Contestation d’une décision de la Dreets sur les élections : le juge judiciaire tranche
05/01/2023
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Il entre dans l’office du juge judiciaire d’annuler une décision administrative ayant refusé d’appliquer un accord collectif relatif au périmètre des établissements distincts et, exerçant sa plénitude de juridiction, d’interpréter cet accord afin de procéder ensuite à la répartition entre les collèges électoraux au sein de ces établissements, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative
Depuis la loi Rebsamen du 6 août 2015, c’est le juge judiciaire qui est compétent en cas de recours formé contre une décision de l’autorité administrative en matière d’élections professionnelles. Plusieurs décisions de la Cour de cassation ont précisé cette compétence. Dans cet arrêt du 14 décembre 2022, destiné à être publié au Rapport de la Cour de cassation, la chambre sociale se prononce, pour la première fois, sur l’office du tribunal judiciaire statuant comme instance de recours contre la décision de la Dreets (direction régionale administrative) saisie aux fins de fixer la répartition du personnel et des sièges entre les différents collèges électoraux au sein des établissements distincts, lorsque se pose à cette occasion une difficulté d’interprétation de l’accord collectif définissant le périmètre de ces établissements distincts.
Accord sur le périmètre des établissements distincts mais échec de négociation du protocole préélectoral
Dans cette affaire, un accord est conclu entre les 21 entreprises d’une UES, une unité économique et sociale. Il détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts. Cependant, les négociations sur le protocole préélectoral échouent, et l’employeur saisit la Direccte (Dreets), aux fins de répartir le personnel et de fixer le nombre de sièges par collèges électoraux, des CSE d’établissement, conformément à l’article L. 2314-13 du code du travail.
► Remarque : rappelons que l’autorité administrative est seule compétente pour opérer cette répartition entre les collèges, dès lors qu’au moins une organisation syndicale a répondu à l’invitation à négocier le protocole préélectoral. Lorsqu’aucune organisation syndicale représentative dans l’entreprise n’a pris part à la négociation, c’est l’employeur qui opère cette répartition (C. trav., art. L. 2314-14)
Cependant, la Direccte (Dreets) rejette la demande. Elle explique que la détermination claire et précise du périmètre des établissements distincts est un préalable indispensable pour connaître le personnel concerné par la répartition sollicitée, or l’accord en question est ambigu sur ce que recouvre « l’activité support » entrant dans la définition du périmètre d’un des deux établissements. L’autorité administrative considère qu’il ne lui appartient pas d’interpréter l’accord.
► Remarque : ce refus d’interprétation de l’accord collectif relatif au périmètre des établissements distincts peut se comprendre, dans la mesure où la Dreets n’est normalement compétente en matière de contestation du périmètre des établissements distincts qu’en cas de décision unilatérale de l’employeur, en application de l’article L. 2313-5, et non en cas d’accord collectif à ce sujet.
Le tribunal judiciaire est donc saisi, et il se déclare également incompétent pour interpréter l’accord et donc pour procéder à la répartition entre les collèges.
► Remarque : rappelons que le recours à l’encontre des décisions de l’autorité administrative en matière d’élections professionnelles relève de la compétence du juge judiciaire, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux (répartition entre les collèges, périmètre des établissements distincts, dérogation aux conditions d’ancienneté pour l’électorat et l’éligibilité). Le tribunal judiciaire est saisi de ces contestations par voie de requête et statue en dernier ressort (C. trav., art. R. 2314-23 ; C. org. jud., art. R. 211-3-12 et R. 211-3-15).
A noter, en outre, que le juge judiciaire est seul compétent en matière de litige relatif au nombre et à la composition des collèges électoraux, l’administration n’intervenant pas sur ce terrain (Cass. soc., 19 juill. 1983, n° 83-60.821) ; il en va de même en cas de litige relatif à l’appartenance individuelle d’un ou plusieurs salariés à l’un ou l’autre des collèges électoraux (Cass. soc., 27 nov. 2001, n° 00-60.415).
L’affaire est portée devant la Cour de cassation.
Compétence du tribunal d’instance en matière de contestation d’une décision de la Dreets
La Cour de cassation commence par rappeler la compétence du tribunal d’instance, à l’exclusion de tout autre recours, en matière de contestations contre la décision de l’autorité administrative fixant la répartition des sièges entre les différentes catégories de personnel et la répartition du personnel entre les collèges électoraux (C. trav., art. L. 2314-13). Elle en déduit qu’il « appartient en conséquence au tribunal judiciaire d’examiner l’ensemble des contestations, qu’elles portent sur la légalité externe ou la légalité interne de la décision de la Direccte (Dreets) ».
Ensuite :
si le juge dit ces contestations mal fondées au regard de l’ensemble des circonstances de fait dont il est justifié à la date de la décision administrative, il doit confirmer la décision ;
si le juge accueille ces contestations partiellement ou totalement, il doit annuler la décision administrative et statuer à nouveau, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative, sur les questions demeurant en litige d’après l’ensemble des circonstances de fait à la date où le juge statue.
► Remarque : comme le souligne la notice explicative à l’arrêt, et il s’agit du premier enseignement de cette décision du 14 décembre 2022, celle-ci transpose exactement au cas de la contestation de la décision administrative relative à la répartition entre les collèges, la solution dégagée par la Cour de cassation s’agissant de la contestation de la décision administrative relative à la décision unilatérale de l’employeur en matière de détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts (Cass. soc., 19 déc. 2018, n° 18-23.655 ; Cass. soc., 8 juill. 2020, n° 19-11.918)
Articulation entre les prérogatives et obligations de la Dreets et office du juge
Puis, la Cour de cassation apporte des précisions sur l’office de l’autorité administrative, et sur l’office du juge en cas de contestation de cette décision :
l’autorité administrative doit, sous le contrôle du juge judiciaire à qui sa décision peut être déférée, procéder à la répartition sollicitée par application de l’accord collectif définissant les établissements distincts et leurs périmètres respectifs ;
le tribunal judiciaire, saisi du recours formé contre la décision rendue par la Dreets, doit apprécier la légalité de cette décision, au besoin après l’interprétation de l’accord collectif en cause.
Ainsi, précise la notice explicative à l’arrêt, le juge judiciaire, « pouvait et devait interpréter l’accord collectif », il ne pouvait donc pas refuser de le faire en se retranchant derrière l’insuffisance d’informations fournies par l’employeur. Dans ce cas, le juge peut en effet demander la production de justificatifs complémentaires.
► Remarque : la notice explique également que la compétence de plein contentieux du tribunal judiciaire pour prendre une décision se substituant à celle de l’autorité administrative, suppose d’annuler cette décision, et signifie donc que la Dreets saisie d’une demande de répartition entrant dans ses attributions, se doit de prendre position sur la définition du périmètre des CSE d’établissements institués par l’accord collectif. En d’autres termes, la Dreets doit donc également interpréter l’accord en cause.
Modalités d’interprétation de l’accord relatif au périmètre des établissements distincts
Enfin, la Cour de cassation précise les modalités d’interprétation de l’accord collectif relatif au périmètre des établissements distincts, préalable nécessaire à la répartition entre les collèges. Ainsi, le juge judiciaire doit interpréter l’accord en cause :
d’abord en respectant la lettre du texte de l’accord collectif ;
ensuite, si celui-ci manque de clarté, au regard de l’objectif que la définition des périmètres des établissements distincts soit de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel.
La notice explique qu’il s’agit là du troisième apport de cet arrêt, et que celui-ci est un « rappel des règles d’interprétation d’un accord collectif tel que fixées par la jurisprudence de la Cour de cassation » (Cass. ass. plén., 23 oct. 2015, n° 13-25.279 ; Cass. soc., 25 mars 2020, n° 18-12.467), « adaptées ici au regard de l’objet de l’accord collectif, à savoir la détermination concrète du périmètre d’un établissement distinct en fonction de l’organisation spécifique d’une entreprise, par la référence à l’objet poursuivi par la définition des établissements distincts qui est de permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel ».
Il s’agit d’une nouvelle illustration de « l’effet utile » auquel la chambre sociale a déjà eu recours (Cass. soc., 9 juin 2021, n° 19-23.153).
« Lignes directrices » en cas de contentieux relatifs à la répartition entre les collèges au sein des établissements distincts déterminés par accord collectif
Et la Cour de cassation de conclure et résumer sa décision.
Ainsi, il entre dans l’office du tribunal judiciaire d’annuler la décision administrative ayant refusé d’appliquer l’accord collectif relatif au périmètre des établissements distincts et, exerçant sa plénitude de juridiction, d’interpréter cet accord collectif afin de procéder ensuite à la répartition du personnel et des sièges entre les collèges électoraux au sein des établissements distincts ainsi délimités, par une décision se substituant à celle de l’autorité administrative.
Quant à la notice, elle conclut que cet arrêt donne ainsi les lignes directrices aux tribunaux judiciaires confrontés à des contentieux encore nouveaux, lesquelles pourront également servir de guide pour les Dreets, qui sont invitées à rendre des décisions répartissant les salariés et les sièges entre les collèges électoraux au sein des différents établissements distincts.
Séverine Baudouin