Pourquoi le nombre d’accidents du travail baisse-t-il depuis la crise sanitaire ?

17/02/2025

La directrice des risques professionnels de la Cnam, Anne Thiébauld, invite à observer cette évolution dans une « perspective historique ». Le même mouvement a été constaté après la crise financière de 2008.

Le nombre d’accidents du travail fléchit en volume depuis la crise sanitaire. Contactée, la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) évoque des évolutions multifactorielles et structurelles du monde du travail. Quand les syndicats pointent l’ampleur de la sous-déclaration. Tous doutent d’éventuels effets de mesures de prévention.

“Ces données d’accidentologie apparaissent en divergence avec les historiques des séries statistiques antérieures”, notait la branche Risques professionnels de la Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) dans son rapport annuel 2022. Elle enregistrait alors un nombre d’accidents du travail (AT) moins élevé qu’en 2021 (- 6,7 %). Or, celui-ci augmentait progressivement depuis 2014 (hors baisse drastique en 2020 expliquée par le ralentissement de l’activité durant la pandémie).

Doutant d’une évolution favorable “naturelle”, la Cnam avançait alors “des hypothèses en amont du processus de reconnaissance, liées aux éléments contextuels d’influence sur le monde du travail (télétravail, ralentissements d’activité…), à l’utilisation des outils de déclaration (déclaration sociale nominative, formulaires déclaratifs…)”. Et s’interrogeait tout particulièrement sur le rôle joué par une hausse significative de dossiers incomplets. En cause notamment, l’appréhension par les professionnels de santé de la fusion de l’avis d’arrêt de travail, du certificat initial AT/MP (accidents du travail et maladies professionnelles) et du certificat médical de prolongation AT/MP intervenue le 7 mai 2022.

Un an plus tard, rebelote. “L’année 2023 confirme une rupture depuis la crise sanitaire des séries statistiques antérieures, avec une baisse du nombre de sinistres depuis la crise sanitaire – notamment sur les AT – , nombre qui n’est pas revenu au niveau de 2019”. Dans son bilan 2023, la Cnam confirme la tendance. “Par rapport à la situation d’avant-crise sanitaire (2019), les sinistres sont en baisse d’environ 13 %”, dont – 15 % pour les accidents du travail (AT). En 2023, le nombre d’AT diminue de – 1,5 % par rapport à 2022 alors que le nombre de salariés augmente de + 0,3 %.

« Perspective historique »

Dans son édito de la synthèse du rapport 2023, la directrice des risques professionnels de la Cnam, Anne Thiébauld, invite à observer cette évolution dans une “perspective historique”.

“Un épisode de baisse durable des sinistres en AT/MP avait fait suite à la crise financière de 2008, indique-t-elle. La fréquence des accidents s’établissait alors autour de 40 accidents pour 1 000 salariés, pour descendre à 22 pour 1 000 au cours de la décennie suivante.” Elle laisse donc entendre que les crises, qu’elles soient sanitaires ou financières, affectent “positivement” l’évolution statistique du nombre d’AT. Qui dit moins d’activité, dit moins d’accidents ? “Il s’agit d’un constat a posteriori au vu de l’évolution statistique macro”, nous répond l’Assurance maladie, sans autres explications.

Avant de pointer du doigt des “modifications profondes du rapport au travail dont la santé est l’une des traductions opérationnelles”. Selon la Cnam, cette baisse du nombre d’AT pourrait être ainsi le fruit mal compris de “tensions voire ruptures d’approvisionnements sur certains matériaux ou composants encore en 2022, des tendances sur l’absentéisme [en hausse depuis la crise du Covid jusqu’en 2023] ou de la baisse de la productivité horaire [quantité produite en une heure de travail]”.

La Cnam assure que l’Allemagne, l’Italie et le Luxembourg connaissent une trajectoire similaire “en ce qu’elles affichent une baisse de leur sinistralité plus marquée depuis la crise sanitaire, malgré l’évolution à la hausse dans le même temps de leur population assurée”. Avec un même paradigme : tandis que le nombre d’AT diminue, le nombre des accidents de trajet augmente. Selon l’Assurance maladie, entre 2022 et 2023, l’Allemagne connait une hausse de + 6,3 %, l’Italie de + 3,83 % et la France de + 5,1 %.

Télétravail

Concernant la crise sanitaire, une autre “modification profonde” sort du lot pour l’Assurance maladie : le “déploiement et l’installation durable du télétravail dans tous les secteurs d’activité”. Selon la Dares, entre 2019 et 2023, la part des personnes salariées pratiquant le télétravail au moins occasionnellement est passée de 9 % à 26 %. Et la pratique intensive du télétravail, trois jours ou plus par semaine, qui concernait 1 % des salariés en 2019, a culminé à 18 % en 2021, durant la crise sanitaire, avant de redescendre à 5 % en 2023.

Est-ce à dire que travailler à la maison expose à moins de risques d’accidents ? Que la déclaration d’AT est moins instinctive chez le télétravailleur accidenté ? Que le télétravailleur a plus de mal à faire reconnaître le caractère professionnel de l’accident qu’il subit à son domicile ?

Sous-déclaration

Une autre raison pourrait expliquer la baisse récente du nombre d’AT en France. Selon les syndicats, la curiosité statistique est à regarder sous l’angle de la sous-déclaration (*).

Ce phénomène est “cohérent avec une pyramide des risques (ou de Bird) dont le sommet, les accidents mortels, sont en hausse et les accidents moins graves, la base, s’effrite”, soulève notamment la CGT dans le dernier rapport de la commission chargée d’évaluer le coût réel pour la branche maladie de la sous-déclaration des AT/MP.

Pêle-mêle, les syndicats invoquent le travail illégal, les détachements irréguliers, les primes “anti-AT”, la pression à l’aménagement de poste ou à des jours de repos rémunérés, la menace de licenciement, la méconnaissance du salarié, la pénurie de médecins et d’inspecteurs du travail, la complexité de la procédure, la disparition des CHSCT depuis la création du CSE, etc.

“Les remontées de terrain indiquent une organisation, pour ne pas dire une industrialisation, de la sous-déclaration, pèse Éric Gautron, secrétaire confédéral chez FO, en charge de la protection sociale. La sous-déclaration, en partie orchestrée par les employeurs et qui progresse, comme le montre la nouvelle estimation du transfert vers l’assurance maladie, explique une part importante de cette diminution du nombre d’AT.”

Dans son rapport daté de juin 2024, la commission évalue le montant de la sous-déclaration des AT/MP dans une fourchette entre 2 009 et 3 797 M€. En 2021, il était estimé entre 1 230 et 2 112 M€. En 2017, entre 800 et 1 500 M€. 

“Compte tenu de la trajectoire de la sinistralité, la Mecss [mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale] peine à comprendre comment la sous-déclaration a pu doubler en trois ans [2021-2024]”, s’étonnaient a contrario les sénatrices de la commission des affaires sociales en octobre 2024. Elles avançaient que “la variabilité de l’estimation sur trois ans excède sans nul doute l’évolution réelle de la sous-déclaration”.

La commission de sous-déclaration écrit dans son rapport que “l’augmentation [de l’estimation du coût de la sous-déclaration en 2024] relativement au précédent rapport [2021] s’explique principalement par l’actualisation des études épidémiologiques, notamment relatives aux TMS et aux cancers, la hausse des coûts de prise en charge, et dans une moindre mesure par l’évolution de la population du régime général et l’élargissement du champ de l’évaluation aux souffrances psychiques liées au travail (SPLT)”. Mais constate que la plupart des recommandations faites par la commission précédente en 2021 pour enrayer le phénomène “n’ont pas ou peu été mises en œuvre”.

Les organisations patronales (Medef, U2P, CPME), elles,brandissent l’étude d’Eurogip de décembre 2023, d’après laquelle la sous-déclaration serait minime en France par rapport à ses voisins européens.

(*)  La sous-déclaration des AT/MP peut être provoquée par l’absence d’ouverture d’une procédure de reconnaissance d’un AT/MP ou lorsqu’une procédure de reconnaissance d’un AT/MP a été ouverte mais n’a pas abouti à tort. Les pathologies ou affections liées à ces AT/MP sont ainsi pris en charge par la branche maladie, et non par la branche AT/MP financée à 100 % par les cotisations des entreprises. La sous-déclaration des AT/MP provoque un transfert spontané de charges de la branche AT/MP vers la branche maladie. Pour compenser, le législateur a institué un versement annuel de la branche AT/MP vers la branche maladie.

Un effet de la prévention ou d’une sous-déclaration ?
Précision importante : la baisse des sinistres ne concerne que les accidents indemnisés en 2023, explique Anne Thiébauld dans son édito. “Les accidents ne donnant pas lieu à un arrêt de travail de plus de 3 jours augmentent quant à eux en 2023 comparativement à 2022”, précise-t-elle. “Une vision positive des choses pourrait être d’y voir les effets de mesure de prévention qui permettent d’atténuer la gravité des accidents”, nous explique l’Assurance maladie, tout en concédant ne pouvoir être “formelle”.

Dans le dernier rapport de la commission de sous-déclaration, le Medef évacue l’idée d’une sous-déclaration plus importante concernant les arrêts de travail courts, notamment parce que l’employeur “a l’obligation de déclarer tout accident dont il a connaissance dans les 48 h sans tenir compte de l’existence ou pas d’un arrêt de travail et a fortiori de sa durée”.

À rebours, les syndicats estiment, malgré cette statistique, que la sous-déclaration est plus importante pour les arrêts de travail courts. “Notamment en matière d’accident du travail, car il est beaucoup plus facile de ne pas déclarer l’accident d’un salarié lorsque son état de santé n’est pas trop grave que lorsqu’on est contraint de faire venir sur le lieu de travail les pompiers, le SAMU, voire la police”, avance par exemple la CFDT.

Matthieu Barry

Affaire France Télécom : l’analyse juridique de la décision de la Cour de cassation

17/02/2025

Nous revenons, dans une analyse juridique détaillée, sur l’arrêt important rendu le 21 janvier dernier dans l’affaire France Télécom. Dans cette décision, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé qu’une politique d’entreprise conduisant, en toute connaissance de cause, à la dégradation des conditions de travail des salariés peut caractériser un harcèlement moral institutionnel justifiant la sanction des dirigeants la mettant en œuvre.

C’est le dernier volet d’une affaire hautement médiatique – l’affaire France Télécom – que la décision de la Cour de cassation du 25 janvier 2025 clôture, dans un arrêt qui fait l’objet de la publicité la plus étendue puisqu’il sera publié à son rapport annuel. La décision de la Cour de cassation étant sans renvoi, elle est définitive et met un terme à une épopée judiciaire de plus de 15 ans.

Une politique de déflation des effectifs à marche forcée

En 2009, un syndicat porte plainte pour harcèlement moral contre l’entreprise et certains dirigeants pour avoir mis en œuvre le plan Next (“Nouvelle expérience des télécoms”) et son volet social, le programme Act (“Anticipation et compétences pour la transformation”), reposant sur un objectif de réduction des effectifs concernant 22 000 salariés ou agents sur un total d’environ 120 000.

Etaient ainsi notamment poursuivis du délit de harcèlement moral le président-directeur général et le directeur des opérations France. Il leur était notamment reproché le fait d’avoir dégradé les conditions de travail de 39 salariés par des agissements répétés de harcèlement créant un climat professionnel anxiogène.

D’autres prévenus, notamment au sein du service des ressources humaines, étaient poursuivis pour complicité de ce délit pour avoir facilité sciemment la préparation et la commission de ce délit, et en particulier, pour certains d’entre eux, pour avoir organisé le suivi strict et concret de la réduction des effectifs en mettant en place des outils de pression sur les départs.

Tant le tribunal correctionnel, par un jugement du 20 décembre 2019, que la cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 30 septembre 2022, ont jugé que certains prévenus s’étaient bien rendus coupables de harcèlement moral institutionnel ou de complicité de ce délit.

C’est cette décision des juges du fond qui est contestée devant la Cour de cassation.

► On relèvera que la Cour de cassation a écarté l’argument des prévenus qui réclamaient l’envoi d’une question prioritaire de constitutionnalité sur l’interprétation de l’article 222-33-2 du code pénal. La Cour de cassation ayant déjà refusé ce renvoi au Conseil constitutionnel lors de décisions antérieures, le grief n’avait plus lieu d’être.

Le harcèlement moral institutionnel entre-t-il dans le champ de l’incrimination de harcèlement moral au travail ?

L’enjeu au cœur de la saisine de la Cour de cassation était de savoir si le harcèlement moral institutionnel entrait ou non dans les prévisions de l’article 222-33-2 du Code pénal, dans sa version applicable au moment des faits, qui vise le harcèlement moral au travail.

Le principe d’interprétation stricte de la loi pénale s’y oppose, selon les prévenus

Se plaçant sur le terrain du principe de légalité des délits et des peines imposant une interprétation stricte de la loi pénale, principes garantis par les articles 111-4 du code pénal et 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, les prévenus contestaient leur condamnation et prétendaient que la cour d’appel, en les condamnant pour harcèlement institutionnel, avait appliqué de manière extensive l’article 222-33-2 du code pénal en violation de ces principes.

► Le principe de légalité des délits et des peines constitue un principe central du droit pénal selon lequel les actes constitutifs de crimes ou de délits et les peines qui leurs sont applicables doivent être définis avec précision par la loi. De même, l’article 7 de la convention énonce que nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. Autrement dit, pas de peine sans loi.

En effet, selon les prévenus, le harcèlement moral ne peut être caractérisé qu’en présence de relations interpersonnelles entre l’auteur des agissements incriminés et une ou plusieurs personnes déterminées. Une politique d’entreprise qui n’est pas dirigée contre des personnes précises ne pourrait donc pas entrer dans ce cadre. L’article 222-33-2 du code pénal ne sanctionnerait donc pas le harcèlement moral institutionnel.

En jugeant le contraire, la cour d’appel aurait donc fait une application extensive de la loi pénale, qu’ils considèrent illégale.

La Cour de cassation valide la définition du harcèlement moral institutionnel énoncée par les juges du fond

Avant de se prononcer, la Cour de cassation, fidèle à l’esprit de la cour d’appel, mais dans un effort de synthèse, définit le harcèlement moral institutionnel comme “des agissements définissant et mettant en œuvre une politique d’entreprise ayant pour but de structurer le travail de tout ou partie d’une collectivité d’agents, agissements porteurs, par leur répétition, de façon latente ou concrète, d’une dégradation, potentielle ou effective, des conditions de travail de cette collectivité et qui outrepassent les limites du pouvoir de direction”. 

Elle reprend également à son compte, mais avec ses propres termes, la notion de politique d’entreprise entendue comme “la politique principale des ressources humaines, composante de la politique générale de la société, déterminée par la ou les personnes qui ont le pouvoir et la capacité de faire appliquer leurs décisions aux agents et de modifier les comportements de ceux-ci”.

Une fois ce cadre sémantique posé, la Cour de cassation raisonne en deux temps, rappelant d’abord les contours de la jurisprudence en matière d’interprétation de la loi pénale, avant d’analyser si, en l’espèce, le harcèlement moral institutionnel pouvait entrer dans les prévisions de l’article 222-33-2 du code pénal.

Les principes gouvernant l’interprétation de la portée de la loi pénale

Selon la Haute Juridiction, deux principes gouvernent l’interprétation de la portée des textes pénaux :

  • le principe de légalité des délits et des peines impose une interprétation stricte de la loi pénale, comme le confirme une jurisprudence constante (par exemple, arrêt du 22 juin 2002) ;
  • le juge ne peut pas appliquer, par voie d’analogie ou par induction, la loi pénale à un comportement qu’elle ne vise pas, mais il peut, en cas d’incertitude sur la portée d’un texte pénal, rechercher celle-ci en considérant les raisons qui ont présidé à son adoption (arrêt du 5 septembre 2023).

Le harcèlement moral institutionnel entre dans les prévisions du code pénal sanctionnant le harcèlement moral

Se fondant sur ces principes, la Cour de cassation a donc recherché quel était le sens donné par le législateur à l’article 222-33-2 du code pénal au moment de son adoption par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, dans la version applicable au moment des faits.

► À l’époque du litige, l’article 222-33-2 du code pénal visait le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.

Relevons que, depuis la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, l’article en question vise, non plus les “agissements répétés”, mais “les propos ou comportements répétés”.

Par ailleurs, alors que l’auteur de ces faits encourait initialement un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, l’intéressé s’expose désormais à une peine de 2 ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende depuis la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.

Selon les magistrats de la Haute Juridiction, l’analyse du texte de l’infraction permet de distinguer :

  • les agissements qui ont pour objet une dégradation des conditions de travail. Dans ce cas, les faits reprochés à leur auteur ne doivent pas nécessairement concerner un ou plusieurs salariés en relation directe avec lui ni viser des victimes individuellement désignées puisque “le caractère formel de l’infraction n’implique pas la constatation d’une dégradation effective des conditions de travail” ;
  • les agissements qui ont pour effet une dégradation des conditions de travail qui suppose que soient précisément identifiées les victimes de tels agissements.

La Cour de cassation note également que le terme “autrui” peut désigner, en l’absence de toute autre précision, un collectif de salariés non individuellement identifiés.

Pour évaluer la portée attachée à l’époque par le législateur à cette disposition, la Haute Juridiction s’appuie, ensuite, sur les travaux préparatoires de la loi de 2002, et notamment sur certains documents cités dans les rapports parlementaires, à savoir :

  • un avis de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme du 29 juin 2000 consacré au harcèlement moral au travail qui a identifié le harcèlement institutionnel comme participant d’une stratégie de gestion de l’ensemble du personnel ;
  • un avis du 11 avril 2001 du Conseil économique et social qui fait référence au harcèlement “collectif, professionnel ou institutionnel, qui s’inscrit alors dans une véritable stratégie du management pour imposer de nouvelles règles de fonctionnement, de nouvelles missions ou de nouvelles rentabilités”.

Elle en conclut qu’à la lumière des travaux préparatoires il apparaît que le législateur a souhaité adopter une définition “la plus large et la plus consensuelle possible” de cette incrimination.

Il s’ensuit que l’élément légal de l’infraction de harcèlement moral n’exige pas que les agissements répétés s’exercent à l’égard d’une victime déterminée ou dans le cadre de relations interpersonnelles entre leur auteur et la ou les victimes, pourvu que ces dernières fassent partie de la même communauté de travail et aient été susceptibles de subir ou aient subi les conséquences visées à l’article 222-33-2 du code pénal. Autrement dit, le fait que l’auteur du harcèlement et les victimes appartiennent à une même communauté de travail suffit.

Dès lors, pour la Cour de cassation, les agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale, ou de compromettre leur avenir professionnel peut caractériser une situation de harcèlement moral institutionnel entrant dans les prévisions de l’article 222-33-2 du code pénal.

Le principe de prévisibilité ne fait pas échec à cette interprétation large du code pénal

Les prévenus invoquaient par ailleurs le principe de prévisibilité de la loi pénale et arguaient que l’interprétation retenue par les juges du fond n’était pas accessible et raisonnablement prévisible au moment des faits, en violation des principes de légalité des délits et des peines, et de sécurité juridique et de non-rétroactivité de la loi pénale, plus sévère.

Ils contestaient notamment le fait que les juges du fond aient considéré que le principe de prévisibilité de la loi s’applique uniquement à la loi, mais non à la jurisprudence. Les prévenus estimaient en outre qu’il leur était difficile de prévoir, au moment des faits, l’extension de l’application du texte à une politique d’entreprise.

La Haute Juridiction s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence européenne…

Pour fonder son raisonnement, la Haute Juridiction s’appuie sur l’interprétation de l’article 7 de la convention européenne des droits de l’Homme opérée par la Cour européenne des droits de l’Homme (par exemple, CEDH 9-7-2024 n° 38998/20, D. c/ France)

 La jurisprudence européenne a ainsi dégagé les principes suivants :

  • l’application rétroactive du droit pénal en défaveur de l’accusé est prohibée, et le principe de légalité des délits et des peines empêche une application extensive d’une incrimination au détriment de l’accusé, notamment par analogie ;
  • pour s’appliquer, une infraction doit être clairement définie par la loi, ce qui est le cas si le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux, le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quelles actions et omissions engagent sa responsabilité pénale ;
  • la notion de droit pénal recouvre le droit d’origine législative et jurisprudentielle ;
  • les règles de responsabilité pénale peuvent être clarifiées progressivement à l’aune des décisions de justice d’une affaire à l’autre si le résultat demeure cohérent avec la substance de l’infraction et est suffisamment prévisible. 

Pour déterminer si une interprétation large donnée de la loi par les juridictions internes est raisonnablement prévisible, la Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc si l’interprétation en question correspond à une ligne perceptible de la jurisprudence ou si son application dans des circonstances élargies cadrait néanmoins avec la substance de l’infraction.

… pour écarter l’argument des prévenus

Dans la continuité de cette jurisprudence, les magistrats de la Cour de cassation avancent plusieurs arguments pour écarter toute violation de ce principe. Ils relèvent en effet que la Haute Juridiction n’a jamais exigé :

  • l’existence d’un rapport de travail direct et individualisé entre l’auteur du harcèlement et sa ou ses victimes ;
  • que les agissements qui lui sont imputés soient identifiés salarié par salarié.

Elle n’a pas non plus exclu que le harcèlement moral puisse revêtir une dimension collective. Enfin, pour elle, la notion de harcèlement moral institutionnel résultant de la mise en œuvre d’une politique d’entreprise procède de l’application de l’incrimination à une situation factuelle nouvelle. Elle ne constitue qu’une des modalités de harcèlement moral.

Dès lors, pour la Cour, l’application de l’incrimination à une situation nouvelle, qui ne constitue pas un revirement de jurisprudence, n’était pas imprévisible au sens de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme, de surcroît pour des professionnels comme les dirigeants du groupe, qui ont la possibilité de s’entourer des conseils éclairés de juristes.

On relèvera que la Cour de cassation arrive à la même conclusion que la cour d’appel, qui avait, elle aussi, écarté ce principe de prévisibilité. Néanmoins, elle censure les juges du fond sur les arguments retenus pour y parvenir. Ces derniers avaient, notamment, considéré, pour écarter le principe de prévisibilité juridique, que ce dernier ne s’appliquait qu’à la loi, et non à la jurisprudence, ce qui est erroné pour la Cour de cassation. Néanmoins, la Haute Juridiction a considéré que cette erreur reste sans conséquence et n’encourt pas la censure.

Le délit de harcèlement moral institutionnel est caractérisé dans tous ses éléments…

Après avoir acté que le harcèlement moral institutionnel entrait bien dans le champ de l’article 222-33-2 du code pénal, il restait à la Cour de cassation à vérifier si, dans les faits de l’espèce, ce harcèlement moral institutionnel était bien avéré.

Les actes des prévenus caractérisent l’élément matériel de l’infraction

Les prévenus soutenaient que leur condamnation pour harcèlement moral supposait l’existence d’actes positifs et réitérés qui leur soient directement imputables. Or, selon eux, un objectif de déflation des effectifs à titre impératif et le fait de s’abstenir de réagir aux situations de souffrance dénoncées par les salariés ne tombaient pas sous le coup de l’incrimination pénale.

En appel, les juges du fond avaient considéré que l’accélération impérative de la déflation des effectifs dans un délai contraint, les modalités utilisées, les “retombées en cascade” et le “ruissellement” sur les salariés de ces méthodes aux conséquences anxiogènes, sans égard pour leur sort, en dépit des alertes syndicales, et en particulier de l’exercice par six syndicats d’un droit d’alerte pour “mise en danger de la santé des salariés”, constituaient des agissements répétés, étrangers au pouvoir de direction et de contrôle.

Dans le respect de l’appréciation souveraine des juges du fond, la Cour de cassation valide la position de la cour d’appel :

  • les agissements répétés du président-directeur général relevaient d’une stratégie délibérée de harcèlement conçue au plus haut niveau de l’entreprise, dont le prévenu a assuré, par des actes positifs, la mise en œuvre, par la voie hiérarchique, “au prix d’une dégradation assumée des conditions de travail de l’ensemble des agents” : ils étaient donc bien constitutifs de l’élément matériel de l’infraction ;
  • les agissements du directeur des opérations France consistant à mettre en œuvre, par des actes positifs, la politique d’entreprise définie au sein des instances dirigeantes, dont il a veillé à la déclinaison dans les entités du groupe relevant de sa direction, étaient également constitutifs de l’élément matériel du harcèlement moral, tant par l’objet de ces agissements que par leur effet.

L’élément intentionnel est caractérisé

Les prévenus soutenaient, en outre, que le harcèlement moral requérait l’intention de nuire, ce qui n’avait pas été démontré en appel.

Mais, appliquant sa jurisprudence en ce domaine, la Cour de cassation écarte l’argument. En effet, les prévenus avaient connaissance des effets négatifs du maintien de la méthode adoptée sur la santé des agents du groupe et sur leurs conditions de travail. Les juges du fond ont donc bien caractérisé l’élément intentionnel du délit pour chacun des prévenus.

► La Cour de cassation considère que le délit de harcèlement moral est caractérisé dès lors que les agissements du prévenu ont eu pour effet une dégradation des conditions de travail dont il avait nécessairement conscience, sans que les juges aient à démontrer que tel était également l’objet que l’intéressé poursuivait (arrêt du 19 juin 2018 ; arrêt du 13 novembre 2019 ; arrêt du 19 octobre 2021).

En conclusion, les juges d’appel ont, pour la Cour de cassation, établi, à juste titre, que les décisions prises par les prévenus ainsi que les propos publics qu’ils ont tenus au cours de la période de prévention démontraient une conduite du groupe dépassant les limites admissibles de leur pouvoir de direction et de contrôle respectif, et étaient constitutifs d’un harcèlement moral institutionnel.

… et la complicité des autres prévenus est retenue

Pour écarter sa complicité, l’une des prévenus, appartenant au service des ressources humaines, invoquait le fait qu’elle ne pouvait être complice qu’à l’égard des salariés sous son autorité hiérarchique et qu’il ne pouvait pas lui être reproché des faits alors qu’elle avait quitté son poste.

Mais, s’appuyant sur l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond ayant démontré son implication, son aide et son assistance aux auteurs du harcèlement moral, la Cour de cassation rejette l’argument de la prévenue.

En outre, pour la Cour de cassation, le fait qu’elle ait été déclarée coupable de complicité à l’égard de l’ensemble des salariés est sans importance dans la mesure où les dirigeants de la société ont été jugés coupables pour des agissements ayant pour objet de dégrader les conditions de travail de l’ensemble des membres de cette communauté de travail.

Il est également indifférent que les effets sur les conditions de travail invoqués soient survenus après qu’elle eut quitté ses fonctions.

Sophie André

La proposition de loi pour restreindre les PFAS a été adoptée par les députés en commission

17/02/2025

La commission du développement durable de l’Assemblée nationale a adopté le 12 février la proposition de loi modifiée par le Sénat visant à protéger la population des risques liés aux substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS). La commission a rejeté l’ensemble des amendements discutés.

Des députés du Rassemblement national ont notamment proposé d’ajouter au terme “textile” les mots “d’habillement ou de chaussures” pour exempter les entreprises qui fabriquent des textiles “à usage de construction”, de supprimer la création d’une carte dans laquelle les sites émetteurs de PFAS ou ayant émis des PFAS seraient visibles au public et de revenir sur le montant de la redevance de 100 euros par 100 grammes de PFAS rejetés par l’industrie.

“Si cette nouvelle victoire est encourageante, tout repose désormais sur le vote en séance plénière [en seconde lecture] le 20 février, a notamment réagi Génération futures dans un communiqué. Il s’agira à ce moment-là d’un vote unique décisif. Pour que la France se dote d’une première législation contre les PFAS, il est donc impératif que les parlementaires confirment cette avancée.”

Pour rappel, cette proposition de loi a été adoptée par les députés en première lecture le 4 avril 2024 et par les sénateurs le 30 mai. Elle prévoit d’interdire la fabrication, l’importation et la vente de certains produits contenant des PFAS (cosmétiques, fart de ski et textiles d’habillement dès 2026 ; ensemble des textiles dès 2030). En l’état, le texte exclut les ustensiles de cuisine initialement prévus. Le groupe Seb avait notamment alerté sur la menace qu’une telle loi ferait peser sur 3 000 emplois de deux de ses usines qui fabriquent notamment les poêles de la marque Tefal.

Source : actuel CSE

Inaptitude : le médecin du travail, entre le marteau et l’enclume

19/02/2025

De gauche à droite, Jean-Luc Amour, Romain Bossut, Céline Czuba (docteure en droit privé) et Anne-Laure Bellanger au campus du Tertre à Nantes.

Lors d’un colloque à Nantes fin janvier, Romain Bossut, prescripteur à Lille, a abordé les pressions qu’il subit dans sa danse à trois avec l’employeur et le salarié dont l’inaptitude est sur la table. L’occasion pour le médecin du travail de mettre en débat son indépendance et son rôle de médiation dans la relation de travail.

“Le médecin du travail peut être mis sous pression pour apporter une issue à un conflit qui existe déjà, met en lumière Romain Bossut, médecin du travail au pôle santé travail Métropole nord (Lille) lors des premières rencontres ligériennes de la santé au travail le 30 janvier à Nantes (*). Et cette pression peut venir un peu des deux côtés.”

Animé par la crainte d’un accident du travail et saturé d’aménagements passés, l’employeur peut “pousser” pour l’inaptitude de son salarié qui commence à avoir des problèmes de santé, témoigne le prescripteur. Comme le salarié en souffrance au travail, de l’autre côté, qui peut vouloir l’inaptitude pour se “libérer de son contrat de travail”.

D’autres employeurs peuvent chercher a contrario à éviter les conséquences financières de l’inaptitude. “Certains employeurs me disent : «Si vous prononcez l’inaptitude avec l’indemnité, alors je devrais fermer ma boîte, tous les emplois disparaîtront car je devrais licencier tout le monde»”, rapporte Romain Bossut. Des pressions dont le médecin du travail tente de se défaire. “Je rappelle que nous ne sommes pas une machine à licencier des gens, insiste-il. Le médecin du travail doit avoir des arguments suffisants pour prononcer l’inaptitude. L’inaptitude est un constat d’échec, la dernière solution”.

Car l’enjeu reste la prévention. “Je suis le médecin du salarié inapte mais aussi celui du suivant, tient-il à rappeler. La question est d’améliorer les conditions de travail pour le prochain. Or, c’est compliqué de convaincre un salarié qui a été baigné pendant des années dans un processus où on lui a dit que l’entreprise était le nœud de son problème, qu’il n’y avait rien à faire et qu’il fallait qu’il parte.”

Rupture conventionnelle

“Je ne connais pas de salarié qui a plaisir à être placé en inaptitude pour perdre son emploi”, rétorque Anne-Laure Bellanger, avocate du cabinet La Boétie à Nantes. La défenderesse des salariés fustige, elle, la propension du médecin du travail à diriger le salarié vers la rupture conventionnelle plutôt que vers l’inaptitude.

“Les représentants du personnel et des syndicats que l’on représente nous disent souvent que le médecin du travail conseille au salarié d’aller vers une rupture conventionnelle plutôt que d’obtenir un avis médical qui le sortirait de l’entreprise, rapporte-elle. Or, souvent, même si je ne suis ni médecin ni psychologue, je vois bien que l’on est sur une thématique de santé au travail et non de négociation d’une rupture conventionnelle.”

Des propos que l’avocate illustre par un dossier “heureusement pas le plus représentatif” que son cabinet a eu à traiter. “Nous avons défendu une salarié victime de violences sexistes et sexuelles de la part de son employeur dans une toute petite entreprise, raconte-elle. Le médecin du travail a expliqué à cette salariée qu’il fallait qu’elle aille porter plainte pour ces violences sexistes et sexuelles au travail, mais que par ailleurs, il fallait qu’elle négocie une rupture de contrat avec ce même employeur parce que les inaptitudes, en l’occurrence, n’étaient que le résultat de problèmes et difficultés d’ordre physique et non d’ordre psychique.”

“Nous pouvons effectivement être amenés à donner ce conseil-là, comprenant que l’enjeu est la rupture du contrat, répond un médecin du travail du service de santé au travail de la région nantaise (SSTRN). Mais dans les cas où des salariés, souvent en souffrance au travail, viennent nous voir sans aucun élément médical, sans vraiment d’impacts sur leur santé.”

Le prescripteur explique qu’il s’agit là d’un dernier recours. “On nous reproche de donner parfois des conseils juridiques alors que ce n’est pas notre rôle, poursuit-il. Mais on n’a d’autres choix parfois que de conseiller un salarié de se tourner vers son employeur, d’initier un échange et d’être acteur de son parcours professionnel. Parce qu’en l’occurrence, en tant que médecin du travail, nous n’avons pas de solutions à apporter.”

Mention expresse

Côté employeurs, l’avocat du cabinet nantais Cabestan, Jean-Luc Amour, concède des pressions autour de la mention expresse. Une case cochée par le médecin du travail dans son avis d’inaptitude qui permet à l’employeur de rompre le contrat de travail d’un salarié déclaré inapte, sans obligation de reclassement et sans consultation du CSE. Soit parce que le maintien du salarié en emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, soit parce que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans un emploi (articles L 1226-2-1 et L 1226-12 du code du travail). “On voit beaucoup de médecins du travail qui finissent par cocher cette case sous des pressions diverses et variées, témoigne Jean-Luc Amour. De la part du salarié qui veut aller vite et de mon cabinet, je le reconnais, lorsque l’employeur que nous défendons est confronté à une obligation de reclassement.”

Dans ces cas-là, l’avocat assaille le prescripteur d’écrits. “Les écrits restent, les paroles s’envolent, sourit-il. On écrit avec l’employeur au médecin du travail, on lui précise notre groupe, nos implantations, les postes que l’on a, etc. Le médecin du travail en a marre. J’en ai un, un jour, qui a demandé à un employeur que je défends : «Est-ce que je pourrais avoir votre avocat pour que l’on discute de cette avalanche d’écrits ?»”. Au passage, Jean-Luc Amour signale que la disparition des CHSCT lui facilite la tâche. “Avant, j’avais une instance dédiée avec une personne morale qui pouvait me chercher des querelles et désigner des experts, retrace-t-il. Aujourd’hui, quand on est en sortie de crise, après toute la prévention qui n’a pas fonctionné, notamment sur toutes les inaptitudes qui focalise mon intervention, nous ne sommes pas amenés à en parler au CSE.”

Parfois, la posture du salarié rend la mention expresse inévitable, justifie par ailleurs le médecin du travail du SSTRN. “Il faut bien comprendre que l’on peut être amené à cocher cette case parce que, et malheureusement ce n’est pas rare, nous voyons des salariés en consultation qui sont transis de peur à l’idée d’échanger de nouveau avec leur employeur, pèse-t-il. Alors certes, on vient pervertir son usage initial mais le salarié derrière va être plus vite débarrassé et les démarches vont être facilitées.” Des situations qui se multiplieraient. “J’ai l’impression que l’on voit de plus en plus de cas comme ça, notamment des indemnités de deuxième catégorie”, relève-t-il.

« Et si l’avis du médecin du travail ne pesait plus sur le contrat de travail ? »

Pour limiter les pressions, clarifier le rôle du médecin du travail et freiner le contentieux autour des avis d’inaptitude et de l’inaptitude, la présidente de la société française de santé au travail (SFST) et professeure de médecine du travail, Sophie Fantoni-Quinton, lance l’idée de faire du prescripteur un “conseiller en prévention primaire pour qu’il arrête de se comporter en préventeur tertiaire”. “Et si l’avis du médecin du travail ne pesait plus sur le contrat de travail ?”, lance-t-elle à Romain Bossut, dont elle a été la directrice de thèse. À quoi l’ancien élève répond : “Malgré ses défauts, le système actuel me convient comme ça.  Les avis d’inaptitude restent une protection pour le salarié. Et je pense que la porte d’entrée individuelle est très importante pour rebondir sur la prévention collective. Le suivi de santé des salariés reste primordial à mon sens.”

Une balle prise au bond par Bernard Salengro, vice-président de l’INRS, expert confédéral de la CFE-CGC et ancien médecin du travail. “J’ai longtemps milité et fait des formations en disant que l’on était médecin du travail et pas médecin des travailleurs pour expliquer que notre action était d’abord la prévention, témoigne-t-il. Et je ne le renie pas. Mais mon expérience de médecin du travail et de syndicaliste montre que si l’on n’a pas accès aux contrats de travail, il y a bien des gens qui seront en grande difficulté, en grande souffrance.” Avant d’appeler, sous les applaudissements, à ne pas ébranler cet “outil de protection des salariés”.

(*) Ces rencontres, organisées par le laboratoire DCS (Droit et changement social) du CNRS en partenariat notamment avec le SSTRN et la Faculté de droit et des sciences politiques de Nantes, visent à faire se rencontrer, discuter et échanger l’ensemble des acteurs privés et publics intéressés et /ou intervenants dans le champ de la santé au travail et la prévention des risques professionnels, dans les Pays-de-la-Loire. Elles ont vocation à avoir lieu tous les ans.

Matthieu Barry

Le déploiement du passeport de prévention se fera progressivement en 2025 et 2026

20/02/2025

Le passeport de prévention a été créé par la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail. Il a pour objectif de répertorier les formations et les certifications en matière de santé et sécurité au travail (SST).

Sur son site internet, le ministère du travail dévoile le nouveau calendrier de déploiement du passeport de prévention.

L’ouverture des services du passeport de prévention se fera de manière progressive en 2025 et 2026 avec plusieurs étapes clés pour les différents publics cibles :

  • 28 avril 2025 : ouverture du service pour les organismes de formation ;
  • premier trimestre 2026 : ouverture du service pour les employeurs ;
  • quatrième trimestre 2026 : ouverture du service pour les travailleurs ;
  • des fonctionnalités complémentaires seront également disponibles en 2027, comme la possibilité d’importer des fichiers pour faciliter les déclarations de données en masse ou la mise à disposition d’un tableau de bord pour accompagner l’employeur dans la gestion de ses formations.

Source : actuel CSE

La CGT de la plateforme de La Mède porte plainte contre TotalEnergies pour leur exposition professionnelle au benzène

21/02/2025

La CGT de la plateforme pétrochimique de La Mède, ainsi que 14 salariés qui travaillent au sein de la raffinerie, ont porté plainte, le 5 février 2025, contre la société TotalEnergies Raffinage France pour, notamment, mise en danger de la vie d’autrui et infractions au droit de travail. Les travailleurs dénoncent leur exposition à des taux élevés d’agents CMR, dont celle au benzène, qui dépasserait la VLEP.  

“C’est après plus de 2 ans de travail acharné passés à réunir l’ensemble des éléments nécessaires, que nous sommes arrivés à construire un dossier nous permettant de déposer une plainte au pénal”, explique le syndicat, accompagné par l’avocate Julie Andreu, du cabinet TTLA.  

La CGT explique vouloir “faire condamner Total pour son inefficacité à protéger ses salariés” et espère que son action obligera TotalEnergies à “boug[er] ses lignes sur l’ensembles des sites dans un premier temps, mais surtout en cas d’émergence de maladies professionnelles”. L’idée est aussi que “cela puisse permettre aux salariés touchés (organiques ou entreprises extérieures) de faire émerger un lien de causalité évident entre l’activité et la maladie professionnelle”. Le syndicat – majoritaire sur la plateforme – défend les salariés du groupe et les sous-traitants. “Nous sommes environ 300, mais ce sont surtout les sous-traitants qui sont en première ligne”, déclare le secrétaire du syndicat Fabien Cros à La Provence. Et ils sont deux fois plus nombreux, autour de 600.  

Rappel : Le décret n° 2024-307 du 4 avril 2024 a fortement abaissé la VLEP (valeur limite d’exposition professionnelle) au benzène. Alors qu’elle était fixée à 1 ppm soit 3,25 mg/m3 d’air sur 8 heures, elle est passé, dès le 5 avril 2024 et pour 2 ans à titre transitoire, à 0,5 ppm soit 1,65 mg/ m3 d’air sur 8 heures.  À compter du 6 avril 2026, elle sera de 0.66 mg/m3 d’air sur 8 heures et de 0,2 ppm. 

Source : actuel CSE