Les points que les syndicats vont revendiquer à Matignon
16/05/2023
Les organisations syndicales représentatives sont reçues aujourd’hui et demain par la Première ministre. Chaque organisation devrait exprimer un socle commun de revendications, parmi lesquelles la révision du cadre posé en 2017 pour le comité social et économique, mais aussi son approche particulière.
Plus le temps passe, plus faibles paraissent les chances de faire échec à la réforme des retraites. Et plus grand est le défi du maintien de l’unité du mouvement intersyndical contre cette réforme, toujours très impopulaire au demeurant. Et pourtant, jusqu’à présent, la dizaine d’organisations syndicales (*) continue de se serrer les coudes. Hier, elles ont publié un communiqué commun en vue des entretiens séparés que les 5 syndicats représentatifs auront avec Elisabeth Borne, aujourd’hui (pour FO et la CFDT) et demain (pour la CFE-CGC, la CFTC et la CGT).
Comme nous l’indique Jean-Philippe Tanghe, le secrétaire général de la CFE-CGC, il s’agit de continuer de montrer l’unité du mouvement, notamment en incluant les syndicats non représentatifs au niveau national qui ne seront pas reçus à Matignon, comme l’UNSA et Solidaires. “Cela montre que l’intersyndicale est plus large que celle reconnue par Matignon”, renchérit Murielle Guilbert, co-déléguée générale de Solidaires.
Mais c’est un communiqué un peu “a minima” sur lequel les syndicats sont tombés d’accord hier, en amont des rendez-vous à Matignon. En plus du sujet retraites, pour lequel “il n’est pas du tout question que nous passions l’éponge”, selon les mots de Michel Beaugas (FO), le texte commun n’évoque officiellement que la dégressivité des allocations chômage, la conditionnalité d’accès au Revenu minimum d’insertion (RSA), les bourses étudiantes, l’augmentation du pouvoir d’achat, des salaires et des minimas sociaux (lire le document en pièce jointe).
“C’est déjà un premier élargissement à d’autres thèmes que les retraites. Pour les autres sujets, nous voulons nous donner du temps pour les travailler ensemble”, nous précise Murielle Guilbert (Solidaires). “Si nous devons négocier sur ces sujets d’ici la fin de l’année, nous avons le temps”, approuve Michel Beaugas (FO).
Les retraites, toujours…
Les organisations syndicales vont en effet d’abord exprimer à nouveau leur refus de la réforme des retraites. Après l’échec des recours constitutionnels et du projet de référendum, elles continuent d’appeler à une journée d’action le 6 juin afin de pousser les députés à adopter le 8 juin le projet de loi visant à abroger la loi relevant l’âge de départ.
Mais face aux projets de l’exécutif et à l’invitation du patronat de créer un agenda social autonome, les syndicats, qui ont déjà programmé une nouvelle réunion de l’intersyndicale le 30 mai, doivent aussi poser d’autres jalons, histoire de profiter de leur popularité pour pousser leurs revendications. D’autant qu’Elisabeth Borne a pris soin de ne pas formuler d’ordre du jour à ces entretiens.
La Première ministre se dit “à l’écoute” des propositions syndicales et patronales au sujet de la prévention de l’usure professionnelle (la loi sur les retraites prévoit un fonds doté d’un milliard par an), l’emploi des seniors, la reconversion, le compte-temps universel, une idée chère à la CFDT, etc. “La Première ministre recevra à Matignon les représentants des organisations syndicales en format bilatéral afin de les écouter sur leurs attentes et pour évoquer les sujets et la méthode qui permettront de bâtir un nouveau pacte de vie au travail”, indique Matignon.
Une révision des ordonnances
S’ils ne vont pas gommer leurs différences, les syndicats devraient tous défendre une révision des ordonnances travail de 2017, notamment sur les institutions représentatives du personnel (IRP), et demander une autre approche des employeurs sur le sujet.
Les syndicats souhaitent notamment :
la fin de la limitation de trois mandats successifs au CSE;
un plus grand nombre de représentants de proximité (Ndlr : ces deux derniers point sont également évoqués par les auteurs du rapport faisant suite aux Assises du travail, mais il s’agit de propositions non contraignantes pour les entreprises);
un renforcement des CSSCT, les commissions santé, sécurité et conditions de travail, mais avec des différences notables entre syndicats. Si la semaine dernière, Sophie Binet, de la CGT, a souhaité une abrogation des ordonnances et le rétablissement du CHSCT, Jean-Philippe Tanghe (CFE-CGC) évoque un objectif bien plus limité : l’ouverture de la commission aux salariés non déjà membres du CSE.
On verra sur ces sujets comment réagit Elisabeth Borne. De son côté, le chef de l’Etat ne semble pas disposé à “corriger” ces ordonnances, auxquelles il attribue une partie de la baisse du chômage. “Les ordonnances travail prises il y a six ans ont permis de nettement simplifier les choses (…) Je constate avec bonheur qu’il n’y a pas de manifestations relatives au chômage. Plus personne ne parle de chômage”, a ainsi déclaré Emmanuel Macron dans son discours jeudi 11 mai devant les industriels à l’Elysée (**) , le président vantant au passage sa politique de réduction du coût du travail en promettant de nouvelles baisses d’impôt pour les classes moyennes (lire notre brève dans cette même édition).
Ces prises de position ont pour le moins agacé les responsables syndicaux, comme Michel Beaugas (FO) : “Nous allons d’abord demander au gouvernement sur quoi il est prêt à s’engager, car le président de la République a déjà fermé la porte sur certains sujets”.
La CFDT devrait pour sa part continuer à revendiquer l’association des salariés à l’organisation de leur travail mais aussi porter le sujet de la transition écologique et ses conséquences pour les salariés.
Salaires et chômage
En plus des revendications salariales avec notamment la question du niveau de Smic et de la hausse des grilles conventionnelles, les syndicats vont également défendre une autre approche de l’inclusion et de l’insertion que celle adoptée par le gouvernement au sujet des demandeurs d’emploi et des allocataires du Revenu de solidarité active (RSA), l’avant-projet de loi sur le plein emploi envisageant un contrat d’engagement pour ces publics, avec la menace de sanctions. Sur l’assurance chômage, les syndicats, qui déplorent avoir été dépossédés par l’Etat de leur pouvoir de décision sur le régime, vont à nouveau critiquer les dernières réformes réduisant les droits des demandeurs, et notamment la dégressivité, et demander une autre approche que celle retenue dans le projet sur le plein emploi.
Enfin, la question de la conditionnalité des aides publiques aux entreprises devrait être posée. “On portera des propositions sur la question salariale, avec une conditionnalité aux aides publiques : qu’il n’y ait pas de branches qui démarrent en dessous du SMIC en termes de progression salariale”, a expliqué hier Laurent Berger sur France Inter.
Là non plus, le sujet ne paraît pas de nature à séduire l’exécutif. Si l’Elysée a abondamment communiqué ces derniers jours sur les investissements étrangers en France et sur les décisions d’implantations industrielles (**), le chiffre des aides publiques pour ces projets n’a pas été communiqué.
Du côté de l’exécutif
Comment ces demandes seront-elles traitées par la Première ministre ? L’impression donnée par l’exécutif, confronté depuis un an à l’absence de majorité législative claire pour faire passer ses projets et, depuis janvier, à la très forte contestation de sa réforme des retraites, paraît un peu confuse. Après avoir demandé à sa Première ministre des premiers résultats d’ici le 14 juillet (“100 jours”), le chef de l’Etat a finalement donné jusqu’à la fin de l’année aux partenaires sociaux pour fixer « un pacte pour le travail ».
Dans la foulée, la Première Ministre a indiqué que ce pacte du travail devrait aborder :
les revenus des salariés,
les carrières et reconversions,
la gestion des temps et le compte épargne temps universel,
les conditions de travail,
l’usure professionnelle,
l’emploi des séniors,
la “suite des chantiers sur l’assurance chômage et leur calendrier”.
(*) CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, Solidaires, UNSA, FSU, Unef, la Voix lycéenne, FAGE, FIDL, MNL
(**) Ces derniers jours ont été annoncés 28 projets d’implantations industrielles en France correspondant à 8 000 emplois, comme dans le Nord l’usine de batteries du taiwanais ProLogium à Dunkerque (3 000 emplois d’ici 2030) et en Moselle l’usine de panneaux solaires de la société européenne Holosis près de Sarreguemines (1 700 emplois d’ici 2027). Le président de la République voit dans ces projets la preuve de la pertinence de sa stratégie France 2030 autour d’une industrie décarbonée. Dans le Nord, Valdunes, usine de 350 salariés fabriquant des essieux ferroviaires, est toujours sans solution après l’annonce du désengagement de son actionnaire chinois, le chef de l’Etat ayant repoussé toute idée de nationalisation au profit de la recherche d’un nouvel investisseur.
Bernard Domergue
La CGT réclame une autre politique industrielle
16/05/2023
La CGT a vivement réagi au discours tenu par le président de la République, jeudi dernier, au sujet de la politique industrielle. “Non, la France ne s’est pas désindustrialisée parce que « nous travaillons moins que nos voisins », alors que les Français sont les plus productifs d’Europe. La désindustrialisation du pays est essentiellement due à la délocalisation des grands groupes dont l’objectif est de profiter d’une main d’œuvre à bas coût tout en étant moins contraint par le respect des droits des travailleuses et des travailleurs. Emmanuel Macron lui-même a activement contribué à cette désindustrialisation en démantelant Alstom au profit de General Electric sous le quinquennat d’Hollande”, soutient la confédération qui souligne également l’augmentation du prix de l’énergie.
Le syndicat critique la politique d’aides aux entreprises de l’exécutif : “Après le CICE (Ndlr : crédit d’impôt compétitivité emploi) à plus de 100 milliards d’euros et le plan de relance à 12 milliards d’euros, la bonté du président des riches ne s’arrête pas là. Il propose un nouveau crédit d’impôt de l’industrie verte évalué à 20 milliards d’euros. L’argent public ne peut pas être déversé sans contrepartie ni contrôle. La CGT propose de conditionnaliser les aides aux entreprises à des critères sociaux et environnementaux”.
Et la CGT de réclamer “une stratégie qui planifie une politique industrielle ambitieuse avec une vision sur le long terme qui permette de réindustrialiser le pays et de créer de nombreux emplois stables et qualifiés avec des statuts de haut niveau pour toutes et tous”.
Source : actuel CSE
A Matignon, FO fait un préalable de l’abandon de la réforme des retraites, la CFDT demande des garanties sur la méthode et les objectifs
17/05/2023
Elisabeth Borne a commencé hier soir à recevoir les dirigeants syndicaux, avec Frédéric Souillot (FO) puis Laurent Berger (CFDT). Le premier a arboré un badge « retrait » et mis comme préalable à toute discussion sur l’emploi le retrait de la réforme des retraites. Le second a insisté sur le fait que la CFDT ne se prononcera sur un agenda social que si elle est satisfaite de la méthode et des finalités choisis…
A son arrivée à Matignon, hier à 18h, Frédéric Souillot, le secrétaire général de FO, a d’emblée donné le ton des échanges en montrant à la presse le badge qu’il allait arborer pour son rendez-vous avec Elisabeth Borne. Un badge rouge comprenant un seul mot : retrait. A la sortie de son entretien, le ton n’était guère plus amène. “Nous avons dit à la Première ministre qu’elle devait retirer ou ne pas appliquer cette réforme des retraites brutale et injuste. Nous avons revendiqué le maintien de tous les régimes spéciaux”, a déclaré Frédéric Souillot. Ce dernier a qualifié l’entretien de “discussion ferme de chaque côté de la table”.
Le secrétaire général de FO a mis comme préalable à toute discussion sur l’emploi, et notamment sur l’emploi des seniors, le retrait de la réforme, les responsables du syndicat devant d’ailleurs rencontrer aujourd’hui le groupe parlementaire qui porte la proposition de loi visant l’abrogation de la réforme, un texte qui pourrait être examiné le 8 juin même si la majorité présidentielle cherche à l’évidence à éviter sa discussion (*) .
FO réfute pour l’instant tout calendrier et toute réunion multilatérale
“Si cette réforme des retraites est abandonnée, alors nous discuterons de l’emploi. Et nous prouverons qu’en augmentant de 10 points le taux d’emploi des seniors nous dégagerions 50 milliards supplémentaires dans les caisses de retraite, ce qui montrera qu’il n’est nul besoin de reporter l’âge légal de départ”, a dit Frédéric Souillot, qui a demandé à l’exécutif de s’engager à respecter l’autonomie de la négociation collective.
Aucun calendrier, aucune réunion multilatérale
En attendant, le numéro 1 de FO, qui a réclamé “une conditionnalité des aides publiques aux entreprises” qui permettrait de financer un dégel du point d’indice, refuse de s’engager sur un calendrier ou même une réunion multilatérale. Hier matin, le porte-parole du gouvernement avait évoqué l’organisation d’une telle réunion d’ici la fin mai.
La CFDT veut discuter méthode et objectifs avant de s’engager sur un agenda social
A sa sortie de Matignon, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, a également insisté sur “le ressentiment et la colère des travailleurs” générés par la réforme des retraites. Mais s’il a prévenu la Première ministre que sa confédération “ne se contenterait pas de mesurettes”, il a, contrairement à FO, présenté des documents détaillés formulant de nombreuses revendications, comme l’exigence d’une conditionnalité des allègements de cotisations sociales à l’absence de minimas sous le Smic.
Nous voulons des avancées substantielles
Laurent Berger a également accepté le principe d’une réunion multilatérale fin mai : “Nous voulons des avancées substantielles pour les travailleurs et les travailleuses, sur les salaires, les conditions de travail, la protection sociale, et c’est à l’aune de cela que nous jugerons la pertinence de la démarche engagée aujourd’hui dans un contexte tendu. Nous déterminerons notre engagement sur un éventuel agenda social à deux choses : la méthode employée et la finalité des sujets mis sur la table (..) Nous avons redit que nous voulons de vraies concertations, notamment en termes de méthode. Par exemple que le diagnostic posé ne soit pas seulement celui qui vient de l’Etat, que les propositions des organisations syndicales soient vraiment étudiées, qu’il y ait des études d’impact”.
Le responsable syndical, qui a évoqué une réunion multilatérale avec le patronat le 5 juin, a également averti les représentants des employeurs dans le cas où certains sujets seraient renvoyés au dialogue social interprofessionnel national : “Il va falloir que le patronat prenne ses responsabilités sur les salaires, l’organisation du travail, la généralisation de la prévoyance”.
Les propositions CFDT sur le CSE et le dialogue social
Juste avant le rendez-vous avec la Première ministre, la CFDT avait publié une synthèse de 7 pages de propositions actualisant le document de 75 pages publié il y a un an à l’occasion de la formation du gouvernement Borne. Le syndicat continue d’y réclamer un renforcement des pouvoirs des élus CSE ainsi qu’un avis conforme du comité social et économique sur certains sujets, comme la formation ou l’utilisation par l’entreprise des aides publiques.
Il est indispensable de changer de méthode
La CFDT avance aussi comme ambition de “revitaliser l’articulation entre démocratie politique et démocratie sociale”. Le syndicat réclame, une nouvelle fois, à l’exécutif une nouvelle forme. “Il est indispensable de changer de méthode et de respecter différentes étapes : celle du diagnostic qui ne peut plus se réduire à la présentation de quelques diapositives par les administrations centrales, mais qui doit être partagé en y intégrant les constats portés par les partenaires sociaux ; celle de la définition des objectifs et des rôles dévolus à chacun pour les faire aboutir : l’État dans le cadre de concertations, les partenaires sociaux dans le cadre de leurs négociations, sans présumer des options qu’ils retiendront ; celle de l’élaboration entre concertations et négociations selon un calendrier défini en commun ; celle de l’étude d’impact”, peut-on lire dans ce document.
La CFDT souhaite également donner une plus grande place aux salariés dans les instances de gouvernance de plus d’entreprises dès 500 salariés, et insiste sur la nécessité de donner aux travailleurs “une plus grande maitrise dans la gestion de leurs temps” mais aussi “faire de l’organisation du travail un sujet de négociation obligatoire dans les entreprises”.
Aujourd’hui la Première ministre reçoit François Hommeril (CFE-CGC), Cyril Chabanier (CFTC) et Sophie Binet (CGT).
(*) “Si les manœuvres visant à éviter la discussion de cette proposition venaient à réussir, ce serait encore une forme de mépris à notre égard”, a renchéri sur ce sujet Laurent Berger (CFDT).
Bernard Domergue