Transitions écologique : comment CSE et syndicats ajoutent du vert dans les négociations sociales

23/09/2024

Deux chercheurs et un consultant se sont penchés sur le verdissement des négociations sociales. En étudiant de nombreux articles de recherche couvrant la France mais aussi plusieurs autres pays, ils aboutissent à une typologie des négociateurs, tant du côté employeur que du côté salarié. Par ailleurs, l’étude de quatre plans de sauvegarde en France montre également comment CSE et syndicats s’approprient et mobilisent des arguments environnementaux au cours de négociations centrées sur l’emploi.

La revue Négociations a consacré l’intégralité de son numéro 40 à la négociation des transitions écologiques, ses enjeux, ses acteurs et ses pratiques. Camille Dupuy, chercheuse au Ceet du Cnam* et à l’Université Rouen Normandie a élaboré avec Vincent Pasquier (HEC** Montréal) une typologie des postures adoptées par patrons et représentants des salariés. Il apparaît ainsi que les acteurs oscillent entre opposition et soutien d’arguments environnementaux, ne parvenant pas toujours à sortir du dilemme entre sauvegarde des emplois et préservation de l’environnement.

Dans le même numéro, la revue publie un article de Jean-Vincent Koster, consultant en santé et organisation du travail, qui a étudié quatre plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) en France afin d’observer comment élus de CSE et syndicats ont intégré la question environnementale dans les négociations. Les résultats ne sont bien-sûr pas exhaustifs mais dans la majeure partie des cas, les représentants du personnel demandent un moratoire du plan ou un investissement supplémentaire pour réduire l’empreinte carbone. Explications

Du conservatisme social à la lutte des éco-classes

Comment réagissent les employeurs et les représentants du personnel contraints de négocier sur l’environnement ? Camille Dupuy et Vincent Pasquier tentent répondent à cette question dans un article de 16 pages tout à fait accessibles. Car ces chercheurs en sociologie du travail et management des organisations parviennent à dresser une typologie des négociations tout en restant clairs et compréhensibles dans leurs conclusions. En s’appuyant sur les travaux de leurs confrères et une large revue de littérature sur ces sujets, ils ont dégagé cinq configurations type de négociations sur la transition écologique en croisant les stratégies des employeurs et des syndicats en fonction de leur opposition ou de leur soutien à la négociation écologique.

  1. Le “corporatisme brun” : dans ces cas, patronat et syndicats s’opposent tous deux à la transition écologique. Ils souhaitent un “statu quo” sans qu’aucune négociation verte ne s’engage véritablement. Ils échangent donc en coulisses ou insistent dans les médias sur le coût social et financier de la transition écologique ou l’absence d’alternative à leur modèle de production. Ce type de configuration semble selon les chercheurs “de moins en moins fréquent” mais reste bien présent en Europe ;
  2. À l’opposée, le “corporatisme vert” se caractérise par la volonté convergente des acteurs de concilier justice sociale et environnementale, le plus souvent avec l’accompagnement de l’État. L’objet des négociations consiste alors dans l’accompagnement social des salariés sur les emplois futurs et les nécessaires formations, rendant les restructurations “socialement acceptables” ;
  3. Les “marginalistes” ne se rejoignent que pour intégrer à la marge les enjeux verts dans leurs négociations. Selon les chercheurs, il s’agit du positionnement le plus répandu. Employeurs et représentants du personnel se focalisent sur les sujets aux enjeux faibles comme le recyclage des déchets, le transport des salariés, la gestion des consommables (papier, encre des imprimantes, fournitures de bureau). Acteurs patronaux et syndicaux “répondent ainsi aux pressions externes (clients, confédération) et mettent en scène leur implication sur le sujet (…) mais l’organisation du travail n’est modifiée qu’à la marge” ;
  4. Dans les cas de “conservatisme social”, l’employeur se montre favorable à des négociations environnementales mais les représentants du personnel s’y opposent en favorisant les aspects sociaux. Si l’employeur opte pour l’évitement, la négociation environnementale sera réduite au minimum. En l’absence d’évitement, les syndicats sont contraints d’adopter une posture défensive, d’autant qu’ils subissent leur manque de temps et de moyens. Ils sont donc contraints de revoir à la baisse des conditions de travail et à négocier les moins mauvaises conditions de départ pour préserver les emplois ;
  5. Enfin, “l’éco-lutte des classes” inverse les postures du conservatisme social : les élus du personnel prônent un changement radical du mode de production au profit d’un modèle vert et l’employeur s’y oppose, mettant ainsi en jeu le contrôle de l’appareil productif. On y retrouve une lecture marxiste de l’opposition capital-travail, “entendues comme les forces dominantes qui non seulement exploitent et abusent des travailleurs mais également des ressources naturelles”, expliquent les auteurs. Dans ces cas, pas de salle de négociation mais des luttes de terrain avec associations et ONG.

Autre élément pointé par cet article, “plus la négociation se déroule à un niveau élevé, plus les acteurs tendront à se rapprocher d’une négociation du type “corporatisme vert (…) car les négociations aux strates supérieures se concentrent sur les principes, ce qui faciliterait un progressisme alors que les négociations locales portent plus concrètement sur le sort d’individus ce qui encourage le conservatisme social ou le corporatisme brun”. Camille Dupuy et Vincent Pasquier renvoient par ailleurs à l’article du consultant Jean-Vincent Koster sur les négociations de PSE qui ne relève “les difficultés à négocier avec des moyens humains et financiers amputés par les réformes récentes du droit du travail français”.

CSE et syndicats dans les négociations de PSE

Comment les représentants du personnel s’approprient-ils la cause environnementale pendant la négociation d’un PSE ? Attaché de recherche au Cnam puis consultant en santé et organisation du travail depuis 2012, Jean-Vincent Koster a étudié quatre négociations de PSE en France pour répondre à cette question. Il s’est notamment appuyé sur ses missions d’assistance aux CSE ou aux délégués syndicaux pour déduire selon quelles modalités les représentants du personnel parvenaient à résoudre la quadrature du cercle entre environnement et social. Les PSE étudiés ont été présentés dans une centrale à charbon, une entreprise utilisant l’amidon de maïs dans des processus chimiques, une société de fabrication de ciment et une d’agroalimentaire (article également en ligne sur Cairn en accès payant).

Il ressort de ses travaux quatre formes de contestation des arguments présentés par les directions :

  1. La demande de moratoire : dans ce cas, les élus demandent une suspension du projet, à ne pas associer systématiquement à une attitude de freinage par rapport au progrès environnemental, ni à un immobilisme vert. “L’intérêt d’une suspension (…) ne va pas de soi pour tous les salariés. Cela suppose d’articuler la demande de moratoire avec d’autres revendications”, indique l’auteur qui insiste sur l’absence de marge de manœuvre des représentants du personnel dans ces négociations. Ils sont souvent informés au dernier moment d’un PSE élaboré depuis plusieurs mois par les directions : “Pour se prémunir du délit d’entrave, les représentants des directions affirment que la décision vient d’être prise”, mais les délais préfix (2 à 4 mois) laissent peu l’opportunité aux élus pour déposer un projet alternatif ;
  2. La demande d’investissements supplémentaires afin de réduire l’empreinte carbone tout en maintenant les emplois : l’auteur note la nouveauté de la dimension pro-environnementale dans les investissements demandés. Les élus mettent alors en avant la responsabilité de la direction dans le sous-investissement chronique ;
  3. La recherche des coûts cachés provoqués par la réorganisation : ce registre a été observé dans l’usine d’amidon de maïs : la fermeture d’une partie du site était justifiée par le manque de compétitivité des produits par rapport à d’autres sites de l’entreprise utilisant du blé. La direction refusait le projet jugé trop coûteux de rajouter les équipements permettant de traiter de l’amidon de blé. Les élus ont donc déconstruit l’argumentaire des dirigeants et mis en avant le “saccage écologique en plus de la casse sociale” ;
  4. La construction d’un projet alternatif : ce type de réappropriation reste très rare selon l’auteur qui évoque le cas d’une centrale à charbon (le cas ressemble au conflit de Gardanne) revu autour de la production d’hydrogène vert et qui a vu son succès lié à la mobilisation entre le syndicat majoritaire (CGT), les pouvoirs publics et la direction. L’auteur note cependant que depuis, “les projets de reconversion tardent à se déployer”.

Quel que soit le registre utilisé par les élus du personnel, Jean-Vincent Koster a profité de son étude pour pointer “les freins à une négociation d’ampleur” :

  • des débats portant trop souvent sur le maintien dans l’emploi, y compris hors de l’entreprise au détriment du maintien de l’emploi sur le site ;
  • le refus régulièrement des représentants des employeurs à mettre en débat un contre-diagnostic et le pilotage à distance de la restructuration par les têtes de groupe laissant peu de marge aux directions de site ;
  • des informations des élus de CSE encore trop incomplètes malgré la BDESE, en particulier sur les bilans carbone des entreprises ;
  • l’absence de “facilitation” à saisir la justice ou l’administration du travail afin d’obtenir une suspension du projet pour défaut d’information.

Ces articles montrent en tout cas que la recherche en sociologie du travail s’empare non seulement des préoccupations des élus de CSE et délégués syndicaux mais également du croisement entre les enjeux sociaux et environnementaux qui vont sans aucun doute devenir fondamentaux dans les prochaines années. Un éclairage bienvenu sur les choix futurs des représentants du personnel.

Marie-Aude Grimont

L’obligation de négocier sur la GEPP est subordonnée à l’existence d’un ou plusieurs syndicats représentatifs dans l’entreprise

25/09/2024

Dans un arrêt du 11 septembre 2024, la Cour de cassation indique que l’obligation de négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) est subordonnée à l’existence d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au niveau de l’entreprise.

Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, l’employeur est tenu d’ouvrir des négociations au moins une fois tous les quatre ans, sur les thèmes suivants (article L.2242-1 du code du travail) :

  • la rémunération (notamment les salaires effectifs), le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée, (c’est-à-dire les dispositifs de participation, d’intéressement et d’épargne salariale mais aussi les plans d’épargne retraite d’entreprise) ;
  • l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération)  et la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT).

► L’existence d’une section syndicale se manifeste par la désignation d’un ou plusieurs délégués syndicaux si l’effectif de l’entreprise atteint au moins 50 salariés. Si l’effectif est inférieur, cette existence se manifeste lorsqu’un membre du CSE est désigné comme délégué syndical.

Les entreprises ou groupes d’au moins 300 salariés (ou entreprises communautaires comportant un comité d’entreprise européen d’au moins 300 salariés et une entreprise d’au moins 150 salariés en France) doivent également ouvrir des négociations au moins tous les quatre ans sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) (article L.2242-2 du code du travail).

L’article L.2242-2 précité ne subordonne pas expressément l’obligation de négocier sur la GEPP à l’existence de syndicats représentatifs dans l’entreprise, comme le fait l’article L.2242-1. Cette condition s’applique-t-elle aussi à ce thème ?

Dans un arrêt du 19 janvier 2022 qui portait sur la négociation obligatoire relative à la GEPP, la Cour de cassation affirme, sur le fondement des articles L.2242-1 et L.2242-2 précités et dans des termes généraux, que “l’obligation de négociation est subordonnée à l’existence dans l’entreprise d’une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives” dans l’entreprise. L’arrêt d’appel est cassé et l’affaire renvoyée devant une autre cour d’appel. Mais l’affaire lui revient. L’occasion, pour elle, de réitérer sa position en précisant, cette fois-ci, que la condition s’applique bien à la négociation relative à la GEPP.

► À l’époque des faits, les négociations sur la GEPP (dénommée GPEC) devaient être ouvertes tous les trois ans.

Rappel des faits et de la procédure

Dans cette affaire, une société comptant environ 1 200 salariés au sein de 122 magasins est assignée en justice par un syndicat, le 27 novembre 2018. Celui-ci réclame, entre autres, que soit ordonné à la société d’ouvrir des négociations sur la GEPP (GEPC à l’époque des faits) sous astreinte et le paiement de dommages-intérêts pour entrave à la négociation.

En effet, aucune négociation relative à la GPEC n’avait été ouverte par l’employeur entre 2015 et 2019.

Le syndicat avait désigné le 26 juillet 2012 un délégué syndical mais uniquement pour un des sept établissements distincts que compte l’entreprise, en application du PAP.

Ce n’est qu’à la suite des élections d’octobre 2016 que le syndicat désigne, le 16 novembre 2016, deux délégués syndicaux au niveau de l’entreprise.

Il est débouté une première fois de ses demandes aux motifs que :

  • la désignation des deux délégués syndicaux n’est intervenue que le 16 novembre 2016 (l’un d’entre eux s’est, en outre, vu retirer son mandat en 2017) ;
  • en 2015 et 2016, aucune négociation annuelle obligatoire n’a pu être ouverte en raison de l’absence systématique du délégué syndical aux réunions ;
  • le syndicat n’a évoqué cette négociation pour la première fois que le 31 octobre 2018 et ne l’a expressément sollicitée que le 18 juin 2019.

► Les juges rappellent également que la périodicité de cette négociation était triennale jusqu’au 20 décembre 2017 puis quadriennale ensuite.

La Cour de cassation casse l’arrêt (arrêt du 19 janvier 2022 précité). Le motif tenant à l’absence de demande de négociations est inopérant. De plus, il résultait des constatations des juges d’appel que le syndicat était représentatif au sein de l’entreprise depuis 2012 (le périmètre de désignation du délégué syndical désigné en 2012 n’avait visiblement pas été remis en cause par la société).

L’affaire est rejugée en appel pour le même résultat mais cette fois-ci, les juges d’appel relèvent bien la désignation du délégué syndical en 2012 ne portait que sur un des sept établissements de l’entreprise et qu’aucun délégué syndical n’avait été désigné au niveau de l’entreprise jusqu’au 16 novembre 2016. Ils en concluent que le délai de la négociation d’un accord sur la GEPP n’était pas acquis au moment de la saisine du tribunal par le syndicat le 27 novembre 2018.

À bon droit, selon la Cour de cassation. 

Existence d’organisations syndicales représentatives dans l’entreprise : un préalable à l’obligation de négocier sur la GEPP

Dans l’arrêt du 11 septembre 2024, la Cour de cassation, cette fois-ci, ne fonde sa décision que sur l’article L 2242-2 du code du travail et précise bien que “l’obligation de négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels est subordonnée à l’existence d’une ou plusieurs organisations syndicales représentatives au niveau de l’entreprise”. 

Ce faisant, dès lors que l’entreprise dispose d’un syndicat représentatif et de délégués syndicaux, l’employeur doit ouvrir des négociations au moins une fois tous les quatre ans (tous les trois ans à l’époque des faits de l’espèce), sous peine d’une condamnation au versement de dommages et intérêts pour entrave à la négociation. 

Peu importe à cet égard l’absence systématique du délégué syndical aux réunions ou la sollicitation tardive du syndicat.

En revanche, cette obligation ne s’impose à l’employeur qu’à partir du moment où la représentativité du syndicat est reconnue. S’agissant des négociations obligatoires, elle s’impose donc dès lors qu’un délégué syndical est désigné au niveau de négociation requis (à savoir ici, l’entreprise).

► Pour rappel, la représentativité d’un syndicat ne peut être contestée de façon générale. Elle ne peut l’être que par rapport à l’exercice d’une prérogative précise (arrêt du 7 décembre 1995 ; arrêt du 24 janvier 2018). La contestation de la représentativité surgit en général à l’occasion de la désignation d’un délégué syndical qui entraîne la mise en œuvre de l’obligation de négocier.

La rédaction sociale