Le community organizing va-t-il irriguer le syndicalisme français ?

10/06/2025

Le chercheur Karel Yon, de l’IDHES de Nanterre

Dans un travail de recherche, le sociologue Karel Yon s’intéresse au “community organizing”. Venue des Etats Unis, cette pratique consiste à organiser des protestations et des revendications sociales via des techniques militantes se voulant professionnelles. Ce type de pratiques, qui semble à rebours de nos habitudes syndicales, peut-il être accommodé à la sauce française ? Les réponses de Karel Yon, chargé de recherche CNRS et directeur adjoint de l’IDHES (institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société) à Nanterre.

Le “community organizing” est une pratique qui dépasse le cadre syndical. Comment la définiriez-vous ?

C’est un mode d’action né aux Etats-Unis, théorisé notamment parSaul Alinsky. Ce mode d’action passe par une fonction d’organisateur de la protestation collective. Une sorte de militant professionnel au service des communautés, pas forcément ethnoraciales, ce peut être des communautés de vie ou des communautés culturelles, des ensembles qui se positionnent à l’échelle d’un quartier. Le sociologue Clément Petitjean a fait sa thèse sur la genèse du community organizing. Il décrit bien cet ensemble de méthodes permettant à des habitants de quartiers populaires de s’organiser collectivement pour faire valoir leurs intérêts.

Dans nos démocraties, tous les citoyens n’ont pas les mêmes capacités de pression sur les pouvoirs politiques. Ils peuvent avoir besoin d’une intervention extérieure 

L’idée est que, dans les démocraties modernes, tous les citoyens n’ont pas forcément les mêmes capacités de pression sur les pouvoirs politiques et qu’ils peuvent avoir besoin d’une intervention extérieure d’un professionnel de la protestation qui va leur apporter des ressources, des modalités d’action, des façons de s’organiser (¹). Toute la réflexion de Saul Alinsky est en partie liée à l’observation qu’il a pu faire des méthodes des syndicalistes américains des années 30. La naissance et l’essor du syndicalisme américain, dans les grandes usines, sont en effet portées par des permanents syndicaux qui sont souvent d’ailleurs des militants politiques et parfois communistes qui s’inspirent de la figure du révolutionnaire professionnel théorisée par Lénine dans son “Que faire ?”

On aurait dit autrefois : “Ce sont des activistes !” Mais ce que vous décrivez a un côté bien plus organisé et formalisé…

En effet ! Cette approche est beaucoup plus rationalisée. Elle consiste à formaliser l’action collective comme un savoir, presque comme une science, avec des méthodes d’action, des techniques de pression pour organiser un rapport de forces, etc.  Il y a une autre différence essentielle, c’est la “salarisation”. Les community organizers sont payés pour se mettre au service des communautés qu’ils vont organiser. 

Cette méthode a été importée en Europe mais elle suscite beaucoup de résistances en France. Pourquoi ?

Il y a plusieurs raisons. Dans toute une partie du mouvement syndical, je pense aux syndicalistes de la CGT et de Solidaires mais ce pourrait aussi être le cas à FO, il peut exister une défiance vis-à-vis de l’idée de professionnaliser l’action militante, et donc une réticence à salarier des personnes sur des tâches spécifiquement militantes. Autant ils sont d’accord pour faire appel, par exemple dans le cadre des expertises des IRP, à des experts qui maîtrisent des savoirs économiques et juridiques qu’ils n’ont pas forcément en tant que syndicalistes, autant la perspective de recruter des gens extérieurs dans un syndicat leur semble inutile. Ils se disent qu’ils n’ont pas besoin de savants extérieurs pour recruter des adhérents.

Il y a la réticence à l’idée de professionnaliser l’action militante, mais aussi la faible culture de l’emploi salarié dans les syndicats français 

Au-delà du refus de considérer le militantisme comme relevant d’un savoir expert, il y a aussi un autre élément à considérer, c’est la faiblesse de la culture de l’emploi salarié dans les syndicats français. Les syndicats français s’appuient sur des sources de financement hétérogènes mais il faut souligner qu’une bonne partie de l’activité syndicale en France est assurée par des représentants du personnel sur leur temps de travail, avec les crédits d’heures. La conséquence, c’est que les appareils bureaucratiques sont assez réduits dans les organisations syndicales en France avec assez peu d’emplois salariés. Ce n’est pas du tout la même chose ailleurs. Les syndicats allemands ou belges, par exemple, ont davantage de ressources directes, via les cotisations, ils emploient davantage de salariés et ont donc plus facilement accepté ce modèle de community organizing (²). 

En France, dites-vous, les syndicats sont moins focalisés qu’ailleurs sur le recrutement des adhérents…

Cela met en évidence les différences des régimes de relations professionnelles selon les pays. Le sens de l’engagement syndical en France n’a rien à voir avec ce qu’il peut être par exemple aux Etats-Unis. Pour que des salariés américains puissent bénéficier d’une couverture collective, il faut que le lieu de travail soit organisé collectivement, avec une représentation syndicale. La garantie des conventions collectives dépend de l’existence d’un syndicat propre au lieu de travail, alors qu’en France le bénéfice des garanties collectives dépend certes des négociations menées par des syndicalistes, mais le mécanisme d’extension par l’Etat en fait bénéficier tous les salariés. 

L’intérêt à se syndiquer n’est pas du tout le même 

L’intérêt à la syndicalisation n’est pas le même. La syndicalisation, dans les pays anglo-saxons, est le préalable à la reconnaissance du syndicalisme alors qu’en France la syndicalisation apparaît comme une démarche plus volontaire et relativement déconnectée de l’existence de garanties collectives. Dans nombre de secteurs, en France les conventions ont été négociées par des permanents syndicaux extérieurs au secteur, je pense à la branche de la distribution directe mis en place dans les années 2000 : les syndicalistes qui négociaient la convention, ce n’étaient pas les distributeurs de prospectus, c’étaient des salariés de la Poste. Lors de ma thèse sur FO, Marc Blondel m’expliquait qu’il avait négocié, comme permanent de la fédération des employés, des dizaines de conventions collectives qui n’avaient rien à voir avec son métier d’origine, sans que FO ne soit forcément implanté dans ces secteurs. Une telle pratique est littéralement impossible aux Etats-Unis.

Pour votre recherche, vous avez vous-même participé à un travail militant de type “community organizing”. Pour quelles raisons ? 

Parce que cette méthode d’enquête permet de saisir l’activité syndicale au plus près des pratiques. Lorsqu’on fait une enquête uniquement par entretien, on recueille les récits des militants sur leurs pratiques, mais beaucoup de choses restent de l’ordre de l’implicite, parce que ça va de soi pour les militants et donc ils ne ressentent pas la nécessité de les évoquer. Le fait d’être dans une logique d’observation-participante, en devenant moi-même organisateur au sein du ReAct, une association qui essaie de promouvoir le community organizing auprès du monde syndical, ça m’a permis d’être confronté sur le terrain à ce que ça signifie en pratique de faire ce travail.

“Le ReAct (réseau pour l’action collective transnationale) est une association constituée dans les années 2010 par des jeunes diplômés qui avaient découvert les techniques et les pratiques du community organizing. En s’appuyant sur ces techniques, ces jeunes entendaient accompagner les travailleurs des multinationales dans la construction d’un mouvement de résistance. Ils se sont rendus compte ensuite qu’il y avait déjà des gens dans les entreprises qui s’organisaient collectivement dans des syndicats et ils ont donc cherché à convaincre les syndicalistes de s’appuyer sur ces techniques. Ils sont aujourd’hui insérés dans un groupe transnational porté par un réseau de community organizing états-unien qui s’appelle Acorn et dont ils constituent la branche française sous le nom Justice Ensemble. Il existe en France d’autres acteurs comme Organisez vous“. 

J’ai pu ainsi mettre en lumière les différentes dimensions du travail militant (³). La réticence de certains syndicalistes à l’égard de la professionnalisation de l’organizing découle souvent d’une conception du travail militant comme celui qui prend la parole en public, qui organise le conflit et la grève, des qualités qui renvoient à l’image d’Epinal du militant ouvrier qui monte sur un cageot pour haranguer la foule. Cette vision du militantisme est très genrée, il y a une dimension très masculine des compétences militantes.

Toute une partie du travail militant est invisible 

Or cette expérience m’a montré l’importance de toute une partie du travail militant qui reste très souvent invisible et non-dit. C’est ce que j’appelle “le travail militant reproductif”. Soit toute une dimension moins tournée vers la prise de parole et le conflit que vers la communauté militante elle-même, avec le “care”, c’est-à-dire l’attention aux autres, la construction de liens de solidarité. Tout ce travail et cette attention portée au développement d’un collectif, en partant des individualités qui le composent, sont déjà bien présentes dans le quotidien des syndicalistes, mais eux-mêmes ne les perçoivent pas comme des compétences militantes. Cela entre d’ailleurs en résonance avec ce que les féministes ont développé sur le travail domestique, un travail féminin jamais reconnu comme un véritable travail. 

Ce travail peu visible, qui consiste à aider et à tisser des liens, est parfois assuré par les secrétaires administratives des organisations syndicales…

Cette division du travail syndical, je l’ai constatée en rendant visite, avec le ReAct, à un syndicat de la restauration rapide. Les secrétaires administratives assurent les permanences et font un peu le bureau des pleurs pour les adhérents qui ont des problèmes, mais dès qu’il s’agit de décisions qu’elles estiment “politiques”, elles se mettent en retrait et la parole doit être assurée par le secrétaire du syndicat. Dans une étude (4), Nicolas Simonpoli décrit à quel point les secrétaires administratives à la confédération CGT jouent un rôle essentiel dans la transmission des missions d’un permanent à la CGT. Ce sont des femmes, présentes depuis des années, qui assurent la continuité, en permettant donc aux “politiques” d’être des politiques en leur donnant toutes les ficelles à connaître. 

En quoi consiste précisément le travail du community organizing ? 

Il y a toute une série de tâches qu’on pourrait juger ingrates et répétitives. Par exemple, faire le pied de grue, debout pendant des heures, dans le froid ou la chaleur selon la saison, et attendre la sortie des employés d’un restaurant rapide, afin de pouvoir engager la discussion avec ces salariés. Cela nécessite aussi des compétences d’écoute, ce qui distingue les organisateurs des activistes : les organiseurs ne sont pas là pour parler à la place des travailleurs, ils sont là pour écouter leurs problèmes, alors que les activistes savent déjà où ils veulent conduire les gens, ils leur donnent d’emblée les raisons pour lesquelles ils doivent se révolter.

Attendre des heures pour entrer en contact avec des travailleurs, faire preuve d’empathie, organiser des moments festifs pour la sociabilité… 

Ensuite, il y a tout un travail émotionnel pour savoir comment gérer les interactions avec les salariés croisés sur le terrain. Cela veut dire faire preuve d’empathie, par exemple en s’indignant au même rythme que le salarié, sans anticiper ce que sont les motifs d’indignation pour eux. Il s’agit plutôt de les encourager à formuler ce qu’ils ressentent comme des injustices. Cela va de pair avec la capacité à faire la part des choses pour ne pas se laisser complètement absorbé par l’émotion des autres. Comme les soignants ou les psy, les organiseurs sont exposés à des récits de violences, de discriminations et d’injustices au travail, de boucler les fins de moi, et ils doivent essayer de ne pas ramener tout ça en rentrant chez eux, ce qui bien sûr rejoint le problème du burn out des militants ou des représentants du personnel. Il y a enfin tout un travail de construction d’une communauté : organiser des moments festifs pour développer la sociabilité et le plaisir d’être ensemble, c’est aussi une compétence du travail militant. 

Ces pratiques ne peuvent-elles pas irriguer le syndicalisme français ?

Mon enquête date de 2020 et 2021, avant et après le Covid. Depuis, les choses ont un peu changé, et dans le bon sens. Le ReAct (dont le nom est désormais Justice ensemble) a continué à développer des liens avec les organisations syndicales, avec la CGT et Solidaires notamment. La CGT a par exemple trouvé des affinités entre la démarche de l’organizing, dès lors qu’on ne s’arrête pas à la question du salariat et qu’on regarde les tâches que cela permet de valoriser, et ce que la confédération appelle la démarche travail (5) avec l’idée d’aller à la rencontre des salariés pour leur demander ce qui ne va pas dans leur travail, ce que pratique d’ailleurs aussi la CFDT.

 Cela commence. J’ai observé des actions menées avec la CGT sur le site de Roissy

À la CGT, des formations, conçues avec des membres du ReAct, ont été lancées pour revoir la démarche de syndicalisation. J’ai observé une campagne de ce type à l’aéroport de Roissy : une animatrice du ReAct était venue pour organiser, avec les syndicalistes de la CGT, une rencontre des intérimaires du site. Elle leur disait qu’il ne fallait pas y aller avec les drapeaux CGT déployés dans les parkings pour voir des intérimaires. A la rigueur, on leur donne un tract CGT à la fin de la discussion, mais il faut d’abord engager l’échange avec les travailleurs. Certains militants syndicaux étaient convaincus, mais d’autres ne comprenaient pas en disant : “Mais c’est pour la CGT que j’interviens, alors pourquoi ne pas se montrer avec nos chasubles et nos drapeaux ?” Cela montre que ces pratiques bousculent le folklore militant mais qu’elles commencent à être diffusées. Au-delà du débat “faut-il faire appel à des intervenants extérieurs”, il me semble important pour les organisations syndicales d’avoir connaissance de ces pratiques et techniques et d’essayer de les internaliser en les intégrant à leur répertoire d’actions. 

Cela pourrait-il être aussi un moyen de rompre l’isolement de nombreux représentants du personnel ? 

En tout cas, nous avons vu, dans le cadre d’un autre travail mené sur Decathlon (6), qu’il peut y avoir un enfermement des représentants du personnel dans un syndicalisme d’entreprise, dans la bulle de l’entreprise, un repli sur la seule communauté professionnelle. Une bonne partie des salariés de Decathlon qui s’engagent dans ces mandats le font parce qu’ils ont été invités à le faire par leur chef et leur vision de leur rôle d’élu du personnel du CSE est celle d’un organisateur du comité des fêtes. Dès lors qu’ils s’investissent dans leur mandat de façon plus active, en se saisissant du droit et de leurs prérogatives, ils entrent alors en conflit avec leur direction, ce qui les conduit soit à arrêter leur mandat, soit à s’appuyer sur les ressources extérieures des syndicats. Cette évolution est bien sûr liée à l’affaiblissement syndical et à la décentralisation de plus en plus forte de la négociation collective. Je crois que les outils du community organizing peuvent contribuer à décloisonner l’activité syndicale.

Le regain d’adhésion dans les syndicats français à l’occasion du conflit des retraites vous paraît-il durable ? 

Ce phénomène est extrêmement dépendant de la capacité des organisations à offrir un cadre à toutes ces nouvelles personnes. Or un des problèmes du syndicalisme en France, c’est qu’il y a de nombreux endroits où les forces militantes sont tellement affaiblies qu’il est difficile de proposer un cadre collectif à ces nouveaux adhérents. L’autre problème, c’est que ce regain d’adhésions provoqué par des circonstances politiques particulières ne semble pas contredire la tendance plus ancienne de l’affaiblissement syndical, et qu’on lit dans les données de la Dares avec le recul du nombre de délégués syndicaux, le recul des implantations syndicales, etc. C’est une raison supplémentaire pour se poser la question des techniques de syndicalisation. 

(¹) Pour lire l’enquête de Karel Yon (directeur adjoint de l’Idhes de Nanterre), voir ici le site du Cairn ici . D’autres ressources sur le même sujet se trouvent sur la page du sociologue Clément Petitjean.

(²) La part des ressources fournies par les cotisations est faible dans les syndicats français, de 12,47 % pour la CFTC, 24,93 % pour FO, 27,8 % pour la CGT comme pour l’UNSA, 32,3 % pour CFDT, 58,5% pour la FSU

(³) En France, un ouvrage, le Mandascop, avait répertorié les compétences requises pour l’exercice des mandats de représentants du personnel comme par exemple pour le délégué du personnel. Mais la dimension militante évoquée dans le travail de Karel Yon était absente de l’ouvrage qui ne traitait pas le mandat de délégué syndical. 

(4) Nicolas Simonpoli, Les petites mains du syndicalisme. Le rôle des employées administratives dans la mise en œuvre du travail syndical à la CGT. Politix, voir ici.

(5) Voir à ce sujet l’analyse d’un ancien membre de la direction confédérale de la CGT, Alain Alphon-Lavre.. 

(6) Maxime Quijoux et Karel Yon, Servir l’entreprise pour mieux défendre les salarié·es ? Les formes plurielles du syndicalisme d’entreprise dans une multinationale d’articles de sport. Actes de la recherche en sciences sociales, voir ici

Bernard Domergue

La CGT conteste un projet de cession de deux Ehpad de l’ex-Orpea

10/06/2025

Le 5 juin, la CGT a appelé à un rassemblement devant le siège d’Emeis pour protester contre le projet de cession de deux Ehpad.

Confrontée à un endettement massif, la direction d’Emeis (ex-Orpea) va-t-elle se désengager de la gestion de certains Ehpad ? C’est la crainte de la CGT. Après l’annonce de tractations pour la cession de deux établissements, le syndicat, en présence de la nouvelle secrétaire générale de la fédération santé et action sociale, a organisé un rassemblement au siège à l’occasion d’un CSE central. La direction se veut rassurante.

Chanson de Goldman à tue-tête, drapeaux de la CGT… devant l’entrée du siège d’Emeis à Puteaux (Hauts-de-Seine) , ce jeudi 5 juin, ils sont une bonne trentaine de syndicalistes de la CGT, avec leur chasuble rouge, venus de la région parisienne, des Hauts-de-France et de Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca). Et même la toute nouvelle secrétaire générale de la fédération santé et action sociale de la CGT, Barbara Filhol (lire notre encadré) a fait le déplacement à la Défense pour encourager ses troupes.

“Gavage des actionnaires”

À l’occasion d’une réunion du comité social et économique central (CSEC), le syndicat arrivé en tête lors des élections de 2023 a décidé de mettre la pression sur la direction, incarnée par Laurent Guillot, pour lui demander de renoncer à un projet de cession de deux établissements qui, selon l’organisation, pourrait créer un précédent fâcheux.

De quoi s’agit-il ? “Après les Pays-Bas et la Belgique, ce sont désormais les Ehpad (*) Les Grands pins à Marignane et la résidence Rognac [Bouches-du-Rhône] qui font l’objet d’un projet de cession d’activités, précise le syndicat dans un communiqué. Dans les Ardennes, deux projets de construction sont abandonnés, laissant planer la menace de nouvelles cessions”. Et le syndicat de se demander s’il ne s’agit pas là d’un “retour au gavage des actionnaires”.

Réduire l’endettement

Déléguée syndicale centrale CGT, Kéline Sivadier, également élue en région Paca, raconte avoir été informée par la direction la semaine dernière de ce projet. “Nous avons demandé des précisions à la direction, explique-t-elle. Jusque-là, pour réduire l’endettement, on nous avait parlé simplement de cessions à l’étranger ou de vente de murs mais en conservant l’activité.”

En novembre 2022, quelques mois après l’arrivée de la nouvelle direction, un communiqué sur le plan de refondation parlait de “repenser la stratégie de détention immobilière […] et notre périmètre géographique (restructuration ou cession des pays dans lesquels le groupe ne dispose pas de position attractive). ” Il n’était alors pas question de cession d’Ehpad français.

Des rénovations très coûteuses

Jeudi 5 juin, le DRH France Guillaume Desoblin est allé au-devant des manifestants avec lesquels il a organisé un rendez-vous improvisé. Il revient pour nous sur cette annonce d’un projet de cessions. “Un investisseur local propriétaire de quatre Ehpad dans le sud de la France nous a fait l’offre, voici trois-quatre mois, de reprendre ces deux Ehpad à Marignane et Rognac afin de renforcer son offre locale. Nous étudions sa demande. Nous avons informé les représentants syndicaux dès le départ. Cet investisseur rencontrera d’ailleurs les partenaires sociaux le 18 juin.”

Sur le fond, le DRH explique que l’Ehpad de Marignane est très ancien (datant des années cinquante) et qu’il nécessitera une rénovation profonde. Il se trouve, par ailleurs, que cet établissement comporte un nombre important de places habilitées à l’aide sociale, ce qui ne permettrait pas une augmentation importante des tarifs. Or, précise Guillaume Desoblin, “nous devons assurer un accueil de qualité pour les résidents et les salariés.”

Non-remplacement de certains salariés

Même si en début d’année, le taux d’occupation des Ehpad Emeis était en progrès à 84 %, on est encore bien loin de niveaux permettant de dégager des marges afin d’investir dans la rénovation de nombreux Ehpad. La cession de ces deux établissements, si elle a lieu, sera-t-elle une situation exceptionnelle ou constituera-t-elle un ballon d’essai conduisant vers des cessions nombreuses d’Ehpad dans un contexte de profonde morosité et de déficits généralisés ?

Chez les syndicalistes, d’autres préoccupations plus quotidiennes s’expriment. “Pendant deux ans avec la nouvelle direction, les conditions de travail se sont améliorées, raconte Anthony Gutton, chef de cuisine à Beauvais et délégué syndical régional. Mais depuis janvier 2024, les directions d’établissement ont commencé à adapter les effectifs salariés au taux d’occupation, en ne remplaçant pas tout le monde.”

Un millier de salariés embauchés

“Le combat de la direction est en faveur de la CDIsation du maximum de salariés, rappelle le DRH France, car c’est la meilleure garantie d’une qualité des soins. Donc, nous ne voulons pas réduire le nombre de CDI, mais les garder.” Le programme « Emeis et moi », la mise en place progressive d’un 13e mois… tout cela irait dans ce sens.

Guillaume Desoblin reconnaît que certaines économies sur la masse salariale ont été faites ces derniers mois, mais simplement en réduisant le volant d’heures supplémentaires ou le nombre de vacataires. Et de rappeler que l’entreprise de 28 000 salariés en France a embauché en 2023 et 2024 un millier de nouveaux collaborateurs.

(*) Ephad : établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

Une cadre des Ehpad à la tête de la fédération santé-social CGT 
Fin mai, suite au congrès de la fédération de la santé et de l’action sociale de la CGT, une nouvelle secrétaire générale a été élue en remplacement de Mireille Stivala. Cadre administrative en Ehpad depuis 1992, Barbara Filhol a longtemps été secrétaire générale des Ehpad publics du Val-de-Marne. Militante communiste, elle a été candidate sur la liste du PCF conduite par Ian Brossat aux élections européennes de 2019.

Lors de son bref discours devant le siège d’Emeis, Barbara Filhol a affirmé son attachement au médico-social, notamment aux Ehpad. Elle plaide pour des groupements de coopération entre établissements publics et défend la création d’un “véritable service public de la santé et de l’action sociale”.
Noël Bouttier

Noël Bouttier

Désignation d’un DS d’établissement : le seuil d’effectif s’apprécie au regard du champ catégoriel du syndicat

11/06/2025

Un syndicat catégoriel peut désigner un délégué syndical (DS) d’établissement si l’effectif de la catégorie qu’il représente dans ce périmètre le permet. Lorsque cet effectif n’autorise la désignation que d’un seul DS, la désignation simultanée d’un DS d’établissement et d’un DS central issus du même établissement est irrégulière

Commençons par un rappel sur la représentativité.

Un syndicat catégoriel affilié à une confédération syndicale catégorielle interprofessionnelle nationale peut être reconnu représentatif, dans l’entreprise ou l’établissement, à l’égard des personnels relevant des seuls collèges électoraux dans lesquels ses statuts lui permettent de présenter des candidats (C. trav. art. L 2122-2).

C’est aussi l’effectif de la catégorie qu’il représente qui détermine les conditions dans lesquelles il peut désigner un ou plusieurs DS dans chaque entreprise ou établissement, en application des articles L 2143-12 et R 2143-1 et suivants du Code du travail.

Autrement dit, un syndicat catégoriel, reconnu représentatif à l’égard des personnels relevant des collèges électoraux dans lesquels ses règles statutaires lui donnent vocation à présenter des candidats, peut désigner un nombre de DS au moins égal à un et correspondant à l’effectif de la catégorie qu’il représente. C’est ce que juge la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 21 mai, destiné à la publication au bulletin des arrêts des chambres civiles.

Une entreprise avec 3 établissements distincts

L’affaire concerne une entreprise de moins de 2 000 salariés comportant 3 établissements distincts dans laquelle un syndicat affilié à une fédération CFE-CGC désigne un premier salarié appartenant à l’établissement d’Ile-de-France en qualité de DS central, puis un autre salarié relevant du même établissement en tant que DS d’établissement.

L’employeur saisit alors le tribunal de proximité afin de faire annuler cette seconde désignation, estimant qu’un seul délégué syndical pouvait être désigné par ce syndicat catégoriel.

Un seul délégué possible au regard de l’effectif catégoriel

Dans une entreprise de moins de 2 000 salariés, comportant plusieurs établissements de plus de 50 salariés, seul un des délégués syndicaux d’établissement peut également exercer les fonctions de délégué syndical central (C. trav. art. L. 2143-5, al. 4).

La jurisprudence sur le sujet
Compte tenu de cette règle, il a déjà été jugé que, dans une entreprise de moins de 2 000 salariés :

– un syndicat peut désigner comme DS central un DS d’établissement, même s’il s’agit de son unique DS dans l’entreprise (Cass. soc. 16-12-1992 n° 91-60.214 P) ;

– la désignation d’un DS central rend inopérante la désignation de DS d’établissement, en l’absence de convention ou accord collectif dérogatoire (Cass. soc. 6-2-1996 n° 95-60.114 D) ;

– le mandat d’un DS central devient caduc lorsque le salarié perd son mandat de DS d’établissement à la suite de son remplacement (Cass. soc. 25-10-2006 n° 04-19.103 F-D).

Au contraire, dans les entreprises d’au moins 2 000 salariés, chaque syndicat représentatif dans l’entreprise peut désigner un DS central d’entreprise, distinct des DS d’établissement (C. trav. art. L. 2143-5, al. 1).

Les juges du fond relèvent ici que l’établissement Ile-de-France regroupe un peu plus de 278 salariés (278,92 exactement) en équivalent temps plein relevant des deuxième et troisième collèges, soit ceux représentés par la CFE-CGC.

Le seuil de 2 000 salariés n’étant pas franchi, un seul DS pouvait donc y être désigné par le syndicat catégoriel. Le tribunal annule donc logiquement la désignation du second salarié comme DS d’établissement.

La désignation du DS surnuméraire doit être annulée

À l’appui de leur pourvoi, la fédération et le syndicat soutiennent que l’effectif de la catégorie que le syndicat représente selon ses statuts servirait exclusivement à apprécier la représentativité d’une organisation syndicale catégorielle et non le nombre de délégués qu’ils peuvent désigner, qui devrait s’apprécier, selon eux, au regard de l’effectif global (et non catégoriel) de l’entreprise ou de l’établissement.

Leur raisonnement est rejeté par la Cour de cassation. En désignant deux délégués issus du même établissement, l’un en qualité de DS central, l’autre en qualité de DS d’établissement, alors que l’effectif catégoriel ne permettait la désignation que d’un seul délégué, le syndicat, décide la Cour, a excédé les possibilités de représentation prévues par le Code du travail.

La Cour de cassation approuve donc les juges du fond d’avoir annulé la désignation du second DS comme étant irrégulière et rejette le pourvoi.

Que retenir ? 

► Un syndicat catégoriel reconnu représentatif à l’égard des personnels relevant des collèges électoraux dans lesquels ses règles statutaires lui donnent vocation à présenter des candidats, peut désigner un nombre de délégués syndicaux au moins égal à un et correspondant à l’effectif de la catégorie de personnel qu’il représente.

Après avoir constaté qu’au sein de l’entreprise comptant moins de 2 000 salariés, l’établissement comprenait pour les deuxième et troisième collèges correspondant au champ catégoriel du syndicat un effectif n’autorisant la désignation que d’un seul délégué syndical, le tribunal en a exactement déduit que la désignation surnuméraire d’un délégué syndical d’établissement par le syndicat ayant déjà désigné en qualité de délégué syndical central un salarié appartenant au même établissement devait être annulée.

Audrey Gauvin-Fournis

Carrefour : le baromètre de la CFDT indique une dégradation des conditions de travail

12/06/2025

Chaque année, la CFDT de Carrefour publie son “baromètre social”. Cet indice résulte des réponses données par les salariés : du 17 mars au 9 mai 20205, 5 700 salariés ont répondu cette année à l’enquête, des salariés intégrés comme des salariés de magasins en location gérance et des magasins Cora-Casino. Ils ont été invités à noter leur société en répondant à une vingtaine de questions sur les conditions de travail et la stratégie de l’entreprise. 

En 2025, le syndicat annonce que la note moyenne du baromètre (4,3 sur 10, au lieu de 3,9 en 2024, 4,09 en 2023, 4,5 en 2022) doit “alerter l’ensemble des acteurs de la sphère économique et sociale”, et ce dans le contexte de restructuration du groupe de distribution.  

La CFDT souligne notamment que :

  • 74 % des salariés disent souffrir d’une augmentation de la charge de travail ;
  • 62 %  des salariés passés en location-gérance affirment que leurs conditions de travail se sont dégradées ;
  • 60 % des salariés sont inquiets pour leur emploi et mal informés ;
  • 69 % se disent épuisés physiquement et 64 % épuisés moralement, etc.

Par ailleurs, 30 %  des répondants évoquent le sous-effectif, et 27 % abordent le thème de l’absence de considération et de reconnaissance de la part de leur direction.

Source : actuel CSE

FO signataire de l’avenant sur le bonus-malus

12/06/2025

Après quelques semaines de négociations sur le bonus-malus (dispositif de variation des cotisations chômage des employeurs en fonction des embauches en contrat court), Force Ouvrière a fait connaître hier sa décision de signer l’avenant. Selon Michel Beaugas, secrétaire confédéral en charge de ce dossier “FO considère que le dispositif de bonus-malus contenu dans l’accord reste perfectible et peu efficace, mais choisit de le signer pour affirmer sa volonté de préserver le paritarisme et garantir l’ouverture d’une véritable négociation avec les organisations patronales sur la question des contrats court”.

Les partenaires sociaux ont en effet convenu d’ouvrir une nouvelle négociation relative aux contrats courts d’ici la fin de l’année 2025.

Force ouvrière se dit satisfaite des orientations trouvées entre syndicats et patronat mais affirme qu’elle restera vigilante, en particulier sur les “tentatives patronales visant à vider le dispositif de sa substance”. Autre motif ayant motivé la signature de FO, le recentrement du dispositif du bonus-malus : “Désormais, seules les fins de contrats de moins de trois mois seront prises en compte, et un secteur sort du champ d’application”.

Source : actuel CSE

Commissions paritaires régionales interprofessionnelles : la période de désignation est ouverte

13/06/2025

Deux arrêtés parus hier au Journal officiel fixent le calendrier de mise en place des commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) ainsi que le nombre de représentants qui y siègent par organisation syndicale et organisation patronale.

La publication de la composition résultant de ce renouvellement, qui a lieu après le scrutin TPE de fin 2024, interviendra au plus tard le 17 octobre 2025, ou dès le 11 juillet si les représentants d’une CPRI sont désignés avant le 1er juillet.

► Selon l’arrêté sur le calendrier, les organisations syndicales et professionnelles doivent, entre le 9 juin et le 30 septembre 2025, procéder à la désignation de leurs nouveaux représentants au sein de ces CPRI.

L’arrêté comprend en annexe :

  • un modèle pour le mandat de désignation d’un mandataire habilité à désigner un ou plusieurs représentants ;
  • un modèle de déclaration de désignation d’un ou plusieurs représentants ;
  • un modèle d’attestation sur l’honneur à signer par les personnes désignées.

► Le tableau annexé à l’arrêté sur l’attribution des sièges fixe, pour chaque commission paritaire, un nombre de représentants par organisation syndicale (10 membres) et patronale (10 membres). 

Exemple : sur les 10 représentants de salariés de la CPRI des Hauts-de-France, 4 sont désignés par la CGT, 2 par la CFDT, 2 par l’UNSA, 1 par la CFTC, 1 par FO. Côté employeurs, 6 représentants sont désignés par la CPME, 2 par le Medef et 2 par l’U2P.

Rappelons que ces CPRI ont pour mission d’organiser au niveau d’une région un dialogue social interprofessionnel pour les entreprises de moins de 11 salariés. Selon l’art. L. 23-113-1 du code du travail, les commissions peuvent :

  • donner aux salariés et employeurs toute information utile sur les dispositions légales ou conventionnelles ;
  • débattre et rendre des avis sur les questions spécifiques aux entreprises de moins de 11 salariés, “notamment en matière d’emploi, de formation, de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, de conditions de travail, de santé au travail, d’égalité professionnelle, de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, de travail à temps partiel et de mixité des emplois” ;
  • de faciliter la résolution de conflits individuels ou collectifs ;
  • de faire des propositions en matière d’activités sociales et culturelles.

Source : actuel CSE