Procès France Télécom : le “harcèlement moral institutionnel” reconnu par la Cour de cassation

22/01/2025

La chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu, dans une décision publiée hier, la culpabilité de l’ancien PDG de France Télécom, Didier Lombard, et celle de son numéro deux, Louis-Pierre Wenès, en confirmant la notion de “harcèlement moral institutionnel”, que la cour d’appel de Paris et le tribunal correctionnel avait fait entrer dans la jurisprudence.

Fin de l’épilogue pour l’affaire France Télécom. La chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté hier, mardi 21 janvier, les pourvois des anciens dirigeants de l’entreprise, Didier Lombard, l’ex-PDG et Louis -Pierre Wenès, ex-numéro deux, condamnés en appel, en 2022, pour “harcèlement moral institutionnel”. Une méthode qui résulte “d’une politique d’entreprise conduisant, en toute connaissance de cause, à la dégradation des conditions de travail des salariés”.

Une trentaine de suicides de salariés entre 2007 et 2009

Les deux ex-dirigeants de France Télécom (devenue Orange en 2013) ont fait face à la justice en raison de la mise en place en 2005 de plans de restructuration, Next (“Nouvelle expérience des télécommunications”) et sa déclination RH Act (“Anticipation et compétences pour la transformation”), consécutifs à la privatisation de l’entreprise (2004), pour la période 2006-2008, qui visaient à transformer France Télécom en trois ans. Avec, à la clef, un plan de réduction d’effectifs qui concernait 22 000 agents et un plan de mobilité interne qui visait 10 000 autres (sur quelque 120 000). Cette période a marqué le début d’une vague d’une trentaine de suicides de salariés entre 2007 et 2009.

La crise a éclaté au grand jour après le suicide en juillet 2009 de Michel Deparis, un technicien marseillais ayant mis directement en cause France Télécom dans une lettre. France Télécom est devenue le symbole de la souffrance au travail.

Les ex-dirigeants ont alors été mis en examen, condamnés en première instance, dans un jugement historique, avec 46 audiences, puis en appel, pour harcèlement moral institutionnel.

Pour rappel, Olivier Barberot, ex-DRH, avait décidé de ne pas faire appel de sa condamnation de première instance. Il avait été condamné à un an de prison dont huit mois avec sursis et 15 000 euros d’amende.

De même, l’entreprise, qui n’avait pas fait appel, avait été sanctionnée de l’amende maximale de 75 000 euros, devenant la première société du CAC 40 condamnée pour un harcèlement moral institutionnel.

Une décision qualifiée de “historique par les syndicats”

Ce jugement de la Cour de cassation confirme ainsi les décisions de la cour d’appel de Paris et du tribunal correctionnel qui avaient fait entrer cette notion de “harcèlement moral institutionnel” dans la jurisprudence, par leur jugement du 30 septembre 2022 et du 20 décembre 2019, en se basant sur l’article 222-33-2 du code pénal, qui vise le “harcèlement moral au travail”.  Une décision qualifiée de “historique par les syndicats”.

Ces agissements, survenus pendant la période 2007-2008, marqués par de nombreux suicides, constituent donc bel et bien une infraction pénale.

La Cour de cassation reprend ainsi à son compte le raisonnement du tribunal correctionnel puis de de la cour d’appel de Paris : le harcèlement moral institutionnel entre bien dans le champ du “harcèlement moral au travail” tel que le conçoit le code pénal. En effet le législateur a donné au harcèlement moral au travail “la portée la plus large possible”. D’une part, la loi n’exige pas que les “agissements répétés s’exercent à l’égard d’une victime déterminée”. D’autre part, elle n’impose pas que le “agissements répétés s’exercent dans une relation interprofessionnelle entre l’auteur et la victime”. En clair, le fait qu’auteur et victime appartiennent à la même communauté de travail est suffisant.

Répondant à la critique des prévenus selon lesquels la justice n’avait pas à s’immiscer dans une stratégie d’entreprise, la Cour de cassation répond que la loi permet ainsi de réprimer des agissements répétés qui s’inscrivent dans une “politique d’entreprise”, c’est-à-dire “l’ensemble des décisions prises par les dirigeants ou les organes dirigeants d’une société visant à établir ses modes de gouvernance et d’action”.

Est ainsi caractérisé d’agissements “une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs, ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter attinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel”.

Un objectif impératif qui devait être atteint “coûte que coûte”

La Cour de cassation souligne également qu’une telle politique relève du pouvoir de direction. En conséquence, les dirigeants doivent “examiner la méthode utilisée pour la mettre en œuvre afin de déterminer si elle excède le pouvoir normal de direction et de contrôle de chef d’entreprise”.

Or, pour les hauts magistrats, cette politique reposait sur la “création d’un climat anxiogène” qui s’est traduite par la “pression donnée au contrôle des départs dans le suivi des effectifs à tous les niveaux de la chaîne hiérarchique”, la “prise en compte des départs dans la rémunération des membres de l’encadrement” et le “conditionnement de la hiérarchie intermédiaire à la déflation des effectifs lors des formations dispensées”. Ils constatent également que “la faute la plus importante a été de passer d’un objectif indicatif à un objectif impératif, devant être atteint “coûte que coûte”, alors que les salariés étaient dans leur immense majorité fonctionnaires, ne pouvant pas faire l’objet d’un licenciement économique”.   

Et précisent que la responsabilité pénale personnelle des dirigeants poursuivis repose sur “la décision partagée de mener une telle politique de déflation à marche forcée fondée sur des agissements harcelants mais aussi sur une mise en œuvre coordonnée de cette politique et, enfin, sur un suivi vigilant pendant trois ans”. 

Des peines allégées en appel

Les condamnations des deux dirigeants sont donc définitives. La cour d’appel de Paris avait condamné Didier Lombard à un an de prison assorti en totalité de sursis, contre quatre mois de prison ferme en première instance, en 2019. Il s’est également vu infliger la même amende d’un montant de 15 000 euros, que celle prononcée en première instance.

Son numéro deux a également été condamné en appel à un an de prison assorti de sursis et 15 000 euros d’amende.

La CFE-CCGC d’Orange, par la voix de son président Sébastien Crozier, s’est aussitôt félicité de cette décision, dans un communiqué publié hier : “Les dirigeants sont désormais définitivement coupables de harcèlement moral. Nos premières pensées vont aux victimes de la violence sociale de dirigeants inconséquents”. Le syndicat regrette toutefois “la légèreté des sanctions face aux vies de nos collègues disparus”. Il met aussi en garde la direction actuelle “dont les méthodes ressemblant à celle de cette triste période et lui demande instamment de changer sa façon de manager”, en rappelant que “pour la première fois depuis 13 ans un suicide a été requalifié en accident du travail par la CPAM soulignant la faute inexcusable de l’employeur”.

Anne Bariet

L’INRS confirme le lien entre RPS, TMS et maladies cardiovasculaires

23/01/2025

Des chercheurs de l’INRS ont actualisé en décembre l’état des connaissances épidémiologiques sur les liens entre expositions psychosociales et effet sur la santé des salariés. Compilant plus de 800 études menées dans différents pays, Stéphanie Boini et Régis Colin, confirment les liens existants entre risques psychosociaux et effets sur la santé comme les maladies cardiovasculaires et les troubles musculosquelettiques (TMS).

Des liens existent entre les expositions aux différents facteurs de RPS et la santé mentale, les TMS, les maladies cardiovasculaires (hormis la famille conflits de valeur) et les accidents de travail (hormis la famille des conflits de valeurs et l’insécurité au travail), confirment les chercheurs. “Des salariés exposés à un temps de travail prolongé, c’est-à-dire supérieur à 48h par semaine, présentent un excès de risque de plus de 20 % de survenue d’accidents vasculaires cérébraux. Ceux exposés à une forte demande psychologique ont deux fois plus de risque de survenue de burnout. Ou encore les salariés qui manquent de soutien social présentent un excès de risque de plus de 40 % de survenue de lombalgies”, illustre Stéphanie Boini, chercheuse à l’INRS et co-autrice de ces travaux, dans un communiqué publié le 14 janvier.

D’autres liens restent à confirmer “notamment autour de la survenue de comportements à risque, les accidents vasculaires cérébraux, la dépression ou encore la consommation de médicaments psychoactifs”. Ce qui fait dire à Régis Colin, chercheur à l’INRS et co-auteur de ces travaux que “la caractérisation des effets des expositions psychosociales doit se poursuivre, notamment par l’étude de la durée des expositions et des changements dans les niveaux d’exposition, mais également par l’étude de situations de polyexpositions combinant expositions psychosociales avec d’autres types de facteurs de risques professionnels qu’ils soient physiques, chimiques, biologiques…”.

Les chercheurs rappellent que la prévention des RPS doit passer par l’identification des facteurs organisationnels, puisque les expositions psychosociales perçues par les individus sont déterminées par l’organisation mise en place au sein de l’entreprise.

Source : actuel CSE