Étude Secafi : les NAO n’empêchent pas des pertes cumulées de pouvoir d’achat
05/02/2024
Augmentations en baisse, budgets en berne, primes de partage de la valeur moins fréquentes… Tels sont les constats d’une étude du cabinet d’expertise Secafi sur 421 accords salariaux négociés fin 2023 et début 2024. Depuis trois ans, les augmentations suivent l’inflation mais ne la dépassent pas, entraînant des pertes cumulées de pouvoir d’achat pour les salariés.
Pour réaliser son étude (à télécharger ici), le cabinet Secafi s’est appuyé sur la base de 421 accords salariaux publiés sur le site Légifrance à la date du 10 janvier 2024. Cet échantillon représente la totalité des accords de salaires prévoyant un budget d’augmentation non nul (127 accords actaient un budget d’augmentation de 0 %). Alors que l’inflation se tasse mais persiste, et que le gouvernement veut agir sur le Smic dans des termes pour l’instant très flous, Secafi constate que les augmentations concédées sur la base des NAO (négociations annuelles obligatoires) en entreprises confrontent les salariés à des baisses de pouvoir d’achat. Le taux d’augmentation s’est réduit de 4.6 % à 3,5 %, et un équilibre reste à trouver entre augmentations générales et individuelles.
Les augmentations de salaire ne suivent pas l’inflation
Entre 2023 et 2024, les augmentations de salaire ont perdu 1,1 point, passant de 4,6 à 3,5 %. Cette baisse est homogène sur l’ensemble des catégories socioprofessionnelles (CSP) : – 1,2 point pour les ouvriers et employés, – 1 point pour les professions intermédiaires et les cadres. Ces taux restent cependant supérieurs à ceux de 2022. Selon les diagrammes de Secafi, les pertes de pouvoir d’achat peuvent s’avérer substantielles, notamment sur la période janvier 2022 à juin 2023 comme le montre ce schéma :
Les entreprises ont utilisé l’inflation 2023 en glissement annuel (3,7 %) comme référentiel pour les NAO et non en moyenne sur l’année à 5 % et ainsi tiré les négociations vers le bas. Le cabinet interprète également la légère hausse du chômage (de 7,2 à 7,4 % entre début et fin 2023) comme un rééquilibrage du rapport de force en faveur des entreprises, à rebours du discours relatif à la “pénurie de main d’œuvre” qui favorisait le camp des salariés. Enfin, le contexte économique morose explique en partie la baisse des enveloppes : selon la Banque de France, la croissance du PIB (produit intérieur brut) ne devrait s’établir qu’à 0,9 % en 2024. Notons cependant qu’elle serait de 1,3 % en 2025 et 1,6 % en 2026…
Quoiqu’il en soit, Secafi acte “des salaires réels en baisse” et “une absence de spirale entre les prix et salaires depuis 3 ans”, contrairement à ce qu’affirment souvent le gouvernement et une partie des économistes selon lesquels augmenter les salaires favoriserait l’inflation. Enfin, le cabinet note que les parties aux NAO semblent utiliser le chiffre de l’inflation au moment de la négociation plutôt que l’estimation de l’inflation pour l’année suivante ou pour l’année passée. De ce fait, le chiffre mensuel de hausse des prix constitue une donnée déterminante pour les négociateurs.
Les augmentations générales à la peine
En moyenne, toutes CSP confondues, 74 % des entreprises accordent des augmentations générales. Par CSP, on constate qu’elles bénéficient à 63,9 % des cadres, 78,6 % des professions intermédiaires et 80,1 % des ouvriers employés. Les cadres touchent plus souvent une augmentation individuelle (59,7 %) que les professions intermédiaires (54,6 %) et les ouvriers (51 %).
En comparant sur les 3 années 2022 à 2024, Secafi observe une baisse du recours aux augmentations générales de 6 points pour les cadres, 7 points pour les professions intermédiaires et 9 points pour les ouvriers. Ainsi, “la tendance au retour des augmentations générales de 2023 ne s’est pas poursuivie en 2024 (…) dans un contexte de ralentissement de l’inflation qui peut inciter les entreprises à y avoir moins recours”. Toujours selon le cabinet, “il est important de rechercher un point d’équilibre entre les augmentations générales et individuelles, pour à la fois protéger les salariés de l’inflation, garantir une augmentation à tous et rémunérer la performance individuelle”.
Les augmentations les plus élevées ont été actées dans les secteurs de la construction (3,96 %), de l’énergie-chimie (3,93 %), des transports (3,85 %) et de la métallurgie (3,8 %). Les hausses les plus modérées sont négociées dans les services financiers (2,91 %), la santé (2,87 %) et les médias (2,81 %). Selon Secafi, il n’existe donc pas de corrélation entre les hausses par secteur et les taux de marges sectoriels, notamment en ce qui concerne la construction, victime d’une conjoncture économique très dégradée mais qui distribue la plus forte augmentation.
L’essoufflement des primes de partage de la valeur (PPV)
L’ancienne “prime Macron”, désormais “PPV”, est à la fois moins fréquente et moins élevée qu’en 2023. Seulement 30 % des entreprises de l’échantillon en ont intégré une dans l’accord NAO en 2024, contre 67,5 % en 2023. Son montant moyen est de 862 € en 2024, contre 1 280 € en 2023. Elle reste souvent distribuée dans les secteurs de la santé et économie solidaire, les médias, les services financiers, c’est-à-dire précisément les secteurs qui négocient des augmentations modestes.
Secafi fournit deux explications à ce phénomène. D’une part, le régime de la PPV a évolué depuis le 1er janvier 2024 : elle n’est plus exonérée de CSG/CRDS pour les entreprises employant plus de 50 salariés, ni d’impôt sur le revenu pour le salarié sauf si elle est placée dans un plan d’épargne entreprise ou de retraite entreprise. Les employeurs pourraient donc lui préférer des suppléments d’intéressement et de participation. En revanche, ils utilisent peu les instruments périphériques permettant de transférer du pouvoir d’achat via des primes carburant, un abondement de la participation au transport ou un forfait mobilité durable. De même, les clauses de revoyure restent rares (5 % des accords) alors que pèsent sur l’inflation et la conjoncture économique des incertitudes inquiétantes.
Marie-Aude Grimont
Pacte de la vie au travail (seniors, transitions, Cetu) : une négociation à l’issue bien incertaine
05/02/2024
Les organisations patronales et syndicales, réunies vendredi au Medef, dans le cadre de la négociation sur le “Pacte de la vie au travail”, ont avancé leurs propositions sur les parcours professionnels et l’emploi des seniors. Mais un doute plane sur les intentions réelles du gouvernement : retranscrira-t-il l’accord en cas de compromis ?
Après une première phase de diagnostics en janvier, les partenaires sociaux ont commencé à dévoiler leurs cartes, vendredi 2 février, lors de la séance de négociation sur le “Pacte de la vie au travail” qui s’est déroulé au Medef à Paris. “Il n’y a pas eu de round d’observation, on est entré directement dans le vif du sujet”, se félicite ainsi Yvan Ricordeau, secrétaire général adjoint de la CFDT. Le temps est en effet compté pour les organisations syndicales et patronales puisque les discussions doivent s’achever le 26 mars.
Cette négociation n’est pourtant pas une simple formalité après la conclusion des accords nationaux interprofessionnels (Ani) sur le partage de la valeur, la transition écologique ou encore sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Une négociation inédite
Elle revêt plusieurs caractéristiques inédites pour les partenaires sociaux.
D’une part, “[elle] est difficile puisque contrairement [aux autres rencontres interprofessionnelles] on ne doit pas se concentrer sur un seul sujet mais parler de tout, des carrières professionnelles, de l’usure professionnelle, de la pénibilité et même de la convention d’assurance chômage indirectement… Tout est lié”, observe Eric Courpotin, secrétaire confédéral de la CFTC. Ce qui implique une nouvelle organisation, avec “pour beaucoup d’organisations syndicales”, trois chefs de file chacun spécialisé dans leur domaine, l’emploi des seniors, les transitions professionnelles et le compte épargne temps universel, les trois questions débattues au cours de ces rencontres.
D’autre part, les partenaires sociaux restent dans le flou concernant les intentions du gouvernement. L’exécutif retranscrira-t-il fidèlement l’accord s’ils aboutissent ? Gabriel Attal n’a pas pris aucun engagement lors de ses rencontres avec les partenaires sociaux, au lendemain de sa nomination. “J’aurais aimé qu’il insiste sur la bonne transposition d’un accord dans la loi, regrette Hubert Mongon, chef de file pour le Medef. C’est un point central pour nous”. D’autant que si le Medef – comme FO d’ailleurs – se dit opposé au compte-épargne temps universel (Cetu), à l’heure où “le sujet de la simplification des normes et de la réduction est à l’ordre du jour”. Or, le Premier ministre y a fait référence dans son discours de politique générale, le 30 janvier, en le qualifiant de “véritable sac à dos social”.
“On sera extrêmement attentif à ce que l’État nous laisse travailler, le sujets sont majeurs pour les salariés et les entreprises et nous aurons à cœur d’apporter des solutions ambitieuses pour nourrir le futur projet de loi”, résume Hubert Mongon.
Mais quid d’une future loi travail qui n’aurait pas le même périmètre que le seul accord national professionnel ? Pour Yvan Ricordeau, “tout ce qui sera dans la future loi devra faire l’objet de concertation”. Un principe également rappelé par Hubert Mongon qui insiste, en vertu de l’article 1 du code du travail et confirmé par l’Ani sur le paritarisme du 14 avril 2022, sur la priorité donnée à la démocratie sociale et à négociation.
Selon ce texte, tout projet de réforme que porte le gouvernement et qui traite des relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle doit, en effet, “faire l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs”.
Des divergences sur le fond
Reste que le consensus s’arrête là. Car des divergences de taille apparaissent entre les deux camps, patronaux et syndicaux. “Les sujets ne sont pas appréhendés de la même manière”, résume Yvan Ricordeau. Car si la partie patronale met le curseur sur l’amélioration coûte que coûte du taux d’emploi des seniors, les organisations syndicales rétorquent, elles, que les salariés expérimentés ne peuvent pas travailler à “n’importe quel prix”, en insistant sur la qualité de l’emploi en fin de carrière. Rester en poste jusqu’à la retraite pose de façon plus globale la question des conditions de travail et de la soutenabilité du travail.
Des mesures à coût constant
De plus, la tâche se complexifie puisque les partenaires doivent se conformer à autre impératif strict, celui de ne pas grever les finances publiques, comme l’a indiqué le document d’orientation transmis par le gouvernement en novembre dernier. Lequel a rappelé que “les mesures qui entraîneraient des dépenses supplémentaires ou de moindres recettes devront nécessairement être équilibrées par des mesures nouvelles en recettes ou de moindres dépenses”. Une mission quasi impossible pour Jean-François Foucard (CFE-CGC) avec “zéro centime supplémentaire”.
Dans le détail, chacun y va de ses propositions. Sur l’emploi des seniors, le Medef a avancé l’idée d’un nouveau type de contrat de travail, le CDI senior. La CFDT a défendu la nécessité d’inscrire l’emploi des salariés expérimentés dans les négociations obligatoires des entreprises tandis que la CGT a mis l’accent sur les départs anticipés pour les métiers pénibles (notamment ceux du soin), le retour du CHSCT et la conditionnalité des aides versées aux employeurs, par exemple, en cas d’exonérations de charges sociales. FO plaide, de son côté, pour un aménagement du professionnel de prévention (C2P) et la CFTC insiste sur des dispositifs de transition entre l’activité et la retraite.
Vers une simplification des dispositifs de reconversion professionnelle ?
S’agissant des transitions professionnelles, la priorité devrait être donnée à la simplification des dispositifs de reconversion professionnelle : “on réfléchit à deux dispositifs de reconversion, contre 12 actuellement pour mettre le paquet sur ce qui fonctionne”, fait valoir Yvan Ricordeau. Le projet de transition professionnelle (ex-CIF), créé par la loi Avenir professionnel, pourrait ainsi être dans le viseur des négociateurs. “Attention, toutefois à la simplification des systèmes, met en garde Jean-François Foucard. S’il y a 12 dispositifs, c’est qu’il y a 12 financeurs et que chacun a sa propre enveloppe financière”.
Le conseil en évolution professionnelle devrait, lui aussi, revenir, au centre des discussions, avec pour la CFDT, le souhait de l’ouvrir aux petites entreprises…
Ces sujets seront approfondis, le 7 janvier, la prochaine séance de négociation étant consacrée à la reconversion professionnelle. Le projet d’accord ne devrait, lui, être discuté que début mars.
Anne Bariet
L’ANI du 11 avril 2023 relatif à la transition écologique et au dialogue social est étendu
05/02/2024
L’accord national interprofessionnel du 11 avril 2023 relatif à la transition écologique et au dialogue social est étendu par l’arrêté du 22 janvier 2024, publié vendredi 2 février au Journal officiel. Le texte n’impose pas d’obligation nouvelle pour les employeurs.
Sur la forme, il donne des repères juridiques et pratiques qui “permettent d’identifier des pistes de discussions, et plus particulièrement pour les TPE et les PME”. Sur le fond, il réaffirme l’importance du dialogue du social, réglementé par le code du travail, mais aussi du dialogue professionnel, notamment dans les entreprises dépourvues de représentation du personnel et de présence syndicale.
Deux organisations patronales (Medef, U2P) et deux organisations syndicales (CFDT, CFTC) avait ratifié ce texte.
Source : actuel CSE
Un salarié peut contester les conditions légales de validité d’un accord collectif par la voie de l’exception d’illégalité
06/02/2024
Si un salarié, au soutien d’une exception d’illégalité d’un accord collectif, ne peut invoquer un grief tiré des conditions dans lesquelles la négociation de l’accord a eu lieu, il peut invoquer le non-respect des conditions légales de validité de l’accord, relatives notamment à la qualité des parties signataires.
Selon l’article L. 2262-14 du code du travail, l’action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée dans un délai de 2 mois. Ce délai court à compter :
- de la notification de l’accord d’entreprise pour les organisations disposant d’une section syndicale dans l’entreprise ;
- de la publication de l’accord dans la base de données nationale dans tous les autres cas.
Pour autant, ce texte ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par la voie de l’exception, l’illégalité d’une clause conventionnelle à l’occasion d’un litige individuel la mettant en œuvre (Cons. Const., déc., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC).
► Remarque : pour la Cour de cassation, d’autres personnes que le salarié peuvent soulever, dans un litige individuel, une telle exception d’illégalité (sur cette notion, voir notre encadré en fin d’article). Elle reconnaît ce droit aux CSE et aux syndicats lorsqu’ils défendent leurs droits propres (Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-16.002 ; Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-20.077 ; Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-18.442).
Quels sont les griefs que peut présenter un salarié lorsqu’il se prévaut d’une exception d’illégalité d’une convention ou d’un accord collectif ? C’est à cette question que répond, pour la première fois, la Cour de cassation dans un arrêt du 31 janvier 2024 qui figurera à son rapport annuel.
Les griefs invoqués par le salarié : le défaut d’habilitation des délégués syndicaux signataires de l’accord collectif
Dans cette affaire, un agent de sécurité, employé à temps partiel à compter d’août 2006, est licencié pour cause réelle et sérieuse en mars 2016. Il saisit la justice en mai 2016 pour contester ce licenciement et solliciter la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein.
En appel, il invoque, par voie d’exception, l’illégalité de l’accord collectif d’entreprise du 1er juillet 2010 relatif à l’aménagement du temps de travail, sur le fondement duquel son contrat de travail à temps partiel avait été conclu. Cette illégalité découlait, selon lui, du fait que les délégués syndicaux ayant conclu l’accord n’avaient en réalité plus de mandat.
Les juges d’appel requalifient son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein. L’accord collectif était inopposable au salarié puisque les délégués syndicaux signataires de cet accord n’avaient pas fait l’objet d’une nouvelle désignation après les nouvelles élections professionnelles qui s’étaient tenues début juin 2010 (soit quelques semaines avant la signature de l’accord d’entreprise litigieux).
Or, depuis un arrêt du 10 mars 2010 (Soc., 10 mars 2010, n° 09-60.347), soit avant la signature de l’accord, “le mandat du représentant syndical au comité d’entreprise prend fin lors du renouvellement des membres de cette institution. Par conséquent, les délégués du personnel ayant signé l’accord d’entreprise du 1er juillet 2010 ne disposaient pas d’un pouvoir pour ce faire”.
► Remarque : notons que l’arrêt précité concernait les représentants syndicaux au comité d’entreprise, non les délégués syndicaux. Un détail qui revêt une grande importante (voir les développements relatifs à la validité de l’accord).
La défense de l’employeur : un salarié ne peut pas invoquer des griefs relatifs à la forme de l’accord collectif
L’employeur se pourvoit alors en cassation. Il soutient que le salarié ne peut soulever une exception d’illégalité d’un accord d’entreprise que pour des motifs tenant au fond (c’est-à-dire au contenu d’une ou de plusieurs clauses de cet acte) et non pour des vices de forme ou tenant à la procédure de négociation. Il fonde son argumentation notamment sur la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018 précitée. Les Sages évoquaient la contestation “d’une clause de convention ou d’un accord collectif” dans le cadre d’un litige individuel opposant le salarié à son employeur. Pour l’employeur, l’emploi des termes “clauses d’un accord collectif” signifie que le salarié ne peut contester que le contenu de cet accord et non les modalités selon lesquelles il a été négocié et formalisé.
Or, le grief d’illégalité de l’accord collectif invoqué par le salarié, à savoir le défaut d’habilitation des délégués syndicaux ayant signé l’accord collectif, est une question de validité de l’accord et de compétence des signataires (donc une question formelle).
La question posée à la Chambre sociale est donc celle de savoir si un salarié peut contester, dans le cadre d’une exception d’illégalité de l’accord collectif, les modalités selon lesquelles cet accord a été négocié et formalisé ?
La réponse de la Cour de cassation : l’illégalité des conditions de validité de l’accord peut être soulevée…
Pour la Cour de cassation, un salarié, “au soutien d’une exception d’illégalité d’un accord collectif, ne peut invoquer un grief tiré des conditions dans lesquelles la négociation de l’accord a eu lieu” (par exemple, la déloyauté des négociations). Mais, il “peut invoquer à l’appui de cette exception le non-respect des conditions légales de validité de l’accord collectif, relatives notamment à la qualité des parties signataires”.
Pour justifier sa décision, la Cour de cassation s’appuie sur la nature hybride de l’accord collectif, qui tient de l’acte réglementaire et de l’acte contractuel.
La nature réglementaire d’un accord collectif tient au fait que le recours en contestation de sa légalité et l’exception d’illégalité qui en est le pendant, tels que prévu par l’article L. 2262-14, sont inspirés du droit administratif.
Dans le contentieux administratif, l’on distingue traditionnellement les moyens de légalité interne (soit le fond du droit) et les moyens de légalité externe (soit les conditions d’adoption de l’acte réglementaire). La question de la compétence de l’auteur de l’acte relève de la légalité externe mais elle est considérée comme étant d’ordre public et comme devant être soulevée d’office par le juge. En outre, en raison de la permanence de l’acte réglementaire, la légalité des règles qu’il fixe, la compétence de son auteur et l’existence d’un détournement de pouvoir doivent pouvoir être mises en cause à tout moment (c’est-à-dire par voie d’action et par voie d’exception). Il n’en va pas de même des conditions d’édiction de cet acte (CE, 18 mai 2018, n° 414583).
S’ils produisent des effets les rapprochant des actes réglementaires, les accords collectifs empruntent aussi au droit des contrats qui subordonne notamment la validité d’un contrat à la capacité de contracter. Le code du travail pose également des conditions de validité des conventions et accords collectifs tenant à leur objet et à la capacité des signataires.
► Remarque : par ailleurs, la Cour de cassation rappelle que :
- la nullité d’un accord collectif est encourue “lorsque toutes les organisations syndicales n’ont pas été convoquées à sa négociation, ou si l’existence de négociations séparées est établie, ou encore si elles n’ont pas été mises à même de discuter les termes du projet soumis à la signature en demandant le cas échéant la poursuite des négociations jusqu’à la procédure prévue pour celle-ci” (Cass. soc., 8 mars 2017, n° 15-18.080) ;
- l’employeur doit mener loyalement les négociations d’un accord collectif notamment en mettant à disposition des organisations participant à la négociation les éléments d’information indispensables à celle-ci (Cass. soc., 6 janv. 2016, n° 15-10.975 ; Cass. soc., 9 oct. 2019, n° 19-10.780).
… mais en l’espèce, l’accord collectif était valide
Si l’exception d’illégalité soulevée par le salarié est recevable pour la Cour de cassation, l’accord doit toutefois être jugé valide.
En effet, le juge saisi d’un recours en nullité contre les conventions ou accords collectifs doit apprécier leur conformité au regard des dispositions légales et réglementaires en vigueur lors de la conclusion de ces conventions ou accords.
Rappelons que l’accord litigieux avait été conclu le 1er juillet 2010, soit quelques semaines après les élections professionnelles qui s’étaient tenues en mai 2010.
Pour comprendre la décision prise par la Cour de cassation, il faut rappeler que la loi du 20 août 2008 a conditionné la représentativité des organisations syndicales (leur permettant de désigner un délégué syndical) à la nécessité de totaliser au moins 10 % des suffrages au premier tour des dernières élections professionnelles. A titre transitoire, les délégués syndicaux régulièrement désignés à la date de publication de cette loi conservaient leur mandat et leurs prérogatives jusqu’aux résultats des premières élections professionnelles organisées après publication de la loi (cas de l’espèce). Après ces élections, les délégués conservaient leur mandat et leurs prérogatives s’ils satisfaisaient aux nouvelles conditions légales. La loi ne précisait pas s’il fallait, pour ce faire, “redésigner” les délégués dans les formes. C’est la jurisprudence qui a tranché ce point. Or, celle-ci a exigé cette nouvelle désignation en deux temps.
Si elle l’a exigé dès le 10 mars 2010 (soit avant la signature de l’accord litigieux) pour les représentants de section syndicale, ce n’est que par un arrêt du 22 septembre 2010 (n° 09-60.435 – soit plus de 2 mois après la signature de l’accord litigieux) que cette exigence a été transposée aux délégués syndicaux.
► Remarque : dans le dernier arrêt cité en référence, la Cour de cassation a jugé que “le mandat du délégué syndical prenant fin lors du renouvellement des [IRP], la désignation, à l’issue de ces nouvelles élections, d’un délégué syndical, fait courir à compter de la date de cette désignation le délai de forclusion de 15 jours prévu par l’article R. 2324-24 du code du travail même si le salarié exerçait déjà cette mission avant le nouveau scrutin”.
Cette exigence jurisprudentielle n’ayant été posée pour les délégués syndicaux qu’après sa conclusion, elle ne s’appliquait pas à l’accord litigieux. Celui-ci était donc valide au regard des dispositions légales et réglementaires en vigueur au moment de sa conclusion.
Qu’est-ce que l’exception d’illégalité ? |
L’exception d’illégalité peut se définir comme un moyen permettant de contester indirectement la légalité d’un acte à l’occasion d’un recours en annulation d’une mesure d’application de cet acte. Quelle conséquence si l’illégalité est avérée ? Le juge doit se borner à écarter le texte considéré comme illégal lors des débats sur ce litige particulier, mais il ne peut pas annuler directement l’acte considéré comme illégal. En effet, l’exception d’illégalité n’est pas un recours exercé directement contre un texte mais un argument de procédure permettant à la partie qui l’invoque, et à elle seule, de se soustraire à son application. |
Géraldine Anstett
La branche du froid revalorise ses minima salariaux
06/02/2024
Rattrapés par les hausses du Smic liées à l’inflation, les minima salariaux de la branche du froid avaient besoin d’une revalorisation. La CFDT (38,89 % de représentativité dans la branche) indique avoir signé un accord après une année 2023 marquée par un dialogue social “dégradé”.
L’accord comprend :
- 4 % d’augmentation sur tous les coefficients ;
- une augmentation du point d’ancienneté de 5 à 5,5 € ;
- une modification de la prime d’astreinte désormais indexée sur le premier coefficient, portant la prime de 10,2 à 12 €.
La CFDT se félicite “d’un retour des échanges de qualité permettant de renouer avec des avancées sociales”. Force Ouvrière (24,5 % de représentativité) revendiquait une augmentation de 6 % mais se félicite d’une “excellente négociation” : “La délégation patronale s’est rapprochée de notre revendication et nous avons obtenu 4 % sur l’ensemble de la grille, avec un premier niveau à 1821 €”. FO sera donc également signataire de cet accord (lire le communiqué de la fédération FO Métaux). La CGT n’a pas encore fait connaître sa position.
Source : actuel CSE
Samuel Mathieu (SNECA) : “Après un débrayage, les négociateurs Sneca ont obtenu une augmentation générale de 1 500 euros”
08/02/2024
Samuel Mathieu préside le SNECA (Syndicat national Crédit Agricole CFE-CGC), principal syndicat de la banque qui emploie en France 73 000 salariés. Il est également délégué syndical, élu au CSE des caisses du Nord Est et secrétaire du comité de groupe. Il a mené fin 2023 les négociations de branche sur les salaires. Après des échanges tendus avec la direction et un débrayage en décembre, il a obtenu 1 500 euros d’augmentation générale. Il nous raconte.
Comment se sont déroulées les négociations salariales cette année ?
Au Crédit Agricole, nous conduisons deux séquences : une négociation de branche sur les augmentations générales car nous avons notre propre convention collective, et des négociations locales où l’on décide des augmentations individuelles. Je ne vous cache pas que cette fin d’année a été un peu compliquée. En règle générale, on négocie en janvier, mais comme nous avons vu que le Crédit Mutuel a décroché 3 000 euros de prime de partage de la valeur, nous avons demandé la même. Le Crédit Agricole connaît lui aussi une bonne santé financière : au 30 juin, le résultat cumulé des caisses régionales du Crédit Agricole était de 2,3 milliards d’euros, et celui du Crédit Mutuel de 2 milliards.
Comment avez-vous organisé vos revendications entre la prime et l’augmentation générale ?
Il n’y avait donc pas de raison que nous ne soyons pas logés à la même enseigne, avec une prime d’au moins 1 200 euros combinée à une augmentation générale. Avec les autres organisations syndicales, Sud et la CFDT, nous étions sur la même longueur d’ondes. Nous avons donc voulu rapidement agir en intersyndicale pour peser. Ces dernières années, nous avons obtenu des primes, comme tout le monde. Nous étions donc sur cette dynamique, bien que le SNECA n’en soit pas un farouche défenseur. Nous avons toujours défendu les augmentations générales pérennes qui préservent le pouvoir d’achat de tous les salariés. C’est pourquoi nous avons demandé le couple prime plus augmentation générale.
Qu’en ont pensé les salariés ?
Les salariés voulaient tout, et on peut les comprendre ! En fait, les jeunes générations nous disaient apprécier la prime, car elle représente une somme supplémentaire immédiatement disponible. Au contraire, les salariés plus anciens, notamment après 45 ans, privilégient les augmentations car ils se projettent à plus long terme. Mais de toute façon, nous avons besoin de salaires attractifs pour que les métiers de la banque attirent les jeunes.
Au final, qu’est-ce que la direction a proposé ?
La direction a rapidement refusé le versement de la prime, c’est pourquoi nous avons appelé à un débrayage.
C’est très rare dans la banque non ?
Oui, au Crédit Agricole ça n’était pas arrivé depuis 1999 ! Et nous avons remporté un certain succès car l’appel à débrayer a été diffusé le vendredi soir à 18 heures et nous avons été rattrapés par notre base qui ne voulait pas attendre la fin des négociations. Le mouvement s’est dessiné le 6 décembre, 25 caisses régionales ont débrayé, avec 30 % de salariés grévistes, soit environ 10 000 personnes. Nous n’avons cessé le travail que deux heures, afin de ne pas trop pénaliser le pouvoir d’achat.
Comment a réagi la direction ?
Exceptionnellement, la négociation a été avancée au 19 décembre au lieu du mois de janvier. Nous sommes parvenus à un accord mais avec une négociation longue et tendue, et pourtant j’ai l’habitude, je suis négociateur depuis 2016. Si nous n’avions pas de résultat, nous voulions relancer un mouvement, mais nous avons convenu d’une augmentation pérenne de 1 500 euros bruts pour tout le monde et sur 13 mois. Nous étions très satisfaits et j’ai eu d’excellents retours des salariés. Bien-sûr, 1 500 euros ne représente pas le même pourcentage de salaire en fonction de la rémunération : le pourcentage d’augmentation est plus élevé pour les salaires modestes et plus faible pour les cadres, mais il n’y en a que deux qui ont râlé un peu… Dans les futures négos, nous reviendrons à un principe de pourcentage. Il faut dire aussi que nos minima de branche sont supérieurs au Smic, de l’ordre de 2 181 euros bruts sur 13 mois, auxquels il faut rajouter la rémunération variable.
Comment avez-vous utilisé l’inflation à l’appui de votre négociation ?
C’est sur la prise en compte de l’inflation que nous avions un gros écart avec les dirigeants. L’année dernière, l’augmentation générale a à peu près couvert la hausse des prix. Cette année, notre argument était de dire que les augmentations individuelles négociées au niveau local ne couvrent pas 100 % des salariés, mais entre 30 et 50 %. La fédération nous répondait que la période était compliquée pour les banques de détail avec la hausse des taux d’intérêt, cela joue sur le résultat des caisses. Du côté des salariés, il y a un hiatus entre l’inflation ressentie et les calculs de l’Insee.
Justement, sur quels chiffres d’inflation vous appuyez-vous ?
Depuis deux ans, nous calculons un panier moyen calculé avec trois indicateurs : l’inflation prévisionnelle de la Banque de France, celle des économistes du Crédit Agricole dont on se sert pour bâtir les budgets dans les caisses régionales, et enfin celle de notre banque d’investissement. On additionne les 3 chiffres et on divise par 3 pour obtenir une moyenne. L’idéal est aussi d’obtenir des clauses de revoyure mais la direction accepte rarement.
Quels enseignements avez-vous tiré de cette négociation pour les prochaines années ?
Déjà, nous avons obtenu un gros changement : une négociation en novembre et décembre au lieu de janvier, ce que font déjà la plupart des banques. Par ailleurs, nous demandons aux sections locales de négocier des enveloppes suffisamment importantes pour pouvoir récompenser un maximum de collègues de façon individuelles. Certaines augmentations sont liées à des promotions et c’est normal, syndicalement parlant, nous n’y sommes pour rien. Cependant, dans une enveloppe de 1,55 %, une part de 1 % reste à la main des managers pour récompenser ceux qui ont bien travaillé. Il faut qu’ils conservent cette marge de manœuvre afin d’avoir le plus de latitudes possibles. Nous demandons donc aux négociateurs locaux de négocier le plus possibles au-dessus de 1 %.
Marie-Aude Grimont
Pacte de la vie au travail : les propositions chocs de la CPME sur les transitions professionnelles
08/02/2024
Les partenaires sociaux, réunis hier au siège parisien du Medef, ont avancé leurs propositions sur les transitions professionnelles. A ce stade, rien n’est stabilisé. Mais la CPME a créé la surprise avec plusieurs mesures qui risquent de constituer des lignes rouges pour les organisations syndicales.
Pas d’avancée concrète lors de cette nouvelle séance de négociation sur le “Pacte de la vie au travail”, consacrée hier aux transitions professionnelles. Chaque organisation, patronale et syndicale, a dévoilé ses cartes afin d’apporter “quelques pièces au puzzle” qu’il restera ensuite à constituer, c’est à-dire à retranscrire dans un Ani, un projet d’accord national interprofessionnel (*). Chacun a pu jauger la pertinence des propositions adverses et mesurer l’écart pour parvenir à un compromis.
L’une des interventions a particulièrement marqué les négociateurs, celle d’Éric Chevée, vice-président de la CPME, chargé des affaires sociales, qui s’exprimait non pas au nom du camp patronal mais de sa propre organisation. Certains y vont vu un signe de désaccords entre l’U2P, le Medef et la CPME, souvent amenés à parler d’une seule voix. Mais Éric Chevée a tenu à rassurer en indiquant que “les propositions patronales vont se resserrer pour arriver à l’écriture d’un accord”.
Reste que plusieurs d’entre elles détonnent et risquent de constituer des lignes rouges pour les organisations syndicales, certaines étant qualifiées “d’un autre temps”.
Clause de “dédit-formation”
La CPME a ainsi remis sur la table l’idée d’une clause de dédit-formation qui contraindrait un salarié ayant bénéficié d’une formation coûteuse à rembourser tout ou partie des frais engagés en cas de départ anticipé. Si le principe existe déjà, cette clause peut actuellement être insérée au sein du contrat de travail ou d’un avenant, sa mise en œuvre est subordonnée au respect de conditions strictes. L’idée est donc de simplifier le dispositif tout en “le sécurisant à travers un Ani”. Y compris pour les contrats de professionnalisation “au-delà du bac”.
Le conseil en évolution professionnelle, éligible au CPF ?
Autre proposition choc : celle de flécher le financement du conseil en évolution professionnelle (CEP) vers les entreprises, notamment les PME pour qu’elles puissent bénéficier de l’aide de spécialistes tout en demandant aux actifs de prendre sur leur propre compte personnel de formation pour payer ces prestations de conseil jusqu’ici gratuites. L’idée de la CPME est, en effet, de réaliser un véritable tour de passe-passe avec les fonds de France compétences afin de dégager de nouvelles ressources financières qui viendraient en soutien des PME. A la fois pour le conseil en évolution professionnelle mais aussi en actant un retour à la mutualisation des fonds de formation pour les sociétés de 50 à 300 salariés, abandonnée avec la loi Avenir professionnel.
De plus, la CPME a préconisé la mise en place d’un contrat de professionnalisation, revisité ou contrat de “transition”, co-construit entre l’employeur et le salarié, qui viserait à acquérir des compétences mais sans déboucher forcément sur une certification. Il pourrait être financé sur les fonds Pro-A, le dispositif de reconversion ou promotion par alternance prévue par la loi du 5 septembre 2018.
Un entretien de “transition” ou de mi-carrière
Autant dire que ces propositions n’ont pas recueilli l’aval des organisations syndicales.
A ce stade, une seule ligne commune semble se dégager, celle d’instaurer un entretien à mi-carrière, sur le modèle de la visite médicale obligatoire, instauré par la loi du 2 août 2021 sur la santé au travail, qui doit être l’occasion de faire le bilan de l’état de santé du salarié. Un dispositif mis en place par la loi sur la formation professionnelle de 2009 pour les salariés de 45 ans et plus puis abandonné en 2014.
Pour Michel Beaugas (FO), le retour de ce rendez-vous permettrait “de travailler sur la progression de carrière, en identifiant les formations nécessaires pour accéder à des postes plus élevées et donc mieux rémunérés”. Voire l’aider à changer de métier.
Si plusieurs organisations syndicales et même patronales plaident pour faire évoluer l’entretien professionnel, la CFTC penche davantage pour un nouveau tête-à-tête, un entretien de “transition”, à destination des salariés concernés par un métier à durée limitée, réalisé non pas dans l’entreprise mais via le conseil en évolution professionnelle. Aline Mougeot (CFTC et présidente de l’Opco des entreprises de proximité) avance également l’idée de majorer leur compte personnel de formation (CPF), via une dotation de 1 000 euros par an et par salarié, en lieu et place des 500 euros actuels, pour aider à la reconversion. Un système qui aurait le mérite, selon elle, de “renforcer l’attractivité du secteur médico-social” dans lequel on entre par “vocation” mais que l’on “souhaite quitter” en raison de “la difficulté des métiers”.
Le thème de l’usure professionnelle sera, d’ailleurs au menu des discussions du 16 février. La prochaine séance, celle du 15, étant consacrée à l’emploi des seniors.
Anne Bariet