Élections législatives : quand la politique s’invite dans l’entreprise

17/06/2024

À l’approche des élections législatives, nous vous proposons un rappel des règles applicables aux salariés qui expriment leurs opinions politiques au travail, participent à la campagne des élections législatives ou perdent leur mandat de député.

Les élections législatives se dérouleront les 30 juin et 7 juillet 2024. La campagne officielle débute le 17 juin et pourrait faire intervenir des candidats issus de la société civile. L’employeur peut-il limiter l’expression des opinions politiques sur le lieu de travail ? De quels droits bénéficie le salarié candidat aux élections ou élu ? Comment réintégrer un salarié élu ayant perdu son mandat avec la dissolution de l’Assemblée nationale ?

Peut-on parler de politique pendant le travail?

Les salariés sont libres de leurs opinions et peuvent les exprimer dans l’entreprise au temps et au lieu du travail. On ne peut y apporter de restrictions que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, et sont proportionnées au but recherché (article L.1121-1 du code du travail).

Ainsi, l’employeur ne peut pas interdire les discussions politiques entre collègues. Il a d’ailleurs été jugé que la clause du règlement intérieur de l’entreprise qui prohibe ce sujet de conversation entre salariés est illicite (décision du Conseil d’Etat du 25 janvier 1989).

Le règlement intérieur peut toutefois contenir une clause dite “de neutralité”, dès lors que les restrictions qu’elle prévoit sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise, et qu’elles sont proportionnées au but recherché (article L.1321-2-1 du code du travail). En pratique, cette clause n’est le plus souvent admise que pour les salariés en contact avec la clientèle.

Si le salarié est libre d’exprimer des opinions politiques sur le lieu de travail, il est également en droit de taire ses convictions. De manière générale, l’employeur ne peut pas exiger d’un salarié qu’il émette une opinion ou qu’il prenne publiquement une position (arrêt du 26 octobre 2005).

Toute sanction ou tout licenciement décidé en raison des opinions politiques du salarié est abusif. Ainsi jugé à propos de la rupture de la période d’essai d’un salarié motivée, non par un manquement à ses obligations professionnelles, mais par l’expression de ses opinions politiques au cours d’un repas à la suite d’une provocation intentionnelle de l’employeur (arrêt du 27 juin 1990). Une telle mesure peut constituer une discrimination (article L.1132-1 du code du travail), l’employeur étant passible de sanctions pénales (article 225-1 à 225-4 du code pénal).

Le salarié doit-il nécessairement être solidaire des engagements politiques de son employeur? Non ! Il a par exemple été jugé que, si un secrétaire parlementaire peut être tenu de sabstenir de toute position personnelle pouvant gêner lengagement politique de son employeur, on ne peut pas lui reprocher de se retirer de la liste électorale préparée par ce dernier en vue des élections (arrêt du 28 avril 2006). De même, le salarié d’une association intercommunale est en droit d’apporter son soutien au candidat opposé au maire sortant d’une des communes membres de cette association (cour d’appel de Grenoble, 22 juin 1992, n° 91-883).

Militant, gare à l’excès de zèle 

L’engagement politique d’un salarié ne doit pas causer de troubles dans l’entreprise ni le conduire à commettre des fautes professionnelles. Tel est le cas, par exemple, lorsque le salarié s’absente de son poste pour distribuer des tracts électoraux (cour d’appel de Paris, 5 décembre 2013, n° 12-00973).

Par ailleurs, commet une faute grave le salarié d’un établissement pour personnes âgées qui, pendant ses heures de travail, exerce un militantisme politique actif en direction des personnes, psychologiquement fragiles, accueillies dans l’établissement et se fait remettre par l’un d’eux un chèque au profit d’une association collectant des fonds pour financer la campagne électorale d’un homme politique (cour d’appel de Toulouse, 4 mars 2011, n° 09-6144).

De même est justifié par une faute grave le licenciement du salarié qui affranchit aux frais de l’employeur, à des fins personnelles et sans autorisation, des invitations dans le cadre d’une campagne municipale, créant pour l’entreprise un risque sérieux de poursuites pénales en matière de financement illégal d’une campagne électorale (cour d’appel de Versailles, 14 mars 2012 n° 10-05816).

Si les faits se déroulent en dehors du temps et du lieu du travail, dans le cadre de la vie privée du salarié, lemployeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. Par exemple, un salarié ne commet pas de faute en remettant à un collègue le programme du parti politique auquel il appartient, à lissue dun salon professionnel auquel ils participent (arrêt du 29 juin 2024). En effet, le salarié n’a pas commis un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail, les faits relevant de sa vie privée. En revanche, l’employeur pourrait envisager un licenciement motivé par le trouble au bon fonctionnement de l’entreprise si, du fait de la remise de ce tract, des dissensions naissaient entre le salarié et ses collègues, les empêchant de travailler ensemble.

Candidat, le salarié peut s’absenter pour faire campagne

Le salarié candidat aux élections législatives a droit, quelle que soit son ancienneté, à un congé d’une durée maximale de 20 jours ouvrables pour participer à la campagne électorale. Pour en bénéficier, il doit avertir son employeur au moins 24 heures avant le début de chaque absence, ce congé pouvant être fractionné en demi-journées. L’employeur ne peut pas s’y opposer.

Ces absences sont assimilées à une période de travail effectif pour la détermination des droits à congés payés ainsi que des droits liés à l’ancienneté (articles L.3142-79 à L.3142-82 du code du travail). Sur demande du salarié, ses absences peuvent être imputées sur les droits à congés payés qu’il a acquis à la date du premier tour de scrutin – cette année, le 30 juin 2024. À défaut, elles ne sont pas rémunérées mais donnent lieu à récupération, en accord avec l’employeur (article L.3142-81 du code du travail).

Élu, le salarié peut suspendre son contrat

Une fois élu, le salarié titulaire d’un mandat parlementaire bénéficie de droits à congés destinés à lui permettre d’exercer ses fonctions. Le salarié élu à l’Assemblée nationale peut suspendre son contrat de travail pendant la durée de son mandat s’il justifie d’une ancienneté chez son employeur d’au moins un an à la date de son entrée en fonction (article L.3142-83 du code du travail).

Si lancienneté du salarié est inférieure à un an, il ne peut pas prétendre à la suspension de son contrat de travail. Or lexercice dun mandat parlementaire paraît difficilement conciliable avec lexécution dun contrat de travail. En outre, le code électoral prohibe lexercice de certaines activités pour limiter les conflits dintérêts. Si le salarié élu ne prend pas linitiative de rompre le contrat de travail et, accaparé par son mandat, ne vient plus travailler, lemployeur peut lui reprocher un abandon de poste. Dans ce cas, il peut prononcer un licenciement disciplinaire pour ce motif. Il peut également appliquer la procédure de présomption de démission prévue par l’article L.1237-1-1 du code du travail, et mettre en demeure le salarié de justifier de son absence ou de reprendre le travail dans le délai qu’il lui impartit. Si le salarié ne répond pas, il est présumé démissionnaire. Si le salarié répond et justifie son absence par l’exercice de son mandat parlementaire, la question se pose de savoir si ce motif peut être considéré comme légitime et de nature à faire obstacle à la présomption de démission. Ce n’est probablement pas le cas, mais ni l’administration ni la jurisprudence ne se sont prononcées sur cette question. Un décret aurait dû préciser les conditions dans lesquelles les droits des salariés, notamment en matière de prévoyance et de retraite, sont conservés pendant la durée du mandat (article L.3142-86 du code du travail). Toutefois, ce texte n’est pas encore intervenu à ce jour.

La suspension du contrat de travail prend effet 15 jours après que le salarié a notifié sa décision à l’employeur, par lettre recommandée avec avis de réception (article D.3142-59 du code du travail). Le salarié n’est pas rémunéré par l’employeur pendant cette période.

 A notre avis, l’employeur ne peut pas s’opposer à la décision du salarié de suspendre son contrat de travail, même si l’intéressé ne lui a pas notifié sa décision par lettre recommandée. Les juges considèrent généralement que les règles de forme prévues par le code du travail ne conditionnent pas le droit du salarié à congé et ne constituent qu’un élément de preuve en cas de litige avec l’employeur. Les nombreuses décisions en ce sens ont été rendues à propos d’autres congés, mais sont selon nous transposables au congé pour exercice d’un mandat parlementaire.

Une obligation de réintégration du salarié à l’issue de son premier mandat

À l’expiration de son premier mandat, le salarié qui le souhaite peut être réintégré dans l’entreprise. Pour cela, il doit informer l’employeur, dans les deux mois qui suivent l’expiration de son mandat et par lettre recommandée avec avis de réception, de son intention de reprendre son poste. L’employeur dispose d’un délai de deux mois à compter de la réception de ce courrier pour réintégrer le salarié (articles L 3142-84 et D.3142-60 du code du travail).

Attention : l’employeur doit veiller à respecter ce délai de deux mois. À défaut, il peut être condamné à verser au salarié des dommages-intérêts en réparation de son préjudice : ainsi jugé à propos d’un employeur qui a volontairement fait traîner la procédure de réintégration, tentant ainsi de décourager le salarié de reprendre son poste (cour d’appel de Paris, 23 mars 2017, n° 15/10429).

En dautres termes, lobligation de lemployeur de réintégrer le salarié ne court qu’à partir du moment où ce dernier se manifeste. Sans nouvelles, lemployeur peut considérer que le contrat de travail reste suspendu. Si toutefois le salarié tarde trop à se manifester, lemployeur peut avoir intérêt à lui adresser un courrier, en recommandé avec avis de réception, lui enjoignant de justifier des raisons de son absence ou de reprendre le travail.

Le salarié retrouve son précédent emploi ou, si celui-ci n’existe plus ou n’est plus vacant, un emploi analogue assorti d’une rémunération équivalente. Une fois réintégré, le salarié bénéficie de tous les avantages acquis par les salariés de sa catégorie durant l’exercice de son mandat. Il bénéficie, si nécessaire, d’une réadaptation professionnelle en cas de changement de techniques ou de méthodes de travail (article L.3142-84 du code du travail).

Une priorité de réembauche si le salarié a exercé plusieurs mandats

Le salarié ne bénéficie pas d’un droit à réintégration dans les cas suivants (article L.3142-85 du code du travail) :

  • le mandat a été renouvelé, à moins que la durée de la suspension correspondant au premier mandat n’ait été, pour quelque cause que ce soit, inférieure à cinq ans ;
  • l’intéressé, titulaire d’un mandat de député, est élu au Sénat (ou inversement).

Bien que larticle L.3142-85 du code du travail ne le prévoie pas expressément, il s’en déduit que le contrat de travail du salarié dont le mandat est renouvelé peut être rompu. Si le salarié ne prend pas l’initiative de démissionner, que peut faire l’employeur? Selon nous, il ne doit pas considérer que le contrat de travail est rompu de plein droit en cas de renouvellement du mandat. Sauf accord avec le salarié, il peut engager une procédure de licenciement – non disciplinaire – en motivant la rupture par limpossibilité de maintenir le contrat de travail en application de l’article L.3142-85 du code du travail. À notre connaissance, la jurisprudence ne s’est jamais prononcée sur cette question.

À l’expiration du ou des mandats renouvelés, le salarié bénéficie pendant un an d’une priorité de réembauche dans les emplois auxquels sa qualification lui permet de prétendre (article L.3142-85 du code du travail). Il peut solliciter sa réembauche auprès de l’employeur par lettre recommandée avec avis de réception au plus tard dans les deux mois qui suivent l’expiration de son mandat (article D.3142-61 du code du travail). En cas de réemploi, l’employeur lui accorde le bénéfice de tous les avantages qu’il avait acquis au moment de son départ (article L.3142-85 du code du travail).

La rédaction sociale

Retour du CHSCT, Smic à 1 600€ : à gauche, le Front populaire esquisse son programme

17/06/2024

Abrogation des décrets de la loi retraite repoussant l’âge de départ à 64 ans, suppression du décret de l’assurance chômage annoncé par le gouvernement, rétablissement du CHSCT, indexation des salaires sur l’inflation, obligation d’un tiers de salariés dans les conseils d’administration, etc. : les partis de gauche réunis dans le Front populaire ont présenté le vendredi 14 juin une esquisse de leur programme.

En fin de semaine dernière, les partis de gauche (LFI, PS-Place publique, PCF, Ecologistes) ont trouvé un accord pour présenter des candidats communs dans toutes les circonscriptions pour les législatives du 30 juin et 7 juillet sous la bannière du “Front populaire”, qui reprend les termes de l’union des gauches de 1936 à l’origine des premiers congés payés et de la semaine de 40 heures (*).

Un programme assez schématique – les candidatures devaient être déposées avant dimanche soir – a été présenté vendredi 14 juin lors d’une conférence de presse à Paris. Il consiste en un “contrat de législature” de 24 pages (lire notre pièce jointe). Il comprend des mesures d’urgence (censées être prises dans les 15 jours suivant l’élection), des mesures pour les 100 premiers jours, puis d’autres prévues durant le reste du mandat.  

Les mesures “urgentes”

Sur les sujets sociaux, le Front populaire entend abroger “immédiatement” les décrets de la loi réformant sur les retraites prévoyant le relèvement à 64 ans de l’âge de départ ainsi que le décret sur l’assurance chômage, le retour de la retraite à 60 ans n’étant examiné que dans un second temps. Rappelons que Gabriel Attal a annoncé son intention de publier comme prévu avant le 30 juin le décret instaurant un nouveau durcissement des règles d’indemnisation chômage au 1er décembre 2024.

Par ailleurs, compte-tenu de ce qu’ils appellent “l’urgence sociale”, les partis de gauche promettent plusieurs mesures rapides pour la pouvoir d’achat, “en rupture totale avec la politique d’Emmanuel Macron” selon les mots de Manuel Bompard (LFI) :

  • revalorisation des minima sociaux et du minimum contributif retraite ;
  • augmentation du Smic à 1 600€ nets (il est aujourd’hui de 1 398,69€) et hausse de 10% du point d’indice des fonctionnaires ;
  • relèvement de 10% des APL (aides personnalités au logement) ;
  • blocage des prix des biens de première nécessité dans l’alimentation, l’énergie et les carburants ;
  • allocation d’autonomie pour les jeunes.

Une indexation des salaires sur l’inflation

Le Front populaire entend ensuite organiser une “grande conférence sociale sur les salaires, l’emploi et la qualification”, mais il annonce d’ores et déjà vouloir indexer les salaires sur l’inflation et amener l’allocation aux adultes handicapées au niveau du Smic.

Un projet de loi de finances rectificative, qui serait adopté début août lors d’une session extraordinaire, retoucherait la fiscalité : rétablissement de 14 tranches d’impôt sur le revenu, rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF), progressivité de la Contribution sociale généralisée (CSG),  etc.

Retour du CHSCT et recrutements d’inspecteurs du travail

Les mois suivants, les partis de gauche envisagent de “rétablir les facteurs de pénibilité” supprimés par Emmanuel Macron et de travailler au rétablissement de la retraite à 60 ans, “d’augmenter de 0,25 point par an pendant 5 ans les cotisations vieillesse”, mais aussi de moduler les cotisations sociales patronales, sans oublier une surcotisation sur les hauts salaires.

Concernant les instances représentatives du personnel, comme en 2022 dans le programme de la Nupes, la gauche souhaite rétablir les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) fusionnés depuis les ordonnances de 2017 dans l’instance unique qu’est le comité social et économique, le CSE.

Ce retour s’accompagnerait d’un plan “zéro mort au travail” comprenant des recrutements d’inspecteurs et de médecins du travail. Le Front populaire envisage également une conférence nationale sur le travail et la pénibilité, conférence ayant aussi pour objectif de viser le “rétablissement de la durée effective hebdomadaire de travail à 35 heures” avec “passage aux 32 heures dans les métiers pénibles”.

“Ne plus mépriser le dialogue social”

Au sujet du dialogue social, Olivier Faure (PS) a promis au nom du Front populaire de “ne plus mépriser le dialogue social et les corps intermédiaires” et de “faire en sorte que la société civile organisée puisse faire son entrée au gouvernement”.

Le programme évoque d’autre part la conditionnalité des aides aux entreprises “au respect de critères environnementaux, sociaux et de lutte contre les discriminations au sein de l’entreprise”. Un tiers des sièges dans les conseils d’administration seraient réservés aux salariés, soit une hausse sensible par rapport aux obligations actuelles (**).

Par ailleurs, la gauche semble se référer aux droits des CSE en soulignant sa volonté “d’élargir le droit d’intervention des salariés dans l’entreprise”, ce qui peut constituer une allusion aux droits d’expertise voire de veto.

L’égalité salariale

Enfin, outre l’abrogation de la loi immigration, la gauche unie promet une loi contre les violences sexuelles et sexistes avec une dotation budgétaire de 2,6 milliards d’euros pour ces politiques, un congé menstruel dans les entreprises, mais aussi l’instauration de l’égalité salariale entre les sexes.

Aucune précision n’est donnée sur ce sujet mais on peut penser à une révision de l’index entre femmes et hommes voire un renforcement des sanctions en cas d’inégalités.

A plus long terme, la coalition vise la création d’une VIe République comprenant…l’abrogation de la possibilité de légiférer par ordonnance (49.3), une facilitation pour l’organisation d’un référendum d’initiative partagée (qui doit aujourd’hui rassembler 4,8 millions de signature) et la création d’un nouveau référendum d’initiative citoyenne (RIC)

(*)Sur les 577 circonscriptions, le Front populaire investit 229 candidatures LFI (la France insoumise), 175 socialistes (PS et Place publique), 92 écologistes et 50 communistes.

(**) Depuis 2019 et l’application de la loi Pacte, toutes les sociétés, mutuelles, unions et fédérations de plus de 1 000 salariés doivent intégrer au moins deux administrateurs salariés au sein du conseil d’administration (ou de surveillance) dès lors que ce conseil comporte plus de huit administrateurs non salariés (contre douze auparavant).

Bernard Domergue

Élections TPE : six syndicats se pourvoient en cassation

17/06/2024

Le 29 mai dernier, le Tribunal judiciaire de Paris avait invalidé les candidatures de neuf organisations syndicales aux élections TPE, au motif qu’elles ne pouvaient être qualifiées de syndicats ou n’en respectaient pas les critères.

Six de ces organisations ont formé un pourvoi en cassation (les procédures judiciaires en matières d’élections professionnelles ne prévoient pas d’appel, la Cour de cassation est directement compétente) :

  • Le Syndicat des Travailleurs Corses ;
  • Le SLB (Sindikad Labourerien Breizh, breton) ;
  • L’Union Syndicale des Gilets Jaunes ;
  • Le syndicat des employés du commerce et des interprofessionnels (SECI) ;
  • Le syndicat Commerce et Services Indépendant Démocratique (SCID) ;
  • Le syndicat Guilde des Auteurs réalisateurs de reportages et de documentaires (GARRD).

La Cour de cassation a rendu des ordonnances réduisant les délais d’instruction : les demandeurs aux pourvois (les six syndicats ci-dessus) auront 15 jours (au lieu d’un mois) pour remettre leur mémoire et les défendeurs au pourvoi (les confédérations) n’auront que 7 jours (au lieu de 15) pour y répondre. Les arrêts de la Cour de cassation pourraient donc être rendus d’ici fin juillet. Le but est de rendre ces arrêts avant le début des élections TPE, d’autant que la procédure permet en théorie aux parties de déposer plusieurs mémoires. Le scrutin doit commencer le 25 novembre 2024.

Source : actuel CSE

Retraites, pouvoir d’achat : à l’extrême droite, le RN tente d’ajuster son programme

20/06/2024

Pour les législatives, le Rassemblement national, qui fait alliance avec certains députés Les Républicains, a retouché son programme, tout en laissant des zones dans l’ombre. Voici quelques mesures prévues sur le plan social.

Difficile d’y voir toujours clair dans les projets du parti d’extrême droite pour ces législatives. Certes, la priorité donnée à la sécurité, au maintien de l’ordre et à la lutte contre l’immigration, via la préférence nationale, est réaffirmée par celui qui pourrait être Premier ministre en cas de victoire du RN, Jordan Bardella, ce dernier réclamant des électeurs une majorité absolue pour pouvoir gouverner.

Mais le volet “social” subit, lui, des ajustements. Le RN explique qu’il entend d’abord demander un audit sur la situation des finances publiques avant d’engager certains choix politiques. 

Retraites : l’accent mis sur les carrières longues

Ainsi, après avoir promis d’abroger la réforme des retraites, le candidat a nuancé cette promesse. Il a d’abord expliqué que la priorité irait, cet été, à la baisse des prix de l’énergie pour maintenir le pouvoir d’achat des Français (une baisse du taux de TVA de 20% à 5,5% pour l’énergie et le carburant serait votée dans un projet de loi de finances rectificatif lors d’une session parlementaire extraordinaire cet été), la question des retraites ne devant être examinée que dans un second temps.

Deux jours plus tard, lors d’une interview au journal Le Parisien et sur France 2, Jordan Bardella a réaffirmé sa volonté d’abroger la réforme des retraites : ce serait fait à l’automne 2024, le RN souhaitant renforcer le dispositif de départ anticipé en cas de carrières longues (“Nous permettrons aux carrières longues, ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans, de partir à la retraite avec 40 annuités à un âge légal de départ de 60 ans”).

On ignore précisément les conséquences qui résulteraient de ces changements pour tous les autres salariés : rétablissement d’un départ à 62 ans ? Le candidat a évoqué sans plus de précisions “une progressivité à mettre en place”. Reste à savoir quelle sera la durée de cotisation nécessaire pour partir avec une pension à taux plein, le détricotage de la réforme et de tous ses décrets d’application n’étant pas simple, et cela vaut d’ailleurs aussi pour le Nouveau Front populaire. 

Pouvoir d’achat

La baisse du taux de TVA pour les produits de première nécessité (autres qu’énergétiques) semble différée à l’automne. Le RN maintient toujours son idée de 2022 de renationaliser les autoroutes pour faire baisser de 15% le tarif des péages. Il y a deux ans, le RN justifiait aussi la privatisation de l’audiovisuel public par le souci de supprimer la redevance, il maintient cet objectif bien qu’Emmanuel  Macron ait déjà supprimé depuis la redevance.

Sur les impôts, le RN veut toujours, “dans un second temps”, exonérer les moins de 30 ans d’impôt sur le revenu mais aussi d’impôt sur les société s’ils sont entrepreneurs. Son programme prévoit aussi “une part fiscale complète” dès le deuxième enfant, la possibilité “d’exonérer les donations des parents mais aussi des grands-parents à leurs enfants et petits-enfants jusqu’à 100 000€ par enfant tous les dix ans”. 

Concernant les salaires, le programme du RN n’évoque pas d’augmentation du Smic mais une baisse des cotisations patronales jusqu’à 3 Smic afin d’inciter les entreprises à augmenter les salaires de 10%. Sauf erreur de notre part, cette mesure, qui figure dans le programme de Marine Le Pen pour 2022, n’a guère été détaillée. 

Emploi et assurance chômage

Pour favoriser l’emploi, le RN, qui avait lancé l’idée d’un chèque-formation mensuel de 200 à 300€ pour les apprentis, les alternants et leurs employeurs, souhaitait en 2022 “supprimer la cotisation foncière des entreprises (CFE), qui pénalise les PME-TPE locales et les impôts de production qui nuisent à la relocalisation”. 

Mais le parti n’a guère actualisé ou précisé ces propositions.

En revanche, le parti d’extrême droite a récemment pris position contre la réforme de l’assurance chômage. Sur France 3 le 16 juin, Jordan Bardella a déclaré en avoir “un peu assez qu’on demande systématiquement des efforts toujours aux mêmes”.

Dialogue social

Sur le dialogue social et les instances représentatives du personnel (IRP), et alors que le monde syndical est très hostile au parti d’extrême droite (l’intersyndicale avait refusé la présence des dirigeants d’extrême droite aux manifestations contre la réforme des retraites et la CGT vient d’appeler les salariés à voter Front populaire), le RN ne s’est pas exprimé récemment sur ces sujets à notre connaissance.

Lors de la présidentielle de 2022, Marine Le Pen avait infléchi le discours de son parti. Alors qu’en 2017, le programme de Marine Le Pen prévoyait d’instaurer “une véritable liberté syndicale par la suppression du monopole de représentativité” (donc la fin du monopole syndical de présentation des candidats au premier tour des élections professionnelles), en 2022, la candidate d’extrême droite s’était bornée à souhaiter “faire émerger, à côté de la démocratie politique, une démocratie sociale qui s’appuierait sur les corps intermédiaires pour mieux les associer aux grandes réformes sociales”.

L’immigration

Mais les priorités du RN vont d’abord aux sujets concernant la sécurité et l’immigration. Sur ce dernier point, alors que la constitutionnalité de certaines des mesures proposées semble pour le moins problématique et qu’elles suscitent l’opposition des associations et syndicats mais aussi les craintes des employeurs de travailleurs étrangers, le RN veut mettre fin “à l’immigration et au regroupement familial”, “traiter les demandes de droit d’asile uniquement à l’étranger”, “réserver les sociales aux Français, et conditionner à 5 années de travail en France l’accès aux prestations de solidarité”, “assurer la priorité nationale d’accès au logement social et à l’emploi”, “supprimer l’autorisation de séjour pour tout étranger n’ayant pas travaillé depuis un an en France” ou encore “supprimer le droit du sol” et “expulser systématiquement les clandestins, délinquants et criminels étrangers”.

Bernard Domergue

Législatives : selon la fondation Jean Jaurès, une victoire du RN menacerait la transition écologique en Europe

20/06/2024

Dans une note publiée le 13 juin, la Fondation Jean Jaurès estime que la transition écologique en Europe est davantage menacée par l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national en France que par le nouveau parlement européen sorti des urnes le 9 juin.

“La poussée des extrêmes droites au Parlement européen ne remet pas en cause l’équilibre politique qui a forgé le Pacte vert en 2019, analyse l’expert associé à la fondation Jean Jaurès et directeur du think-tank européen Strategic Perspectives, Neil Makaroff. Aucune majorité ne se dessine réellement pour démanteler le Pacte vert, vrai totem à abattre pour les partis nationalistes”. Seules des “alliances à la carte” seraient désormais à envisager, entre les nombreux conservateurs du parti populaire européen (PPE) et Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite de Giorgia Meloni.

En revanche, “si la France venait à être gouvernée par le Rassemblement national [RN], alors la transition écologique n’aurait plus de majorité au Conseil de l’Union européenne”, pèse l’expert. “Toute idée d’une stratégie industrielle européenne serait impossible à concrétiser, tout comme les mesures d’accompagnement social, ou un plan d’investissement commun en Europe.” Serait également fragilisée l’idée d’un “nouveau paradigme énergétique européen”, le RN s’affichant pour “l’arrêt du solaire et le démantèlement des éoliennes”.

“Il sera impensable, faute de soutien à Paris, de lancer de nouvelles initiatives en faveur de la transition écologique en Europe”, résume Neil Makaroff qui conclut que “le président Emmanuel Macron pourrait bien avoir offert [en dissolvant l’Assemblée nationale] à Giorgia Meloni l’allié dont elle avait besoin pour gagner en influence et détricoter le Pacte vert, non pas au Parlement, mais à la table du Conseil.”

Au Conseil de l’UE, les ministres des États membres qui composent les dix formations (agriculture et pêche, compétitivité, emploi, environnement, etc.) votent la plupart des propositions législatives qui les concernent à la majorité qualifiée. Cette dernière est atteinte si au moins 55 % des États membres (15 sur 27) expriment un vote favorable et si les États membres qui soutiennent la proposition représentent au moins 65 % de la population de l’UE. A contrario, un vote contre d’au moins quatre États membres représentant au moins 35 % de la population constitue une « minorité de blocage ». Selon les chiffres d’Eurostat, la France et l’Italie représentent à elles seules environ 28 % de la population de l’UE en 2023.

Source : actuel CSE

Candidats par circonscription, vote par procuration : les informations utiles du ministère de l’intérieur

20/06/2024

Le ministère de l’intérieur propose sur son site plusieurs informations pour les élections législatives du 30 juin et 7 juillet, ce scrutin renouvelant les députés des 577 circonscriptions :

  • la liste de tous les candidats en France, par département et par circonscription (voir ici) ainsi que les “nuances”, c’est-à-dire les classifications et abréviations utilisées par l’Etat pour désigner les candidats (ex : REN : Renaissance; Ensemble : majorité présidentielle; UG, union de la gauche, c’est-à-dire le Nouveau Front populaire; RN : Rassemblement national, etc.) ;
  • la vérification de son inscription sur les listes électorales (via le site service public, voir ici) :
  • le vote par procuration en cas d’absence le jour du vote, possible jusqu’à un jour avant le vote sans se déplacer grâce à l’identité numérique (voir ici);
  • le rappel des résultats des législatives de 2022 (voir ici).

Source : actuel CSE

Pouvoir d’achat, entreprises : au centre, Ensemble maintient le cap sur la politique de l’offre

21/06/2024

Le programme de la majorité présidentielle présenté hier par Gabriel Attal s’inscrit dans la continuité de la politique dite de l’offre destinée à inciter les entreprises à grandir et à recruter : pas d’augmentation d’impôt prévue (hormis une taxe sur le rachat d’actions), accentuation de la politique d’exonération afin d’inciter les entreprises à relever les salaires, etc. A l’exception d’une conférence destinée à lutter contre les accidents du travail, le dialogue social et les institutions représentatives du personnel sont absents du programme.

Par la voix du Premier ministre Gabriel Attal, la coalition de la majorité présidentielle (*) a présenté jeudi 20 juin son programme pour les législatives. Il s’inscrit, sans surprise, dans la continuité de la politique économique et sociale suivie depuis 7 ans sous la présidence d’Emmanuel Macron, l’objectif poursuivi consistant notamment à rénover le modèle social français pour le rendre “attractif” aux investisseurs étrangers.

“Depuis 2017, nous avons permis la création de 2,7 millions d’emplois dans notre pays dont 150 000 emplois industriels (..). Nous avons le taux de chômage le plus bas (7,5%) depuis 25 ans (..) Demain, nous voulons continuer”, a lancé le chef de file de la campagne d’Ensemble.

“Un plan de lutte contre les accidents du travail”

A la différence du Front populaire, aucune hausse du Smic n’est prévue par la majorité relative sortante (“c’est par le soutien à l’innovation et à la productivité, avec le plan France 2023, et la baisse du chômage, que les salaires augmenteront durablement”). Il n’est pas davantage question de rétablir l’ancien comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), absorbé par le CSE depuis 2017, les questions des conditions de travail et de santé au travail n’étant quasiment pas abordées dans ce programme.

Seule exception hier matin : la mention par Gabriel Attal d’une “COP travail”, sorte de conférence sociale comprenant les partenaires sociaux, pour “élaborer un véritable plan de lutte contre les accidents du travail et pour la qualité de vie au travail”.

Du reste, les institutions représentatives du personnel (IRP) et le dialogue social, mais aussi d’une façon générale le droit du travail, sont quasiment absent de ces propositions, comme si le projet d’un deuxième acte des ordonnances de 2017 et de nouvelles retouches au code du travail et à la négociation collective, annoncé par le gouvernement pour septembre prochain à la suite d’un rapport parlementaire se prononçant pour un relèvement des seuils concernant le CSE, avait été oublié ou écarté. Par exemple, on ne retrouve pas dans les propositions d’Ensemble la réduction du délai pour contester un licenciement, un projet annoncé par l’actuel gouvernement, sauf à considérer qu’elle se cache derrière la formule générale de la poursuite de “la simplification administrative” pour les TPE et PME. Le Premier ministre a en revanche repris son idée d’une expérimentation de la semaine de 4 jours de travail dans les entreprises, car elle permet “aux salariés qui ne peuvent pas télétravailler de bénéficier eux-aussi d’un jour de repos supplémentaire”, l’idée étant aussi de permettre “aux parents divorcés de travailler plus les semaines où ils n’ont pas la garde, et moins les semaines où ils sont à la maison”. 

Premières mesures sur le pouvoir d’achat

Comme du côté du Rassemblement national et du Nouveau front populaire, Ensemble met d’abord en avant ses propositions en faveur du pouvoir d’achat des Français. Parmi les mesures immédiates figurent une garantie du paiement des loyers pour les ménages modestes et l’annonce d’une attribution à la source des aides sociales (qui serait effective en 2025).

Arrive juste ensuite un projet de loi “désmicardisation” dès l’été. Il comprendrait un relèvement très important du plafond annuel de la prime de partage de la valeur (de 3 000€ à 10 000€) sans cotisations sociales ni prélèvements fiscaux, ce qui pose la question d’une baisse des recettes pour la Sécurité sociale, l’Insee ayant montré un effet de substitution important de ces primes sur les augmentations de salaires. De plus, l’employeur pourrait “mensualiser cette prime”. 

De nouvelles exonérations de cotisations sociales

Autre disposition intégré à ce projet : un nouveau calcul des exonérations de cotisations sociales dont bénéficient les entreprises, et de la prime d’activité dont bénéficient les salariés, deux politiques dont le coût est important pour les finances publiques. Il s’agit d’éviter les effets de seuils ou trappes à bas salaires, les entreprises n’ayant pas intérêt à relever les salaires sous peine de perdre le bénéfice de certaines exonérations, ce qui conduit à une stagnation des salaires et un tassement des grilles conventionnelles, certaines branches ne relevant pas les minima conventionnels qui se retrouve sous le salaire minimum.

“Nous allons baisser les charges au-dessus du Smic pour que (..) cela libère les augmentations de salaire. Grâce à ça, les salaires vont pouvoir progresser davantage, et nous permettrons de les porter progressivement et bien plus facilement jusqu’à 2 000€ par mois”, a annoncé Gabriel Attal. 

Il n’est en revanche plus question de la proposition du rapport parlementaire de permettre aux jeunes entreprises de déroger aux accords de branches pour négocier sur les salaires ou le temps de travail, sauf à considérer – là encore – que cette mesure pourrait se cacher derrière la nouvelle “simplification administrative” promise aux TPE et PME. 

Une mutuelle publique à 1€ par jour

Le reste des mesures est renvoyé au budget pour 2025.

La plupart de ces propositions touchent, là encore, au pouvoir d’achat, comme une mutuelle publique à 1€ par jour qui serait créée pour les indépendants, chômeurs et étudiants, ou encore la promesse d’une prise en charge intégrale des fauteuils roulants, etc.

Il en va de même pour les nouveaux allègements fiscaux concernant l’exonération totale d’impôt pour les successions et donations jusqu’à 150 000€, l’exonération des droits de mutation (frais notaire) pour l’achat d’un logement jusqu’à 250 000€, une mesure qui semble aussi décidé à relancer un BTP en crise.

La rénovation thermique des logements fait d’ailleurs exception à la politique générale de non augmentation des impôts (Gabriel Attal promet “une règle d’or anti-hausse d’impôt”) puisqu’une taxe sur les rachats d’action est prévue pour financer ces chantiers. On peut y voir une concession à l’égard de certains économistes, Jean Pisani-Ferry ayant par exemple proposé de financer la transition climatique par un prélèvement exceptionnel sur les hauts revenus. 

Le congé de naissance

Si elle est reconduite par les électeurs, la majorité sortante entend mettre en œuvre en 2025 le congé de naissance, qui remplacerait le congé parental. Mieux rémunéré, il durerait moins longtemps (3 mois pour chaque parent). Hormis pour promettre la poursuite de l’indexation des retraites afin de garantir le pouvoir d’achat des pensionnés, le programme d’Ensemble n’évoque pas ce dossier, mais peut-on en déduire que la réforme des retraites de 2023 ne sera pas modifiée au vu des dernières prévisions du Conseil d’orientation des retraites ? A suivre. 

Enfin, au sujet de l’immigration, Ensemble, qui évoque des dispositions déjà actées dans la dernière loi, continue de justifier de faire appel à des travailleurs étrangers, dès lors qu’il s’agit “d’accueillir des chercheurs de renom, des médecins, des étudiants à fort potentiel, tout comme les travailleurs qualifiés dont notre tissu économique a besoin”. Le discours est nettement durci au sujet du droit d’asile (projet de centres de rétention hors de l’Union européenne) et de la sécurité, Gabriel Attal promettant “d’expulser tout étranger délinquant ou radicalisé qui représente une menace à l’ordre public”.

(*) “Ensemble” regroupe Renaissance, le parti créé par Emmanuel Macron, Horizons (le parti de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe), Mouvement démocrate (François Bayrou), l’UDI et le Parti radical. 

Bernard Domergue

Face à un patronat focalisé sur la dette et les impôts, les candidats défendent leur programme

21/06/2024

Jeudi 20 juin, les candidats aux élections législatives ont été reçus à l’initiative du Medef, salle Gaveau à Paris. Au rythme d’une heure chacun, ils ont exposé leurs priorités économiques et répondu aux questions de la salle. Face à eux, des chefs d’entreprise ont montré un fort besoin d’être rassurés sur l’environnement économique, avec deux idées fixes : la dette publique et la fiscalité.

Après avoir souligné dans une interview au Figaro le matin même que “les programmes du RN et du Nouveau Front populaire sont dangereux pour l’économie”, Patrick Martin (Medef) a reçu les représentants des cinq principales forces politiques candidates aux élections législatives. Accompagné de François Asselin (CPME) et de Michel Picon (U2P), les trois représentants patronaux ont martelé leur besoin de “stabilité, de compétitivité et de lisibilité”. L’accent était donc placé d’emblée sous l’angle économique, mais quelques mesures sociales ont également émergé des débats. Si l’opération prenait parfois des allures de lobbying, des précisions ont été apportées sur les programmes sans éradiquer toutefois le flou de certains projets.

Les dépenses sociales ennemies de la rigueur budgétaire

Après une déclaration d’intention d’une dizaine de minutes, les candidats ont été invités à préciser leur programme économique puis à répondre aux questions de la salle. Les chefs d’entreprise ont à plusieurs reprises demandé aux candidats le mode de financement de leurs mesures ou leur ont opposé le coût de leurs projets. Dans cette optique, Edouard Philippe a appelé à “contenir l’évolution des dépenses sociales et débarrasser l’État de certains sujets dont il n’a pas à s’occuper”, sans préciser davantage cette allusion.

Défendant la majorité présidentielle, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire s’est vu reprocher la dégradation de la note française par l’agence Standard & Poor’s et la hausse des déficits publics. Ce dont il a convenu en ces termes : “Les marges de manœuvre budgétaires sont nulles, il faut rétablir les comptes publics”. Bruno Retailleau (Les Républicains) a promis de “mettre le frein sur la dépense publique notamment au travers de l’État bureaucratisé”. Le nombre d’agents publics serait réduit pour revaloriser ceux dont les postes seraient conservés. Il mettrait également “fin à la politique du chèque”, sans préciser ses intentions. Des réformes du modèle social seraient entreprises “pour inciter au travail”, sans précision de nouveau.

Côté Rassemblement national, un chef d’entreprise a demandé à Jordan Bardella de préciser son mode de financement : “Comment ferez-vous ? Votre programme est évalué à 100 milliards, comment allez-vous le financer ? Par une taxe sur le tonnage ? Le prélèvement forfaitaire unique ? Des impôts de production ?”. En réponse, le candidat a prétendu que le chiffrage de 100 milliards était “sorti du chapeau du gouvernement” mais n’a pas donné d’information sur le fond du financement en dehors d’une “rationalisation des dépenses publiques”.

Pour le Nouveau Front Populaire, Éric Coquerel et Boris Vallaud ont indiqué que le chiffrage de leur programme serait disponible d’ici la fin de la semaine. “Il n’y aura pas tout mais ce sera cohérent”, ont-ils précisé, rappelant que le chiffrage de Valérie Rabault (106 milliards d’euros, 3 % de croissance) ne portait que sur deux années de projection. Les deux élus de gauche ont soutenu que “les déficits ne financeront pas notre programme, nous trouverons des nouvelles recettes fiscales”.

On peut cependant douter que de nouvelles précisions budgétaires soient de nature à faire accepter aux dirigeants de grandes transformations sociales qui, en adoptant cette vision purement comptable des politiques économiques visent une conservation des systèmes en place. On peut également s’interroger sur la prégnance du débat sur la dette pour les entrepreneurs alors qu’ils bénéficient aussi de l’endettement de l’État qui leur verse selon l’Ires (institut de recherche syndical) presque 160 milliards d’aides publiques par an.

L’obsession des impôts de production

En 2020, le gouvernement a engagé une réduction de 10 milliards d’euros des impôts de production par une division par deux de la cotisation sur la valeur ajoutée (CVAE), de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les établissements industriels. Le taux de plafonnement de la contribution économique territoriale (CET) a également été abaissé de 3 à 2 %. Un mouvement d’ailleurs salué par l’institut Rexecode, proche des milieux patronaux.

Les chefs d’entreprise en veulent encore plus et certains candidats s’y engagent : Edouard Philippe souhaite les réduire en proportion d’une réduction de la dépense sociale. “Par exemple, si on baisse la CVAE de 20 milliards, on baisse aussi la dépense sociale de 20 milliards”, sans préciser la raison d’être de ce parallélisme. “Pas de pression fiscale au-delà d’un certain taux. Je veux également une règle juridique contraignant l’Etat à ne pas laisser dériver la dépense publique au-delà du nécessaire” a-t-il ajouté. Les adeptes de la précision apprécieront : le flou demeure.

Les représentants du Nouveau Front Populaire ont rappelé à plusieurs reprises leur promesse afin de rassurer les patrons : “Le cadre fiscal des PME ne changera pas, il n’y aura pas de prélèvements supplémentais pour les entreprises”. Ils préfèrent aller chercher des fonds auprès des milliardaires et ont rappelé aux entrepreneurs que “les PME paient des impôts mais pas les multinationales. Avec de la justice fiscale, on peut baisser l’impôt des PME”.

Jordan Bardella (RN) a proposé une suppression intégrale de la CVAE (de même que Bruno Le Maire), un engagement progressif sur le chantier de la fin de la C3S (contribution sociale de solidarité des sociétés), un maintien des heures supplémentaires défiscalisées et du crédit d’impôt recherche, un point qu’il partage avec Bruno Retailleau. Ce dernier projette 20 milliards de désendettement pendant 5 ans, dont la moitié consacrée aux allégements, sans détailler cette proposition.

Retraites, exonérations patronales, Smic à 1 600 euros

Jordan Bardella a peiné à préciser ses intentions sur la réforme des retraites. Seule certitude : “Nous défendrons la retraite à 60 ans avec 40 ans d’annuité pour ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans. Au-delà il y aura une progressivité”. Il a fallu plusieurs relances pour qu’il précise : “Le projet présidentiel de Marine Le Pen prévoyait une progressivité à partir de 62 ans, 64 ans ne restera pas l’âge officiel”.

Le représentant du RN propose également une exonération de cotisations patronales pour accompagner les hausses de salaires de 10 % jusqu’à trois fois le Smic. Un dispositif qui renforcerait l’asséchement des systèmes de protection sociale financés par ces cotisations et que les syndicats dénoncent colmme déjà trop élevés (1,6 fois le Smic aujourd’hui). Interrogé par une cheffe d’entreprise sur l’importance de la main d’œuvre étrangère dans certains métiers, il a rétorqué : “Sur l’immigration il peut y avoir des points qualitatifs comme sur les médecins. Mais au plan quantitatif, il faut des solutions nationales : une meilleure formation, une meilleure rémunération, de l’attractivité, des baisses de charges et de normes. Je refuse de réduire l’immigration aux 40 000 titres accordés pour des contrats de travail. Au bout de 6 mois sans activité, les travailleurs seront appelés à retourner dans leur pays d’origine”. Éric Ciotti a qualifié la formation de trop coûteuse, sans préciser ses intentions.

Pas question évidemment de revenir sur les 64 ans pour le camp présidentiel de Bruno Le Maire qui compte par ailleurs maintenir l’indexation des retraites sur l’inflation. Il se dit cependant ouvert “au débat dans les années qui viennent sur le financement du modèle social : créé en 1945, il reposant sur peu de prestations et beaucoup de cotisants, ce qui s’est inversé aujourd’hui”. Edouard Philippe ne s’est pas engagé sur les retraites mais a souligné “l’appauvrissement des classes moyennes populaires, or il n’y aura pas de stabilité démocratique si elles ont le sentiment de s’appauvrir. Cela ne passe pas par la magie d’un Smic à 1 600 euros”, ajoutant vouloir associer d’avantage les salariés à la valeur crée dans l’entreprise, sans préciser par quels dispositifs.

Bruno Retailleau (LR) a attaqué “les bonimenteurs de la retraite à 60 ans, des 35 heures et de la semaine de quatre jours”. Il souhaite “déverrouiller les 35 heures défiscaliser et désocialiser les heures supplémentaires, confier la tutelle des lycées professionnels aux régions”. Au menu des mesures floues, il propose “une allocation unique pour compenser l’écart entre les revenus de l’assistance et les revenus du travail, ainsi qu’une réforme de l’assurance chômage à cause des fraudes”. Les directives CSRD et devoir de vigilance seraient “visées” et les charges sociales “abaissées”. Il adopterait en revanche le fameux “test PME” qui prévoit de vérifier la soutenabilité d’une réforme auprès des petites entreprises avant son adoption.

Éric Coquerel et Boris Vallaud (Nouveau Front Populaire) ont défendu “une relance keynésienne autofinancée avec le retour de la croissance, une abrogation des réformes injustes et non concertées tout en conservant aux PME le cadre juridique qui leur est applicable”. Leur intention est claire de “remettre en pratique le dialogue social et le respect des corps intermédiaires”. Ils ont souligné le décalage entre “les salaires moyens qui ont baissé de 2,5 % depuis 2017 et les dividendes qui ont doublé de 50 à 98 milliards”.

De plus, selon Boris Vallaud, “les chefs d’entreprise ont intérêt à ce que les salariés qui sont aussi consommateurs achètent leurs produits. Il faut donc faire migrer une partie des revenus du capital vers ceux du travail. Alors, les carnets de commande se rempliront, ce cercle vertueux permettra de doper la demande”. S’il reconnaît que le Smic à 1 600 euros pourra constituer “un choc dans un premier temps”, il s’engage à créer un fonds permettant de fournir un crédit à taux nul pour résoudre les problèmes de trésorerie jusqu’à deux ans. Rappelant que “ce ne sont pas les salaires qui font l’inflation”, il a mis en avant qu'”une hausse de 10 % de l’emploi des seniors comblerait une partie des déficits”.

Qui a remporté le vote des patrons ?

Plusieurs chefs d’entreprise ont quitté la salle à la fin de l’audition de candidats du Rassemblement National, semblant peu intéressés par Bruno Le Maire (Ensemble). Les effectifs patronaux présents dans la salle se sont encore réduits après le passage de Bruno Le Maire qui a en revanche recueilli le meilleur volume d’applaudissements. Éric Coquerel a été hué en fin d’intervention lorsqu’il a évoqué “ceux qui regardent avant tout les cours de la Bourse, déconnectés de l’économie réelle”. 

Marie-Aude Grimont