NÉGOCIATION COLLECTIVE

Pouvoir d’achat : les leviers d’action des représentants du personnel

Avec une inflation forte, les représentants du personnel doivent utiliser toutes les cartes en leurs mains pour tenter d’améliorer le pouvoir d’achat des salariés, plaide l’expert-comptable Maël Ligaudan, du cabinet Metis expertise. Ses explications et conseils. En bonus : focus sur l’accord pouvoir d’achat de Renault.

Maël Ligaudan, de Metis expertise, un cabinet basé à Orléans, intervient souvent pour les CSE. Et cela se sent : propos direct, explications détaillées mais didactiques, avec une pointe d’humour bien sentie tel ce commentaire cash : “La prime Macron s’appelle désormais “prime de la partage de la valeur”. Mais moi j’appelle plutôt ça une prime optionnelle de l’employeur !” Au salon SolutionsCSE de Paris, porte de Versailles, l’expert a retenu l’attention des élus présents à sa conférence, mercredi 21 septembre, sur le thème du pouvoir d’achat des salariés, et nous lui avons fait préciser par la suite certains des éléments évoqués, pour les besoins de ce compte-rendu.

Nul besoin de long propos liminaire pour résumer l’enjeu : “De juin 2017 à mars 2022, résume Maël Ligaudan, le salaire mensuel de base n’a progressé que de 8,4%. Au mois d’août 2022, le taux d’inflation annuel s’établissait déjà à 5,8% (..) Dites-vous bien que si vous demandez moins en négociation salariale que 5,8%, cela revient à revendiquer une perte de pouvoir d’achat pour les salariés !”  Bien sûr, tous les délégués syndicaux n’arrivent pas fleur au fusil avec une demande d’augmentation supérieure à 6% ou 7% et il n’existe pas de levier magique. Mais vous disposez de quelques outils utiles et pistes intéressantes, a expliqué l’expert en prévenant : vous ne pouvez bien négocier qu’en connaissant précisément la situation de votre entreprise.

BDESE, agenda social, négociations 

Premier conseil aux élus, en forme de rappel : utilisez les outils mis à votre disposition, comme la base de données économiques, sociales et environnementales (BDESE). “Exigez une BDESE complète, la loi vous donne ce droit, faites-le respecter. Et apprenez à la lire et à l’exploiter, c’est une mine d’informations, formez-vous”, lance l’expert. 

Deuxième conseil : utilisez les grandes consultations annuelles du CSE sur les orientations stratégiques, la politique sociale, les comptes. “Vous devez recueillir des informations détaillées, par exemple sur les prévisions de votre entreprise et sur ses comptes. Utilisez votre droit d’expertise pour analyser les comptes”. 

Troisième conseil : saisissez-vous des trois grandes négociations annuelles :

  1. les rémunérations, temps de travail, partage de la valeur ajoutée;
  2. l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes;
  3. la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP).

A ce propos, tentez d’établir un calendrier annuel de négociations avec l’employeur afin d’avoir un agenda social prévisible que vous pourrez préparer. “Et apprenez à négocier”, ajoute Maël Ligaudan. Négocier, c’est d’abord chercher les infos sur le contexte, l’environnement de l’entreprise, la position prévisible de l’employeur et sa réaction attendue, et celle des autres syndicats éventuels. “Si possible, en amont, élaborez entre syndicats une position commune”, conseille l’expert.

Bien préparer une négociation, c’est aussi définir un objectif et un plan B, et le moment précis où vous déclencherez ce plan B, car une négo, “c’est aussi de la tactique”.  N’oubliez pas, avertit encore notre expert, de “préparer la base”, autrement dit les salariés, à cette négociation, pour vous assurer que vos demandes sont en phase avec les attentes des salariés, “ce sont eux qui ont voté pour vous”.

Enfin, soignez la sortie de négo. Qu’elle se solde ou non par un accord, écrivez dans le procès-verbal les raisons de votre position, rappelez vos revendications, vos demandes, votre argumentation, etc. “Si vous dites à l’employeur que vous allez écrire qu’il refuse de limiter la baisse du pouvoir d’achat des salariés, cela peut avoir son petit effet. Par contre, si vous ne dites rien sur les PV de désaccord pendant des années où la négo n’a pas abouti, l’employeur pourra facilement redorer son blason en communiquant auprès des salariés le jour où il lâchera quelque chose”, glisse-t-il.

L’intéressement

Parallèlement à la négociation, de nombreux outils ne demandent qu’à être exploités par les élus. Certains sont visibles sur la fiche de paie, comme le taux des heures supplémentaires. “S’il y a beaucoup d’heures sup dans votre entreprise, vous pouvez agir sur ce levier en revendiquant une augmentation du taux”, conseille Maël Ligaudan.

N’oubliez pas l’accord d’intéressement. “Dites à votre employeur qu’il doit lire le guide du Medef, qui dit le plus grand bien de l’intéressement !” L’expert insiste sur la souplesse des critères que l’entreprise peut choisir : % de variation du chiffre d’affaires, % d’évolution du nombre de commandes, évolution de la marge commerciale, résultat moins les dividendes, etc.

La participation

En matière de participation, la formule légale peut aussi faire l’objet d’une adaptation car dans certains cas, la situation de votre entreprise peut empêcher mécaniquement le déclenchement de la participation. C’est le cas, par exemple, si votre entreprise dispose d’un capital très important au regard des résultats dégagés. “Dans la formule légale, il est fait référence au bénéfice fiscal. Or le bénéfice fiscal peut prendre en compte des déficits des années antérieures et donc empêcher toute participation. Vous pouvez négocier son remplacement par le bénéfice comptable”, explique l’expert. 

La prime de partage de valeur

Il y a, bien sûr, la prime de partage de la valeur, dite prime Macron, que certains délégués syndicaux essaient depuis la rentrée de négocier sans attendre les négociations annuelles obligatoires, comme chez Renault (lire notre encadré). Mais rappelons qu’il s’agit d’un dispositif optionnel. “Sachez aussi que c’est un dispositif modifiable : contrairement au mécanisme de l’intéressement et de la participation, vous pouvez par exemple jouer sur l’ancienneté, afin de favoriser certains salariés, ceux qui ne bénéficient pas, par exemple, des revalorisations du Smic”, conseille l’expert.

Ce dernier cite aussi un mécanisme méconnu : le contrat de partage des plus-values. Ce dispositif, créé par la loi Pacte, peut constituer aux yeux de Maël Ligaudon un plan B en cas de refus de forte augmentation. Ce contrat engage l’actionnaire, pour au moins 5 ans, à partager avec l’ensemble des salariés une partie de la plus-value qu’il réalisera à l’occasion de la cession de ses titres, au minimum 3 ans plus tard. Il appartient aux délégués syndicaux (ou aux élus mandatés ou au CSE) de le négocier avec l’actionnaire. “C’est une formule intéressante pour les entreprises qui se font racheter par un fonds d’investissement”, souligne l’expert de Métis. 

Une boite aux outils très variés

Parmi les outils disponibles cités par l’expert, il y a encore l’éventuel déblocage de l’épargne salariale mais aussi d’autres paramètres auxquels on ne pense pas de prime abord comme : 

  • négocier une hausse de votre dotation du budget des activités sociales et culturelles (Ndlr : vous pouvez aussi argumenter, si votre entreprise a du mal à recruter, sur le fait qu’il peut s’agir d’un élément différenciant favorable), et cibler certaines activités utiles type services à la personne (garde d’enfant, par exemple);
  • négocier une part financée par l’employeur plus importante pour les titres-restaurant, l’entreprise bénéficiant d’une plus large défiscalisation (Ndlr : La limite d’exonération de la participation des employeurs à l’acquisition de titres-restaurant est revalorisée de 4% au 1er septembre 2022. Cette limite s’élève à 5,92€ pour les titres-restaurant émis du 1er septembre au 31 décembre 2022, au lieu de 5,69€ depuis le début de l’année). 
  • négocier un abondement supplémentaire de l’employeur au plan d’épargne d’entreprise ;
  • négocier un abondement de l’employeur sur le compte épargne temps;
  • négocier des avantages en nature supplémentaires, “importants notamment pour les commerciaux”;
  • renégocier les frais liés au télétravail, du fait de la hausse du coût de l’énergie;
  • inciter l’employeur à se saisir des nouveautés fiscales et sociales d’août 2022. 

Concernant ce dernier point, il s’agit par exemple d’inciter l’employeur à financer jusqu’à 75% de la prise en charge des frais de transports publics (Ndlr : il a l’obligation de le faire mais seulement jusqu’à 50%) mais aussi de cumuler plusieurs dispositifs, comme cette prise en charge transports et le forfait mobilité durable. Explication de Maël Ligaudon : “Il était jusqu’à présent impossible pour un salarié prenant le tram avec son vélo de bénéficier d’une prise en charge à la fois de son abonnement tram et d’une indemnité pour l’utilisation de son vélo. C’est désormais possible”. 

Des évolutions possibles !

Nous achevons donc par un tour de vélo et de tram cet aperçu des pistes à utiliser pour négocier du pouvoir d’achat pour les salariés. Il n’est pas impossible que d’autres nouveautés soient créées dans la loi de finances pour 2023. Le gouvernement, qui vient de demander aux partenaires sociaux de négocier sur le thème du partage de la valeur, a annoncé son intention de reprendre rapidement à son compte un éventuel accord national interprofessionnel. Espérons que les entreprises n’attendront pas ces éventualités pour décider de larges augmentations générales ! 

Renault verse 500€ de prime pouvoir d’achat à ses salariés
Après des négociations avec les organisations syndicales, Renault (42 000 salariés en France) va soumettre à signature syndicale, jusqu’à vendredi 30 septembre, un accord sur le pouvoir d’achat. Selon Mariette Rih, déléguée syndicale centrale FO jointe vendredi soir par actuEL-CSE, cet accord prévoit : 500€ de prime de pouvoir d’achat (il s’agit de la prime partage de la valeur, nouveau nom de la “prime Macron”) y compris pour les intérimaires. La prime est la même pour tout le personnel rémunéré jusqu’à 3 Smic ; 3 mois de prise en charge de la mutuelle santé (le montant dépend de la situation familiale mais il représenterait environ 315€) pour octobre, novembre et décembre. “Cela me paraît très intéressant de ne pas sacrifier la santé au profit du pouvoir d’achat”, commente Mariette Rih. une prime transport de 100€. Le groupe donne aussi aux salariés la possibilité de monétiser 3 jours de RTT, y compris 2 jours à la main de l’employeur, avec un taux de 25%. Au total, le montant moyen de ces primes pourrait représenter 1 000€ par salarié.  Cet accord, qui intervient avant les négociations annuelles obligatoires prévues en février, a pour but de compenser les effets de l’inflation. Selon la DSC FO, ces mesures d’urgence exceptionnelle seront sans impact sur les futures NAO. 

Bernard Domergue

En 2021, la négociation collective reprend quelques couleursGetty

Le ministère du travail a présenté hier aux partenaires sociaux le bilan 2021 de la négociation collective. La production d’accords collectifs repart à la hausse, mais reste inférieure au niveau de 2019. Les entreprises négocient d’abord sur l’épargne salariale, le temps de travail, les conditions de travail.

Après un bilan 2020 marqué par une baisse du nombre d’accords du fait de la crise sanitaire, l’année 2021 enregistre une légère remontée du dialogue social formalisé en France. Au niveau national interprofessionnel (ANI), 2021 a connu un seul accord, qui suggère des modifications à la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, et cinq avenants à des ANI précédents (deux sur l’Agirc-Arcco, les autres sur les plans d’épargne entreprise et interentreprises, les plans d’épargne retraite, et le contrat de sécurisation professionnelle).

Un millier d’accords de branche

Au niveau des conventions collectives, 1 063 accords de branche ont été conclus (contre 1 013 en 2020, soit +5%), dont 6 nouvelles conventions collectives (CCN des métiers du commerce de détail alimentaire spécialisé, CCN de la production et de la transformation des papiers cartons, CCN de la branche du secteur des particuliers employeurs et de l’emploi à domicile, CCN de la télédiffusion nationale, CCN de la presse quotidienne et hebdomadaire en régions, CCN unifiée des commerces de quincaillerie, fournitures industrielles, fers, métaux et équipement de la maison).

Les thématiques les plus traitées par les branches concernent :

  • Les salaires avec 377 avenants (290 en 2020).

Ce chiffre reste inférieur au niveau de 2019, le ralentissement de la croissance économique du fait de la crise sanitaire ayant eu un impact sur l’activité conventionnelle selon la Direction générale du travail. Nombre d’accords concernent la revalorisation du Smic ;

  • L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes avec 231 textes l’an dernier (204 en 2020) dont 15 traitent exclusivement ou à titre principal de l’égalité professionnelle et salariale (11 en 2020) ;
  • Les classifications avec 27 accords (9 en 2020) ;
  • La formation professionnelle avec 185 accords ;
  • La protection sociale complémentaire (96) ;
  • Le contrat de travail (53) ;
  • Le temps de travail (78);
  • Les conditions de travail (26), etc.

L’administration souligne que les partenaires sociaux s’approprient peu à peu la délicate articulation des normes prévue par les ordonnances de 2017. La thématique des conditions de conclusion des accords est ainsi traitée dans 140 accords en 2021. “Toutefois, il convient de noter qu’il reste encore des accords conclus qui ne prévoient pas de stipulations spécifiques aux entreprises de moins de 50 salariés, dites « clauses TPE » qui sont obligatoires et dont l’absence expose au refus d’extension”, note la DGT. 

Sur la négociation collective liée à la crise sanitaire, la Direction générale du travail recense 13 accords et avenants en 2021, contre 69 en 2020. Par ailleurs, 29 accords et avenants ont été signés sur l’APLD (activité partielle de longue durée), soit 73 accords de branche conclus depuis l’ouverture de ce dispositif en 2020. 

A noter que la CFDT a signé 84% des accords interprofessionnels et de branche en 2021, FO 69%, la CFE-CGC 59%, la CFCTC 50% et la CGT 39%.

Signalons encore à propos des branches que le ministère se fixe comme objectif de réduire de 5 à 4 mois le délai d’extension des accords de branche, et même à 2 mois s’agissant des accords salariaux du fait des problèmes de minima inférieurs au Smic.

76 800 accords d’entreprise

Au niveau de l’entreprise, le nombre d’accords atteint 76 820, soit un très léger mieux par rapport à 2020 (+0,9%) mais un niveau toujours inférieur à celui de 2019. Le signe pour le ministère du travail que “les effets de la pandémie continuent à se faire sentir”. 

Ces accords sont conclus majoritairement par les délégués syndicaux (51%), puis par les salariés par référendum (26%), devant les élus non mandatés (12%) et les élus ou salariés mandatés (11%). Soulignons, pour la catégorie des entreprises de moins de 20 salariés, que les décisions unilatérales de l’employeur représentent 21% des textes déposés, et les accords ratifiés par référendum par moins de 46%.

Sur le plan général, les accords d’entreprise, dont 63% concernent des entreprises d’au moins 50 salariés, ont trait à :

  • l’épargne salariale (63% des accords), toujours en haut du classement, comme les années précédentes.

L’intéressement représente 64% des textes, ce qui s’explique par le fait que la prime de pouvoir d’achat incitait à la conclusion d’un accord d’intéressement (Ndlr : le plafond passait de 1000 à 2000€);

  • le temps de travail (19%), en hausse du fait notamment de l’aménagement du temps de travail.

A noter la part croissante des conventions de forfait (2 570 accords, soit 740 de plus en un an, soit +40%);

  • les conditions de travail (8%).

La dynamique de ce thème est tirée par les accords de télétravail : 4 070 accords collectifs en 2021, soit 2 fois plus qu’en 2020. Selon la DGT, 26% de ces textes abordent le droit à la déconnexion. A noter que l’industrie (21%) et les activités spécialisées scientifiques et techniques (21%) sont les secteurs les plus représentés dans les accords télétravail. L’administration souligne que le télétravail régulier de 2 jours par semaine domine dans les accords signés, le sujet des frais étant le plus sensible. Explication : “La possibilité de déroger aux stipulations de l’ANI du 26 novembre 2020 par accord d’entreprise permet une hétérogénéité de situations. Un peu moins de la moitié des accords et avenants de l’échantillon (soit 71) prévoient une indemnisation des frais occasionnés par le télétravail. On retrouve le plus fréquemment des indemnisations journalières de 2,50 euros ou mensuelles de 10 euros. Les montants peuvent cependant sensiblement varier : la fourchette d’indemnisation mensuelle est comprise entre 8 et 80 euros. Parmi les accords ne prévoyant pas de prise en charge, certains justifient cette position en rappelant que le télétravail est un choix du salarié”; 

  • les salaires et les primes (8%), etc.

Sur ce point (voir le tableau ci-dessous) la baisse du nombre d’accords (2 points de moins qu’en 2018) s’expliquerait par la mise en place de primes exceptionnelles de pouvoir d’achat.

Soulignons que seulement 3% des accords d’entreprise traitent du droit syndical et des instances représentatives du personnel. Lors de la mise en place du CSE, ce thème arrivait en 4e position pour le nombre d’accords. A ce propos, où en est le plan d’accompagnement des CSE, annoncé par le ministère début 2022 ? “Nous y avons travaillé, nous avançons, mais nous souhaitons remettre ce sujet en visibilité”, répond-on au ministère du travail.

Les effets de la crise sanitaire

Sur la crise sanitaire, 12 910 accords d’entreprise ont été déposés et enregistrés entre mars 2020 et décembre 2021, soit 7 % des 185 990 accords conclus sur cette période. Les principaux sujets sont le temps de travail (5 490 accords) et l’APLD (3 078 accords et avenants d’entreprise).

Par OS, le taux de signature des accords d’entreprise met en tête la CFDT (56%) devant la CGT (42%), la CFE-CGC (33%), FO (32%), la CFTC (19%). Concernant la propension à signer (Ndlr : probabilité d’une signature lorsque le syndicat est effectivement implanté dans l’entreprise via un délégué syndical), ces chiffres s’élèvent à 93% pour la CFDT, 92% pour la CFE-CGC et la CFTC, 90% pour FO, 84% pour la CGT. Commentaire de la DGT : “La propension à signer de l’Unsa est similaire à celle des organisations nationalement représentatives, celle de Solidaires est sensiblement plus basse”.

Des accords innovants concernant les CSE ?
A-t-on constaté des pratiques innovantes dans les accords collectifs sur le comité social et économique ? Le professeur de droit Frédéric Géa tente une réponse, formulée de façon assez prudente, dans le bilan 2021 de la DGT. Au terme de son “approche qualitative des accords”, la réponse est négative concernant les conseils d’entreprise, très rares. A propos des représentants de proximité, les accords ont eu tendance à limiter leurs missions au domaine de la santé, de la sécurité et des conditions de travail. “Plus innovantes ont été, à notre sens, les initiatives ayant conduit à instaurer des commissions du CSE non envisagées au titre des dispositions légales supplétives du code du travail”, poursuit Frédéric Géa. Ce dernier note l’instauration dans certains accords de commissions originales, telles cette “commission de la transition écologique” chargée de : préparer et participer aux réunions du CSE liées à la survenance d’un événement grave lié à l’activité des entreprises de l’unité économique et sociale (UES) ayant porté atteinte – ou ayant pu porter atteinte – à la santé publique et/ou à l’environnement ; formuler des propositions d’actions permettant d’améliorer la performance énergétique, les modes ou les types d’utilisation de l’énergie et les quantité d’énergie utilisées ; proposer des mesures d’amélioration des politiques liées à la préservation de l’environnement ; mener des actions de sensibilisation et d’accompagnement du personnel face aux problématiques de mobilité, d’impact environnemental et sociétal. D’autres commissions originales ont été créées sur le thème de la transformation numérique, et il y a eu aussi des innovations, à la faveur de la crise sanitaire ou motivées par le souci environnemental, visant à privilégier les réunions par visioconférence. Au final, même si les acteurs ont pu frayer des chemins que la loi n’avait pas toujours balisés, dit Frédéric Géa, “nous sommes là dans l’ordre de la co-construction, mais pas nécessairement dans celui de l’innovation par rapport aux dynamiques de négociation que la réforme voulait impulser”. ► A nos lecteurs : nous consacrerons dans nos prochaines éditions deux articles au bilan des ordonnances de 2017, dont un relatif au CSE, à la suite d’une journée de débat organisée par l’ISST et l’Ires le 23 septembre.

Bernard Domergue

117 branches ont encore des minima inférieurs au Smic

Selon le ministère du travail, au 26 septembre 2022, il reste 117 branches qui ont un ou plusieurs minima inférieurs au Smic. Sur ce total, 64 branches ont été “rattrapées” par l’augmentation du Smic du mois d’août, 38 l’ont été par celle de mai dernier, 8 au premier janvier, 6 en octobre 2021 et une depuis janvier 2021. Le ministère rappelle son objectif de réduire à 2 mois le délai d’extension d’accords de branches salariaux, un délai qui était de 3 mois en 2021.

actuEL CE

Le baromètre des branches de septembre 2022

Quelles ont été en septembre 2022 les nouvelles dispositions applicables dans les branches professionnelles ? Notre tableau fait le point.

Grâce au travail de veille de l’équipe du Dictionnaire Permanent Conventions collectives des Éditions Législatives (Lefebvre Dalloz), société éditrice d’actuEL-CSE.fr, nous vous proposons chaque mois un rendez-vous thématique consacré aux branches professionnelles. Il n’est pas question pour nous d’être exhaustif sur ce sujet, mais de vous signaler, au travers des arrêtés d’extension parus au Journal officiel qui rendent obligatoires des dispositions pour toutes les entreprises d’une branche, ainsi qu’au travers d’accords récents, quelques tendances dans l’activité conventionnelle.

Ce baromètre nous paraît d’autant plus intéressant que la loi Travail, puis les ordonnances Macron, ont redéfini les possibilités de négociation données aux branches par rapport aux niveaux de la loi et de la négociation d’entreprise. En outre, une vaste opération de fusion des branches existantes est en cours, le gouvernement souhaitant en réduire fortement le nombre (sur ce dernier point, lire la censure du Conseil constitutionnel).

  Baromètre des branches : septembre 2022
Volume des textes parus au Journal officiel relatifs aux branches professionnelles  177 accords élargis/étendus, dont 130 au moins partiellement relatifs aux salaires, sont parus du 16 juillet au 31 août. Une fois étendus ou élargis, les accords et avenants deviennent obligatoires pour tous les employeurs, généralement le lendemain de la date de la publication de l’arrêté au Journal officiel.  Exemples d’accords ou avenants étendus ou agréés : – un texte relatif au congé supplémentaire, 13ème mois, prime d’ancienneté et salaires minima conclu dans la branche de la production agricole (secteur accouvage) (IDCC 7009, voir l’arrêté) ; – un texte relatif à l’activité partielle de longue durée (APLD) signé dans la branche des travaux et services agricoles, ruraux et forestiers (IDCC 7025, voir l’arrêté) ; – un texte relatif à l’activité partielle de longue durée (APLD) signé dans la branche de la fabrication d’ameublement (IDCC 1411, voir l’arrêté) ; – un texte relatif à l’instauration d’un forfait mobilités durables pour l’année 2022 signé dans la branche des céréales, meunerie, approvisionnement, alimentation (bétail), oléagineux (IDCC 7002, voir l’arrêté) ; – un texte relatif à la prolongation de l’APLD signé dans la branche des entreprises d’expédition et d’exportation de fruits et légumes (IDCC 1405, voir l’arrêté) ; – un texte relatif à la conclusion d’un nouvel accord relatif à l’APLD signé dans la branche des personnels des huissiers de justice (IDCC 1921, voir l’arrêté) ; – un texte relatif à l’allongement de la durée d’application de l’APLD signé dans la branche des ateliers et chantiers d’insertion (IDCC 3016, voir l’arrêté) ; – un texte relatif à l’allongement de la durée d’application de l’APLD signé dans la branche de l’industrie des tuiles et briques (IDCC 1170, voir l’arrêté).
Accords liés à la crise sanitaire du Coronavirus et de l’épizootie d’influenza aviaire  Des mesures exceptionnelles ont été prises pour faire face à l’épidémie de Coronavirus (ou à l’épizootie d’influenza aviaire), notamment l’activité partielle de longue durée (APLD). Les accords mettent en œuvre ou prolongent l’APLD. Elle permet, sous réserve notamment de la conclusion d’un accord d’entreprise, d’établissement ou de branche étendu, de diminuer l’horaire de travail des salariés. Ces derniers perçoivent une indemnité plafonnée à 4,5 SMIC et fixée en pourcentage de leur rémunération brute. Un texte met en place l’APLD dans la branche de l’agriculture (travaux et services agricoles, ruraux et forestiers) : accord du 12 mai 2022 applicable à compter du 4 août 2022. Le texte permet aux entreprises de prestations de services avicoles de réduire temporairement leur durée du travail, dans la limite de 24 mois, consécutifs ou non, sur une période de référence de 36 mois consécutifs. Plusieurs branches concluent des accords de prolongation de l’APLD : Personnel des administrateurs et mandataires judiciaires, Personnel salarié des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, Greffiers des tribunaux de commerce : avenant du 20 juin 2022 ; Fabrication d’ameublement : avenant du 31 mai 2022 ; Bois et scieries : avenant n°1 du 22 juin 2022 ; Industries des carrières et matériaux : avenant n°1 du 19 mai 2022 ; Industrie de la chaussure et articles chaussants : avenant du 5 juillet 2022 ; Entreprises d’expédition et d’exportation de fruits et légumes : avenant n°1 du 8 juin 2022 ; Hôtellerie de plein air : avenant n°1 du 30 juillet 2022 ; Imprimeries de labeur et industries graphiques : avenant du 21 juillet 2022 ; Industries de maroquinerie : avenant du 18 juillet 2022 ; Maintenance, distribution, location de matériels agricoles, de BTP et de manutention : avenant n°1 du 13 juillet 2022 ; Remontées mécaniques : avenant du 4 juillet 2022 ; Organismes de tourisme : avenant n° 1 du 25 mai 2022 ; Industrie des tuiles et briques : avenant du 24 mai 2022.
  Congés exceptionnels  Branche des autoroutes : accord du 12 avril 2022 applicable depuis cette même date pour une durée de 3 ans. Les partenaires sociaux prévoient l’obligation d’assurer le maintien de la rémunération à 100 % durant le congé de paternité. Les dispositions relatives à la garantie d’évolution de la rémunération des salariés de retour d’un congé de maternité ou d’adoption sont étendues aux salariés de retour d’un congé parental. Branche de l’esthétique-cosmétique et enseignements associés : avenant n° 32 du 14 avril 2022. Les partenaires sociaux instituent ou allongent plusieurs congés exceptionnels pour événements familiaux. Branche du golf : avenant n° 86 du 29 juin 2022. Les partenaires sociaux mettent à jour les dispositions conventionnelles relatives aux congés exceptionnels pour événements familiaux. Branche des institutions de retraite complémentaire et de prévoyance : accord du 15 avril 2022. Les partenaires sociaux améliorent la situation du bénéficiaire d’un congé de paternité et d’accueil de l’enfant. Branche de la restauration rapide : avenant n° 5 du 6 mai 2022. Les partenaires sociaux prévoient des congés exceptionnels en faveur du salarié en situation de handicap ou en cas de naissance d’un enfant porteur de handicap.
Modifications de diverses dispositions de CCN  Branche de la production agricole et CUMA (Coopératives d’utilisation de matériels agricoles), secteur de l’accouvage : avenant n° 1 du 20 janvier 2022 applicable depuis le 1er janvier 2022. Les partenaires sociaux actualisent les dispositions relatives aux congés, au treizième mois et à la prime d’ancienneté. Ils modifient par ailleurs la date d’application de l’avenant n° 4 du 18 janvier 2022 relatif aux salaires minima. Branche de l’esthétique-cosmétique : avenant n° 31 du 14 avril 2022. Les partenaires sociaux suppriment les dispositions conventionnelles jusqu’ici applicables à l’indemnité de licenciement, désormais calculées selon les dispositions légales. Branche des commerces de gros de l’habillement, mercerie, chaussure et jouets : accord du 11 avril 2022, applicable depuis le 10 juin 2022. Les partenaires sociaux actualisent les dispositions de la CCN (champ d’application professionnel, congés exceptionnels pour événements familiaux, jours fériés, aménagement des horaires de travail…). Branche de l’hospitalisation privée à but lucratif (hors secteur médico-social) : avenant n°31 du 24 mai 2022 applicable depuis le 1er juin 2022. Les partenaires sociaux revalorisent les indemnités pour travail du dimanche, des jours fériés et de nuit. Branche de la plasturgie : nouveau dépôt de l’avenant du 2 juillet 2020. A la suite de l’annulation par le Conseil d’État de l’arrêté d’extension de l’avenant du 2 juillet 2020 ayant intégralement réécrit les dispositions de la CCN relatives aux indemnités de licenciement et de départ à la retraite, les partenaires sociaux déposent de nouveau cet avenant auprès du ministère du travail.
    Abrogation de conventions collectives régionales au profit d’une CCN unique        Branche de la métallurgie : les conventions collectives régionales, départementales ou territoriales suivantes sont abrogées :  Ain (avenant du 13 juin 2022) ; Bouches-du-Rhône (avenant du 25 avril 2022) ; Charente (avenant du 28 mars 2022) ; Flandres-Douaisis (avenant du 10 juin 2022) ; Gard et Lozère (avenant du 24 mars 2022) ; Arrondissement du Havre (avenant du 3 juin 2022) ; Ille-et-Vilaine – Morbihan (avenant du 24 juin 2022) ; Loiret (avenant du 19 mai 2022) ; Nièvre (avenant du 13 juin 2022) ; Oise (avenant du 30 juin 2022) ; Hautes-Pyrénées (avenant du 30 juin 2022) ; Région parisienne (avenant du 19 avril 2022) ; Saône-et-Loire (avenant du 13 mai 2022) ; Seine-et-Marne (avenant du 19 avril 2022) ; Deux-Sèvres (avenant du 29 juin 2022) ; Var (avenant du 25 avril 2022) ; Vaucluse (avenant du 16 mai 2022) ; Vendée (avenant du 16 juin 2022) ;   Les dispositions de la nouvelle convention collective nationale du 7 février 2022 (non encore étendue) s’appliqueront à compter du 1er janvier 2024.
Élargissement de champ d’application professionnel  Branche des commerces de détail de papeterie, fournitures de bureau : avenants du 21 avril 2022 et du 18 mai 2022, applicables à compter du 16 juillet 2022. Les partenaires sociaux élargissent le champ d’application professionnel de la CCN et modifient son intitulé.
  Durée du travail  Branche des commerces de détail non alimentaires (convention collective nationale) : avenant n° 8 du 3 mai 2022 applicable à compter du 1er jour du mois suivant la publication au Journal officiel de son arrêté d’extension. Les partenaires sociaux définissent le nouveau régime du forfait annuel en jours et les règles relatives à l’aménagement du temps de travail sur l’année.
  Indemnités Ségur   Branche des personnels PACT et ARIM de l’habitat (Centres pour la protection, l’amélioration et la conservation de l’habitat et associations pour la restauration immobilière) : accord n° 21 du 14 juin 2022 applicable depuis cette même date. Les partenaires sociaux prévoient, au bénéfice de certains salariés des structures ou services entrant dans le champ d’application de la CCN, une revalorisation salariale sous la forme d’une prime mensuelle Ségur. Branche de l’habitat et logement accompagné : accord n° 21 du 14 juin 2022 applicable depuis cette même date. Les partenaires sociaux prévoient, au bénéfice de certains salariés des structures ou services entrant dans le champ d’application de la CCN, une revalorisation salariale sous la forme d’une prime mensuelle Ségur.  

Marie-Aude Grimont, avec l’équipe du Dictionnaire permanent Conventions collectives

[Bilan des ordonnances] La branche refuse d’être débranchée [1/2]

En matière de négociation collective et d’instances représentatives, que se passe-t-il après qu’une réforme aussi importante que les ordonnances de 2017 a été votée ? Quels effets produit-elle sur la réalité ? Les acteurs s’en emparent-ils ? C’était, s’agissant des textes ayant bousculé les branches et les IRP, le riche menu des 4èmes rencontres de l’ISTT et de l’Ires, à Bourg-la-Reine, près de Paris, le vendredi 23 septembre (1). Premier volet de notre compte rendu.

Les ordonnances de 2017 n’ont bien sûr pas tué la branche. Mais la réforme visait tout de même à donner la primeur à la négociation d’entreprise en permettant à l’entreprise de déroger à la branche dans certains cas (2). Qu’en est-il résulté cinq ans plus tard ? A écouter les chercheurs, les experts et les syndicalistes qui ont débattu sur le sujet à l’ISST (Institut des sciences sociales du travail) en partenariat avec l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales), la réponse pourrait se résumer ainsi : “Que s’est-il passé ? Une certaine inertie de la part des entreprises”.

Pas de grand bouleversement  

Comme ce fut le cas dans le commerce de détail, les acteurs de la branche ont d’une certaine façon résisté à l’injonction de l’Etat de laisser l’entreprise négocier plus largement ou, à tout le moins, refusé tout grand chambardement. En octobre 2021, les partenaires sociaux de cette branche avaient obtenu gain de cause devant le Conseil d’Etat au sujet des éléments de rémunération qu’elle entendait continuer de réguler au niveau de la branche, alors que l’Etat voulait limiter son action régulatrice au seul salaire de base (3).

Il ne faut pas non plus oublier que certaines organisations patronales, comme l’U2P, étaient hostiles à une inversion de la hiérarchie des normes, souligne Gilles Lecuelle, secrétaire confédéral CFE-CGC en charge du dialogue social. De façon plus large, tout s’est passé comme si les entreprises estimaient avoir déjà suffisamment de grain à moudre sans s’aventurer sur de nouveaux domaines.

Des mutations déjà en cours

“L’usage des dérogations reste limité, et les mutations de la négociation d’entreprise que nous avons observées avaient débuté auparavant”, analyse Catherine Vincent, de l’Ires, qui a mené un travail sur les grandes entreprises. Selon la chercheuse, les grands groupes restent intéressés par la branche, “qui leur sert de référence pour faire mieux en matière de compléments de rémunération, par exemple”. 

 La négociation d’entreprise se centralise et devient une approche intégrée

C’est plutôt dans la négociation collective au sein de l’entreprise que la chercheuse note un approfondissement des évolutions. La négociation se centralise toujours plus, et cette négociation est vue comme “une approche intégrée” visant à décliner la stratégie du groupe en unifiant les statuts sociaux. En corollaire, les délégués syndicaux agissent en très forte autonomie par rapport à leur confédération. “Il s’est produit une réallocation des moyens avec un renforcement des délégués au niveau central et parfois national. J’ai même vu des DS relais chargés de coordonner des CSE”, s’exclame Rémi Bourguignon, de l’université Paris-Est-Créteil.

“Les organisations syndicales ont du mal à se coordonner en interne et en externe, d’autant que leurs moyens dépendent des grandes entreprises”, souligne Catherine Vincent. A ce sujet Claude Didry, chercheur au CNRS, indique avoir vu dans un groupe sidérurgique, où les négociations salariales se mènent par établissement, des DS tenter une sorte de benchmark entre eux pour connaître les marges réelles des directions des établissements. Pour lui aussi, “la négociation d’entreprise ne rime en aucun cas avec une décentralisation de la négociation”, les enveloppes étant décidées au niveau central.

Dans les bureaux d’étude, peu d’activité conventionnelle

Mais revenons à la stabilité de la négociation des branches. Cette relative inertie, note Anne Fretel, avait déjà été relevée après les premières possibilités dérogatoires données à l’entreprise sur la branche par les réformes de 2004 et 2008. La prudence reste toutefois de mise car les recherches ont été réalisées pendant la crise sanitaire d’une part et que ces travaux, notamment les monographies, se focalisent sur les grandes entreprises, beaucoup moins sur les PME, dont les pratiques restent assez mal connues de l’aveu même d’Antoine Naboulet, de France Stratégie.

En outre, la différence d’approche entre les branches est forte, mais cela tient plus au secteur économique et à ses acteurs qu’à l’évolution législative. Dans la branche des bureaux d’études, par exemple, la détermination des conditions de travail et d’emploi se fait autrement que par la négociation de branche ou d’entreprise, on est plus sur des relations informelles. “Cela s’explique parce que les cadres, souvent jeunes, travaillent sur des missions. Il reste difficile pour les acteurs de faire vivre la branche”, constate Noélie Delahaie.

Une négociation formelle mais sans effet sur la réalité

A l’inverse, la dynamique de la négociation collective de branche reste forte dans le secteur de la propreté. “Cette branche a voulu garder une influence forte en proposant des accords cadre pour définir la négociation d’entreprise”, expose Anne Fretel.

 Dans la propreté, on négocie, mais sans effets visibles sur les salariés

François-Xavier Devetter, de l’université de Lille, qui a mené un travail de recherche sur la branche de la propreté avec Julie Valentin, souligne ce paradoxe : “La branche se perçoit comme un lieu de dialogue social, où l’on négocie effectivement. Mais on négocie sur peu de choses, et surtout sans résultat sur la situation des salariés. Ils restent des travailleurs pauvres, avec de mauvaises conditions de travail”.

Eviter la menace d’une réinternalisation de la sous-traitance 

Dans cette branche, poursuit le chercheur, un secteur où les syndicats sont divisés, il s’agit d’abord pour le patronat d’éviter la menace d’une réinternalisation des services sous-traités, tout en cherchant à faire augmenter les prix des services sous-traités. Comment ? “En insistant sur la responsabilité du donneur d’ordres”. A ce propos, Christophe Cayette, secrétaire confédéral CFDT en charge du dialogue social, rappelle la revendication de son organisation : donner le droit au CSE sous-traitant de saisir le CSE du donneur d’ordre, et recevoir ainsi des informations sur les critères des appels d’offres, une boite noire essentielle, y compris lorsque le donneur d’ordre appartient au secteur public.

Des tendances inquiétantes

Mais la stabilité générale évoquée plus haut peut aussi dissimuler des tendances profondes à l’œuvre, inquiétantes pour certains acteurs et observateurs. Dans certains secteurs, insiste Gilles Lecuelle (CFE-CGC), une organisation patronale minoritaire tente de destructurer le champ d’une branche et donc de la convention collective qui s’applique à toutes les entreprises. Comment ? En poussant ses adhérents à négocier des accords d’entreprise dérogatoires très agressifs, parce que le rapport de forces est défavorable aux salariés dans la négociation d’entreprise, soutient le syndicaliste qui cite le danger des accords de performance collective (APC) à cet égard.

Nous voyons de plus en plus de réserves d’extension de la part de l’Etat. Mais pour nous, la branche doit rester normative 

Pierre Jardon, secrétaire confédéral CFTC en charge du dialogue social, tient lui-aussi au rôle régulateur de la branche. “A la CFTC, nous n’avons pas de problème avec l’idée que de nombreux sujets doivent se négocier au plus près des réalités, au sein de l’entreprise. Mais attention, il doit y avoir des règles, et de la loyauté entre les acteurs”, avertit le syndicaliste chrétien.

Ce dernier met en garde le patronat contre tout désengagement de la branche, mais il égratigne aussi l’attitude de l’Etat : “Nous voyons de plus en plus de réserves d’extension. Là, nous sommes en désaccord. Pour nous, la branche doit continuer à être normative, et ne pas se contenter de faire des accords de méthode ou des accords cadre. La lutte contre le dumping social et les enjeux de la gestion prévisionnelle des emplois et parcours professionnelles doivent rester des sujets de branche”.

La restructuration des branches

Quant à la concentration du nombre des branches, dont le chantier avait été lancé bien avant les ordonnances de 2017, elle s’est accélérée : de 687 conventions collectives en 1994 dont 374 regroupaient moins de 5 000 salariés chacun, nous avons abouti aujourd’hui à 230, calcule Benjamin Redt, de la Direction générale du travail (DGT). Ce chantier a renforcé la couverture conventionnelle et a remis en mouvement les acteurs de la branche, “alors que le paysage était marqué par une certaine inertie”, se félicite-t-il.

Non à des mégas branches 

Pierre Jardon admet cette évolution positive, mais il se dit hostile à des “mégas branches”, dans lesquelles les situations des entreprises et des salariés seraient si différentes que la convention ne pourrait plus répondre à leurs besoins.

“Dans les fusions administrées, renchérit Gilles Lecuelle (CFE-CGC), j’observe rarement qu’on garde le meilleur”. Et le syndicaliste d’ironiser sur certains rattachements et leur motivation : “Pour le rattachement de la convention collective des instruments à écrire, les 5 organisations syndicales plaidaient logiquement pour la chimie. Mais les organisations patronales ont poussé vers le papier-carton, moins favorable pour les salariés, et le ministère a suivi”. Sourire de Benjamin Redt, assorti de ce commentaire : “Dans d’autres dossiers, l’arbitrage est allé dans le sens des OS”.

(1) Ce compte-rendu d’une journée entière de présentation d’études et de débats, le vendredi 23 septembre à Bourg-la-Reine, près de Paris, ne saurait être exhaustif, d’autant que certaines thématiques ont déjà été traitées dans ces colonnes. Objectif de ces rencontres de l’ISTT et de l’Ires, selon les mots de Mathieu Saintoul, le président du conseil d’administration de l’ISTT : « Bénéficier de l’apport croisé de chercheurs de différentes disciplines (sociologues, économistes, juristes, etc.) et créer un dialogue avec les acteurs (syndicalistes, experts, négociateurs de branche, etc.) qui vivent dans leur quotidien et leurs mandats ces évolutions économiques et sociales ».

Rappelons que l’ISTT est l’institut des sciences sociales du travail. Outre une activité de recherche, l’ISST, qui est rattaché à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, dispense des formations pour les conseillers prud’hommes et pour les salariés dans le cadre du congé de formation économique, sociale et syndicale.

L’Ires est l’institut de recherches économiques et sociales et travaille pour les organisations syndicales. 

(2) Sur les possibilités dérogatoires et l’articulation entre les négociations d’entreprise et de branche.

(3) En octobre 2021, le Conseil d’Etat avait invalidé la doctrine du ministère du travail en matière de salaire minimum hiérarchique de branche. Les juges avaient annulé l’arrêté d’extension qui avait exclu de l’extension l’acception large du salaire minimum retenue par les partenaires sociaux de la branche du commerce de détail alimentaire.

► Prochain article : quel bilan pour le CSE ?

Bernard Domergue