NÉGOCIATION COLLECTIVE

Partage de la valeur : la piste d’une formule dérogatoire de participation pour les entreprises de moins de 50 salariés

27/01/2023

Lors de la neuvième séance de négociation sur le partage de la valeur, les partenaires sociaux, à l’exception de la CGT, ont trouvé un début de compromis sur le principe d’une formule dérogatoire de calcul de la participation pour encourager le développement de l’épargne salariale dans les entreprises de moins de 50 salariés. Reste à en définir les contours.

Une “négociation impossible” ? Les pronostics de Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, formulés, le 18 janvier, à l’occasion des vœux à la presse économique et sociale, pourraient bien être déjoués. Car les partenaires sociaux qui se sont retrouvés, hier à Paris, au siège de l’organisation patronale pour leur neuvième séance de discussions, ont affirmé, à l’exception de la CGT, leur volonté d’aboutir à un compromis.

“Une véritable discussion”

“Aujourd’hui, pour la première fois, on a eu le sentiment d’une véritable discussion”, a déclaré Karen Gournay, chef de file de FO, à l’issue de la réunion. “Tout le monde a fait le constat qu’il y avait un intérêt à aller vers un accord”, a renchéri Luc Mathieu (CFDT).

Le motif de ce satisfecit ? Une nouvelle proposition d’accord national interprofessionnel, présenté en début de séance et réécrit après les bilatérales organisées par le camp patronal et les organisations syndicales (à l’exception de la CGT), la semaine passée.

Certes tout n’est pas encore calé. Et aucune mesure coercitive n’est mentionnée. “Mais le texte a le mérite d’exister”, a insisté Imane Harraoui (CFTC).

“On a un texte qui appréhende l’ensemble de la matière et on va essayer d’aller au bout de cet exercice”, a confirmé Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM, chef de file des discussions pour le Medef.

“Des petites choses ont été concédées de la part des organisations patronales et syndicales, reconnaît Karen Gournay. Non pas de bonnes grâces mais en sachant qu’une négociation est le résultat d’un rapport de force”.

Une formule dérogatoire au cadre légal

L’un des points de convergence porte sur les mesures dédiées aux entreprises de moins de 50 salariés. Pour généraliser le développement de la participation et de l’intéressement dans les petites structures, le texte prévoit une modification du cadre légal, à savoir un nouveau calcul de la formule de participation qui pourrait inclure des résultats inférieurs à la formule de référence. “Cette possibilité est ouverte à titre expérimental pour une durée de cinq ans”, indique le projet d’accord. Un bilan de mise en œuvre sera conduit avant la fin de cette échéance pour “mesurer l’impact de cette mesure”. “On a bougé sur ce point”, admet Luc Mathieu (CFDT) qui souhaitait, au départ, rendre la participation obligatoire dans les entreprises de moins de 50 salariés. À défaut, la négociation était finie” (1).

Reste toutefois à caler le dispositif : pour obtenir “un équilibre global”, FO insiste pour que les formules dérogatoires relèvent de négociations au sein de la branche professionnelle et non de l’entreprise. La CFDT demande, elle, qu’elles fassent l’objet d’un suivi de la DGT dans le cadre de la négociation collective et que la durée de l’expérimentation soit ramenée à trois ans. Un délai suffisant, selon le syndicaliste, pour constater les évolutions ou non du partage de la valeur au sein des PME.

Des points en suspens

D’autres points doivent encore être discutés. Parmi les motifs de discorde figure ainsi l’harmonisation du forfait social. Si plusieurs organisations syndicales approuvent le principe, reconnaissant que la coexistence de plusieurs taux, est un “frein à sa lisibilité”, ils contestent toutefois l’idée d’un taux unique égal abaissé à 10 % pour les entreprises de 250 salariés et plus (actuellement fixé à 20 %) qui “viendrait amoindrir le système de protection sociale”, selon FO.

La non-substitution entre salaires et périphériques de rémunération (intéressement, participation et prime de partage de la valeur) est également un élément clef. Si le texte affirme que “les sommes versées au titre de l’intéressement ou de la participation ne peuvent ainsi se substituer à aucun des éléments de rémunération en vigueur dans l’entreprise”, les organisations syndicales veulent plus de garanties. D’autant que le projet d’accord prévoit l’octroi de plusieurs PPV chaque année dans la limite du plafond actuellement prévu.

Par ailleurs, la plupart des syndicats demandent des mesures concernant l’optimisation fiscale, absentes du projet d’accord, un renforcement des modalités d’accès à la BDESE (base de données économiques sociales et environnementales) et une révision de l’article 15 sur l’actionnariat salarié, jugé “très complexe”, notamment sur le nouveau plan dit “Plan de partage de la valorisation avec les salariés”. Un dispositif qui selon cette version “permettra au salarié d’être directement intéressé à la valorisation de l’entreprise et pas seulement à ses résultats”.

De nouveaux cas de déblocage pour la participation ?

Les organisations syndicales apprécient, en revanche, d’autres dispositions. Notamment la création de deux nouveaux cas de déblocage anticipé des PEE (plans d’épargne entreprise)  pour “adapter l’épargne salariale aux nouveaux défis”. D’une part, pour les dépenses liées à la rénovation énergétique des résidences principales. D’autre part, à la demande de la CFTC, pour faire face aux dépenses engagées en tant que proche aidant. FO souhaite y intégrer un troisième cas de déblocage, portant sur l’achat d’un “véhicule propre”. 

La prochaine rencontre a lieu lundi, la séance conclusive est, elle, programmée, le 7 février.

(1) Avant la négociation, certaines organisations syndicales avaient avancé la revendication d’une formule de participation plus favorable au salarié, lire notre article

La CGT jouera-t-elle la politique de la chaise vide ?
“Ce projet d’accord est catastrophique, a indiqué Boris Plazzi, chef de file de la négociation pour la CGT, à l’issue de la négociation. Il s’agit d’un coup de canif supplémentaire dans le financement de la protection sociale avec de nombreuses mesures d’exonération de cotisations patronales et salariales. Il y a une course au moins-disant social avec la possibilité de changer la formule de participation qui pourrait être inférieure. C’est impossible de se mettre d’accord sur ce genre de dérogation. S’agissant de la prime de partage de la valeur (PPV), les dispositions (du texte) vont continuer à se substituer aux augmentations générales de salaire. C’est déjà ce que l’on nous remonte du terrain. Il n’y a rien, en revanche, sur l’optimisation fiscale, qui dégrade les comptes sociaux et permet aux entreprises d’échapper à la répartition des richesses par le travail. À ce stade, nous nous réservons le droit de ne pas venir à la prochaine séance de négociation”.

Anne Bariet

Partage de la valeur : les quatre points de blocage entre syndicats et patronat

01/02/2023

La négociation sur le partage de la valeur, qui a débuté en novembre dernier, pourrait aboutir à un accord le 10 février. Organisations patronales et syndicales doivent toutefois lever plusieurs obstacles importants, notamment sur la généralisation de la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés et le taux du forfait social, en vue de sceller un accord.

Dernière ligne droite pour le “partage de la valeur” : organisations syndicales et patronales vont se retrouver une dernière fois, le 10 février, au siège parisien du Medef pour une séance conclusive. La réunion du 7 ayant été annulée en raison de la nouvelle mobilisation sociale contre les retraites. Reste qu’elles sont encore loin d’un accord national interprofessionnel. Lors de la dixième séance, qui s’est tenue le 30 janvier, plusieurs désaccords de taille ont subsisté entre les syndicats et le camp patronal sur la dernière version du projet d’accord. “Il y a des arbitrages à faire sur des sujets importants, a concédé Hubert Mongon, délégué général de l’UIMM, chef de file des discussions pour le Medef, en soulignant toutefois l’intérêt des partenaires sociaux de “converger” [vers un compromis]”.

Sauf que pour plusieurs organisations syndicales, le compte n’y est pas : “Je ne coche rien aujourd’hui si je reprends ma liste, assure Luc Mathieu, chef de file pour la CFDT. On a le sentiment d’avancer dans la direction des entreprises” mais sans contreparties.

La CFE-CGC estime, quant à elle, que la prochaine réunion sera décisive pour voir si “un accord est possible”.

La CGT n’a pas participé, estimant par la voix de Boris Plazzi, que l’avant-projet d’accord, présenté le 26 janvier, était “catastrophique”.

Dans le détail, quatre points cristallisent particulièrement les positions :

1- Encourager le développement de l’épargne salariale dans les entreprises de moins de 50 salariés

C’est l’un des points durs de la négociation. Pour encourager le développement de la participation dans les petites structures, le camp patronal reste fermement opposé à toute obligation légale pour les entreprises de moins de 50 salariés. À ce stade, le texte prévoit uniquement la possibilité de négocier des accords dans ces structures. Lesquels pourraient déroger au calcul de la formule légale de participation, avec, à la clef, un “résultat inférieur”.

Il s’agirait d’une expérimentation de cinq ans. Un bilan de mise en œuvre serait conduit avant la fin de cette échéance pour “mesurer l’impact de cette mesure”. La dernière version du texte précise que la DGT (direction générale du travail) effectuerait un suivi annuel des accords dans ces structures, à la demande de la CFDT. Mais pour plusieurs organisations syndicales, le texte ne prend pas en compte leurs revendications. D’une part, parce qu’elles ont l’impression de renoncer au principe “de généralisation de la participation”, en l’absence de mesures coercitives. D’autre part, parce que le projet d’accord ne retient pas l’idée d’une négociation de branche pour déterminer ces formules dérogatoires. Elles déplorent également la durée de l’expérimentation, fixée à cinq ans. Un délai jugé trop long pour constater les évolutions ou non du partage de la valeur au sein des PME.

2- Le franchissement des seuils

L’autre pomme de discorde tient aux règles de franchissement du seuil de 50 salariés conduisant à la mise en place obligatoire de la participation. Actuellement, pour déclencher cette obligation, l’effectif de l’entreprise doit avoir été supérieur à 50 salariés chaque année sur cinq ans consécutifs. Autrement dit, une variation de l’effectif sur une année remet le compte des années à “zéro”. Mais pour Karen Gournay (FO) et Imane Harraoui (CFTC), ce décompte est trop réducteur pour généraliser plus rapidement le dispositif de la participation dans les TPE. La confédération chrétienne demande que le seuil des 50 salariés soit apprécié en moyenne sur cinq ans et non calculé sur cinq années consécutives.

Seule concession du camp patronal : le texte prévoit de supprimer la règle reportant de trois ans l’obligation de participation en présence d’un accord d’intéressement.

3- La prime de partage de la valeur

Autre sujet de friction : le texte propose d’ouvrir la prime de partage de la valeur (PPV) dans un plan d’épargne entreprise et/ou d’épargne retraite lorsqu’ils existent et de permettre l’octroi de plusieurs PPV chaque année dans la limite du plafond et du nombre de versements actuellement prévus. Le projet d’accord se positionne, en outre, pour le maintien, à compter du 1er janvier 2024, du régime fiscal en vigueur au 1er janvier 2023 pour les entreprises de moins de 50 salariés. Or, plusieurs organisations syndicales, notamment la CFDT, déplorent que la PPV ne soit pas limitée aux petites entreprises. Son chef de file, Luc Mathieu, estime, en effet, que cette prime “cannibalise l’intéressement et constitue une niche socio-fiscale très coûteuse pour les finances publiques et la sécurité sociale”.  De même, FO regrette le principe de plusieurs versements au cours d’une année (quatre selon la loi). Un dispositif qui vise à “substituer des primes à des augmentations salariales pérennes qui, elles, ouvrent des droits futurs aux travailleurs (assurance-chômage, retraite…)”.

À l’opposé, Hubert Mongon souligne que cette prime a trouvé son public et qu’elle répond très concrètement à la problématique du pouvoir d’achat, a fortiori “dans les périodes d’inflation et de crise”.

“Je ne me mets pas en capacité en tant que partenaire social d’aller expliquer aux chefs d’entreprise et aux salariés (…) que l’on a une vision de la construction d’une politique salariale différente [de la leur]. Je ne me sens pas en capacité d’aller dans la rue et de dire aux salariés que là où ils avaient quelque chose, ils ne l’auront plus”.

4- Baisse du forfait social à 10 %

La baisse du forfait social est également une ligne rouge : si plusieurs organisations syndicales approuvent le principe d’une harmonisation, reconnaissant que la coexistence de plusieurs taux, est un “frein à sa lisibilité”, ils contestent l’idée d’un taux unique égal abaissé à 10 % pour les entreprises de 250 salariés et plus (actuellement fixé à 20 %). FO réfute l’idée de rogner sur le financement de la protection sociale. Le manque à gagner est estimé par la CFDT à “10 milliards d’euros”.

Hubert Mongon argue, à l’inverse, que l’abaissement de ce taux est un signal aux entreprises et aux salariés pour rendre les dispositifs d’intéressement et de participation plus “attractifs”. “Lorsque le forfait social a été mis en place [en 2009], de nombreuses entreprises ont mis fin à ces dispositifs actant que le surcoût était extrêmement important (…). Comme nous cherchons à lever les obstacles, on s’est interrogé sur ce taux forfaitaire. Tout ce qui permet aux entreprises de faire mieux que ce qu’elles font aujourd’hui nous intéresse. C’est une demande que nous faisons à l’État”. Pour le Medef, une voie intermédiaire pourrait toutefois se dessiner en portant le taux du forfait social à un taux de 12 %, 13 % voire 15 %.

Un comité de suivi pour vérifier la transposition de l’accord
La dernière mouture du projet d’accord a ajouté un dernier garde-fou à l’attention des pouvoirs publics en cas de transposition de l’accord. L’article 31 insiste pour que dispositions réglementaires soient en ligne avec les dispositions du texte. “A cet effet un comité de suivi de la mise en œuvre du présent accord par les pouvoirs publics est constitué pour une durée de deux ans à compter de sa signature”. Son rôle ? “Examiner le strict respect par les pouvoirs publics des dispositions du présent accord s’agissant de définir les règles législatives et réglementaires relatives au partage de la valeur”.

Anne Bariet