“L’index de l’égalité F/H ne doit pas être le prétexte à ne rien changer”
25/03/2021
Pauline Derville
Juriste sociale, Pauline Derville intervient comme formatrice et consultante auprès des CSE. Elle constate que les élus ne disposent pas souvent du détail du calcul des indicateurs à l’origine de la note finale de l’index de l’égalité. Elle appelle les membres de CSE et les délégués syndicaux à privilégier une réflexion globale sur l’égalité professionnelle, comprenant les questions de l’égalité salariale mais aussi du sexisme et de l’équilibre vie professionnelle et vie personnelle. Interview.
Pauline Derville, vous êtes juriste, formatrice et consultante indépendante auprès des CSE. Quels retours avez-vous de la part des élus du personnel sur l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ?
De façon globale, ce sujet fait plutôt consensus dans les entreprises, il intéresse aussi bien les élus du personnel que les ressources humaines. J’observe que certaines RH font preuve d’innovation en présentant des mini-benchmarks pour comparer les notes obtenues par leur entreprise à celles de leurs concurrents du même secteur.
L’accès au détail de l’index reste limité
Dans les structures de moins de 250 salariés, il y a parfois encore une méconnaissance de la loi et un manque de temps des RH pour s’approprier la mécanique de l’index. Maintenant, pour les élus que j’ai accompagnés dans le cadre de la politique sociale ou pour la formation de leur mandat, j’ai constaté que l’accès aux informations sur l’égalité professionnelle et sur le détail de l’index restait très limité. Au mieux, les élus ont un power point de 2 pages avec un tableau synthétique présentant la note pour chaque indicateur et la note globale.
Certains CSE ne bénéficient d’aucune info sur l’index !
Au pire, le CSE ne bénéficie d’aucune information consultation sur l’index, et pas davantage d’une mise à disposition de ces éléments dans la base de données économiques et sociales (BDES). Pourtant, avant même le dernier décret publié le 11 mars 2021 (lire notre article), la loi faisait déjà obligation à l’employeur de mettre à disposition du CSE tous les éléments nécessaires à la compréhension de l’index (1). Du fait de ce manque d’information, les élus ne peuvent pas exercer vraiment leur devoir de vigilance. Car si l’entreprise ne présente pas comment a été élaborée la note de chaque indicateur, les élus ne peuvent pas analyser dans le détail la méthodologie employée et vérifier si elle est conforme à la loi.
Le CSE n’est donc pas assez associé en amont dans la définition des panels comparatifs et de la méthodologie de l’index ?
Non, la loi n’oblige pas l’employeur à associer le CSE (2). L’entreprise peut choisir de prendre la cotation des postes qui existe au niveau de la branche, ou au niveau de l’entreprise (celle utilisée dans le bilan social), mais elle peut aussi choisir la classification de l’Insee, qui est assez large et qui ne recouvre pas forcément la réalité des métiers et des rémunérations dans l’entreprise.
L’indicateur sur les hautes rémunérations dérange !
A propos des rémunérations, l’indicateur sur la présence des femmes dans les 10 plus hauts salaires est un sujet qui dérange et qui est peu discuté. Parfois, cet indicateur n’est tout bonnement pas noté au prétexte qu’il permettrait d’avoir connaissance de la rémunération de la seule femme du comité de direction. Bref, au lieu d’ouvrir un débat sur la division sociale et sexuée du travail dans l’entreprise, au lieu d’aborder la question du déroulement des carrières des femmes et du plafond de verre auquel elles peuvent se heurter, ce que devrait permettre cet indicateur, le sujet est purement et simplement évacué.
Dans les résultats publiés par le ministère du Travail, ce sont les deux indicateurs ne faisant pas l’objet de pondération (les 10 plus hautes rémunérations et l’augmentation de retour de congé maternité) qui ont obtenu les plus mauvais scores. Autrement dit, sans pondération sur les autres indicateurs, les résultats seraient bien plus mauvais…
C’est possible ! L’absence de débat avec le CSE sur la méthodologie de calcul de l’indicateur constitue pour moi une forme de déni, alors même que les élus sont soumis à une obligation de confidentialité. Nous avons une loi censée remettre au coeur du dialogue social de l’entreprise l’égalité hommes femmes, et notamment l’égalité salariale, mais ce débat est occulté. Ce qui est préoccupant, c’est que lorsque la note à l’index est bonne, les élus perçoivent que ce résultat constitue une fin en soi pour l’entreprise, autrement dit un prétexte à statu quo en matière d’égalité professionnelle.
Les commission égalité F/H du CSE peuvent faire des contre-propositions
Comme la situation est jugée, sur la foi de l’index, satisfaisante, il n’y a plus de réflexion globale en matière d’égalité hommes femmes. Il y a des commissions égalité F/H de CSE qui ne savent plus vraiment à quoi elles servent, sinon à préparer l’avis rendu en CSE, au lieu d’être une force de propositions pour le CSE. L’index n’est pas un outil magique, d’autant qu’il comporte, rappelons-le, une pondération dans la note globale puisque 75 points sur 100 sont jugés satisfaisants ! L’index ne doit pas occulter la complexité de l’égalité professionnelle, qui recouvre des thèmes comme les conditions de travail, la santé au travail, l’articulation entre la vie professionnelle et vie privée. Tous ces aspects parlent de la place et de la considération qu’on donne à la femme dans l’entreprise.
La consultation annuelle sur la politique sociale ne permet-elle pas aux élus de disposer de davantage d’informations sur la situation de l’égalité F/H ?
Dans la BDES, en effet, doivent être mises à la disposition du CSE toutes les informations nécessaires à la négociation obligatoire en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. La négociation sur l’égalité professionnelle est, je me répète, plus large que la seule rémunération.
Cet index, créé pour accélérer le changement, crée une confusion
C’est parce qu’on constatait qu’il n’y avait pas assez d’évolution sur la question de la rémunération que la loi est venue créer cet index. Le problème, c’est que cet index entraîne une confusion. Dans les petites structures, on a dû mal à comprendre la différence entre la négociation obligatoire sur l’égalité F/H (dont la rémunération fait partie) et le calcul de l’index. Ce sujet devrait pourtant être davantage fédérateur. La place et le rôle des femmes dans l’entreprise concerne l’ensemble d’une structure : la direction par rapport à la politique RH qu’elle pilote, les élus par rapport à leur devoir de vigilance et de contre-propositions, les managers par rapport à la formation des salariés, à la détection et au recadrage éventuel, et les salariés au travers de la régulation que peut exercer le collectif de travail.
Les élus vont-ils chercher dans la BDES des éléments pour vérifier l’index ?
Les élus les plus actifs vont chercher en effet ces informations dans la BDES pour s’assurer de la véracité des notes à l’index qu’on leur présente, ou demander des précisions sur le calcul des indicateurs.
Les élus peuvent s’appuyer sur les référents des Direccte
Les élus peuvent aussi s’appuyer sur l’administration. Dans les Hauts-de-France, la Direccte a organisé des sessions pour expliquer comment se calcule l’index, afin que les élus puissent ensuite vérifier le mode de calcul de l’entreprise, l’administration présente la matrice excel de la direction générale du travail (DGT), qui est d’ailleurs à disposition sur le site du ministère du Travail (Ndlr : voir ici le tableur pour les sociétés de moins de 250 salariés et voir là le tableur pour les sociétés plus de 250 salariés). L’administration a également désigné des référents égalité professionnelle et index dans toute la France (Ndlr : voir la liste ici).
Que pensez-vous du dernier décret (3) sur l’index F/H ?
C’est dommage qu’il faille un décret supplémentaire pour imposer un peu de transparence, mais cela va plutôt dans le bon sens. C’est aussi aux élus de comprendre la méthodologie, d’aller se former pour que, placés face au détail du calcul des indicateurs ou par exemple aux regroupements de salariés opérés par la direction, ils soient en capacité d’engager le débat. Et de confronter la note obtenue à la réalité observée sur le terrain.
Le CSE a intérêt à rendre un avis motivé sur l’index
Le CSE a intérêt à rendre un avis motivé lorsqu’il est consulté sur l’index, a fortiori lorsque les élus constatent des irrégularités comme une mauvaise application de la règle de proportionnalité. Le comité peut aussi alerter la Direccte. Parce que l’égalité entre les femmes et les hommes relève aussi d’une évolution des moeurs, je conseille aussi aux élus de se former au sujet du rôle du réfèrent élu en matière de harcèlement sexuel et agissements sexistes. Il est d’ailleurs dommage que les référents RH et élu ne soient pas formés ensemble, ni d’ailleurs que les salariés ne soient pas eux-mêmes sensibilisés à ces questions. Encore une fois, je crois que les sujets sont abordés de façon trop cloisonnés dans les entreprises, d’un côté la négociation égalité avec les délégués syndicaux, de l’autre l’index établi unilatéralement par l’entreprise, de l’autre encore les référents…
Sinon, qu’est-ce qui vous semble préoccuper le plus les élus en ce moment ?
Clairement, ce qui préoccupe les élus, c’est la situation économique des entreprises avec la perspective de la fin des aides économiques et du soutien à l’activité, mais aussi l’évolution des stratégies économiques présentées avant la crise de la Covid-19 et qui sont devenues caduques. Pour les formations que j’anime, je suis d’abord sollicitée sur le licenciement économique et le PSE (plan de sauvegarde de l’emploi).
(1) Précisons qu’il n’y a pas d’obligation formelle pour l’employeur d’informer le CSE lors d’une réunion spécifique. Légalement, l’information du CSE sur l’index se fait par la mise à disposition des informations via la BDES. Rien n’empêche cependant le secrétaire du CSE d’inscrire les résultats de l’index à l’ordre du jour d’une réunion du CSE.
(2) La consultation du CSE mentionnée au paragraphe 4.1. des annexes du décret du 8 janvier 2019, précise le ministère du Travail, est obligatoire si l’employeur choisit une catégorisation par niveau ou coefficient hiérarchique en application de la classification de branche, ou d’une autre méthode de cotation des postes. La consultation du CSE n’est en revanche pas obligatoire dans le cas d’une répartition des salariés par CSP (catégorie socioprofessionnelle : ouvrier, cadre, etc.) ou s’il choisit de regrouper entre elles une des 4 CSP existantes.
(3) Publié le 11 mars 2021, ce décret oblige l’entreprise à publier chaque indicateur de l’index sur l’égalité professionnelle, en sus de la note globale. Lorsque le résultat sera inférieur à 75 points, les structures bénéficiant des crédits du Plan de relance devront communiquer leurs objectifs de progression .
Les indicateurs composant l’index de l’égalité F/H |
L’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes comporte 100 points. Il est calculé à partir de 4 à 5 indicateurs selon que l’entreprise compte moins ou plus de 250 personnes salariées : L’écart de rémunération femmes-hommes, sur 40 points (ndlr : sachant que l’entreprise peut appliquer un “seuil de pertinence” lui permettant de retrancher entre 2 à 5 points des écarts constatés). Un écart de 10 et 11 points permet quand même d’obtenir 25 points, il faut un écart supérieur à 20 points pour obtenir un zéro; L’écart de taux d’augmentations individuelles, sur 20 points (35 points pour les entreprises de 50 à 250 personnes salariées) : un écart entre 2 et 5 points donne 10 points, et un écart supérieur à 10 donne zéro; L’écart de taux de promotions (uniquement dans les entreprises de plus de 250 personnes salariées), sur 15 points (sachant que seuls les groupes comprenant au moins 10 femmes et 10 hommes peuvent être comparés) : un écart supérieur à 2 et inférieur à 5 donne 10 points, seul un écart supérieur à 10 donne zéro; Le pourcentage de salariées augmentées à leur retour de congé de maternité, sur 15 points : il faut que 100% des femmes de congé maternité retour aient été augmentées pour que l’entreprise ait 15 points, sinon elle récolte zéro ; Le nombre de personnes salariées du sexe sous-représenté parmi les 10 plus hautes rémunérations, sur 10 points : zéro ou 1 femme parmi les 10 plus hauts salaires donne 0 point, 2 ou 3 femmes donnent 5 points, et 4 ou 5 femmes donnent 10 points. Il faut aussi savoir qu’existe une règle de proportionnalité. Si un ou plusieurs indicateurs sont incalculables mais que le maximum des autres indicateurs (calculables) permet d’atteindre 75/100 (soit l’égalité au sens de l’index), alors le nombre total de points obtenus est ramené sur 100 en appliquant une règle de 3 (donc on neutralise l’indicateur incalculable). Par contre, si le maximum des autres indicateurs (calculables) ne permet pas d’atteindre 75 points, alors l’Index ne sera tout simplement pas calculable pour l’année concernée. Si l’entreprise obtient moins de 75 points à l’index, elle doit mettre en place des mesures correctives pour atteindre ces 75 points dans un délai maximal de 3 ans. Ces mesures annuelles ou pluriannuelles sont définies dans le cadre de la négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, par décision unilatérale de l’employeur et après consultation du CSE. Si l’entreprise ne publie pas son index, ou si elle ne prend pas de mesure corrective après une note inférieure à 75 points, ou si ces mesures ne donnent pas les résultats prévus au bout de 3 ans (si l’index reste inférieur à 75 points), l’entreprise s’expose à une sanction de pénalité financière jusqu’à 1 % de sa masse salariale annuelle. ► voir les explications du ministère du Travail sur les indicateurs de l’index (ou ici pour avoir une vue globale) et ► le guide de l’index pour les entreprises de plus de 250 salariés https://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/egalite-professionnelle-discrimination-et-harcelement/indexegapro |