FORMATION

Formation professionnelle : le “big bang” a-t-il eu lieu ?

De gauche à droite, Claire Pascal, vice-présidente des Acteurs de la compétence, Michel Beaugas,

A l’occasion d’une conférence de l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), trois experts, Claire Pascal, vice-présidente des Acteurs de la compétence, Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO, et François Falise, conseiller technique de la CPME, dressent le bilan de la loi Avenir professionnel. Le point sur les avancées et les ratés de la réforme.

Avec la loi Avenir professionnel, Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail, réforme en profondeur la formation professionnelle et l’apprentissage. Au passage, elle modifie l’accord national interprofessionnel esquissé par les partenaires sociaux dans la nuit du 22 février 2018. “Il faut traiter l’architecture du système”, “c’est le big bang dont le pays a besoin”, insiste-t-elle le lendemain de ces négociations fastidieuses, sur Cnews. Le projet de loi, présenté en mars 2018, répond à cet objectif : compte personnel de formation monétisé, collecte des fonds de formation par les Urssaf, en lieu et place des Opca (organismes paritaires), plan de formation revisité, fin des listes éligibles, compte personnel de formation (CPF) de transition professionnelle, refonte de la certification, reconnaissance de l’Afest (action de formation en situation de travail)…Toutes ces dispositions se retrouvent dans la loi du 5 septembre 2018.

Quel bilan tirer de cette réforme, les salariés sont-ils mieux formés qu’avant ? Quels sont les points à corriger, compléter, relancer, abandonner ? A l’occasion d’une conférence de l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), le lundi 13 décembre à Paris, trois experts, Claire Pascal, vice-présidente des Acteurs de la compétence (ex-Fédération de la formation professionnelle), Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO et François Falise, conseiller technique de la CPME, dressent le bilan de la loi Avenir professionnel du 5 septembre 2018. Morceaux choisis.

Claire Pascal, vice-présidente des Acteurs de la compétence (ex FFP) 

Il existe des trous dans la raquette 

“Cette réforme s’inscrit dans la droite ligne de la réforme précédente, en poussant les lignes un peu plus loin. Elle a eu le mérite de rendre chacun responsable de son employabilité. Mais il existe des trous dans la raquette : le CPF n’existe pas pour la fonction publique. Par ailleurs, avec la suppression de la mutualisation, elle a fragilisé la formation les entreprises de 50 à 250 salariés, au coeur de l’économie. Cette nouvelle donne a eu une résonnance particulière pendant la crise de la Covid-19 : elles n’ont pas eu accès à des fonds jusqu’ici sanctuarisés. C’est l’angle mort de la réforme.

S’agissant des améliorations, il nous faut une visibilité sur les attentes en matière de certification : 80% des dossiers déposés ont été rejetés. Pour économiser sur le CPF, on compresse l’offre avec une opacité totale de France compétences. En outre, face au déficit abyssal de France compétences, de l’ordre de quatre milliards d’euros d’ici à la fin de l’année, il faut s’interroger sur le financement à terme du système et sur les dispositifs qui se fondent sur la masse salariale. Former les salariés coûte deux fois plus cher aux entreprises. On pense, par exemple, à des logiques de crédit d’impôt, de l’ordre de 30% pour les entreprises de 50 à 300 salariés, de co-investissement pour le CPF. Nous pensons aussi qu’il y a aussi des possibilités de transférer le temps placé sur un compte épargne temps (CET) en temps de formation dans le cadre d’une logique d’abondement. Au risque sinon de voir l’employabilité des salariés menacée.

Sur les demandeurs d’emploi, beaucoup de choses ont été faites. Il y a une dynamique mise en place mais pas sur la formation des salariés. Le FNE est une solution momentanée”.

Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO, en charge de la formation professionnelle

 “Une baisse des droits à la formation pour les salariés !”

“Avant la loi, il y a eu un accord interprofessionnel dont nous étions signataires. Muriel Penicaud s’est assisse dessus : on n’avait pas encore signé l’accord que la ministre nous a prévenu qu’il ne serait pas retenu. Pour les salariés, on constate une baisse des droits à la formation avec la monétisation. 500 euros annuels ne couvrent pas les frais d’une formation certifiante/qualifiante. Ni même 5000 euros au bout de 10 ans.

Selon la Dares, la durée moyenne d’une formation est de 40 heures, contre 140 avant la réforme. Ce qui ne permet pas de monter en qualification dans les entreprises. On est également tombé dans le consumérisme : en consommant régulièrement 500, 1 000 euros, le salarié perd la possibilité d’effectuer une vraie formation qualifiante. Le CPF ne permet pas non plus de faire une transition professionnelle quand un accident économique survient dans l’entreprise. Cette loi est un vrai recul.

Sur les améliorations, il y a deux sujets. Le premier concerne l’alternance. On souhaite qu’il y ait un débat sur qui paie quoi. De fait, un apprenti est-il en formation initiale ou non ? Si un apprenti est en formation initiale, c’est à l’Etat de payer. S’il est à la fois en formation initiale et continue, il faut une gouvernance partagée. Il y a, en effet, un manque de coordination entre formation initiale et formation continue. On ne peut pas demander à la formation professionnelle de réparer les failles du système éducatif : il faut que tout jeune puisse sortir du système scolaire, pas forcément avec un diplôme mais avec une voie de sortie et non une voie de garage.

Le second sujet concerne le financement. Nous sommes favorables à un vrai CPF professionnalisant. Ce qui entraîne de facto une revalorisation de salaire. C’est, en effet, le diplôme qui fait la qualification”.

François Falise, conseiller technique de la CPME

L’offre a été digitalisée mais elle est trop standardisée 

“Incontestablement cette réforme est un big bang. On a beaucoup parlé d’apprentissage mais aussi du CPF, de la gouvernance du système avec France compétences et du contrôle accru de l’Etat. Il y aussi d’autres sujets extrêmement forts. Tout d’abord, cette réforme entraîne une remise à plat de la politique de certification en bloc de compétences. Nous sommes au début de sa mise en oeuvre. L’offre de formation n’est pas organisée en bloc de compétences, dans une logique de parcours.

Ensuite, la réforme a modifié la définition même de l’action de formation, considérée non plus comme une modalité mais comme un process. Mais comment aide-t-on les entreprises à l’acquisition des compétences ? L’offre a été digitalisée mais elle est restée standardisée.

Sur les améliorations, nous sommes très favorables à la réforme de l’alternance, le système a été simplifié. Il est normal qu’il y ait une aide financière de l’Etat, France compétences étant un établissement public. Actuellement, le financement repose sur les cotisations des entreprises. Autre angle mort : le financement TPE/PME, il manque des ressources aujourd’hui pour accompagner les TPE/PME. Le troisième axe porte sur la formation des demandeurs d’emploi.

Il y a des sommes considérables données aux demandeurs d’emploi. Mais quel est l’effet de ces actions, le Plan d‘investissement dans les compétences, le financement régions et de Pôle emploi ? C’est incontestablement un sujet de la campagne présidentielle.

On a constaté une baisse des dépenses de la formation dans les PME/TPE. L’enjeu est aujourd’hui de savoir comment on aide ces entreprises dans le développement de leurs compétences”.

Anne Bariet