Semaine de quatre jours : gare à l’amplitude horaire allongée
25/06/2024
Trois experts, une sociologue, un avocat et un DRH, réunis hier lors d’une table-ronde organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), ont échangé sur l’efficacité de la semaine de quatre jours. Si certaines expériences peuvent être très réussies, la vigilance s’impose, notamment lorsqu’il n’y a pas de réduction du temps de travail.
Tendance de fond ou épiphénomène ? La semaine de quatre jours se met progressivement en place dans les entreprises. La Caisse nationale d’assurance-vieillesse (Cnav), Les Mutuelles du soleil, Yalink, LDLC, Acadomia, Acorus ont l’adoptée. Pourquoi le font-elles ? Comment mettent-elles en place cette organisation du travail ? Et surtout pour quels résultats ? Ce sujet a réuni trois experts, Pauline Grimaud, docteure en sociologie, Lionel Vuidard, avocat associé en droit social au cabinet Linklaters et Maxime Gourlet, DRH d’Acorus (entreprise du bâtiment, 1 700 salariés), lors d’une table-ronde organisée hier par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis).
300 accords ad hoc en 2023
Tous se sont accordés pour dire qu’il n’y avait pas une mais plusieurs méthodes. Aucun mode d’emploi juridique n’existe, en effet. “La loi ne fixe pas un nombre de jours de travail obligatoire par semaine, l’employeur étant simplement tenu de ne pas faire travailler ses salariés plus de six jours par semaine”, a rappelé Lionel Vuidard. La semaine de quatre jours peut donc être décidée unilatéralement par l’employeur à condition toutefois d’avoir obtenu au préalable un avis conforme du CSE.
D’autres font le choix du dialogue social. Pauline Grimaud, actuellement chercheuse postdoctorale au Centre d’étude de l’emploi et du travail (CEET) du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), a ainsi répertorié 300 accords ad hoc en 2023, sur Legifrance. Un score certes “marginal” par rapport 80 000 accords enregistrés dans la base de données (dont 17 000 sur le temps de travail). Mais en “constante augmentation”.
Des accords expérimentaux
Point commun : la plupart sont expérimentaux. L’objectif ? Tester avant de se lancer dans le grand bain. Ce fut d’ailleurs le parti pris d’Acorus qui a expérimenté la semaine de quatre jours auprès de 70 personnes travaillant à Nantes avant de transformer l’essai. Son choix ? Le passage de 39 heures à 35 heures, sans baisse de salaire.
Le but recherché ? Améliorer l’attractivité de l’entreprise. “C’est très commun dans le bâtiment, beaucoup de structures ferment leurs portent le vendredi après-midi voire toute la journée”, assure Maxime Gourlet.
Mais la vigilance s’impose, “notamment sur l’amplitude de la journée de travail”, atteste Lionel Vuidard qui rappelle que l’employeur à une obligation de santé et de sécurité. D’où l’intérêt selon, lui, “de mettre en place des clauses de réversibilité, à l’instar de celles figurant dans les accords de télétravail, pour faire un retour en arrière”. Et “de réactualiser le document unique d’évaluation des risques”.
Journées à rallonge
De fait, le passage de la semaine de quatre jours peut se traduire par des durées journalières de 9 heures 45 minutes lorsque l’entreprise reste à 39 heures. Soit des journées à rallonge lorsqu’on y inclut les temps de pause. Une situation “peu responsable, notamment pour les ouvriers et les techniciens qui ne sont pas éligibles au télétravail contrairement aux cadres”, indique Maxime Gourlet. Avec, à la clef, une fatigue supplémentaire si la charge de travail reste identique.
Pour évaluer toutes les répercussions, Acorus n’a d’ailleurs pas hésité à multiplier les enquêtes QVT (qualité de vie au travail), qui ont désormais lieu deux fois par an, contre une fois avant l’expérimentation, et les sondages auprès des salariés. A raison, puisque 90 % des salariés ont approuvé la nouvelle formule du temps de travail, à l’issue de l’expérimentation, lancé en 2023, et 100 %, 11 mois plus tard.
Côté employeur, Maxime Gourlet met en avant, parmi les avantages, une réduction de l’absentéisme de courte durée, une baisse de l’accidentologie (couplé avec un programme de formation) et aussi du turn-over. “Nous avons observé un sursaut de candidatures. Des salariés partis chez des concurrents sont déjà revenus dans notre entreprise”.
Transformation de l’organisation du travail
L’idée de la semaine des quatre jours n’est pas nouvelle. Le député européen, Pierre Larrouturou, l’évoquait dès les années 90. Mais la période post-Covid a remis le sujet sur le devant de la scène. A quelques différences près : “si à cette époque, la semaine des quatre jours était présentée dans une optique de partage du temps de travail et donc de réduction du chômage, ce n’est plus le cas aujourd’hui, assure Pauline Grimaud. La baisse de la durée du travail est beaucoup moins centrale que dans les années 90”.
Signe des temps : “dans 9 cas sur 10, le temps de travail n’est pas réduit, poursuit la chercheuse. Il s’agit plutôt d’une transformation de l’organisation du travail, qui s’inscrit dans la recherche d’une plus grande flexibilité, dans la continuité de l’annualisation du temps de travail encouragée avec les 35 heures”. Par exemple, “dans certains secteurs d’activité, à l’instar du commerce, des centres d’appel, et de la santé, où l’activité est organisée sur six ou sept jours, la semaine de quatre jours peut être proposée pour compenser la disponibilité des salariés durant le week-end. Concrètement, les salariés bénéficient de la semaine de quatre jours si, en contrepartie, ils acceptent de travailler deux week-ends dans le mois”, poursuit la chercheuse qui devrait publier une étude avec le Centre d’études de l’emploi et du travail sur ce sujet dans les prochaines semaines.
Dit autrement, ces accords peuvent, sous couvert de bien-être au travail, entraîner “une recherche de productivité”.
Un dispositif “ambivalent”
Le salarié peut-il refuser ? Oui. Mais encore faut-il qu’il démontre qu’un changement d’horaire porte une atteinte excessive à sa vie personnelle. C’est le sens, par exemple, de l’arrêt du 29 mai 2024. La Cour de cassation a ainsi considéré que la charge d’un enfant lourdement handicapé constitue une obligation familiale impérieuse, incompatible avec une nouvelle formule horaire. Mais pour l’heure, peu de décisions de jurisprudence existent.
Au-delà, la sociologue, Pauline Grimaud, pointe l’ambivalence du dispositif. Si les salariés apprécient la semaine de quatre jours, c’est en réalité pour avoir un plus grand nombre de jours de repos dans l’année pour compenser la dégradation des conditions de travail. Soir une “échappée supplémentaire” pour contrebalancer l’intensification du travail, en citant les journées de 12 heures à l’œuvre dans les hôpitaux.
Une démarche à contre-courant des politiques de qualité de vie au travail.
Anne Bariet