Parité des listes : l’application stricte de la sanction est confirmée

15/10/2024

La sanction propre au non-respect des règles de représentation équilibrée des listes de candidats aux élections professionnelles s’applique strictement. Il n’y a pas de conséquences sur l’audience électorale pour l’acquisition de la qualité de syndicat représentatif, ni de possibilité d’annuler les élections en résultant. La Cour de cassation persiste et signe.

Les règles de représentation équilibrée des listes de candidats aux élections professionnelles (C. trav., art. L. 2314-30), autrement appelées règles de parité de listes, font l’objet d’une abondante jurisprudence. Mécanisme mis en place par la loi Rebsamen du 17 août 2015, son objectif est de favoriser une représentation hommes-femmes conforme à la composition des collèges électoraux dans le cadre des élections professionnelles.

Le dispositif prévoit une sanction ad hoc : l’annulation de l’élection du ou des candidats du sexe surreprésenté issus de listes ne respectant pas les règles (C. trav., art. L. 2314-32). A plusieurs reprises la Cour de cassation s’est prononcée sur ses modalités d’application, et sur la nature de cette sanction.

Le 10 octobre 2023, la chambre sociale a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) remettant en cause cette sanction : elle a considéré que le législateur a opéré une conciliation équilibrée entre les principes d’égalité et de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail (voir notre article). C’est la même affaire, qui donne lieu à l’arrêt du 9 octobre 2024, par lequel la Cour de cassation confirme le caractère strict de l’application de la sanction prévue à l’article L. 2314-32 du code du travail.

La sanction en cas de non-respect des règles de représentation équilibrée sur les listes syndicales de candidats…

Dans le cadre des élections du CSE, un syndicat présente une liste avec une candidature unique pour un collège dans lequel 3 sièges sont à pourvoir. L’employeur conteste la conformité de cette liste et demande à l’organisation syndicale de la modifier ou la retirer. Le syndicat maintient sa liste. 

► Remarque : à noter que l’employeur conteste aussi cette liste avant les élections devant le tribunal judiciaire, lequel constate son irrégularité au titre des règles de parité, mais la décision étant rendue après les élections, la demande d’annulation est jugée sans objet (v. Cass. soc., 10 oct. 2023, n° 23- 17.506). En effet, si le contentieux de la parité des listes de candidats est post-électoral, la jurisprudence a autorisé la contestation dans le cadre du contentieux préélectoral (Cass. soc., 11 déc. 2019, n° 18-26.568). Mais dans ce cas, le juge ne peut pas annuler une liste après les élections (Cass. soc., 27 mai 2020, n° 19-14.225). 

Le quorum n’ayant pas été atteint au premier tour, un second tour est organisé. La candidate, seule à se présenter, est finalement élue comme candidate libre. A la suite de ce second tour, l’employeur saisi le tribunal judiciaire d’une demande tendant à l’annulation des élections dans leur ensemble, et à ce que le syndicat soit jugé non représentatif en raison du non-respect des règles de parité au premier tour. Le tribunal le déboute de l’ensemble de ses demandes. 

► Remarque : en effet, seuls les syndicats doivent respecter les règles de parité de listes de candidats (notamment, Cass. soc., 25 nov. 2020, n° 19-60.222), et ne peuvent présenter une liste avec un seul candidat quand plusieurs mandats sont à pourvoir dans un collège (Cass. soc. QPC, 9 mai 2018, n° 17-14.088), sauf l’exception du sexe ultra-minoritaire (notamment, Cass. soc., 11 déc. 2019, n° 18- 26.568). Mais la représentativité reste acquise au syndicat s’il a obtenu 10 % des suffrages au premier tour des élections, et ce même s’il n’a pas respecté les règles de parité des listes (notamment, Cass. soc., 1 er juill. 2020, n° 19-14.222), et/ou que le quorum n’est pas atteint. C’est pourquoi dans cette affaire, le syndicat est bien représentatif alors même qu’il n’a pas d’élu, et que l’élection de la candidate n’a pu être annulée car elle s’est présentée en candidat libre lors du second tour. 

…s’applique strictement, et ne remet pas en cause la validité des élections ou la représentativité du syndicat

Dans ce pourvoi, l’employeur avance que l’irrégularité de la liste de candidats du syndicat est déterminante de la qualité représentative de ce dernier, puisque si celui-ci avait respecté les règles de parité, il n’aurait pas présenté de liste, et n’aurait donc pas pu recueillir au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections. L’employeur en déduit qu’il s’agit d’une cause d’annulation du premier tour des élections. 

► Remarque : l’employeur fait référence ici à la jurisprudence de la Cour de cassation ayant précisé que les élections professionnelles devaient être annulées lorsque les irrégularités commises dans l’organisation et le déroulement du scrutin ont été déterminantes de la qualité représentative des organisations syndicales dans l’entreprise, ou du droit pour un candidat d’être désigné délégué syndical (Cass. soc., 13 janv. 2010, n° 09-60.203). 

Mais la Cour de cassation n’est pas d’accord.

Elle rappelle les termes de l’article L. 2122-1 exigeant le recueil d’au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections par un syndicat pour être reconnu comme représentatif. Puis la chambre sociale se réfère à l’article L. 2314-32 relatif à la sanction spécifique en cas de non-respect des règles de représentation équilibrée sur les listes syndicales de candidats. Elle réitère ensuite sa jurisprudence en la matière : il s’agit de la sanction applicable dans ce cadre, et, cette annulation de l’élection d’un candidat au titre du non-respect par la liste de candidats des règles de parité “est sans effet sur la condition d’audience électorale requise par l’article L. 2122-1 du même code pour l’acquisition de la qualité de syndicat représentatif”.

En conséquence, conclut la Cour de cassation, c’est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de l’employeur d’annulation du premier tour des élections et consécutivement du score électoral du syndicat, ainsi que la demande d’annulation des élections. Il n’a pas, à cet égard, à procéder à une quelconque recherche “quant aux comportements hypothétiques du syndicat et d’éventuelles autres organisations syndicales et peu important qu’un second tour ait été organisé compte tenu du nombre de votants au premier tour”.

En d’autres termes, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence, et met un point final au débat : la sanction est celle prévue à l’article L. 2314-32, et ne remet en cause ni l’élection, ni la qualité représentative du syndicat ayant présenté la liste irrégulière. 

Séverine Baudouin

Élections TPE : le tribunal autorise la candidature des Gilets jaunes dans un jugement à la motivation déroutante

18/10/2024

Le Tribunal judiciaire de Paris a rendu son jugement dans l’affaire opposant les cinq confédérations représentatives et l’Unsa à l’Union des syndicats Gilets jaunes. Les juges autorisent cette dernière à se porter candidate aux élections TPE. Les motivations de ce jugement sont cependant troublantes, le Tribunal exigeant des confédérations de rapporter la preuve d’un fait négatif. Explications.

La série judiciaire Gilets jaunes contre syndicats entre dans une nouvelle saison inédite. Après un premier jugement du Tribunal judiciaire de Paris rendu le 24 mai 2024 puis un arrêt de cassation du 12 juillet renvoyant au même Tribunal autrement composé, ce dernier a rendu son jugement le 14 octobre. Conformément à ce qu’avait requis la Cour de cassation, il y approfondit ses vérifications afin de déterminer si l’Union des syndicats Gilets jaunes (USGJ) peut prétendre à la qualification d’union syndicale. Il rejette les demandes des confédérations CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC et de l’Unsa, reconnaît la qualité syndicale à l’USGJ ainsi que le droit de se porter candidate aux élections TPE. Les motivations des juges apparaissent cependant déroutantes à plusieurs égards. Ils demandent notamment aux parties requérantes de rapporter la preuve du caractère fictif des syndicats affiliés à l’USGJ. Or, une telle preuve est impossible…

Seul un fait positif peut être prouvé

L’un des points clés de ce dossier à tiroirs consiste à déterminer si l’USGJ peut juridiquement prétendre à la qualification d’union syndicale. A l’appui de leurs demandes, les confédérations et l’Unsa font valoir entre autres qu’aucun syndicat primaire ne préexistait avant la création de l’Union, les statuts de ces syndicats versés aux débats lui étant tous postérieurs. Ils arguent également d’un défaut de comptabilité annuelle régulièrement publiée, de l’absence d’adhérents et de paiement de cotisations.

Si le juge du tribunal judiciaire reconnaît qu’en effet “les unions de syndicats sont composées d’au moins deux syndicats”, il admet également, arrêts de cassation à l’appui, que “le dépôt de la liste du nom et du siège des syndicats qui composent une union ne constitue pas une formalité dont l’absence prive à elle seule l’union de l’une de ses conditions d’existence”. Le juge prend également acte de lettres déposées par l’USGJ en mairie de Toulouse et de Paris et contenant des statuts. 

En revanche, sur l’argument des confédérations tiré d’une fictivité des syndicats Gilets jaunes en raison de leur absence d’activité, de comptes annuels et de cotisations, la réponse du Tribunal semble plus hasardeuse : “C’est à celui qui se prévaut du caractère fictif des syndicats affiliés aux débats d’en rapporter la preuve. Or, il n’est verse aucune pièce a l’appui de ces affirmations et il n’appartient pas à la juridiction de combler une carence de preuve en ordonnant une mesure d’instruction tendant à déterminer le montant des cotisations versées par les syndicats affilies a l’USGJ”.

En droit, un principe immuable veut que “celui qui réclame l’allégation d’un fait doit la prouver”. L’exigence d’une telle preuve ne peut cependant reposer que sur des faits qui se sont concrètement produits et ont ainsi laissé une trace de leur matérialité. L’absence d’un fait ne peut donc pas être prouvée et c’est pourtant bien ce que le Tribunal judiciaire exige ici des confédérations.

Sur ce point de droit, l’avocat des confédérations dans ce dossier, Zoran Ilic, nous a confié sa perplexité : “On ne peut reprocher à une partie de démontrer l’existence de ce qui n’existe pas”. Il ajoute que la CFDT a produit une sommation de communiquer sur l’absence de cotisations et de comptes annuels. Acte de procédure, la sommation de communiquer relève de l’article 11 du code de procédure civile : “Les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus. Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime”.

Zoran Ilic relève que l’USGJ n’a pas répondu à cette sommation, ce qui constitue selon lui un début de preuve mais par définition, l’avocat et les confédérations ne peuvent obtenir davantage.

“Le tribunal ne tire pas les conséquences de ses propres constatations”

Les confédérations et l’Unsa soutiennent à l’appui de leur demande que l’USGJ poursuit une activité politique et n’exerce que très peu d’activité syndicale. Selon l’article L.2131-1 du code du travail, “les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des personnes mentionnées dans leurs statuts”.

Les requérantes pointent par exemple que l’USGJ s’inscrit dans la continuité du mouvement politique des Gilets jaunes, que sa participation aux élections professionnelles concerne seulement onze entreprises, que ses sections syndicales sont en nombre insignifiant, qu’elle ne dispose que de quatorze sièges d’élus dans cinq CSE, que ses négociations d’accords préélectoraux et ses désignations de représentants de sections syndicales sont “particulièrement rares”, qu’elle ne justifie pas de négocier des accords collectifs de travail.

De plus, selon les confédérations et l’Unsa, “l’activité de l’USGJ porte quasi exclusivement sur des sujets politiques sans porter de revendications professionnelles” et fournit l’exemple à ce titre de sa volonté de porter la réintégration du personnel soignant et de pompiers ayant refusé de se faire vacciner contre le Covid-19.

La Cour de cassation a indiqué dans son arrêt du 12 juillet 2024 qu’en cas de contestation de la licéité de l’objet d’un syndicat, il appartient au juge de rechercher s’il poursuit dans son action un objectif illicite. Et le Tribunal judiciaire s’y emploie : il constate l’existence de pages Facebook et Internet consacrées aux “orientations de l’Organisation Mondiale de la Santé contraires à l’autodétermination des peuples”, à des “conseils à suivre pour fermer son espace de santé sur le site de la Caisse primaire d’assurance maladie”, au “procès en diffamation intenté par l’épouse du Président de la République”, ou encore aux effets secondaires de la vaccination.

Pourtant, le juge n’en déduit pas que l’USGJ poursuit des motivations politiques. Il indique : “Sur 480 revendications, seulement 28 d’entre elles étaient de nature professionnelle, soit 6 %” et reconnaît que “la dimension politique supplante nettement l’aspect syndical”. Pour autant, “cette déclaration de manifestations intervenue à une seule reprise ne peut démontrer que la plateforme revendicative habituelle de l’USGJ aurait une dimension politique”. De même, le juge reconnaît la faible implantation de l’USGJ dans les entreprises au niveau national, sa candidature aux élections professionnelles dans seulement “une dizaine d’entreprises”.

Il tranche pourtant dans un tout autre sens : “Il doit être retenu que l’USGJ communique de manière privilégiée sur des sujets de nature sanitaire dont les implications sociales dépassent largement la sphère professionnelle, en prenant fermement position contre la politique gouvernementale instaurant des contraintes personnelles et en recommandant au public ainsi qu’aux journalistes des conduites spécifiques. Cette communication, qui s’inscrit plus généralement dans un courant d’idée exprimant une forte préoccupation sur l’existence d’un contrôle de l’information et des consciences, n’est toutefois pas exclusive de sujets touchant à la sphère professionnelle (…) L’activité de l’USGJ est donc conforme à l’objet prévu à l’article L.2131-1 du code du travail”.

Pour Zoran Ilic, “le tribunal a une manière d’éluder et de refuser de tirer les conséquences de ses propres constatations. La procédure a été l’occasion d’illustrer le caractère anecdotique des activités syndicales de l’USGJ. Pourtant, rien n’en est déduit”.

Un jugement contraire aux positions de la Cour de cassation sur les valeurs républicaines ?

Les confédérations et l’Unsa reprochent également à l’USGJ des positionnements contraires aux valeurs républicaines notamment par “la violence de ses propos et le caractère illicite de ses voies d’action ainsi que son intolérance face aux exigences d’un débat démocratique”. L’article L.2122-10-6 du code du travail prévoit en effet que seules peuvent se déclarer candidates aux élections professionnelles les organisations syndicales de salariés “qui satisfont aux critères de respect des valeurs républicaines”.

Les parties s’appuient notamment sur une interpellation de députés nommément désignés comme ayant voté la loi sur la gestion de la crise sanitaire. Le Tribunal reconnaît l’existence d’une “lettre ouverte aux députés ayant voté la loi sur la gestion de la crise sanitaire en indiquant ” nous n’oublierons pas vos noms “. La référence dans la propagande diffusée à l’occasion de la campagne sur la mesure d’audience a intervenir est également critiquée en ce que l’USGJ annonce qu’à défaut d’aboutissement de la négociation, elle passerait ‘en mode gilet jaune avec des actions coups de poing’ “.

Si les juges admettent que ces écrits “contiennent une ambiguïté déplaisante sur les intentions de leur auteur, il ne peut être présumé que ce dernier entendait recourir à l’action violente”. Une prise de position étonnante car si l’on adopte un raisonnement traditionnel “a contrario”, le recours à la violence ne pouvait non plus être exclu. Mais pour les juges, “le grief de complotisme est trop général et diffus pour qu’il puisse caractériser une atteinte aux valeurs républicaines”.

Zoran Ilic s’agace encore une fois des motivations du jugement : “L’audience a fait remonter un courrier de l’USGJ dans lequel il menace par écrit d’une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux, ce qui est constitutif d’une infraction pénale. Ce ne sont pas que des paroles, elles vont au-delà de l’insinuation. D’ailleurs les juges ne contestent pas que les propos sont contraires aux valeurs républicaines mais il les relativise et ils ne sont pas là pour ça”. L’avocat ajoute que la Cour de cassation retient que les opinions minoritaires ou non conformistes ne sont pas contraires aux valeurs républicaines : “Encore une fois, comme quand les Gilets jaunes se plaignent d’une institution judiciaire corrompue, on est au-delà d’une opinion minoritaire ou non conformiste. Si ces propos ne sont pas sanctionnés, les Gilets jaunes vont pouvoir considérer que les juges sont corrompus à chaque fois qu’ils rendront une décision défavorable à leur égard”.

Sur son site internet, l’USGJ se garde cependant de tout triomphalisme et annonce sobrement “Le tribunal judiciaire de Paris a tranché : le Syndicat des Gilets jaunes pourra participer aux élections TPE”. Rien n’est fait pourtant : plusieurs confédérations pourraient se pourvoir en cassation. Force Ouvrière nous a confirmé son pourvoi. La CFTC a indiqué que le sujet est encore en discussion en intersyndicale. Selon Zoran Ilic, le délai dans lequel la Cour serait amenée à se prononcer serait alors très court, de moins d’un mois. Ainsi, il est encore possible que les dates du scrutin TPE soient maintenues par la Direction générale du travail du 19 novembre au 25 décembre.

Marie-Aude Grimont