, le programme du NFP porte plusieurs sujets relatifs au travail comme la hausse du Smic, le retour du CHSCT, la participation des salariés au conseil d’administration. Serait-ce insuffisant ?

Le nombre d’ouvriers et d’employés parmi les députés élus a encore baissé. Certes, ce programme évoque le travail mais il ne propose pas d’incarnation. Par conséquent, les histoires ne sont pas racontées, à part celles de la jalousie et du ressentiment qui se construit dans le monde du travail mais aussi parmi les fonctionnaires des services publics. Donc le NFP pourrait aller plus loin : ses propositions ne sont pas incarnées ni positionnées comme des conquêtes sociales. L’autre Front populaire des années trente avait quand même poussé des choses fondamentales : la négociation dans les branches, les congés payés, la semaine de 48 heures entre autres.

Les lois Auroux de 1982 avaient prévu un droit d’expression des salariés (3) qui ne s’est jamais développé. Le NFP pousse une meilleure présence au conseil d’administration. Est-ce en décalage avec ce que souhaitent les salariés ?

Sous le slogan démocratiser le travail et l’entreprise, il existe deux niveaux d’intervention : la présence dans les conseils d’administration garantit que les décisions stratégiques sont prises aussi dans l’intérêt des salariés, et pas uniquement dans ceux des actionnaires. Je défends l’idée que la stratégie française des bas coûts abime le travail, comme on le voit chez Stellantis. Si on fait rentrer les salariés au Conseil d’administration, cela influe sur ses positions. Cela garantit aussi aux employeurs que les syndicats ne se mettent pas dans une position de lutte des classes. Il existe donc un gain réciproque, c’est la démocratie sociale. En revanche, cela ne suffit pas à garantir la productivité locale des salariés, leur bien-être et donc le bon fonctionnement de l’entreprise. Il faut une parole, un dialogue professionnel des salariés sur leur propre travail.

Dans un monde du travail pressé, on ne prend pas le temps de l’expression

Ensuite, le droit d’expression des salariés issu des lois Auroux n’a pas bien fonctionné car la parole n’était pas réellement libre et organisée par les managers. Les syndicats ne maîtrisant pas ce qui se passait n’ont pas forcément joué le jeu. D’autres facteurs d’explication existent : dans un monde du travail pressé, on ne prend pas le temps de l’expression. Enfin, si on ne donne pas la parole aux salariés, on finit par voir comment ils la prennent et cela finit en catastrophe, y compris pour eux-mêmes. Il vaut donc mieux les laisser s’exprimer et Laurent Berger l’a dit à de multiples reprises : les mieux placés pour parler des tâches à accomplir, ce sont les salariés. Il faut donc les convaincre par de l’action et des perspectives, pas avec des leçons de morale.

Déficit de représentation et déficit de parole donc, on peut aussi ajouter les réformes de la représentation du personnel de 2017 qui a créé le CSE. Pensez-vous qu’elle participe de ces phénomènes en faveur du vote RN ?

On y retrouve l’impression d’être de moins en moins entendus et écoutés puisque les élus subissent des ordres du jour de 80 points alors que les sujets de santé et sécurité sont passés à l’as, sans compter les freins à leur carrière. En revanche, c’est cohérent avec la vision de ceux qui gouvernent depuis l’ère Macron et d’une partie du patronat.

Le Président reste sur des problématiques d’emploi, pas de travail

À l’Élysée, quand j’ai été reçu en juillet 2017 par les conseillers sociaux au sujet de mon ouvrage sur le monde du travail, on m’a dit clairement que les corps intermédiaires empêchent l’économie de fonctionner. On m’a dit que “le Président reste sur des problématiques d’emploi et pas de travail”. Ces décisions (dont fait partie l’étatisation de l’assurance chômage) composent cette vision d’inutilité sociale et économique des partenaires sociaux. Le patronat refuse également d’échanger sur l’amélioration des conditions de travail avec les représentants syndicaux, on retrouve aussi cette vision des syndicats comme des empêcheurs de tourner en rond.

Justement, qu’avez-vous pensé de la posture du patronat pendant ces législatives ?

Comme l’a titré le journal Le Monde, le patronat est tenté par le vote RN. Patrick Martin, le président du Medef, a dit clairement que le programme du NFP est dangereux pour l’économie. On peut rappeler également le comportement du Medef et de la CPME pendant les négociations sur le pacte de la vie au travail. J’ai été auditionné mais les représentants patronaux étaient impatients que je termine et ont voulu remettre sur la table ce qu’ils qualifient de “vrais sujets” : l’emploi et le coût du travail. Naturellement, ils peuvent se permettre cette attitude lorsque le gouvernement accède à leurs demandes. Tant qu’ils obtiendront 200 milliards de subventions, dont 72 d’exonérations de cotisations, ils n’auront aucun intérêt à négocier avec les syndicats de salariés.

Venons-en à votre livre de 2023, “que sait-on du travail”. L’une des études montre que les Français s’estiment mal payés par rapport aux efforts fournis. N’est-ce pas le nœud du problème ? 

Ce n’est pas le seul nœud mais cela en fait partie. Le montant des rémunérations par rapport aux efforts investis n’est pas à la hauteur. Le salaire ne représente plus les compensations espérées. Les conditions de travail sont monopolisées par les employeurs, le travail a donc toujours été vécu comme difficile mais les syndicats négociaient des compensations sur la sécurité de l’emploi et les rémunérations. C’est d’ailleurs l’une des théories d’Alain Supiot sur le statut de salarié et l’acceptation de la subordination. Avec l’insécurisation et l’intensification du travail, sans hausse de salaires, les salariés vivent dans l’insatisfaction.

Aviez-vous aussi envoyé votre ouvrage aux ministères ?

Oui, j’avais d’ailleurs rencontré Stanislas Guérini. Nous avions parlé des difficultés au travail des fonctionnaires, qu’il percevait au travers du manque d’attractivité et du défaut de candidats aux concours de la fonction publique. Il était très fier de m’expliquer qu’il avait amélioré les conditions de travail et les rémunérations des secrétaires municipales. Il mentionnait également les problèmes de management et de verticalité dans la fonction publique. On était donc bien dans ces thèmes d’organisation et de reconnaissance au travail. Mais quelques jours plus tard, il annonçait la volonté de licencier plus facilement les fonctionnaires et de supprimer leur statut. L’économie néo-classique reste dominante !

Travaillez-vous à un nouveau livre ?

Je me lance aussi dans une deuxième phase qui s’appellera “travailler mieux” et reprendra les enquêtes des chercheurs sur ce qui fonctionne. J’aimerais mettre en avant des points relevant de véritables négociations sociales car tout ne revient pas à la loi pour de nouveaux accords de Matignon. Comme l’a dit Jacques Freyssinet (4), avec les accords de grenelle en 1969, l’emploi rentre dans le champ des négociations sociales. Désormais, il faut y faire entrer le travail. Il en va de la santé des salariés et des entreprises mais aussi de la santé de la démocratie sociale.

(1) Lire l’interview de François Ruffin publiée dans Le Monde du 10 juillet

(2) Centre de recherches politiques de Sciences Po

(3) Article L.2281-1 du code du travail : “Les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail”

(4) Économiste, chercheur associé à l’Ires, l’institut de recherche syndical

► L’ouvrage de Bruno Palier “Que sait-on du travail

Marie-Aude Grimont

Rupture conventionnelle : conditions et effets de l’existence d’un vice du consentement de l’employeur

11/07/2024

Si le salarié, partie à une convention de rupture, dissimule intentionnellement une information dont il sait le caractère déterminant pour l’employeur dans son consentement à la rupture du contrat, cette rupture est nulle et produit les effets d’une démission.

Pour signer une rupture conventionnelle homologuée, les parties au contrat de travail doivent avoir la commune intention de rompre ce contrat. Toutefois, la jurisprudence admet que l’existence d’un litige au moment de la rupture n’affecte pas la validité de la convention. De même, le consentement de chacune des parties ne doit pas avoir été vicié, c’est-à-dire qu’il doit être exempt de notion de dol, violence ou erreur, sous peine de nullité de la rupture.

Selon l’article 1137 du code civil, constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. Aussi, une rupture conventionnelle peut-elle être annulée si les conditions requises par cet article sont réunies.

Dans une affaire jugée par la Cour de cassation le 19 juin 2024, un responsable commercial signe avec son employeur une rupture conventionnelle le 20 novembre 2018.

Le contrat est rompu le 31 décembre suivant.

L’employeur demande en justice la nullité de la convention de rupture pour dol.

Dissimuler volontairement des éléments déterminants pour l’employeur afin d’obtenir une rupture conventionnelle vicie le consentement de ce dernier…

La cour d’appel accède à sa demande. Elle juge que le salarié a bien vicié la rupture conventionnelle par des manœuvres dolosives, prononce la nullité de la rupture et le condamne au paiement de diverses sommes au titre de l’indemnité spécifique perçue à tort et de l’indemnité compensatrice de préavis. Plus concrètement, elle estime que le salarié a commis une réticence dolosive “du fait du défaut d’information volontaire (…) sur le projet d’entreprise initié dans le même secteur d’activité auquel [étaient] associés deux anciens salariés”, l’employeur ne s’étant déterminé qu’au regard “du seul souhait de reconversion professionnelle dans le management”.

Le salarié se pourvoit en cassation, considérant pour sa part :

  • qu’en l’absence de clause de non-concurrence, il n’était pas tenu de révéler spontanément à son employeur son projet de création d’activité concurrente et les actes préparatoires qu’il avait effectués, de sorte qu’aucune réticence dolosive ne pouvait lui être imputée ;
  • que la cour d’appel a porté une atteinte disproportionnée au principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle.

Mais la Cour de cassation, elle aussi, donne raison à l’employeur.

Elle rappelle que, selon l’article 1137 du code civil, constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.

Or, il est établi que l’employeur s’est déterminé au regard du seul souhait de reconversion professionnelle dans le management invoqué par le salarié et que le salarié avait volontairement dissimulé des éléments dont il connaissait le caractère déterminant pour l’employeur afin d’obtenir le consentement de ce dernier à la rupture conventionnelle. La cour d’appel a ainsi estimé, à raison, sans faire peser sur le salarié une obligation d’information contractuelle, ni porter atteinte à sa liberté d’entreprendre, que le consentement de l’employeur avait été vicié.

Les précédents ne sont pas légion. La cour d’appel de Metz a annulé une convention de rupture pour dol et erreur en raison de faits commis par le salarié qui auraient justifié son licenciement pour faute grave (en l’occurrence des vols de matériels) (cour d’appel de Metz, 6 mai 2013, n° 11/01105). En revanche, dans un arrêt du 11 mai 2022, la Cour de cassation a censuré une cour d’appel pour avoir annulé une rupture conventionnelle au motif que le salarié avait invoqué un projet fallacieux de reconversion professionnelle pour obtenir l’accord de l’employeur à la rupture, sans constater que ce projet avait déterminé le consentement de ce dernier (arrêt du 11 mai 2022). Les faits pouvaient paraître plus graves car le salarié ne s’était pas contenté de dissimuler des éléments, il avait menti à son employeur, mais il n’avait pas été établi, ici, par les juges du fond, que les manœuvres du salarié avaient été déterminantes. A l’inverse le contentieux du vice du consentement du salarié est plus nourri et l’arrêt du 19 juin 2024 peut être rapproché d’un arrêt récent dans lequel la Cour de cassation a annulé une rupture conventionnelle car l’employeur avait dissimulé au salarié qu’il préparait un plan de sauvegarde de l’emploi concernant son poste au moment où la rupture avait été signée, le privant ainsi du bénéfice du plan (arrêt du 6 janvier 2021).

… et entraîne la nullité de la convention de rupture, laquelle produit les effets d’une démission

Le salarié conteste également devant la Cour de cassation les conséquences déduites par la cour d’appel de l’existence d’un vice du consentement, à savoir la nullité de la convention produisant les effets d’une démission, toute démission devant “résulter d’une manifestation de volonté claire et non équivoque”.

Mais la Cour de cassation suit là encore la cour d’appel, jugeant que “lorsque le contrat de travail est rompu en exécution d’une convention de rupture ensuite annulée en raison d’un vice du consentement de l’employeur, la rupture produit les effets d’une démission”. En l’espèce, les juges du fond ayant retenu que la dissimulation intentionnelle du salarié caractérisait un dol et que la convention de rupture était nulle ont exactement décidé que la nullité produisait les effets d’une démission.

Le salarié est ainsi définitivement condamné à rembourser à son ex-employeur l’indemnité spécifique de rupture perçue au moment de la rupture de son contrat et à verser lui verser une somme au titre de l’indemnité compensatrice de préavis.

C’est la première fois que la Cour de cassation accède à la demande en nullité d’une rupture conventionnelle d’un employeur pour vice du consentement et qu’elle fait produire à cette nullité les effets d’une démission. Elle n’avait jusqu’ici été saisie qu’une seule fois d’une telle demande mais n’y avait pas accédé (voir notre remarque ci-avant sur l’arrêt du 11 mai 2022). Si cette solution est inédite, elle n’en est pas moins logique, puisque les Hauts magistrats jugent depuis longtemps que la nullité d’une rupture conventionnelle prononcée pour vice du consentement du salarié produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause et sérieuse.

Delphine de Saint Remy

[Veille JO] Les textes parus cette semaine : CSE, épargne retraite, fonction publique, formation, santé sécurité, protection sociale

12/07/2024

Voici un récapitulatif des textes parus au Journal officiel (JO) du vendredi 5 juillet au jeudi 11 juillet inclus, avec le cas échéant les liens vers les articles traitant ces nouveautés. Nous n’évoquons pas ici les très nombreux textes relatifs aux conventions collectives, que vous retrouvez dans notre baromètre des branches. 

CSE

  • Un décret du 5 juillet 2024 fixe les modalités d’application de la loi n° 2022-1449 du 22 novembre 2022 visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste

Épargne retraite

  • Un décret du 5 juillet 2024 vise à moderniser l’univers d’investissement pour les contrats d’assurance vie, de capitalisation et les plans d’épargne retraite
  • Un décret du 5 juillet 2024 vise à moderniser l’univers d’investissement pour les contrats d’assurance vie, de capitalisation et les plans d’épargne retraite
  • Un décret du 5 juillet 2024 précise la durée de versement de l’allocation journalière du proche aidant 
  • Un décret du 5 juillet 2024 porte transposition de diverses mesures prévues par l’accord national interprofessionnel du 10 février 2023 relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise 
  • Un décret du 4 juillet 2024 fixe les modalités de transfert de certains droits individuels en cours de constitution vers un plan d’épargne retraite en application de l’article L. 224-40 du code monétaire et financier

Fonction publique

  • Un décret du 8 juillet 2024 précise les retenues pour pension sur les émoluments des personnels enseignants et hospitaliers titulaires
  • Un arrêté du 9 juillet 2024 porte dérogation à l’utilisation du vote électronique en vue du renouvellement en cours de cycle électoral du comité social d’administration et de la commission consultative paritaire de la direction de l’information légale et administrative

Formation

Inspection du travail

  • Un arrêté du 2 juillet 2024 modifie l’arrêté du 10 novembre 2021 relatif aux modalités de formation des agents détachés dans le corps de l’inspection du travail en application de l’article 15 du décret n° 2003-770 du 20 août 2003 portant statut particulier du corps de l’inspection du travail

Nominations

  • Un arrêté du 5 juillet 2024 porte nomination à la Commission supérieure nationale du personnel des industries électriques et gazières (UNEmIG)
  • Un arrêté du 5 juillet 2024 porte nomination à la Commission supérieure nationale du personnel des industries électriques et gazières (UFE)
  • Un arrêté du 5 juillet 2024 porte nomination de la présidente suppléante de la Commission supérieure nationale du personnel des industries électriques et gazières (UNEmIG, UFE)

Représentativité dans les plateformes

  • Un arrêté du 3 juillet 2024 fixe la représentativité des organisations travailleurs pour les plateformes VTC 

Santé sécurité

  • Un décret du 8 juillet 2024 prévoit les modalités de la médecine du travail en détention
  • Un décret du 8 juillet 2024 modifie les durées d’exonération de la participation des assurés relevant d’une affection de longue durée
  • Un décret du 5 juillet 2024 précise le régime de la contre-visite mentionnée à l’article L. 1226-1 du code du travail 
  • Un décret du 5 juillet 2024 détermine l’imputation du coût des accidents du travail et des maladies professionnelles des salariés des entreprises de travail temporaire

Protection sociale

  • Un décret du 8 juillet 2024 porte diverses mesures d’application relatives au régime de retraite mahorais, à l’allocation pour adulte handicapé à Mayotte et aux rachats de trimestres de retraite de base
  • Un arrêté du 7 juillet 2024 fixe la liste des documents attestant les taux d’incapacité permanente de la pension d’orphelin prévue à l’article R. 358-3 du code de la sécurité sociale
  • Un arrêté du 7 juillet 2024 fixe les dates de début et de fin de l’expérimentation des déclarations préremplies de ressources pour l’attribution du revenu de solidarité active et de la prime d’activité
  • Un décret du 7 juillet 2024 porte diverses mesures d’application de la loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de de la sécurité sociale pour 2024 en matière de retraite
  • Un décret du 7 juillet 2024 précise l’expérimentation prévue à l’article 21 de la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie

Source : actuel CSE