Suivi médical des salariés : un questions-réponses du ministère du travail du 18 septembre fait le point
30/09/2024
Outre des précisions sur les modalités de suivi de l’état de santé des travailleurs, on notera que le ministère du travail prévoit une réactualisation, par arrêté, des attestations de suivi et des avis d’aptitude ou inaptitude.
Le ministère du travail a publié une liste de 31 “questions-réponses” (QR) relatives au suivi de l’état de santé des salariés sur son site le 17 septembre, liste qui a été mise à jour le 18 septembre. Ces QR sont réparties sous cinq rubriques :
- les compétences de certains professionnels de santé au travail intervenant au sein du SPST (service de prévention et de santé au travail) en matière de suivi individuel de l’état de santé des travailleurs : collaborateur médecin, infirmier de santé au travail, infirmier non formé en santé au travail, infirmier intérimaire, médecin praticien correspondant ;
- les visites d’information et de prévention : documents ne pouvant être délivrés au travailleur à l’issue d’une visite d’information et de prévention, l’orientation possible vers une visite d’aptitude… ;
- les spécificités du suivi individuel renforcé ;
- les visites de reprise, de pré-reprise, à la demande de l’employeur ou du médecin du travail : documents à remettre au salarié, informations délivrées ;
- la déclaration d’inaptitude
Des arrêtés bientôt publiés
Dans son questions-réponses, le ministère du travail laisse entendre que des textes réglementaires seront prochainement publiés ou sont attendus en évoquant :
1) La nécessité de la publication de deux arrêtés pour mettre en place de manière effective le recours au médecin praticien correspondant ;
2) La publication prochaine d’un arrêté, remplaçant celui du 16 octobre 2017, modifiant les modèles d’attestation de suivi et d’avis d’aptitude et d’inaptitude. En effet, dans trois réponses, le ministère du travail a fait allusion à ce projet d’arrêté mais de manière maladroite car laissant entendre que la publication de cet arrêté était déjà actée :
- “l’attestation de suivi dont le modèle figure en annexe de l’arrêté de 2017 a été modifiée C’est à cet effet que le modèle d’attestation de suivi a été modifié pour permettre de rappeler que le poste a déjà, par le passé, fait l’objet d’un aménagement” ;
- “l’actualisation des modèles de fiches (d’attestation de suivi) a été nécessaire afin de prendre en compte les principales évolutions apportées par la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail en matière de suivi individuel de l’état de santé : les nouvelles délégations aux infirmiers de santé au travail (IDEST), la création des médecins praticiens correspondants et de la visite de mi-carrière. Cette mise à jour a également été l’occasion de les simplifier et d’effectuer des améliorations et des éclaircissements, par exemple, la mention d’un aménagement de poste en cours, d’une réorientation vers le médecin du travail, l’intégration des visites post-exposition et post-professionnelle, la possibilité de rédiger et préciser certaines indications sur la fiche d’aptitude” ;
- de nouveaux modèles d’avis d’aptitude et d’avis d’inaptitude seront publiés par arrêté prochainement pour tenir compte des évolutions issues de la loi du 2 août 2021″.
Focus sur certaines précisions du ministère du travail
Nous reprenons ci-après, les réponses du ministère du travail dans les cinq rubriques qui nous semblaient apporter des précisions nouvelles et intéressantes.
Professionnels de santé au travail du SPST (service de prévention et de santé au travail) | |
Collaborateur médecin | “Le collaborateur médecin peut, dans le cadre d’un protocole avec le médecin du travail, se voir confier par le médecin du travail l’ensemble des visites et examens médicaux qui sont à sa charge”. “A chaque occurrence du code du travail de « le médecin du travail », il convient d’entendre « le médecin du travail et le collaborateur médecin » “. “Il peut ainsi délivrer des avis d’aptitude ou d’inaptitude ou des préconisations relatives à l’aménagement du poste de travail dans les mêmes conditions que le médecin du travail”. |
Interne en médecine du travail | “Le médecin du travail (en tant que maître de stage), est en droit de déléguer à l’interne l’émission d’avis dans le cadre du suivi individuel des salariés. Cependant, l’interne n’étant ni docteur en médecine ni inscrit à l’ordre des médecins, les avis émis par l’interne devront mentionner clairement le nom du maître de stage”. “Dans le cadre d’un remplacement, il exerce toutes les missions du médecin du travail sous sa propre responsabilité (article R.4623-28 du code du travail)”. |
Infirmier de santé au travail | “Concrètement, les infirmiers de santé au travail peuvent dorénavant réaliser les visites de mi-carrière, les visites à la demande et les visites de reprise des salariés en « suivi simple » mais également celles des salariés en suivi individuel renforcé, à l’issue desquelles, le salarié et l’employeur se voient remettre une attestation de suivi”. “C’est le fait d’avoir effectué la visite de reprise (par le médecin du travail comme par l’infirmier de santé au travail) qui met fin à la suspension du contrat de travail et non un avis quelconque porté à l’occasion de cette visite”. “Comme pour l’ensemble des visites, le fait qu’aucun avis ne soit émis par le médecin signifie qu’aucune action n’est requise, le salarié pouvant donc sans difficulté reprendre son poste”. “Il est également important de rappeler que si les infirmiers de santé au travail ne peuvent pas proposer les mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail, mentionnées à l’article L.4624-3 du code du travail, relevant exclusivement du médecin du travail, en revanche ils sont en mesure d’effectuer les visites de salariés dont le poste de travail fait l’objet de tels aménagements ou propositions d’aménagement. C’est à cet effet que le modèle d’attestation de suivi a été modifié pour permettre de rappeler que le poste a déjà, par le passé, fait l’objet d’un aménagement. En l’absence de nouvel avis émis par le médecin du travail, l’aménagement obtenu perdure”. |
Infirmier intérimaire | “En cas de besoins/surcharges ponctuels, les services de prévention et de santé au travail peuvent recourir à des infirmiers intérimaires. Ces infirmiers sont autorisés à exercer leurs missions propres, dans le respect des dispositions des articles R.4311-1 et suivants du code de la santé publique. Ils peuvent, à cet égard, conduire des entretiens infirmiers mentionnés à l’article R.4623-31 du code du travail, mis en place en accord avec le médecin du travail et sous sa responsabilité, indépendamment des visites et examens intervenant dans le cadre du suivi individuel des travailleurs et prévus par le code du travail, par exemple en matière de prévention des conduites addictives. Ceux ayant suivi une formation spécifique en santé au travail pourront effectuer certaines visites et examens”. ► Le recours à un infirmier intérimaire sans compétence en santé au travail nous semble problématique dans la mesure où le ministère du travail prévoit que cet infirmier pourrait conduire des entretiens infirmiers prévus par le code du travail sans avoir connaissance des spécificités de la prévention dans le milieu du travail. Cela contrevient à l’article R.4623-29 qui prévoit que “si l’infirmier n’a pas suivi une formation en santé au travail, l’employeur l’y inscrit au cours des douze mois qui suivent son recrutement et favorise sa formation continue” . Est ce que l’infirmier intérimaire, du fait de la précarité de son emploi, pourra suivre une telle formation ? |
Médecin praticien correspondant (“médecin de ville”) | Le médecin praticien correspondant contribue, en lien avec le médecin du travail, au suivi individuel de l’état de santé des travailleurs à l’exception du suivi individuel renforcé. Il ne peut pas effectuer les visites relatives à la surveillance post-exposition et post-professionnelle. A l’issue de chaque visite ou examen le médecin praticien correspondant délivre une attestation de suivi au travailleur et à l’employeur. “Pour la mise en œuvre effective de ce nouveau dispositif deux arrêtés restent à prendre, le premier concernant le modèle de protocole de collaboration et le second visant à déterminer les montants minimaux et les montants maximaux de la rémunération due au médecin praticien”. |
Visite d’information et de prévention : documents à délivrer | |
Orientation sans délai vers le médecin du travail à l’issue d’une visite d’information et de prévention | “En fonction de l’organisation du service (de santé au travail), cette visite (auprès du médecin du travail) peut même avoir lieu immédiatement. La réorientation vers le médecin du travail est immédiate par la programmation d’un rendez-vous avec le médecin du travail dans les meilleurs délais”. |
Suivi des travailleurs exposés au groupe 2 des agents biologiques | “Pour tout travailleur exposé aux agents biologiques du groupe 2, la visite d’information et de prévention initiale est réalisée avant l’affectation au poste”. “Il n’y a pas de liste de métiers exposant spécifiquement aux agents biologiques du groupe 2. En effet, on peut les trouver (tout comme ceux des autres groupes) dans, par exemple, les secteurs suivants : tri des déchets, travail dans le milieu agricole, travail au contact d’animaux, laboratoire d’anatomie pathologique, personnel d’entretien et de maintenance, etc.”. |
Spécificités du suivi individuel renforcé | |
Postes à risque définis réglementairement (évoqués au II du R.4624-23) outre la liste prévue au I de l’article R.4624-23) | “En l’état actuel des textes, entrent dans le champ du II de l’article R.4624-23 du code du travail, c’est-à-dire les postes à risque définis réglementairement en sus de la liste établie dans le I, les catégories suivantes de postes :- les postes soumis à autorisation de conduite pour l’utilisation de certains équipements de travail mobiles ou servant au levage (article R. 4323-56 du code du travail) ; les postes occupés par les jeunes travailleurs affectés à des travaux réglementés (article R.4153-40 du code du travail) ; les postes occupés par des travailleurs habilités pour effectuer des opérations sur les installations électriques ou dans leur voisinage (article R.4544-10 du code du travail) ; les postes exposés au bruit (plutôt à la demande du salarié ou du médecin du travail, et concerne un examen complémentaire, articles R.4435-2 à R.4435-4 du code du travail) ; les postes avec manutention manuelle (article R.4541-9 du code du travail) ; les postes occupés par des travailleurs effectuant des opérations pyrotechniques dans le cadre d’un chantier de dépollution pyrotechnique (article 24 du décret n°2005-1325 du 26 octobre 2005 relatif aux règles de sécurité applicables lors des travaux réalisés dans le cadre d’un chantier de dépollution pyrotechnique)”. ► Cette liste permet de donner plus de précisions au II de l’article R.4624-23 du code du travail qui se contente de prévoir : “Présente également des risques particuliers tout poste pour lequel l’affectation sur celui-ci est conditionnée à un examen d’aptitude spécifique prévu par le présent code”. |
Exclusion des chauffeurs poids lourds du suivi médical renforcé | “Les chauffeurs poids lourds n’entrent pas dans la catégorie des postes à risque au sens du II de l’article R.4624-23 du code du travail et relèvent du suivi médical de droit commun prévu par le code du travail”. ► Le ministère du travail explique cette exclusion en précisant que l’examen d’aptitude spécifique demandé aux chauffeurs poids lourds n’est pas prévu par le code du travail mais par le code de la route et donc n’est pas visé par l’article R.4623-56-II du code du travail. |
Autres visites et examens | |
Visite non périodique (visite de mi-carrière, visite de reprise, visite à la demande) | “Les visites « non périodiques » (visites de reprise, et à la demande) peuvent être « couplées » avec une visite périodique. À l’issue de ces visites conjointes, le professionnel de santé devra établir et remettre deux fiches, une pour la visite périodique et une seconde pour l’autre visite”. ► Le ministère du travail étend la règle issue de l’article L.4624-2-2 concernant la visite de mi-carrière aux autres visites non périodiques. Il appartiendra aux juges de se prononcer. |
L’inaptitude et ses suites | |
Échange employeurs / médecin du travail | “Les échanges avec l’employeur ne sont pas nécessairement présentiels, ils peuvent être réalisés par tout moyen possible (rencontre physique mais également échanges téléphoniques, courriels, courriers, etc.)”. “L’ensemble des échanges écrits qui contribuent au diagnostic médical d’inaptitude doit être conservé dans le dossier médical en santé au travail”. |
Situation du travailleur dans l’attente de la décision d’inaptitude (délai de 15 jours) | “Dans l’attente de la décision d’inaptitude (pendant la période dévolue aux échanges, aux études de poste et des conditions de travail avant le constat de l’inaptitude du travailleur) qui doit être prise dans un délai limité à 15 jours (à compter de la visite de reprise), le travailleur perçoit sa rémunération. Dans certains cas, le travailleur pourra bénéficier d’un arrêt de travail pour maladie”. ► Cette précision semble contraire à l’article L.1226-4 (ou L.1226-11) qui prévoit que la rémunération du salarié déclaré inapte n’est due qu’à l’expiration du délai d’un mois à compter de la visite de reprise. Ce qui semble exclure toute rémunération entre la visite de reprise et le constat d’inaptitude lorsque ce constat a été notifié ultérieurement (dans le délai de 15 jours). Il appartiendra aux juges de donner leur appréciation. |
Nathalie Lebreton
Conditions de travail : l’Anact propose de nouvelles ressources
30/09/2024
L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) propose ce mois-ci de nouvelles ressources sur la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT). Elles prennent la forme de :
- trois affiches pour sensibiliser, ouvrir la discussion et partager des perceptions sur la QVCT ;
- deux infographies qui présentent de manière simplifiée ce qu’est la QVCT et ses objectifs.
Les deux premières affiches peuvent être utilisées dans les entreprises pour partager les intentions poursuivies par la direction en matière de QVCT, ou dans les structures d’appui aux entreprises (SPSTI, CCI, clubs d’entreprises, etc.) pour interpeler les directions mais aussi les salariés et les représentants du personnel sur le sujet de la QVCT.
La troisième affiche est à destination des entreprises mettant déjà en place une démarche QVCT. Elle permet de rappeler les fondamentaux de la démarche, de présenter les engagements de l’entreprise et de partager les actions mises en œuvre avec les équipes.
Concernant les infographies, elles peuvent être utilisées individuellement (faire le point sur ses connaissances) ou collectivement (partager une vision commune). La première revient sur les trois dimensions de la QVCT :
- des ambitions communes : pouvoir d’agir sur son travail, amélioration du travail, construction d’une organisation de travail favorable à la santé et à la performance ;
- de la méthode : vision commune, réflexion sur le travail, expérimentation de nouvelles façons de travailler, évaluation ;
- des sujets à traiter en rapport avec le travail : projet d’entreprise, management, égalité au travail, santé au travail, prévention, dialogue social et professionnel, organisation, contenu, réalisation du travail, compétences, parcours professionnels.
La seconde infographie déconstruit des idées reçues sur la QVCT. Elle dit ce que c’est mais également ce que ce n’est pas. Toutes deux ouvrent la discussion sur une démarche QVCT, que ce soit dans une seule entreprise (réunion du comité de pilotage ou d’information du personnel) ou dans un collectif de plusieurs entreprises (session de sensibilisation ou formation).
Source : actuel CSE
La santé mentale, grande cause nationale : quid du travail ?
02/10/2024
Dans son discours de politique générale (lire notre article dans cette même édition), Michel Barnier a indiqué vouloir faire de la santé mentale “la grande cause nationale de l’année 2025” : “Les problèmes de santé mentale touchent un Français sur cinq, et particulièrement des jeunes. L’impact sur les familles et les proches est immense. Les maladies psychiques sont le premier poste de dépenses de l’assurance maladie. Ces maladies se soignent et la prévention est essentielle. Des progrès sont réalisés dans la recherche et les traitements, mais il y a encore tellement à faire dans les modes d’accompagnement des malades et des aidants”.
Alors que de nombreux professionnels de la prévention et de la santé au travail se disent préoccupés par la santé mentale des salariés, le nouveau Premier ministre n’a pour l’instant pas semblé relier cette question à celle du travail. À suivre…
Source : actuel CSE
71% des représentants du personnel disent avoir été confrontés à des violences psychologiques
03/10/2024
Pas moins de 79 % des élus CSE affirment avoir dû cacher leurs émotions et presque autant ont connu des situations de violences psychologiques, révèle une étude du cabinet Secafi (groupe Alpha) réalisée auprès de plus de 3 800 représentants du personnel. L’effet sur la santé d’un engagement syndical va aussi faire l’objet d’une recherche au sein du Cnam.
Plusieurs études l’ont montré : depuis la crise sanitaire, sous l’effet notamment d’une nouvelle intensification du travail que la semaine de 4 jours pourrait encore paradoxalement accroître, la santé mentale des travailleurs français se dégrade. Mais celle des représentants du personnel ne se porte guère mieux. Á en croire l’étude réalisée par Secafi auprès de 3 850 élus des comités sociaux et économiques (CSE), et dont certains éléments peuvent être comparés avec une précédente enquête du cabinet datant de 2014, la population des élus du personnel souffre d’un isolement croissant (un comble quand on embrasse un mandat au nom de la représentation et de la défense d’un collectif !) et d’un sentiment de violence psychologique fort (voir la présentation en pièce jointe).
79 % des élus disent avoir dû cacher leurs émotions
Présentés hier matin lors d’une table ronde organisée à l’auditorium du journal Le Monde à Paris et animée par François Desriaux, l’ancien rédacteur en chef de la revue Santé & travail, les chiffres suivants ont de quoi inquiéter, d’autant qu’on peut imaginer que l’échantillon est peu représentatif des petites entreprises (*) :
- 79 % des élus CSE affirment avoir dû cacher leurs émotions pendant leur mandat ;
- 71 % disent avoir été confrontés à des violences psychologiques de type harcèlements ou conflits (l’enquête ne donne pas d’autres détails sur cette réponse) ;
- 64% utilisent leur temps personnel pour leur mandat ;
- 56 % déplorent que leurs propositions ne soient pas prises en compte par l’employeur ;
- 53 % se sentent isolés dans leur mandat (contre 39 % en 2024) ;
- 50 % ont dû accompagner des salariés en procédure collective ;
- 50 % estiment que le nombre d’élus est insuffisant pour bien exercer les mandats (mais c’est moins l’avis des élus dont le CSE est le premier mandat) ;
- 50 % déplorent un manque de temps pour leur mandat ;
- 50 % disent avoir pensé à arrêter toute représentation du personnel ;
- 32 % déplorent un manque de moyens (contre 22 % en 2014).
94% des élus sont fiers de leur mandat
Ces chiffres s’accompagnent de ressentis beaucoup plus positifs, eux :
- 94 % des élus CSE sont fiers de leur mandat ;
- 90 % se sentent utiles ;
- 87 % estiment avoir une vision claire de leurs prérogatives ;
- 85 % disent avoir de bonnes relations avec les salariés ;
- 70 % ont suivi une formation santé, sécurité conditions de travail (SSCT) ;
- 69 % estiment que les salariés apprécient leur action ;
- 66 % ont suivi une formation sur leurs prérogatives économiques ;
- 56 % ont de bonnes relations avec le président du CSE et avec leur hiérarchie directe, etc.
Comment comprendre ces éléments qui semblent parfois contradictoires ? Antoine Rémond, le responsable du pôle études et prospective du groupe Alpha, explique que cette enquête a consisté à traiter la représentation du personnel comme un travail en soi. L’objectif était de décrire au mieux ce travail souvent invisibilisé, en mettant en avant de bonnes pratiques à partager et des leviers à solliciter. A ses yeux, les résultats montrent clairement l’effet des ordonnances travail de 2017 à l’origine de la fusion dans le CSE des différentes instances (DP, CE, CHSCT). “L’augmentation de la technicité des dossiers et de la charge de travail de chaque élu a pu réduire le temps collectif et le temps d’échange entre élus, et donc nourrir ce sentiment d’isolement”, acquiesce le sociologue Olivier Rey.
Le mandat, toujours perçu comme un frein dans la carrière
Comme le relève Amandine Michelon, l’autrice de l’étude, si l’engagement dans un mandat donne du sens au travail, s’il est porteur d’intégration dans l’entreprise, d’où les résultats positifs, il s’accompagne aussi de vives tensions et de nombreux cas d’expositions aux risques psychosociaux, et il est perçu par les intéressés comme un frein à leur carrière. “Les raisons de l’engagement dans un mandat touchent au collectif, et peu souvent au souci de sa propre protection”, souligne la consultante.
Les bonnes pratiques qui ressortent de cette enquête relèvent d’une mutualisation efficace des heures de délégation dans le collectif d’élus, de la pratique d’entretiens de début et de fin de mandats, mais aussi d’échanges collectifs au sein du CSE et/ou de la section syndicale. Pas seulement pour préparer les sujets des réunions mais aussi pour échanger sur son expérience d’élu du personnel.
Certains intervenants de la table ronde ont également rapporté des pratiques du secteur médico-social : souvent confrontés à des situations violentes, les travailleurs peuvent parfois échanger, en la présence d’un tiers modérateur ou d’une personnel expérimentée, sur leur vécu, afin d’apprendre à se “protéger” lors de ces moments, et à mieux “gérer” ces situations. Attention toutefois aux groupes créés sans tiers, a prévenu la médecin du travail Maire-Pierre Pirlot : “Ce n’est pas parce que vous avez connu une situation difficile en tant qu’élu que vous saurez apporter le bon soutien à un autre élu confronté à une autre situation difficile”, a-t-elle dit en substance (**).
Une enquête prochaine sur les effets sur la santé d’un engagement syndical
Pour le sociologue Frédéric Rey, co-directeur du laboratoire Lise au Cnam (***), cette enquête entrouvre un énorme sujet de recherche sur la santé des représentants du personnel. Lui-même va lancer dans quelques mois un travail international sur les effets de l’engagement syndical sur la santé. Ce travail, qui pourrait donner lieu à une première restitution à l’été 2025, mobilisera une dizaine de chercheurs de plusieurs pays (France, Belgique, Royaume-Uni, Québec) et il se focalisera sur des itinéraires de vies. “Quand je vois que 71 % des élus CSE disent avoir été confrontés à des situations de souffrance au travail, cela m’interpelle. Il va falloir que nous creusions cette question”, a-t-il commenté.
Un manque de considération de la part des directions
Ces questions de santé mentale des élus du personnel font-elles l’objet d’un certain déni syndical ? Karen Gournay, secrétaire confédérale FO en charge de la négociation collective, a réfuté l’hypothèse : “Nous faisons ce même constat d’un aggravation des problèmes de santé mentale, ce n’est pas un tabou chez nous mais il nous est plus habituel de réagir à un événement que de le prévenir, et nous manquons de temps pour réfléchir aux conditions dans lesquelles nos mandatés exercent leur mandat”. Et la syndicaliste de pointer, “malgré une législation protectrice”, le réel manque de considération des directions à l’égard des élus et des délégués syndicaux.
Le problème de l’absence de valorisation des compétences acquises pendant le mandat
Elle a d’ailleurs été confortée par plusieurs témoignages dans la salle. “Je suis cadre et élue. Et comme par hasard ma direction ne voit aucun problème quand une réunion importante du CSE tombe l jour d’une réunion professionnelle importante pour moi”, raconte une syndiquée CFE-CGC. Et celle-ci d’ajouter : “Je vois des élus qui ont fait un travail formidable au CSE retrouver avec peine des missions après la fin de leur mandat”, a témoigné un ingénieur en citant le cas d’un secrétaire de CSE d’un site de 1 600 personnes : “Il s’est retrouvé avec une cotation professionnelle pas du tout à la hauteur de sa valeur professionnelle”. Un témoignage suivi d’un autre exemple cité par une élue de Renault : “Chez nous, l’outil RH contient tout le parcours professionnel d’un salarié. Tout. Sauf les entretiens de début et de fin de mandat !”
L’entreprise ne définit pas le travail d’un élu, ce travail est donc largement invisible
La médecin du travail Marie-Pierre Pirlot, qui a été en poste chez Orange, a soulevé un autre angle mort de la reconnaissance du travail fait par les élus : “Ce n’est pas, et bien heureusement d’ailleurs, l’entreprise qui définit ce que doit être le travail d’un médecin du travail, d’un élu CSE ou d’un délégué syndical. Mais cela signifie aussi que ce travail est littéralement invisible. Par exemple, si je suis confrontée en tant que médecin au problème de santé d’un salarié qui est représentant du personnel, qui va mettre en œuvre mes recommandations ? C’est une difficulté qui m’a été très souvent remontée en tant que médecin coordinateur”.
Ne pas tout psychologiser : le dialogue social est une affaire politique
Mais c’est Hervé Lanouzière, l’actuel directeur de l’institut qui forme les inspecteurs du travail (INTEFP), qui a mis le plus carrément, si l’on ose dire, les pieds dans le plat. S’il admet que la France a nourri pendant longtemps “un certain déni des risques psychosociaux”, il craint un effet de balancier inverse : “Ne nions pas la souffrance, mais attention à ne pas tout psychologiser. Attention à ne pas procéder à une sorte de sanitarisation des problèmes sociaux, car ce serait une dépolitisation du dialogue social”.
Et l’ancien directeur de l’Anact (agence d’amélioration des conditions de travail) de poursuivre : “Cette étude interroge sur la qualité du dialogue social en France. Si les représentants du personnel souffrent d’une impuissance à agir, n’est-ce pas parce que le dialogue social est en partie fictif, parce que les entreprises ne modifient pas leurs décisions pour prendre en compte ce que disent les représentants du personnel ?”. Ce dernier préconise au passage une architecture des IRP différente d’une entreprise à l’autre, afin de coller aux réalités. “Il faut surtout permettre à une IRP de pouvoir bloquer un processus lancé par une direction. Sur les questions de santé, il faut mettre le patronat sous contrainte”, rétorque Karen Gournay (FO).
Mettez votre propre masque avant d’équiper les autres
Le mot de la fin est revenu à François Cochet, directeur des activités santé au travail de Secafi. Cet expert, qui intervient souvent dans des entreprises confrontées à des suicides, confirme que les élus qu’il rencontre ne sont pas bien. A ceux qu’il sent fragilisés, il livre ce conseil : “Regardez les consignes de sécurité dans un avion : s’il y a une dépressurisation, en tant qu’adulte, vous devez d’abord mettre votre propre masque avant de pouvoir en mettre un à votre enfant”. Autrement dit : si ça ne va pas, mettez-vous en retrait, laissez d’autres personnes agir.
Faites des gains de productivité dans votre CSE
Pour François Cochet, la disparition des délégués du personnel qui permettaient une alerte et donc un traitement rapide de nombreux problèmes dans l’entreprise a contribué à cette montée des violences psychologiques dans les entreprises. Mais elle n’est pas inéluctable à ses yeux : “J’ai vu des équipes d’élus traverser des difficultés et en sortir plus forts, plus unis. Faites des gains de productivité dans votre CSE. Ne partez pas dans des lectures syndicales interminables en début de réunion. Organisez mieux la répartition des tâches. Croyez-moi, quand elle a en face d’elle un collectif soudé et des élus qui travaillent de façon complémentaire, la direction en tient compte !”
(*) Un tiers des répondants travaille dans une entreprise de moins de 300 salariés, un tiers entre 300 et 999, et un tiers au-delà. Cette enquête a été réalisée entre novembre 2023 et mars 2024 sur la base d’un questionnaire réalisé et analysé par Nicolas Aït Cheikh et François Cochet, experts Secafi, Amandine Michelon et Antoine Rémond du Centre Etudes & Data du Groupe Alpha. 3 850 personnes ont répondu à l’intégralité du questionnaire, parmi lesquels un tiers n’exerçait pas de mandat avant l’instauration du CSE.
(**) L’écoute fait partie des compétences délicates qu’un élu peut développer
(***) Lise : laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique, est une Unité mixte de recherche Cnrs (Centre national de la recherche scientifique) et Cnam (Conservatoire national des arts et métiers)
Quelques éléments de comparaison entre 2014 et 2024
Bernard Domergue
Dégradation de la santé mentale : les managers en première ligne
04/10/2024
Selon une étude du site d’offres d’emploi Indeed sur la santé des salariés (*), deux salariés sur cinq déclarent avoir reçu une prescription d’arrêt au cours des 12 derniers mois. Parmi eux, les moins de 35 ans (54 %) et les managers (52 %) arrivent en tête..
Les arrêts pris sont liés à des raisons médicales physiques (20 %), psychologiques (10 %) mais sont également motivés par un besoin de repos, pouvant aussi bien concerner le corps que l’esprit (10 %). A cet égard, 39% des sondés déclarent se sentir souvent ou systématiquement trop épuisés pour se lancer dans une autre activité après le travail.
Plus d’un salarié sur trois (37 %) estime que rester dans leur entreprise actuelle met en péril leur santé mentale. 47 % des moins de 35 ans partagent ce sentiment, de même que 50 % des managers. 48 % des sondés craignent actuellement pour leur santé mentale.
Pas moins de 50 % des salariés français constatent que leur santé mentale s’est dégradée au cours des dernières années, en particulier pour les managers, davantage soumis à la pression du résultat (59 %).
(*) L’étude a été réalisée en partenariat avec OpinionWay auprès d’un échantillon de 1 050 salariés, représentatif de la population française salariée d’entreprises privées de 20 salariés et plus, âgée de 18 ans et plus. L’échantillon a été constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle, de secteur d’activité, de taille d’entreprise et de région d’implantation. Les interviews ont été réalisées par questionnaire autoadministré en ligne sur système CAWI du 3 au 9 septembre 2024.
Source : actuel CSE